Immigration
Surpopulation, dispositif de sécurité dissuasif et incurie des pouvoirs publics transforment le centre de Sangatte en nasse explosive pour les candidats au départ
EPA
ÉCLAIRAGE
La tentative quotidienne des réfugiés de gagner clandestinement le Royaume-Uni via le tunnel sous la Manche relève de la triste banalité. Le `raid de Noël´ marque toutefois une inquiétante escalade dans une situation qui frise déjà la catastrophe humanitaire. Dans la nuit de mardi à mercredi, ce ne sont pas moins de 500 réfugiés du centre de Sangatte qui ont forcé les grilles du terminal de Coquelles - l'entrée du tunnel sous la Manche coté français - pour essayer de rallier le Royaume-Uni à pied. Cette tentative d'intrusion massive, dictée probablement par un traître sentiment de trêve de Noël, s'est soldée par un fiasco brutal.
Reste qu'il traduit bien la nervosité croissante des réfugiés, prêts à risquer leur vie pour quitter le centre d'accueil de la Croix-Rouge à Sangatte, situé à seulement deux kilomètres du terminal d'Eurotunnel. Car si l'on ne peut parler de Sangatte comme d'un centre aux conditions de vie inhumaines, force est de constater qu'il a toutefois largement atteint ses limites d'accueil.
Ouvert dans l'urgence en 1999 pour accueillir les clandestins kosovars qui erraient dans le nord de la France dans l'attente d'un passage vers le Royaume-Uni, ce centre provisoire devait héberger 600 à 700 personnes. Aujourd'hui, le provisoire s'éternise et près de 1 300 réfugiés se partagent vaille que vaille les maigres infrastructures de la Croix-Rouge. A cette pénible promiscuité - qui dégénère parfois en coups de couteaux - se greffe également l'hostilité montante de la population environnante. Eurotunnel, la société concessionnaire du tunnel sous la Manche, réclame la fermeture du centre de Sangatte. Excédé, le concessionnaire franco-britannique a investi 7,6 millions d'euros dans une opération `tolérance zéro´, lancée en juillet dernier. Pour surveiller les 590 hectares du site de Coquelles, Eurotunnel a recruté 370 agents de sécurité, dont 12 maîtres-chiens. Plus de 200 caméras vidéo surveillent le site, qui comprend 37 km de clôtures, la plupart équipées de concertina (barbelés coupants), et 5 km de clôtures électrifiées. Quant à André Segard, maire socialiste de Sangatte, après avoir longtemps louvoyé, il déclare désormais `souhaiter la fermeture du centre de réfugiés´, estimant que la situation engendre `un sentiment d'insécurité´ dans la petite station balnéaire de 800 habitants.
Pourtant, les spécialistes de l'immigration clandestine s'accordent à dire que la fermeture du centre ne résoudra pas grand-chose pour la région, principale porte d'accès à l'eldorado anglais. Dans l'Union européenne, le Royaume-Uni reste une terre d'élection pour les milliers de clandestins attirés par une politique d'asile plus libérale. Un engouement qui gagne l'Irlande, en dehors elle aussi de l'espace Schengen. De quoi apporter de l'eau au moulin à ceux qui réclament à cors et à cris une harmonisation européenne des procédures d'asile, dossier qui n'a pas progressé sous la présidence belge.
En 2001, au moins sept clandestins sont morts en tentant la traversée de la Manche et la police a procédé à 75 000 interpellations. A défaut de parvenir rapidement à une coordination des politiques européennes, les autorités françaises sont en tout cas tenues de ne pas laisser indéfiniment pourrir la situation. Sous peine de la transformer en poudrière.
© La Libre Belgique 2001