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Jacques Chirac réélu

La déclaration de Jacques Chirac


Jacques Chirac réélu
PAR BERNARD DELATTRE - Mis en ligne le 05/05/2002

Jacques Chirac, réélu à 82% des voix, se présentait pour la quatrième fois à la magistrature suprême (1981, 1988 et 1995). Il devient donc le 23ème président de la République française et le cinquième de la Vème République, fondée en 1958. Portrait d'un homme qui a du pain sur la planche.

CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS

Il n'y a pas un Chirac: il y en a mille. C'est ce qui explique son incroyable longévité politique. Malin comme un singe, l'homme est toujours parvenu à déjouer l'adversité par sa stupéfiante habilitéà modeler son image et à adapter son discours.

Chirac est un homme `sympathique´. Il y a quelques années, l'épithète a mis Lionel Jospin hors de lui. Profondément irrité par les louanges que ses ministres n'arrêtaient pas de lui faire du Président, le Premier ministre les somma de ne plus vanter en public les qualités de son adversaire. Mais Jospin ne parvint jamais à casser cette image d'homme `sympathique´ qui a toujours collé à la peau de Chirac.

Sympa? C'est le Chirac proche des gens, accessible, rivé sur `la France d'en-bas´. Le Chirac qui flatte l'arrière-train des vaches, écluse des demis dans les bistrots, se goinfre de tête de veau et de rillettes, aime les westerns et la musique militaire. Le Chirac des bains de foule. Celui qui, en fin de campagne électorale, a tellement serré de mains que ses doigts meurtris doivent être protégés par des sparadraps. Le Chirac primesautier, familier, séducteur de jolies femmes et amateur de blagues polissonnes. Le Chirac campagnard, un peu macho, qui, jadis, décrivait la femme idéale sous les traits de `la Corrézienne, dure à la peine, qui sert les hommes à table, ne s'assied jamais avec eux et ne parle pas´. Un Chirac très Français moyen, donc. Mais à ce titre immensément populaire car `bien de chez nous´, comme on dit en Corrèze.

MYTHE OU REALITE?

Mythe ou réalité, ce Chirac `sympa´ ? `Ce Chirac existe bel et bien´, confirme Raphaëlle Bacqué, journaliste au `Monde´, auteur d'un récent `Chirac ou le démon du pouvoir´ (Albin Michel). `Chirac a effectivement un charisme et un pouvoir de séduction incroyables´, nous assure notre consoeur, qui connaît bien l'intéressé puisqu'elle couvre à plein temps l'Elysée. `Dans ses relations interpersonnelles, Chirac est un être charmant. A l'égard d'autrui, il peut être extrêmement chaleureux, prévenant, amical, attentionné´. La porte-parole du Président-candidat, Roselyne Bachelot, ne dit pas autre chose. `J'ai été frappée par son extrême bienveillance. C'est aussi un homme profondément égalitaire: il parle de la même façon à l'énarque qu'à l'agriculteur. Il n'a aucun souci de caste sociale´.

Totalement spontanée, cette chaleur chiraquienne? C'est autre chose. Les Corréziens qui s'enthousiasment qu'un Président qu'ils n'ont plus vu depuis des années se souvienne de leurs prénoms quand il débarque à l'improviste ignorent qu'avant sa venue, Chirac a longuement potassé les fiches personnelles de ses supporters, rigoureusement tenues à jour par son état-major. Quand Chirac fait arrêter un cortège officiel pour saluer telle ou telle personnalité locale, c'est parce qu'il a déjà comptabilisé dans sa tête le nombre de voix qu'elle lui rapportera. Et les milliers de Corréziens ou de Parisiens auxquels Chirac a procuré un job, un logement ou une faveur ne le doivent pas seulement à sa générosité mais aussi à une certaine conception du clientélisme, totalement décomplexée.

Surtout, dixit Nicolas Sarkozy lui-même, `on a toujours dit de Chirac qu'il était con, gentil et généreux. C'est tout le contraire. Il est intelligent, complexe et très intéressé´. Raphaëlle Bacqué confirme: `Chirac est un grand acteur´. Son image d'homme du peuple - qu'il a polissée depuis qu'il est l'Elysée: c'est le Chirac lettré, féru de culture asiatique et d'arts premiers - n'est donc ni gratuite, ni exclusive. En effet, elle lui a permis d'estomper deux autres images, moins flatteuses, qui lui collaient tout autant à la peau. La première est celle du Chirac hyperactif, boulimique de travail, limite caractériel: le Chirac qui considérait qu'une élection n'était pas gagnée tant qu'il restait une cage d'escalier à visiter, le Chirac sec comme un coup de trique qui, à la télé, précédait chacune de ses répliques de son célèbre `Ecoutez´, le Chirac surnommé `l'Hélicoptère´ à Sciences-Po, `le bulldozer´ au cabinet Pompidou, `Fend-la-bise´ à Matignon, le Chirac que Giscard appelait avec mépris `l'agité´. Le second Chirac estompé par l'homme du peuple est l'homme d'argent: le châtelain de Bity qui excite les journalistes d'investigation et intrigue les magistrats, le nabab qui s'offre des suites dans des palaces et des virées en Concorde, le Chirac des caisses noires de la mairie de Paris et du RPR, le Chirac à la tête d'un patrimoine colossal.

SURTOUT UN TUEUR

La facette chaleureuse voire gentille de l'homme ne doit pas non plus faire oublier une autre, moins inoffensive. `Chirac est aussi et surtout un tueur´, rappelle Raphaëlle Bacqué. `Il n'a jamais reculé devant rien pour asseoir son pouvoir et il a tout sacrifié à son ambition: sa vie privée, sa famille, ses amis, ses idées´. Certains l'apprirent à leurs dépens. Chaban, que Chirac trahit en 1974 en s'alliant à Giscard. Giscard, qui fut lui-même trahi par Chirac en 1981. Tiberi qui, quinze ans plus tard, fut lâché en rase campagne. Et tous ces leaders de la droite (Séguin en est le meilleur exemple) que Chirac décapita ou dégoûta de la politique pour qu'ils ne lui fassent pas de l'ombre.

`Chirac a un défaut qui fait frémir: il a une sidérante capacité à trahir, à renier sa parole et à mentir´. L'homme qui nous tient ces propos s'appelle Jean-François Probst. Cette éminence grise de la droite française, auteur d'un récent et décapant `Chirac et dépendances´ (Ramsay), a joué les hommes de l'ombre du Président pendant trente ans. Sévère, Probst n'en est pas moins resté `un inconditionnel´ de Chirac. `Parce que c'est une bête de scène doublée d'un animal politique sans équivalent à gauche ni à droite´, nous assure-t-il. `On l'a donné 1 000 fois politiquement mort et, chaque fois, il est parvenu à rebondir´. Probst dresse ce parallèle saisissant.

LE JOHNNY HALLIDAY DE LA POLITIQUE

`Chirac, c'est le Johnny Halliday de la politique. C'est l'idole des Français depuis 40 ans. Il plaît à tous les âges, traverse toutes les époques. Même quand on croit la mode finie, il parvient à revenir sur le devant de la scène grâce à son incroyable baraka. Mais comme Johnny, Chirac a un problème. Autant on a toujours une chanson de lui dans l'oreille, autant il n'a pas donné de chef-d'oeuvre qui ait marqué son temps. Johnny est cent coudées au-dessus d'Eddy Mitchell ou de Dick Rivers, mais ce n'est pas Elvis Presley´.

C'est peut-être là la faille majeure de l'édifice Chirac. Sans remonter jusqu'à l'époque où il vendait `L'Humanité´ - qui n'a pas ses erreurs de jeunesse? -, on a du mal à lui trouver une assise idéologique solide. Au cours de sa carrière, en effet, Chirac a dit tout et son contraire. On l'a connu gaulliste pur jus puis néo-gaulliste converti au quinquennat et à la cohabitation. Il plaida pour le `travaillisme à la Française´ puis flirta avec le néo-libéralisme avant de découvrir la fracture sociale. Il fut violemment anti-européen puis viscéralement europhile. Il combattit Le Pen mais mit des années à faire oublier le `facho-Chirac´ qui stigmatisait `le bruit et l'odeur des étrangers´. Il se convertit à l'environnement après avoir toujours soutenu le lobby agricole et avoir relancé les essais nucléaires. Il fut le premier à s'excuser pour le passé vichyste de son pays mais refusa toujours une repentance de la France à l'égard de son passé algérien.

Dès lors, quelle est la cohérence idéologique du parcours de Jacques Chirac? Roselyne Bachelot grimace quand nous lui posons la question, qu'elle trouve `caustique´. `J'y vois une grande cohérence´, tente-t-elle. `Prenons l'exemple de la fracture sociale. Plus que jamais, son souci de cette fracture est d'actualité dans un pays où la pauvreté n'a pas été réduite. Quant à son discours sur l'insécurité, il s'inscrit dans la même logique, puisque ce sont avant tout les pauvres qui sont victimes de cette insécurité´. Jean-François Probst est plus sévère. `Je ne vois ni une véritable vision, ni une volonté politique claire chez Chirac. Je ne vois pas le grand projet dont il aurait été porteur. Il m'a toujours semblé moins soucieux d'idéologie que d'efficacité. Idéologiquement, Chirac est un mille-feuille, une compression digne d'une sculpture de César. Dans Chirac, il y a de tout, et le goût varie selon les circonstances´.

VERSATILE OU DEMAGOGUE

Edgar Faure n'a pas dit autre chose. `Penser, pour Chirac, c'est d'abord penser ce que pensent les autres´. Raphaëlle Bacqué est du même avis. `Il y a chez Jacques Chirac une légèreté idéologique incroyable. Elle est d'autant plus stupéfiante qu'il l'assume sans fards ni remords. Pour lui, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. Et sur ce point, Chirac est d'autant plus à l'aise qu'il se sait en phase avec l'opinion française, qui, idéologiquement, est ambiguë, voire contradictoire et changeante´. Selon le point de vue d'où l'on se place, on fustigera donc, comme le fait la gauche, la versatilité de Chirac, voire sa démagogie. Ou l'on rendra hommage, comme le fait l'entourage élyséen, à la `disponibilité intellectuelle´ de Chirac.

Cette plasticité est très utile et efficace, la longévité politique de Chirac l'a montré. Mais elle peut aussi jouer des tours. A force de se laisser influencer par le dernier gourou à la mode (les Juillet, Garaud, Pasqua, Balladur, puis maintenant de Villepin), à force de se laisser enfermer dans un cocon protecteur de conseillers influentissimes, on perd parfois prise avec l'opinion et on commet des gaffes. En 1993, Chirac fit tellement confiance à Balladur qu'il le plaça à Matignon en sous-estimant ses velléités présidentiables. En 1995, il succomba tellement au charme de Juppé qu'il se coupa de la rue. En 1997, il écouta tellement son secrétaire général de Villepin qu'il rata sa dissolution de l'Assemblée. En 1999, il voulut tellement verrouiller son parti en y mettant un homme à sa botte, Jean-Paul Delevoye, qu'il ne perçut pas le ras-le-bol de sa base et se ramassa Michèle Alliot-Marie.

Surtout, la malléabilité intellectuelle proverbiale de Chirac peut amener à douter de sa sincérité. Au fond, n'est-il pas un peu manipulateur? Probst l'affirme, sans hésitation. `C'est un simulateur, un dissimulateur, un galéjeur. C'est le roi des bonimenteurs, un brin mystificateur. Il le fait avec d'autant moins de scrupules qu'il sait qu'il a la baraka et qu'il retombera toujours sur ses pattes, le peuple l'ayant toujours plébiscité davantage pour sa personnalité que pour ses idées. Souvent, chez Chirac, il y a deux tiers d'engagement personnel, de vigueur, d'ardeur, de courage, et un tiers de veulerie. Il frôle la schizophrénie. Il se ment même à lui-même´.

INOXYDABLE PLUTOT

Chirac n'a pas l'apanage de ce genre d'attitudes. `Ce qui est injuste, c'est que l'on ne fait ce procès qu'à Chirac´, poursuit notre interlocuteur. `Ce qu'on lui reproche, on pourrait le reprocher à de Gaulle et à Mitterrand. Quand de Gaulle a dit `Je vous ai compris´ aux Algériens, il est resté suffisamment vague pour que tant les partisans de l'Algérie française et que les tenants de l'indépendance croient avoir été compris. De même, Mitterrand a menti toute sa vie sur sa jeunesse, ses amitiés vichystes, la sincérité de ses rapports avec les communistes, etc.´. Il n'empêche, en des circonstances particulièrement dramatiques, ce trait de caractère chiraquien pose question. Quand, face à La Pen, un Chirac soudain gaullien s'érige en sauveur du pays, en héraut des valeurs républicaines, en repère rassembleur pour une nation politiquement déboussolée, est-il vraiment sincère? Ou, au contraire, ne fait-il à nouveau qu'épouser l'air du temps de manière purement intéressée? Rajouter une énième couche à son mille-feuille? Se donner un profil? Endosser le plus grand rôle de sa vie? `C'est une posture dont j'espère qu'elle est sincère´, répond Probst, prudent.

Si par extraordinaire tel n'était pas le cas et si d'aventure l'opinion devait s'en apercevoir, il n'est pas sûr que, cette fois, l'inoxydable et inusable Chirac s'en sortirait. Quoique.

© La Libre Belgique 2002

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La déclaration de Jacques Chirac
Mis en ligne le 05/05/2002

Voici l'intégralité de la première déclaration de Jacques Chirac, réélu dimanche soir président de la République

«Mes chers compatriotes de métropole, d'outre-mer, de l'étranger, nous venons de vivre un temps de grande inquiétude pour la Nation, mais ce soir dans un grand élan, la France a réaffirmé son attachement aux valeurs de la République.

»Je salue la France, fidèle à elle-même, fidèle à ses grands idéaux, fidèle à sa vocation universelle et humaniste. Je salue la France qui, comme toujours dans les moments difficiles, sait se retrouver sur l'essentiel; je salue les Françaises et les Français épris de solidarité et de liberté, soucieux de s'ouvrir à l'Europe et au monde, tournés résolument vers l'avenir.

«J'ai entendu, et j'ai compris, votre appel, pour que la République vive, pour que la Nation se rassemble, pour que la politique change. Tout, tout, dans l'action qui doit être maintenant conduite devra répondre à cet appel, et s'inspirer d'une exigence de service et d'écoute pour chaque Française, pour chaque Français.

»Ce soir, je veux dire aussi mon émotion, et le sentiment que j'ai de la responsabilité qui m'incombe. Votre choix aujourd'hui est un choix fondateur, un choix qui renouvelle notre pacte républicain. Ce choix m'oblige, comme il oblige chaque responsable de notre pays.

«Chacun mesure bien, à l'aune de notre histoire, la force de ce moment exceptionnel. Votre décision, vous l'avez prise en conscience, en dépassant les clivages traditionnels, et pour certains d'entre vous en allant au-delà même de vos préférences personnelles ou politiques.

»La confiance que vous venez de me témoigner, je veux y répondre en m'engageant dans l'action avec détermination. Président de tous les Français, je veux y répondre dans un esprit de rassemblement. Je veux mettre la République au service de tous, je veux que les valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité, reprennent toute leur place dans la vie de chacune et de chacun d'entre vous.

«La liberté, c'est la sécurité, c'est la lutte contre la violence, le refus de l'impunité. Faire reculer l'insécurité est la première priorité de l'Etat pour les temps à venir. La liberté, c'est aussi la reconnaissance du travail et du mérite, la réduction des charges et des impôts. L'égalité, c'est le refus de toute discrimination, ce sont les mêmes droits, les mêmes devoirs pour tous.

»La fraternité, c'est sauvegarder nos retraites. C'est aider les familles à jouer pleinement leur rôle. C'est faire en sorte que personne n'éprouve plus le sentiment d'être en quelque sorte laissé pour compte.

«La France, forte de sa cohésion sociale et de son dynamisme économique, portera en Europe et dans le monde l'ambition de la paix, des libertés, de la solidarité.

»Dans les prochains jours, je mettrai en place un gouvernement de mission, un gouvernement qui aura pour seule tâche de répondre à vos préoccupations et d'apporter des solutions à des problèmes qui ont été trop longtemps négligés. Son premier devoir sera de rétablir l'autorité de l'Etat pour répondre à l'exigence de sécurité, et de mettre la France sur un nouveau chemin de croissance et d'emploi.

«C'est par une action forte et déterminée, c'est par la solidarité de la Nation, c'est par l'efficacité des résultats obtenus, que nous pourrons lutter contre l'intolérance, faire reculer l'extrémisme, garantir la vitalité de notre démocratie. Cette exigence s'impose à chacune et à chacun d'entre nous. Elle impliquera, au cours des prochaines années, vigilance et mobilisation de la part de tous.

»Mes chers compatriotes, le mandat que vous m'avez confié, je l'exercerai dans un esprit d'ouverture et de concorde, avec pour exigence l'unité de la République, la cohésion de la Nation et le respect de l'autorité de l'Etat.

«Les jours que nous venons de vivre ont ranimé la vigueur du lien national, la vigueur de l'idéal démocratique français. Ils ont exprimé une autre idée de la politique et de la citoyenneté.

»Chacun, chacune d'entre nous, conscient de ses responsabilités, par un choix de liberté, a contribué, ce soir, à forger le destin de la France.

«Il y a là un espoir qui ne demande qu'à grandir, un espoir que je veux servir.

»Vive la République! Vive la France!«

(AFP)

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