Une nouvelle tuile s'est abattue hier sur la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avec la mise en accusation de l'ancien commissaire Yves Bourbonnais, qui aurait accordé une réponse positive à des dizaines de demandeurs en échange de pots-de-vin. Dix de ses présumés collaborateurs ont aussi été incriminés.
En tout, ce sont plus de 278 chefs d'accusation qui ont été portés par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) au terme d'une vaste enquête amorcée à l'automne 2000. Bourbonnais, sur qui pèsent 98 chefs, est le seul membre du " réseau " qui était employé par la CISR. Il est notamment accusé de fraude envers le gouvernement, d'abus de confiance, d'usage de faux passeports canadiens et d'entreposage non sécuritaire d'armes à feu.
Les autres accusés sont pour la plupart des " conseillers en immigration ", qui auraient demandé des sommes de 8000 $ à 15 000 $ à plus de 50 personnes en promesse d'une réponse favorable de la CISR- souvent dans des cas de parrainage d'immigrants. Les " conseillers " auraient surtout pris contact avec des membres des communautés asiatiques et moyen-orientales de Montréal et d'Ottawa.
Il s'agit d'une " organisation criminelle hautement structurée ", a précisé la GRC hier. " L'enquête se poursuit et d'autres accusations pourraient être portées prochainement ", a indiqué le sergent Jocelyn Mimeault, porte-parole national de la GRC à Ottawa.
Yves Bourbonnais, 62 ans, a été nommé à la section d'appel de la CISR le 28 octobre 1996 pour quatre ans. Son mandat avait été renouvelé pour trois ans de plus en 2000, mais il a été suspendu en octobre 2001 quand la GRC a effectué une série de perquisitions, notamment dans des bureaux la Commission. Bourbonnais a entendu plus de 920 causes à titre de commissaire.
La CISR réexaminera-t-elle tous ces dossiers? " Pour l'instant, nous laissons la justice suivre son cours, et s'il y a des mesures à prendre, nous les prendrons en temps et lieu ", a dit la porte-parole de la CISR, Dominique Forget. L'avocat Stewart Istvanffy, qui a plaidé une dizaine de causes devant Bourbonnais à la section d'appel de la CISR, estime que l'ex-commissaire est affecté par un " problème sévère de racisme institutionnel ". Et il serait loin d'être le seul à exiger des pots-de-vin, dit Me Istvanffy. " De nombreuses sources au sein d'une communauté ethnique m'ont indiqué qu'un certain commissaire exige de l'argent pour leur accorder le statut de réfugié. " En 2000, Clifford Fox, à l'époque fonctionnaire pour la CISR à Montréal, avait été impliqué dans une affaire similaire. Sa conjointe, Natalia Zimenko, conseillère en immigration qui lui référait des cas de demandeurs d'origine russe, avait alors plaidé coupable à trois accusations d'abus de confiance et écopé 10 000 $ d'amende, tandis que Fox avait été suspendu.
Crédibilité écorchée
Cette nouvelle arrive à un bien mauvais moment pour la CISR, dont la crédibilité est sérieusement écorchée ces jours-ci. Mardi, la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Judy Sgro, a annoncé un train de mesures pour tenter de redorer le blason de l'institution et surtout faire taire toute allégation de favoritisme politique lors de la nomination des commissaires. Les futurs candidats devront ainsi subir plusieurs examens, mais c'est encore la ministre qui aura le dernier mot.
Cet effort de transparence a été sapé mercredi par la sortie d'un agent de protection des réfugiés de la CISR, Selwyn Pieters, qui affirme avoir rédigé les décisions de quatre jugements rendus ces dernières années. Selon la loi, cette tâche revient exclusivement au commissaire. " Ils m'ont demandé d'écrire les jugements et les ont ensuite présentés comme s'ils les avaient eux même rédigés ", a-t-il indiqué hier matin en entrevue téléphonique.
M. Pieters dit avoir profité de la promesse faite mercredi par Paul Martin de protéger les dénonciateurs- notamment ceux de la fonction publique- qui voulaient rapporter des malversations. La CISR affirme prendre ces allégations " très au sérieux ".
Selon la professeure de droit de l'Université de Toronto Audrey Macklin, qui a été commissaire à la CISR de 1994 à 1996, les révélations de M. Pieters sont symptomatiques de l'incompétence de plusieurs commissaires. " Il faut seulement de la volonté politique pour engager des gens compétents, ce qui aurait pu être fait bien avant. Les nouvelles règles ne restreignent en rien le pouvoir du ministre... "
Dans le dossier des 11 arrestations d'hier, les accusés comparaîtront pour la première fois le 29 mai au palais de justice de Montréal. Outre Yves Bourbonnais, les accusés sont Franco Macaluso, Giuseppina Sardo-Macaluso, Antonina Consiglio, Nirmal Singh, Mohammed Maniruzzaman, Ahmad Manzoor, Yong An Zhang, Wai Keung Liu, Woon Lam (William) Wong, et Didar Singh Josan, tous des résidants de la région montréalaise.
Catégorie : La Une; Actualités Sujet(s) uniforme(s) : Immigrants, émigrants et réfugiés; Procès Taille : Moyen, 574 mots
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