En campagne
CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS
Interview évidemment très attendue que celle de Lionel Jospin jeudi soir. La veille, en effet, le Premier ministre sortant avait officiliasé sa candidature à l'Elysée en des termes qui pouvaient laisser présager un affrontement sans pitié avec son rival Jacques Chirac. Ainsi, la nécessité affirmée de `respecter les promesses électorales´, de `restaurer l'esprit de responsabilité´ et de `présider autrement´ pouvait faire allusion à la crédibilité et aux tracas judiciaires du chef de l'Etat. Et, partant, annoncer une fin de cohabitation houleuse voire explosive. Jeudi soir, Lionel Jospin allait-il effectivement donner le coup d'envoi d'une guerre ouverte entre les deux têtes de l'exécutif? C'était l'une des questions qui étaient posées. Et l'intéressé - grand adepte, paraît-il, du `ni-ni´- y a répondu à sa manière, en ménageant la chèvre et le chou.
Côté pile, le locataire de Matignon a assuré qu' `en aucun cas´, il n'utiliserait les `affaires´ dans la campagne. Il a aussi refusé de condamner explicitement le refus de Jacques Chirac de témoigner devant la justice ou son maintien en fonctions après le fiasco de la dissolution de 1997. Il ne l'a pas non plus associé à `l'excès de pessimisme´ diagnostiqué à droite.
Côté face, le Premier ministre a tout de même remarqué que, le jour de scrutin, les Français intégreraient les `affaires´ dans leur jugement. Il a aussi estimé que les présidentielles constituaient avant tout l'évaluation du bilan du Président sortant. Il a encore confirmé que, s'il était élu, il reverrait le statut du chef de l'Etat afin qu'il puisse être entendu par un juge. Il a également adjuré les candidats à l'Elysée à ne pas tourner le dos à leurs engagements, `comme cela a pu être le cas après 1995´. Enfin, même si le thème de l'insécurité ne doit selon lui `pas faire l'objet de polémiques électorales ou de débats politiciens´, Jospin n'a pu s'empêcher de relever que les propositions de son rival en la matière perdaient `beaucoup de leur poids´ vu leur manque d'originalité. Une cohabitation ferme mais policée se poursuivra donc. A Chirac qui, d'entrée de jeu, avait dit son intention de ne `pas polémiquer´, Jospin rétorque qu'il préfère `les bonnes paix´ aux affrontements de bonne guerre...
`PAS UN PROJET SOCIALISTE´
Ce faisant, le chef du gouvernement entend évidemment peaufiner son message de `sérénité et responsabilité´
Un message qui passe aussi par un lissage idéologique. Ainsi, Jospin a assuré que son projet pour la France ne serait `pas un projet socialiste´ mais qu'il incarnerait une `modernité partagée´. Il a renvoyé ses amis Strauss-Kahn et Emmanuelli dos à dos, et, au mot `gauche´, a préféré les termes `synthèse´ ou `rassemblement´. Termes que Chirac auraient très bien pu employer...
© La Libre Belgique 2002
CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS
Lionel Jospin entame officiellement sa campagne électorale en faisant quasiment jeu égal avec Jacques Chirac dans les sondages. Le Premier ministre s'en réjouira d'autant plus qu'il revient de loin, lui qui vécut une fin de mandat éprouvante. Alors que la situation internationale profitait objectivement à l'Elysée, Jospin s'est retrouvé `coincé´ de toutes parts: fragilisé dans son bilan par la remontée de l'insécurité et du chômage, contesté dans la rue par une kyrielle de mouvements sociaux, humilié par les censures à répétition du Conseil constitutionnel, déforcé par l'indiscipline grandissante de sa majorité, plombé par un lancinant problème d'image. Au point qu'à l'automne, pas grand monde ne donnait cher de sa peau, sa volonté même d'en découdre étant questionnée par la rumeur.
Dans les rangs socialistes, la crainte était grande que le chef du gouvernement arrive complètement usé au lancement de sa campagne. On soupçonnait en fait le Président de vouloir appliquer envers son Premier ministre la stratégie redoutable qu'il avait eu lui-même à subir de la part de l'Elysée lorsqu'il était à Matignon, en 1988. A l'époque, un Mitterrand affectant de rester au-dessus de la mêlée était parvenu à ce que Chirac arrive au scrutin sur les genoux: épuisé par des mois de surenchères préélectorales et d'incessants accrocs politiciens. Jospin avait en plus à gérer une transition toujours très délicate: celle entre les statuts de Premier ministre et de candidat.
DES CADEAUX BIENVENUS
Mais au total, il s'en est plutôt bien tiré. L'opinion, au départ irritée par sa stratégie jugée hypocrite voire nuisible au débat démocratique, ne lui en a finalement pas tenu rigueur. Il faut dire que, en dépit du ralentissement économique, elle a été largement amadouée par un desserrement assez peu regardant des cordons de la bourse budgétaire, ce qui a permis de désamorcer une périlleuse spirale revendicatrice.
Beaucoup reste néanmoins à faire pour Jospin, d'autant que, depuis son entrée en campagne, Chirac s'est redressé dans les sondages. Le Premier ministre doit notamment affronter deux gros écueils. D'une part, sa moindre crédibilité, aux yeux de l'opinion, pour la résolution de certains problèmes sur lesquels le scrutin va se jouer: l'insécurité par exemple. D'autre part, la faible prise en compte par l'électorat du bilan des candidats, un facteur qui désavantage plus Jospin que Chirac dans la mesure où ce dernier, de toute manière, aurait difficilement pu mettre en valeur un bilan jugé majoritairement faible.
Rien n'est fait, et la gauche a du pain sur la planche. Néanmoins, elle peut raisonnablement espérer conjurer `la malédiction de Matignon´ : cette règle non-écrite en vertu de laquelle, jusqu'ici, aucun Premier ministre sortant n'était parvenu à remporter la course à l'Elysée, comme en témoignèrent les échecs de Chirac et de Balladur en 1988 et en 1995. En remportant les législatives de 1997, Jospin n'avait-il pas, l'air de rien, déjà enfreint une autre règle sacro-sainte, selon laquelle les législatives n'étaient remportées par la gauche que lorsqu'elles suivaient les présidentielles?
© La Libre Belgique 2002