Robert Charlebois:

Un gars peu ordinaire

Tous les critiques que j’ai pu lire sont d’accord en un point: il semble dans la chanson québécoise il y ait un "avant Charlebois" et un "après Charlebois". Les auteurs que j’ai lus sont unanimes à dire que Robert Charlebois est un artiste qui a profondement boulaisé l’univers de la chanson québécoise. Avant ce cours, je n’avais pas même entendu son nom. Je me suis donc intéressée à la carrière de ce musicien pour essayer de comprendre ce qui faisait qu’il était si exceptional, pourquoi il avait eu cette importance dans l’histoire de la chanson du Québec.

Dans tous les livres que j’ai pu trouver et qui parlent de la chanson québécoise, on parle de Robert Charlebois et surtout de son "Osstidcho", un spectacle qu’il a fait à la fin des années soixantes. Je me servirai de ces lectures pour parler des choses concernant la carrière musicale de Robert Charlebois. Toutefois, la très grande majorité de mon travail a été fait en lisant deux principaux livres.

D’abord le livre de Jacques Julien Robert Charlebois, l’enjeu d’Ordinaire dont j’ai tiré les réactions de la critique et du public québécois aux productions de Robert Charlebois. Ces réactions sont très différentes selon les époques de la carrière de ce chanter. J’ai eu l’impression qu’on a beaucoup aimé cet artiste et qu’on l’a aussi beaucoup détesté. À l’aide du livre de Jaques Julien, J’essayerai de voir si la façon dont était reçue l’oeuvre de Charlebois par les critiques a eu une influence sur sa carrière artistique, et comment cela a pu changer les modes de production de ses oeuvres musicales.

Mon travail se base aussi en grande partie sur le chapitre "Robert Charlebois et Robert Paquette: un même combat" aux pages 36 à 57 du livre de Maurice Lamothe La chanson populaire ONTAROISE 1970-1990.

Avant Charlebois

Comme je l’ai dit plus haut, si Robert Charlebois est si important dans l’histoire de la chanson du Québec, il faut regarder un peu quelle sorte de chanson qu’on faisait à ce moment-là, un peu avant que Robert Charlebois ne se fasse connaître, à la fin des années soixantes.

Au millieu des années soixantes, la chanson prenait au Québec deux directions opposées. Le courant le plus populaire s’appelait le "yé-yé". Les groupes "yé-yé" faisait de la musique facile destinée à un large public. Leurs oeuvres étaient souvent des chansons composées par des auteurs américains ou européens dont les paroles étaient traduites en français. Ces chansons "revisited" étaient comme des boîtes de savon qu’on essayait de vendre le plus rapidement possible. On ne s’intéressait pas beaucoup aux qualités artistiques de ces produits. Ces chansons ne devaient posséder qu’une seule qualité: se vendre et en plus grande quantité possible. Ils ont maîtrisé "la grande production".

De l’autre côté, il y avait un autre groupe beaucoup moins populaire mais beaucoup plus respecté. On appelait ce groupe "les chansonniers". Ils étaient un peu les fils et les filles de Felix Leclerc et créaient leurs propres chansons. Ceux-là ressemblaient bien plus à des personnes faisant des "productions restreintes". 

L’ere de Charlebois

Robert Charlebois, né en 1944 à Montréal, était probablement beaucoup plus proche au groupe de chansonniers lorsqu’il a présenté ses premières chansons au public. Une chose est certaine, il y avait au Québec d’un côté une musique très diffusée, un "son international" et de l’autre une musique plus intellectuelle bien connue sans être populaire. Robert Charlebois devient l’artiste dans lequel ces deux tendances se sont rejointes.

Après un voyage en Californie qui a été pour lui d’une très grande importance quant à l’inspiration de ses chansons, Robert Charlebois revient au Québec et se produit dans un spectacle que les critiques nomment l’OSSTIDCHO.

"Avec Charlebois, la chanson québécoise sort de l’époque des "chansonniers" québécois: elle devient nord-américain et va du "folk" au "rock". Son voyage en Californie le transforme complètement."1

Avec l’Osstidcho, Robert Giroux ajoute que "l’époque des boîtes à chansons est bel et bien révolue, le showbizz québécois accède aux ligues majeurs".2

En effet, c’est au début de l’année 1968 que Charlebois, avec quelques’uns de ces amis, compose les chansons de ce spectacle. À ce momemt-là, je ne crois pas qu’il était perçu comme une très grande vedette. Les personnes qui ont assisté à ce grand spectacle en parlent comme d’une inoubliable. "L’Osstidcho, comme happening culturel, transforma du tout au tout ce métier, précipitent la fin d’une époque et le début d’une autre."3

Avec l’Osstidcho, la critique apprenait en même temps que les spectateurs que le rock, la folie, le "beat" étaient possibles dans une chanson pourtant très "québécoise". "Le premier, Charlebois invente un rock francophone".4 Avant ce spectacle, Charlebois est "un chansonnier comme les autres, aux textes travaillés, à la voix posée et sans éclat".5 Après, il rejoint "un public branché sur Elvis, Chuck Berry, Little Richard et les Beatles".6 Il est toujours vu d’une certaine façon comme un chansonnier par les critiques, qulqu’un de plutôt intellectuel; mais un type de chansonnier plutôt "rocker" avec une guitaire électrique. Charlebois écrit des chansons avec des paroles intelligentes mais qui se danse, un peu comme si on pouvait danser la poésie.

Bref, avant l’Osstidcho, peu de personnes connaissaient Robert Charlebois. Après ce spectacle "Charlebois se voit rapidement consacré par les institutions du spectacle, au Québec et en Europe".7

Le chanter est rapidement devenu le symbole de la contestation. Il était devenu celui qui représentait la "contre-culture". Les jeunes s’identifiaient à lui, voulaient faire ce qu’il faisait, croyaient en ce qu’il croyait. En quelques mois, Robert Charlebois est passé de petits cafés, qu’on appelait des boîtes à chanson avec au plus deux ou trois dizaines de spectateurs, à la grande scène internationale où il a fait des spectacles avec Janis Joplin. Jaques Julien précise que:

"Globalement, on peut rappeler que Charlebois, à cette belle époque, est apparu comme un rocker, un héros de la contre-culture, un novateur et un leader. Il a été le premier dans tout, et le public lui a immédiatement accolé son étiquette. On l’a tout de suite catalogué. Charlebois était le leader, politique et musicale du Québec."8

On peut dire que le Robert Charlebois de cette époque-là était toujours un artiste de la production restreinte, il "se voulait libre, inspiré et nouvateur"9 Cependant, ses oeuvres musicales était diffusées selon les approches de la grande production avec "technique de promotion, publicité, marketing, pochette tapaguese".10

Le grand succès remporté par ce spectacle a un autre effet d’importance. Avant l’Osstidcho, Robert Charlebois était un artiste peu connu mais respecté par ses paires. Mais après les spectscles de l’Osstidcho, Charlebois, en plus de devenir une célébrité, quelqu’un "qui prend sa place parmi un groupe d’artistes qui feront leur marque dans le show-business au Québec",11 est devenu un artiste investi d’un très grand capital symbolique. Avec ce spectacle, le chanter a fait le lien entre la musique rock nord-américain et la tradition de la chanson des chansonniers si typique des québécois.

Dans son livre sur l’histoire de la chanson québécoise, Benoît L’Herbier fait une entrevue avec Louise Forestier. Cette chanteuse faisait aussi partie de l’équipe qui a fait l’Osstidcho; elle a la voix féminine qu’on entend sur la chanson "Lindberg" de Robert Charlebois. Quand cette femme parle de l’Osstidcho, elle dit:

"Après l’Expo 67, les boîtes à chanson fermaient leurs portes les uns après les autres et les engagements dimuaient.(...) Nous atteignion le but fixé au départ: apportes du nouveau, démythifier la vedette, boulverser la présentation d’un spectacle, créer une scène parallile. C’était osé mais sans doute une des raisons de notre si grand succès."12

Comme on peut le constater en lisant ce témoignage, Robert Charlebois et les personnages qui ont travaillé avec lui pour ce grand spectacle étaient conscients de changer quelque chose dans le showbizz du Québéc, ils "contestaient et détruissaient les normes en vigueur, faisaient des recherches formelles"13

Il est impossible d’ouvrir un livre sur la chanson québécoise sans qu’on parle du moment important qu’a été l’Ossidcho pour le public du Québec. Je voudrais donner ici quelques exemples:

- C’est un spectacle qui viendra tout bouleverser(...) L’Osstidcho heurta, mais la jeunesse québécoise s’y reconnaîtra, ceux qui sont heurtés, se dira-t-elle, c’est la génération précédente.14

- L’Osstidcho que certains considèrent aujourd’hui comme l’un des événements les plus marquants de l’histoire de la chanson populaire québécoise.15

- L’Osstidcho brisait toutes les traditions du spectacle québécois. Jamais une telle manifestation n’avait pris forme sur une scène.16

Après que la dernière représentation de l’Osstidcho a eu lieu, Robert Charlebois n’était plus un chanteur. Il est soudainement devenu beaucoup plus que quelqu’un qui fait de la musique. En effet toute une génération s’est identifiée à lui. Malgré ce que sa chanson dit, il est devenu à ce moment-là "un gars peu ordinaire". Il est devenu un artiste qui allait contribuer à changer des choses dans la société québécoise.

Ce chanteur semble pleinement accepter cette responsabilité placée sur ses épaules à la fois par le public et par les critiques. En 1968, il dit "Le veux m’unir à d’autres pour obligerr les gens à penser, à s’interoger"17 Cette phrase indique clairement que son projet va beaucoup plus loin que de seulement divertir des gens avec sa musique. Il veut les influencer, les amener à réfléchir sur ce qui se passe dans le monde. Un peu plus loin dans son livre sur le chanteur, Jacques Julien mentionne que "Robert Charlebois, a pu, un moment, être considéré comme un leader politique et il propose une utopie proche de la sensibilité des Québécois"18

Robert Charlebois est un artiste qui a vécu un véritable "état de grâce" avec le public québécois. Dans les années soixant-dix, il était encore une "figure charisamtique", un artiste qui faisait partie de l’identité culturelle des Québécois. Puis, tout d’un coup, les choses ont commmencé à changer. Pendant plusieurs années, Charlebois avait été un "best seller" du disque. Il était une vedette autant à Paris qu’au Québec. Selon Jacques Julien, il a commencé à consacrer de plus en plus de temps à sa carrière internationale, faisant même du cinéma en Italie. C’est à peu près à ce moment-là que l’image de Charlebois a commencé à perdre un peu de sa brillance.

Quand il a sorti le disque "Swing Charlebois Swing" il semble que Charlebois ait commencé à perdre une partie de son public. Quelque chose s’était passé qui a fait que le chanteur paraissait avoir veilli, être moins novateur ou révolutionnaire. "Ils n’acceptent pas de veillir de dix ans et ils m’en tiennent responsable."19

Ce phenomène est expliqué par Jacques Julien de cette façon:

"En rupture avec le mouvement chansonnier artisan, il fallait que la carrrière de Roberrt Charlebois se plu aux lois de l’industrie de la chanson (..) Peu d’artistes réussissent à suivre un rythme qui ne repose pas sur la capacité de production originale, mais sur les lois du marché. Une cassure se produit forcément."20

Et bientôt, dans La Presse, on l’accuse "de ne plus ressembler à l’image qu’il projetait il y a sept ou huit ans, dans ses heures de gloire."21 En lisant ceci, peut-être qu’on peut dire que Robert Charlebois avait déjà prévu cette réaction dans sa chanson "Ordinaire" où il chant:

ce métier-là c’est dangereux
plus on en donne plus l’monde en veut

le jour où moi j’en pourrai pu
y en aura d’autres plus jeunes plus fous
pour faire danser les boogalous 22

C’est pourtant sur le plan politique que le plus grand malentendu, entre le chanteur et son public, s’est produit. On a vu que la carrière de Charlebois avait été associée avec tout ce qui est du côté du changement. Il était donc normal de croire, et tout le monde l’a cru, que Robert Charlebois se prononcerait en faveur de l’independance du Québéc lors du référendum des années quatre-vingts. À ce propos, Jacques Julien précise ceci: "Charlebois a fourni suffisamment d’indices pour que le public lui prête une position politique cohérente, proche de l’indépendance, voire de la révolution"23

Les anciens "fous" de Roberrt Charlebois ont eu l’impression qu’il les laissait tomber, qu’il adoptait l’idéologie du star-system. Ces personnes ont cru que leur "héros de la contre-culture" était devenu un chanteur "à la mode", un artiste qui, contrairement à ces idées de 1968, ne voulait rien d’autre que de vendre des disques. En fait plusieurs admirateurs des premières années de la carrière de Robert Charlebois se sont sentis abondonnés. Avec certaines chansons, comme "Je t’aime comme un fou" par exemple, ces admirateurs ont pu facilement croire que l’artiste ayant peut-être accumulé le plus de capital symbolique devenait un simple compositeur de musique pour la danse aérobique. En d’autres mots, on a pu croire "qu’il avait exploité un marché et que maintenant il était en train d’en exploiter un autre"24

Conclusion

La perception du public et de critique beaucoup changé au fil des années de la carrière de Charlebois. Ce chanteur demeure toutefois un cas unique dans l’histoire de la chanson québécoise. Chansonnier au début de sa carrière, il a été perçu par la suite comme un novateur et un révolutionnaire sur le plan artistique. Un de ses spectacles, l’Osstidcho, est vu par les critiques comme un des moments les plus importants dans l’histoire de la chanson populaire. Tous sont d’accord pour dire qu’il a unit le rock avec les chansons poétiques. "Avant Charlebois, la musique populaire pour jeunes et la chanson à texte habitent des îles séparées"25

Après l’Osstidcho, les jeunes ont associé Charlebois avec l’idée du changement évolué de façon un peu différente. Il était devenu, à la fin des années soixante-dix, une grande vedette. Il a donc cru que son seeul vrai rôle était de faire des bonnes chansons. On peut voir qu’il y a, dans ses attitiudes, les sources de malentendus. Jacques Julien dit que Robert Charlebois était, dix ans avant cela, en harmonie avec la sensibilité des jeunes québécios. Dans les années quatre-vingts, les choses ont changé.

Robert Charlebois n’est peut-être plus un "héros de la contree-culture". Il est encore, malgré tout, un des personnages les plus importants sur la scène de la chanson populaire canadienne-française.

c.1996 pantagruelle.geo@yahoo.com

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