Lexique d'Aristote

© Virginie Mayet, 1998.

 

Âme : c'est un principe interne de mouvement, une vie. C'est la forme du corps ; or, la forme ne peut exister à l'état séparée mais seulement dans l'union avec une matière, l'être réel et concret est un composé des deux. L'âme n'est pas séparée du corps sinon elle ne pourrait le mouvoir et ne serait dons pas une âme. Il y a une unité substancielle de l'âme et du corps :
"Quand le caractère de l'âme change, il change aussi la forme du corps et inversement, quand la forme du corps change, elle change le caractèrede l'âme. (...) La folie paraît être une affection de l'âme, et cependant les médecins, en purifiant le corps par des médicaments, (...) peuvent libérer l'âme de la folie". Physiognomonique, chap. IV.

Astre : Aristote est fasciné par la régularité mathématique des astres et de leur course. Le cercle et la sphère étant synonyme de perfection, les astres sont donc les figures les plus parfaites (voir Timée). pour Aristote les astres sont le divin du monde, et dans le De philosophia il les dit doués d'une "merveilleuse sagesse". Les astres sont les dieux "vraiment visibles" et ne pas les vénérer c'est faire preuve d'un "athéisme effrayant". Cette théologie astrale deviendra plus tard chez Aristote l'idée que le monde supra-lunaire est la règle du nécessaire et du certain, alors que le monde sublunaire admet la contingence et l'accident.

Axiome : voir "principe de non-contradiction". Ils relèvent de la métaphysique car ils sont l'expression de la relation avec lui-même de l'Etre en tant qu'être. Ils embrassent tous les êtres.

Contemplation : elle est un idéal proposé à l'homme qui ainsi se retrouve invité dans "l'île des Bienheureux" (voir Rép VII). Contrairement à Plotin, Aristote ne fait pas de la contemplation une fuite ; elle doit au contraire nous aider à gouverner notre vie :
"Seul le philosophe vit les yeux fixés sur la nature des choses et sur le divin, comme un bon pilote qui, ayant amarré les principes de sa vie aux réalités éternelles et stables, mouille en paix et vit en tête à tête avec soi-même. Elle est donc contemplative cette science qu'est la sagesse, et pourtant elle nous offre la possibilité de tout faire en nous réglant sur elle." Protreptique, Fr 13.
Elle prépare à la vie publique, tout en restant un savoir théorétique.

Devoir (moral) : l'impératif éthique chez Aristote se distingue de l'impératif kantien : la raison commande bien, mais il n'y a pas refoulement des appétits. Il s'agit plutôt d'une détermination des limites à l'intérieur desquelles leur expression devient légitime.

Dialectique : il s'agit d'interroger quelqu'un pour l'obliger finalement à dire ce qu'il refusait au début ou ce qu'on veut lui faire connaître. La dialectique est peïrastikè, elle met à l'épreuve en interrogeant. La preuve se donne par une mise à l'épreuve de l'opinion contraire.

Essence : C'est ainsi que l'on traduit le terme Ousia. L'être est interprété comme essence comme le montre Métaphysique, Z 1 1028 b 2-4 :
"Cette question qui jadis, aujourd'hui et toujours a fait l'objet d'une recherche, toujours restée dans l'impasse : qu'est-ce que l'être ? est en fait celle-ci : qu'est-ce que l'essence ?"
L'essence est construite sur esse. Aristote refuse à l'essence un statut ontologique séparé de ce dont elle est l'essence :
"Il apparaît comme impossible que l'essence soit séparée de ce dont elle est essence ; comment donc les Idées, qui sont les essences des choses, seraient-elles séparées des choses ?" Métaphysique Z, 991b.
La réalité connue par le concept n'existe dans le concept qu'en puissance ; l'essence n'existe en acte que quand elle est unie à la chose dont elle est l'essence. Ainsi, l'essence universelle d'homme n'existe en acte que quand un homme particulier est là pour l'incarner. L'essence ne peut exister "à part" (chôristè) et en soi seulement. Sur le plan du connaître, quand l'eidos est dégagé par l'esprit des êtres concrets, il existe en acte dans la pensée et en puissance dans les concrets. Sur le plan de l'être, il n'existe alors qu'en puissance ; il est un abstrait. Il est réel quand il est immergé dans les choses, puisque chaque forme est unie à la matière qui lui convient.

Ethique : c'est avant tout une pratique : il ne suffit pas d'écouter des discours de moralité, il faut ensuite les appliquer. L'éthique est avant tout un exercice effectif.

Eudémonie : l'eudaïmonia est décrite dans l'Ethique à Nicomaque en particulier dans les livres I et X (dans ce dernier elle devient plutôt makariotès, c'est à dire plutôt une béatitude quasi-divine). L'eudaïmonia comprend :
- "la réussite accomplie par des moyens vertueux"
- "la vie indépendante"
- "l'existence comportant agrément et sécurité"
- "abondance de richesses et de serviteurs avec possibilité de les garder et de s'en servir"
Pour Aristote, l'homme ne peut être heureux qu'à l'intérieur d'une situation concrète favorable. L'eudémonie n'est pas une délectation de l'âme seule, le plaisir sensible s'il est modéré, innocent, entre en ligne de compte. Cette théorie permet de montrer que la vie morale est un exercice effectif.

Homme : pour Aristote, l'homme est "un vivant possédant la parole" (Zôon logon échon) et "un animal politique" (Zôon politikon). Ces deux énoncés font partie d'une essence unique. Dire que l'homme est un animal politique signifie que l'homme n'est vraiment homme que s'il vit sous le règne de la loi (par opposition à l'autorité d'un maître). L'humanité est donnée à l'homme en puissance, il doit ensuite la faire passer à l'acte et cela passe par une participation à la vie politique de la Cité. La parole prend alors une dimension fondamentale, elle permet à la Cité d'exister. Ainsi pour vivre hors de la Cité "il faut être soit une bête soit un dieu".

Idée : C'est la forme immanente à la pensée, elle dirige l'action. On peut en faire l'expérience chaque jour : par exemple, le menuisier consulte l'essence, l'idée de ce qu'il veut faire. Il ne s'agit pas d'un modèle transcendant comme on trouve chez Platon, d'autant plus que le paradigme platonicien est trop général pour pouvoir guider l'action :
"On est bien embarrassé de préciser l'utilité que retirerait un tisserand ou un charpentier de la connaissance de ce Bien en soi et dans quelle mesure la contemplation de cette Idée faciliterait la pratique de la médecine ou de la stratégie. Ce n'est pas non plus de cette façon que le médecin, de toute évidence, considère la santé ; il n'a d'attention que pour la santé de l'homme ou, mieux même, de tel homme en particulier." Ethique à Nicomaque, I, 6.

(le) Juste : cette justice s'oppose à l'hédonisme. Dans le Protreptique, Aristote insiste sur le fait que l'homme politique doit connaître le juste en soi "pour déterminer ce qu'est le juste et le bon" (Fr 13). Le juste en soi est suspendu "aux essences premières existant par elles-mêmes selon leur nature éternelle". Le juste ne doit donc pas être réduit aux droits positifs, multiples et variables car sa portée est universelle : il ne peut donc pasetre envisagé dans le cadre de législations particulières sinon on n'a pas le critère adéquat du juste. Dans l' Ethique à Nicomaque (V,7) et la Rhétorique, cette idée du juste est reprise dans une perspective différente : elle est tournée davantage vers une étude sociologique des différents systèmes de lois conventionnels (qui sera complétée par l'étude des différentes constitutions, dont il ne nous reste que celle d'Athènes).

Makarios : Aristote lui donne comme étymologie "se réjouir" ou "chaïrein" mais cela semble peu correct. Schelling renvoie plutôt à "makar" ou "celui qui n'est pas sujet à la mort", c'est à dire l'état dont rêvent les mortels. Le fait d'être "mariakos" sépare les humains des dieux. On peut aussi y voir un état où l'esprit est totalement serein. Le Makarios est le sommet de l'eudaïmonia.

Mathématiques : Aristote rejette les mathématiques car il considère qu'elles ne s'occupe pas des choses mais de la limite des choses, c'est à dire d'abstractions. Schelling dira à ce propos dans l' Introduction à la philosophie de la mythologie :
"Aristote dit des mathématiques qu'elles sont péri oudémias ousias, c'est à dire qu'elles s'occupent de choses qui, en dernier lieu, se résolvent en prédicats, sans qu' il reste un sujet proprement dit. C'est d'ailleurs sur quoi repose leur véritable évidence."

Métaphysique : "ce qui est au-delà de la nature". Attention car en grec, méta signifie "au-delà" dans le sens d'une suite et non pas dans le sens d'une transcendance. Aristote la décrit comme la science de ce qui est immobile, éternel et transcendant, mais il dit aussi qu'elle est la science de l'être en tant qu'être, ce qui plus tard sera spécifié science des multiples sens de l'être. Aristote a du mal à spécifier la philosophie première comme théologie ou comme ontologie : cependant il semble que lorsque la métaphysique est définie comme science de l'être en tant qu'être on soit plus près de la pensée proprement aristotélicienne.

Philosophe : celui qui étudie la nature de toute substance. Il connaît les êtres en tant qu'êtres et par conséquent doit être capable d'établir les principes les plus certains de toutes choses.

Principe : Métaphysique, D 1013a : "meilleur point de départ possible pour chaque chose ; par exemple, même dans la science, il ne faut pas parfois commencer par le commencement et par la notion première de l'objet, mais par ce qui peut le mieux en faciliter l'étude". C'est aussi comme cela que l'on nomme "le point de départ de la connaissance d'une chose".

Principe de non contradiction : ce principe est premier, on ne peut le démontrer car c'est sur lui que repose toute démonstration. On ne peut pas prouver sa preuve. La saisie de ce principe est au-delà de la science. La Sophia est science première dans le sens où est elle est connaissance vraie des principes premiers. Comme le principe est indémontrable, il faut avoir recours à une sorte d'intuition noétique, c'est la théorie de l'ameson ou connaissance sans moyen terme :
"Un principe de démonstration est une proposition immédiate. Est immédiate une proposition à laquelle aucune autre n'est antérieure" Analytiques seconds, I, 2, 72 a 7
Un principe premier connu immédiatement est un axiôma qu'il ne faut pas confondre avec la thèse qui est elle aussi indémontrable. On peut les différencier parce que la thèse : "tout en n'étant pas susceptible de démonstration, n'est pas indispensable à qui veut apprendre quelque chose" idem, 72 a 15. Au contraire, si "sa possession est indispensable à qui veut apprendre n'importe quoi, c'est un axiome. Il existe en effet certaines vérités de ce genre."
Par conséquent, tout n'est pas soumis à la démonstration (la science des vérités immédiates est indémontrable) contrairement à ce que soutenaient les Mégariques (tout est démontrable par la démonstration circulaire). La démonstration doit toujours partir de principes antérieurs à la conclusion et plus connus qu'elle. La saisie des principes par la pensée se fait de manière "mystique", elle fait intervenir la sensation, l'induction, l'habitude (individuelle et collective) et les opinions autorisées. Attention, il ne s'agit pas comme chez Locke ou Hume d'un empirisme où le concept ne serait qu'une collection de représentations. Les principes premiers ne sont pas des images (phantasmata) "bien qu'ils ne soient jamais donnés sans images", De Anima, III 9, 432 b 14. Ceci parce que "le général se tire des particuliers", Ethique à Nicomaque, VI, 12 1143 b 4. Ainsi, l'intellect (noûs) saisit intuitivement les principes premiers (prôta noèta) et les faits derniers. L'axiome de tous les axiomes, celui que tous les autres présupposent est :
"Il est impossible que le même appartienne et n'appartienne pas à quelque chose en même temps et sous le même rapport" Métaphysique, 1005b 19-20

Thèse : voir "principe de non contradiction".

Vertu : l'arétè désigne deux choses : la fonction caractéristique d'un être (l'arétè de l'oeil est de voir), et la perfection dans l'exercice de la fonction propre, l'excellence dans son propre domaine (virtuose). La vertu désigne donc le fait d'être "bon à quelque chose", sous-entendu "la chose dont on est directement responsable".
Pour Aristote, la vertu est tout d'abord une hexis, une disposition acquise. On doit pouvoir pratiquer spontanément la vertu pour prétendre être vertueux, cela doit devenir une habitude : "la vertu morale est le produit de l'habitude, d'où lui est venu son nom"(Ethique à Nicomaque, II, 1.). Aristote fait intervenir ici la ressemblance entre éthos (l'habitude) et èthos (le caractère, d'où vient le mot èthikè). L'habitude naît de la répétition de certains actes et une fois qu'elle est installée elle produit elle-même des actes de façon spontanée. On peut lutter contre l'habitude en prenant une autre habitude. La vertu est donc une habitude ; elle ne nous est pas donnée par la spontanéité naturelle mais lui est intégré. Si l'on considère une nature spontanée, "première", tout ce qui y correspond est imperméable à l'habitude (la pierre ne peut prendre l'habitude de monter au lieu de tomber). La moralité au contraire est une nature travaillée par l'habitude qui la force à se plier à un nouveau comportement à force d'exercices. Cette ascèse ne vas pas contre la nature de l'homme, elle est ce qui permet d'arriver à être soi même si cela passe par l'effort et la lutte. La vertu est en ce sens une "seconde nature". Pour l'homme vertueux, la vertu est devenue sa vraie nature, il n'en subit plus la contrainte ; il doit prendre garde cependant que sa première nature peut toujours chercher à revenir. Seul l'exercice de la vertu est garant de sa possession "dispositions morales proviennent d'actes qui leur sont semblables", Ethique à Nicomaque, II, 1.
Ensuite, la vertu est un milieu, méson, au sens de moyen terme entre l'excès et le défaut. Il faut voir cela comme une moyenne par rapport à nous, un intermédiaire entre le trop et le trop peu. Elle est donc fonction de chaque cas particulier. Il est par conséquent "impossible d'y ajouter ou d'y retrancher quelque chose", Ethique à Nicomaque, II, 5. La médiété dont il est ici question jouit d'une certaine plasticité : elle peut varier selon les circonstances (ex : la médiété du courage se déplace vers la témérité en cas de guerre). Elle varie non seulement selon le moment mais aussi selon l'individu, elle n'est pas "identique pour tout le monde", Ethique à Nicomaque, II, 5 : le tempérament, les dispositions naturelles doivent être prises en considération. "Nous devons considérer les fautes pour lesquelles nous avons le plus fort penchant, les uns étant naturellement attirés vers telle faute, et les autres vers telle autre. Nous reconnaîtrons cela au plaisir et à la peine que nous en ressentons. Nous devons nous en arracher nous-meme vers la direction opposée, car ce n'est qu'en nous écartant loin des fautes que nous commettons que nous parviendrons à la position moyenne, comme font ceux qui redressent le bois tordu", Ethique à Nicomaque, 1109b. On aboutit à une casuistique, chacun doit trouve sa propre médiété : "Voilà pourquoi c'est tout un travail que d'être vertueux. En effet, en toute chose on a peine à trouver le milieu", Ethique à Nicomaque, II, 4.
La vertu ne prend de sens qu'in concreto : elle est incarnée dans l'homme sage qui est "la règle et la mesure du bien", Ethique à Nicomaque, 1113b 33. Cet homme est l'homme "normal" au sens de modèle, de norme. Il représente en lui l'homme moral tel qu'il peut être réalisé. Il incarne une règle individuelle bien sûr mais aussi universelle car il est celui qui juge en vertu de sa droite raison. On comprend pourquoi Aristote dit qu'il est "la justice incarnée" (Ethique à Nicomaque).

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