L'observatoire électoral d'Eric Dupin
publié dans
Retrouvez désormais tous les vendredis
dans "Les Echos" ma chronique
Paru dans « les Echos » du 25
janvier 2002
Le paradoxe des deux sortants
Le temps des sondeurs et des journalistes n’est pas celui des électeurs.
Si l’échéance présidentielle obsède
nombre d’esprits, elle demeure un horizon lointain pour la majorité
des citoyens. Même si une bonne douzaine de candidats battent
l’estrade, nous n’en sommes qu’aux prolégomènes du combat
élyséen. Une lecture attentive des enquêtes d’opinion
montre d’ailleurs que cette phase de pré-campagne a été
pauvre en rebondissements. Le phénomène le plus spectaculaire
a été le surgissement de Jean-Pierre Chevènement.
Mais, depuis l’automne dernier, le candidat issu du Mouvement des citoyens
plafonne autour de 10% des intentions de vote. Le score virtuel de Jean-Marie
Le Pen s’est également redressé. Là encore, il stagne
dans les eaux des 9%. Depuis octobre 2001, aucun mouvement notable n’est
venu perturber les rapports de forces entre l’ensemble des candidats déclarés
ou supposés.
La structuration actuelle de l’opinion n’en est pas
moins riche d’enseignements. Le plus frappant est sans doute la faiblesse
paradoxale du score attribué, au stade actuel, à Jacques
Chirac et à Lionel Jospin. Les deux « sortants »
du pouvoir exécutif, protégés par leur position
institutionnelle, devraient d’autant mieux dominer, à ce stade,
la scène qu’ils jouissent chacun d’une enviable popularité.
Les six instituts qui testent le jugement des Français à
l’égard du président de la République et du Premier
ministre s’accordent pour leur attribuer des soldes positifs – ce qui
est remarquable au bout de cinq années de gouvernement. Leurs bilans
sont favorablement appréciés. Or, les deux favoris de l’élection
présidentielle ne recueillent actuellement qu’une petite moitié
des intentions de vote. C’est peu si l’on songe au risque de décrochage
auquel l’entrée en campagne les exposera. Rappelons que François
Mitterrand et Jacques Chirac avaient obtenu ensemble 53,7% des suffrages
au premier tour de la présidentielle de 1988 – le scrutin qui se
rapproche le plus de celui du printemps prochain par sa configuration.
La faiblesse relative de Chirac est mise en relief
par l’absence de rivaux menaçants. François Bayrou
et Alain Madelin ne lui font guère d’ombre. En dépit
de cette situation de quasi-monopole à droite, le président
sortant se situe en moyenne à 26% des intentions de vote.
Un score inférieur au premier tour peu prometteur de Valéry
Giscard d’Estaing en 1981 (27,8%). Présidents sortants et
réélus, Charles de Gaulle et François Mitterrand
se situaient bien au-dessus de ce chiffre en 1965 et 1988. Cette piètre
performance renvoie sans doute à une carence de l’image personnelle
du président sortant.
Le problème de Jospin est de nature plus politique.
Le créateur de la « gauche plurielle » souffre
de la dispersion de sa majorité. Toutes ses composantes ont
décidé d’aller au combat sous leur propre drapeau. Jean-Pierre
Chevènement et Noël Mamère semblent disposer d’un
potentiel non négligeable. Jospin ne rassemblerait, au premier
tour, que moins d’un électeur de gauche (extrême compris)
sur deux. Les candidats supposés du RPR et du PS ont en commun
certains handicaps. L’ambiguïté de leurs bilans et de leurs
projets est patente. Ces confusions se traduisent par d’étonnantes
inversions de rôle. A en croire une enquête Ipsos-Figaro-Europe
1, les Français feraient plus confiance à Jospin en matière
économique tandis qu’ils préféraient Chirac concernant
l’Etat.
S’il est très probable que le second tour
opposera les deux têtes de l’exécutif, les études
des instituts n’autorisent pas à l’affirmer avec certitude.
Selon la dernière enquête Ifop-L’Express-BFM-I Television,
respectivement 54 et 56% des sondés ne « souhaitent pas
» que Jospin ou Chirac soit élu président. Le cas
Chevènement est générateur d’incertitudes. Sa
stabilité actuelle est trompeuse. Lorsque la vraie campagne démarrera,
il connaîtra comme tous les autres candidats, l’épreuve
de vérité. D’un côté, son champ d’expansion
est vaste. D’après une enquête Ipsos-le Point, 24% des électeurs
choisissant Chirac se reporteraient sur Chevènement en second
choix. Le candidat qui prétend transcender le clivage droite-gauche
est aussi celui qui est susceptible d’attirer le plus d’électeurs
de Jospin : 31% d’entre eux seraient disposés à se reporter
sur Chevènement. Mais la médaille a son revers. Cet électorat
virtuel est d’une incroyable friabilité. Son spectre d’influence
est à la fois excessivement étroit sociologiquement (catégories
favorisées et âgées) et trop large politiquement (de
la droite à la gauche) pour être stable. Chevènement
est apparemment condamné à grimper ou à descendre
l’escalier des sondages. Beaucoup dépendra des conditions d’entrée
en campagne des deux favoris.
Eric Dupin
Paru dans « les Echos » du 8 février
2002
Turbulences et glorieuse incertitude
La pré-campagne se meurt tandis que la vraie compétition
présidentielle naît péniblement. Cette délicate
phase de transition est génératrice de turbulences.
Au fur et à mesure que tous les candidats descendent dans l’arène
électorale, les chiffres publiés par les instituts de
sondages changent de nature. Les popularités déguisées
en suffrages virtuels se transforment progressivement en intentions de
vote. Bien plus que le climat nauséabond des « affaires
», c’est ce phénomène qui explique les mouvements récents
de l’opinion.
Jacques Chirac subit un décrochage quasi-général
dans les études réalisées à partir de
la fin janvier. Les réunions de campagne peu discrètes
organisées à l’Elysée le week-end des 26 et 27
janvier symbolisent parfaitement l’inconfort de la position actuelle
du président sortant. Chirac est dans l’impossibilité de
rééditer la performance de François Mitterrand qui,
à l’issue d’un suspense savamment orchestré, ne s’était
déclaré que très tardivement en 1988. Il est de plus
en plus candidat dans l’esprit des Français tout en ne profitant
pas de la dynamique d’une campagne qu’il repousse. Celle-ci ne sera, au
demeurant, pas aisée à calibrer. L’Ifop précise que
les sondés ont une perception pour le moins mitigée du bilan
du septennat chiraquien. Quant au « projet », le flou des propositions
arrêtées par le RPR le 2 février augure mal de la clarté
du futur dessein chiraquien.
Lionel Jospin ne profite pas de la décrue
présidentielle. S’il gère mieux que son rival le processus
de mutation de dirigeant de l’exécutif en candidat, il souffre
lui aussi de sérieux handicaps. Le Premier ministre aurait
tort de trop miser sur l’image d’honnêteté et de compétence
que les Français lui reconnaissent. Une enquête de la Sofres
montre que, curieusement, une majorité de personnes interrogées
se déclarent « déçues » par son action
depuis 1997 tout en la jugeant majoritairement positive. Là encore,
le candidat socialiste devra trouver un souffle allant bien au-delà
du timide projet récemment adopté par le PS.
En attendant que Chirac et Jospin sortent l’épée
du fourreau, Jean-Pierre Chevènement franchit un nouveau seuil
de crédibilité. Non seulement il passe de 10 à
12% des intentions de vote en moyenne, mais une analyse détaillée
des études indique un élargissement sociologique de
son audience. Les instituts CSA et Ipsos pointent un renforcement
de ses positions chez les jeunes et dans les milieux populaires. Alors
que la situation de l’emploi se dégrade et que la sécurité
occupe la première place des préoccupations de l’électorat,
la thématique de Chevènement porte. D’autant plus que
sa stature surplombe désormais sans conteste celle des autres
candidats déclarés, selon une enquête Ipsos-Figaro-Europe
1. C’est lui qui incarne le mieux le changement et le renouveau politique
tout en disposant d’une « envergure » présidentielle
qui manque même à ceux qui, comme Jean-Marie Le Pen, confirment
leur influence.
On se gardera bien de prolonger mentalement les courbes
de la dernière période pour imaginer un avenir plus incertain
que jamais. A onze semaines du premier tour de la présidentielle,
les Français découvrent l’offre électorale avec
une exceptionnelle perplexité. Selon l’enquête Ipsos-France
2, seulement 38% d’entre eux ont fait un choix définitif. Plus
surprenant encore, cette retenue touche aussi l’électorat potentiel
des grands candidats (45% pour Jospin et 40% pour Chirac). L’institut
BVA a même noté une dégradation du taux de certitude
de choix d’une enquête à l’autre. C’est dire si l’électorat
est fluide. Sa disponibilité pour des mouvements de grande ampleur
au regard des rapports de force actuels ne doit pas être sous-estimée.
A cet égard, le feuilleton des « affaires
» et des coups bas échangés n’a pas l’influence
que lui attribuent souvent les commentateurs politiques. En 1995,
ce n’est pas l’affaire Schuller-Maréchal qui fit chuter Edouard
Balladur, mais son entrée catastrophique en campagne, sans idée
force ni programme digne de ce nom. Assez blasés sur la vertu des
hommes politiques, les électeurs n’en attendent pas moins d’eux
quelque raison d’espérer en rapport avec leurs soucis concrets. Qui
saura le mieux chevaucher les attentes, au demeurant contradictoires, de
la société française ? C’est la glorieuse incertitude
de ce scrutin sans favori. Même si les intentions de vote de second
tour n’ont guère de signification, on s’amusera de noter que deux
instituts donnent Jospin gagnant, deux Chirac et deux une stricte égalité.
Encore faudrait-il que le second tour oppose les deux têtes de l’exécutif…
Eric Dupin
Paru dans « les Echos » du 22
février 2002
La bipolarisation à
l'épreuve
Comment se porte le clivage droite-gauche ?
La réponse à cette question devient décisive dés
lors que s’engage véritablement la bataille présidentielle.
Au palais de l’Elysée comme à l’hôtel Matignon,
on espère vivement que l’entrée en campagne des deux favoris
réactivera la bipolarisation qui est une des caractéristiques
de la Vème République. Partout ailleurs, on ne désespère
pas de desserrer l’étau d’un duel Chirac-Jospin qui occulterait
les enjeux du premier tour.
Les effets de la déclaration
de candidature anticipée de Jacques Chirac, le 11 février,
semblent renforcer la première thèse. Les quatre dernières
enquêtes réalisées depuis cet événement
ont révélé un sursaut des intentions de vote
en sa faveur de un à deux points. Certains sondages ont même
noté une remontée simultanée de Lionel Jospin,
comme si les deux camps se remobilisaient autour de leurs champions.
Si l’entrée en lice du leader socialiste, le 20 février,
provoque le même type de phénomène, les autres candidats
ont du souci à se faire. A droite, d’ores et déjà,
la descente dans l’arène de Chirac a coûté quelques-uns
uns de leurs rares points à François Bayrou et Alain Madelin,
descendus en moyenne autour de 3% des intentions de vote.
Pour autant, l’officialisation de la
candidature Chirac n’a pas bouleversé la donne électorale.
Si l’annonce d’Avignon a permis au président sortant d’améliorer
ses positions face à son principal rival, elle n’a pas creusé
d’écart décisif. La dernière enquête Sofres-Nouvel
Observateur met en évidence un équilibre dans les souhaits
de victoire (39% pour Chirac et 41% pour Jospin). La résistance
des intentions de vote en faveur de Jean-Pierre Chevènement,
qui se sont en moyenne tassées aux alentours de 11%, est symptomatique
des limites d’une dynamique de rebipolarisation. Un nombre croissant
d’électeurs refusent de se situer sur l’axe classique droite-gauche.
Les enquêtes approfondies réalisées par la Sofres
sous la conduite du sociologue Guy Michelat montrent que la proportion
de ceux qui ne se classent « ni à droite ni à gauche
» a grimpé de 19% en 1995 à 24% en 1997 pour atteindre
45% en 2001.
Ces études indiquent aussi que
si le pessimisme a reculé en France ces dernières années,
il reste très largement répandu dans les catégories
populaires. L’influence des forces de contestation du système,
qui s’appuient sur ce désarroi, oppose une autre obstacle à
la polarisation classique. Les candidats extrémistes de droite
et de gauche cumulent environ 18% des intentions de vote. Leurs électeurs
sont de plus en plus entrés en dissidence par rapport au «
camp » auquel ils ne sont que très théoriquement rattachés.
Les soutiens immédiatement obtenus par le candidat des «
chasseurs » Jean Saint-Josse – crédité de 2 à
3,5% des suffrages virtuels – sont un signe supplémentaire de
la crise du clivage binaire.
Dans ce contexte, le poids des enjeux
pèsera plus lourd dans la campagne que les réflexes
traditionnels d’identification idéologique ou partisane. Moins
fidèles et plus mouvants que jamais, les électeurs ne
se détermineront pas essentiellement sur le bilan des uns et
des autres, ni même sur la personnalité des candidats,
mais bien sur les « issues ». Dans sa déclaration
de candidature, Jospin a pris soin de suggérer une série
de réformes. Même s’il l’a évoquée en second,
la « sécurité » est incontestablement la première
des préoccupations de Français. La gravité du
phénomène tient à ce qu’il ne renvoie pas seulement
aux actes des délinquance mais à une insécurité
plus large provoquée par la dégradation des normes sociales.
La France souffre d’une crise d’autorité aux multiples déclinaisons.
Traditionnellement, la droite est plus à l’aise sur ce terrain.
Une majorité de sondés espèrent d’ailleurs qu’une
élection de Chirac aurait des « effets positifs »
sur l’insécurité. Mais d’autres candidats, comme Jean-Pierre
Chevènement ou Jean-Marie Le Pen, ne sont pas plus mal placés
que le président sortant pour soulever le problème.
Les préoccupations économiques
et sociales n’ont pas pour autant disparu. Dans ces domaines, Jospin
apparaît plus crédible que Chirac. Si la défense
des acquis sociaux fait partie du patrimoine de la gauche, il est plus
récent que les Français la parent de qualités en
matière économique. Une enquête CSA-France 3-France
info nous apprend que 36% des personnes interrogées font plus
confiance à Jospin « pour baisser les impôts »
contre seulement 27% à Chirac. La pondération entre
les questions sociétales et économiques, dans l’esprit
des électeurs, est difficile à apprécier. Car elles
sont finalement toutes deux liées à une même dimension
sociale.
Paru dans « les Echos » du 8 mars
2002
Le premier tour aura bien
lieu
Il est souvent tentant d’aller plus
vite que la musique. Les cinq dernières enquêtes d’opinion
attribuent de 50 à 52% d’intentions de vote à Lionel
Jospin au second tour. Plus aucun institut ne donne l’avantage à
Jacques Chirac, ce qui était encore fréquemment le cas
il y a quelques semaines. Si ce mouvement est incontestable, il doit
être interprété avec la plus grande prudence. Dans
le contexte actuel d’indécision et de fluidité du corps
électoral, les réponses portant sur le tour décisif,
alors que la campagne de premier tour ne fait que commencer, sont à
prendre avec des pincettes. Si ces chiffres influencent le moral des acteurs
et la tonalité des commentaires, ils ne préjugent en rien
d’un tournant décisif.
Le principal enseignement de la dernière
période concerne Chirac. Le moins qu’on puisse dire est que
ses trois premières semaines de campagne n’ont pas été
couronnées de succès. Alors que ses votes virtuels
de premier tour avaient grimpé en moyenne à 25% après
sa déclaration de candidature du 11 février, elles
ont ensuite dégringolé pour rejoindre le score de Jospin
aux alentours de 22%. L’avance du président sortant sur son
rival a aujourd’hui complètement fondu. Depuis le début
de l’année, Chirac s’est affaissé en moyenne de cinq
points. Les Français jugent très sévèrement
son début de campagne. Selon la dernière étude
Ipsos-Figaro-Europe 1, les trois qualificatifs qui la caractériseraient
le mieux seraient : « ennuyeuse » (37 %), « manquant
de souffle » (35 %) et « démagogique » (34%).
Le fameux « dynamisme » chiraquien ne vient que loin derrière
avec 20% de citations. Candidat pour la quatrième fois consécutive
à l’élection présidentielle, la « bête
de campagne » corrézienne n’est peut-être plus ce
qu’elle était. Qui plus est, Chirac souffre d’une image personnelle
dégradée.
Par un phénomène de vases
communicants, Jospin profite, dans les intentions de vote de second
tour, des déboires de son adversaire. Mais il est notable
que le Premier ministre, devenu officiellement candidat le 21 février,
n’est propulsé par aucune dynamique positive. Il a simplement
retrouvé sa moyenne de 22% des intentions de vote qui était
la sienne avant l’entrée en scène de Chirac. L’enquête
Ipsos citée plus haut n’est pas plus tendre pour Jospin. Sa
campagne est, elle aussi, perçue comme « ennuyeuse »
(42%), « manquant de souffle » (32%) et « démagogique
» (22%). La quatrième réponse est même négative
puisque 21% la trouvent « agressive ». Le candidat socialiste
n’a toujours pas réussi à identifier politiquement sa
candidature autour d’un projet clair et attrayant.
Les difficultés rencontrées
par le duo de l’exécutif ne font cependant pas le bonheur
de Jean-Pierre Chevènement. L’outsider du cru élyséen
2002 ne s’est certes pas effondré lorsque les deux grands candidats
se sont déclarés. Mais la surexposition médiatique
dont ont profité, de l’aveu même du Conseil supérieur
de l’audiovisuel, ceux qu’il appelle « les deux candidats officiels
» l’a fait glisser sur la pente des sondages. Après avoir
tutoyé les 12% d’intentions de vote, il est désormais
redescendu aux alentours de 10%. Dans ces eaux-là, le voici rattrapé
par Jean-Marie Le Pen. Chevènement peine visiblement à
donner un second souffle à sa campagne. S’il peut miser sur un
rejet des deux « sortants », son positionnement « et
droite et gauche » risque de l’enfermer dans une forme inédite
de centrisme au potentiel électoral limité. On imagine mal
l’ancien ministre socialiste supplanter Chirac comme finaliste de la droite.
Sa ligne actuelle ne lui permet guère de mordre sur l’électorat
de gauche, opération indispensable s’il veut doubler Jospin. L’électorat
populaire mécontent a plutôt l’air d’être aspiré
par Arlette Laguiller. En nette progression, la candidate vétérante
de Lutte Ouvrière atteint désormais en moyenne 8% des intentions
de vote.
La bataille du premier tour ne pourra
être escamotée. Une enquête Ifop-L’Express-BFM-i
Télévision indique que 59% des sondés ne «
souhaitent pas l’élection » de Jospin, 60% ne voulant
pas non plus celle de Chirac. L’attente d’un duel Chirac-Jospin le
5 mai reste tiède dans l’opinion. A en croire l’étude
Sofres-Nouvel Observateur, 44% des personnes interrogées préfèreraient
un tel scénario contre 23% un duel Chevènement-Jospin
et 20% une confrontation Chevènement-Chirac. Les sondés
déclarent percevoir plus de différences entre Chevènement
et les deux chefs de l’exécutif qu’entre Chirac et Jospin. La
manière dont les candidats sauront convaincre de leur originalité
programmatique jouera un rôle de poids dans la période qui
s’ouvre.
Série 1: Chirac:
Série 2: Jospin:
Série 3: Chevènement;
Série 4: Le Pen;
Série 5: Laguiller
Paru dans « les Echos
» du 15 mars 2002
La montée des forces
protestataires
Le durcissement de l’affrontement entre Jacques
Chirac et Lionel Jospin focalisera-t-il la compétition entre les
deux hommes ou leur nuira-t-il ? Réalisées en fin de semaine
précédente, les dernières enquêtes publiées
ne permettent pas de répondre à la question. Le tour très
polémique pris par le combat entre les deux favoris de l’élection
présidentielle ne pourra rester sans conséquences. Si Jospin
a pu apparaître comme l’agresseur, la riposte très idéologique
de Chirac n’est pas forcément en phase avec les attentes de l’électorat.
Celui-ci peut être irrité par un climat de campagne où
les attaques personnelles (Chirac « vieilli ») et abstraites
(dénonciation de « l’idéologie socialiste »)
l’emportent sur le débat de fond.
Si tel est le cas, la tendance de fond d’une
montée des forces protestataires risque de se poursuivre. Depuis
l’automne dernier, la mesure des intentions de vote fait apparaître
un recul assez régulier des candidats soutenus par une formation
appartenant ou ayant participé au gouvernement (Bayrou, Chevènement,
Chirac, Hue, Jospin, Madelin, Mamère, Pasqua). Ce groupe hétéroclite
de candidats recule de quatre points entre octobre 2001 et le début
mars. En son sein, c’est le président de la République
qui est le plus atteint. En baisse de deux points sur la période,
il doit désormais se contenter de 23% des intentions de vote moyennes.
Les baisses les plus prononcés concernent ensuite François
Bayrou (3%) et Alain Madelin (3%). Vient ensuite le Premier ministre qui
cède un point pour se retrouver à 22% des suffrages virtuels.
Autrement dit, ce sont les candidats issus des trois principales formations
gouvernementales (PS, RPR, UDF d’hier) qui sont les premières victimes
de l’actuelle campagne.
Les seuls candidats qui gagnent du terrain
se situent aux extrêmes de l’échiquier politique. Arlette
Laguiller progresse de plus de deux points pour atteindre une moyenne
de 8% des intentions de vote. En gagnant un point, Jean-Marie Le Pen
est désormais coté aux alentours de 9%. L’ensemble des
candidats extrémistes (Besancenot, Laguiller, Le Pen, Mégret)
capitalisent désormais environ 20% des intentions de vote. Un
cinquième de l’électorat est attiré par des forces
qui contestent radicalement le système en place. Cette tentation
est particulièrement répandue dans certains milieux populaires.
Selon la Sofres, 34% des ouvriers voteraient pour l’un de ces candidats
extrémistes.
Cette dynamique protestataire ne doit pas
être lue au travers d’une grille idéologique. De même
que nombre d’électeurs de Le Pen ne se sentent pas d’extrême
droite, une majorité des supporters de Laguiller ne sont nullement
des révolutionnaires. Le phénomène Laguiller est
plus populiste que prolétarien. La candidate de Lutte ouvrière
trouve proportionnellement autant de soutiens parmi les professions
intermédiaires que chez les ouvriers. Son succès tient
d’abord à son extériorité vis-à-vis des jeux
du pouvoir. D’une toute autre manière, le succès relatif
du candidat des chasseurs Jean Saint-Josse (2%) témoigne d’une
même méfiance à l’égard de l’univers politique.
Cet état de l’opinion explique peut-être
les aventures sondagières heurtées de Jean-Pierre Chevènement.
Sur notre période de référence, le « candidat
de la nation » est en léger recul. Il se situe désormais
en dessous des 10% d’intentions de vote après avoir grimpé
à 12%. Certains instituts de sondages lui attribuent dernièrement
une forte chute d’influence tandis que d’autres mesurent une certaine
stabilité. Quoi qu’il en soit, Chevènement n’a toujours
pas réussi à faire « turbuler le système ».
Son discours quelque peu incantatoire n’embraye pas sur les inquiétudes
populaires. A force de se projeter vers le second tour, Chevènement
a peut-être négligé de mener une vraie campagne de
premier tour où il s’agit moins de rassembler les contraires que
de mobiliser un fort courant d’opinion. L’ancien ministre de l’Intérieur
peut cependant espérer profiter d’une éventuelle dégénérescence
du climat électoral.
A moins qu’une triste campagne ne conduise
trop de citoyens à refuser d’y participer. Les sondeurs s’attendent
à ce que l’on batte, le 21 avril, le record du taux d’abstention
pour un premier tour de scrutin présidentiel (22,4% des inscrits
en 1969). Certains imaginent même que 30% des électeurs bouderont
les urnes. Les jeunes et les milieux populaires sont les moins mobilisés.
L’apathie électorale peut être à la fois favorisée
par la pléthore de candidats, qui rend le choix difficile, et l’impression
que le premier tour ne sert à rien, si Chirac et Jospin semblent
d’ores et déjà qualifiés pour le second. Dans cinq
semaines, la démocratie française subira un sérieux
examen de santé.
Evolution des intentions de vote depuis octobre 2001
De gouvernement : Somme des intentions de vote des candidats
soutenus par une formation appartenant ou ayant participé au
gouvernement (Bayrou, Chevènement, Chirac, Hue, Jospin, Madelin,
Mamère, Pasqua).
Extrêmes : Sommes des intentions de vote se portant
sur Besancenot, Laguiller, Le Pen et Mégret.
Moyennes mobiles calculées à partir des enquêtes
CSA, BVA, Louis-Harris, Ifop, Ipsos et Sofres
Paru dans « les Echos
» du 22 mars 2002
Un drôle de premier tour
La mayonnaise ne prend toujours pas. La vraie-fausse
campagne présidentielle de premier tour laisse les Français
perplexes. Seule une courte majorité de sondés (53% selon
la Sofres) déclarent s’y « intéresser ». Le Conseil
supérieur de l’audiovisuel a beau rappeler les médias à
l’équité, Jacques Chirac et Lionel Jospin monopolisent un
espace en décalage avec les attentes d’un électorat émietté.
D’incertaines intentions de vote de second tour donnent abusivement l’impression
d’une France déjà coupée en deux. Après un
peu plus d’un mois de campagne pour le candidat-président et un
peu moins pour son rival, l’électorat ne s’est, en réalité,
toujours pas cristallisé en faveur de l’un d’entre eux.
Toutes les enquêtes convergent vers l’absence
d’appétit persistant en faveur des deux favoris. Selon l’Ifop, seulement
37% des personnes interrogées souhaitent l’élection de Chirac
ou bien celle de Jospin. Ces pourcentages sont même en baisse depuis
le début de l’année. L’institut Ipsos constate qu’une majorité
relative de sondés espèrent que l’un et l’autre seront «
battus ». La Sofres exprime d’une autre manière l’embarras
de l’opinion : 39% espèrent la victoire de Chirac, 39% celle de
Jospin et 22% ne se prononcent pas. Attaques personnelles, procès
d’intention, polémiques en tous genres, rien n’y change. Le duel
Chirac-Jospin est loin de passionner les Français.
Les mouvements qui profitent conjoncturellement
à l’un ou à l’autre se révèlent non durables.
Au tout début mars, certains ont cru déceler une envolée
de Jospin. Le candidat socialiste grimpa à une moyenne de 23% des
intentions de vote de premier tour et était donné gagnant au
second. Il est redescendu dans les eaux des 21%, soit deux points de moins
qu’un Chirac qu’il égalait alors. Les derniers chiffres crachés
par les six instituts de sondages lui attribuent une fourchette allant de
19 à 23%. Jospin n’apparaît nullement assuré de retrouver
son score de premier tour (23,3%) de 1995.
Chirac n’est guère mieux loti. Il est actuellement
estimé entre 22 et 25,5% des intentions de vote de premier tour
avec une moyenne de 24%. Le candidat de l’Elysée peut certes se féliciter
d’avoir creusé l’écart avec son rival. Mais Chirac ne se
situe aujourd’hui qu’un point au-dessus de son niveau d’avant son entrée
en campagne après s’être hissé aux alentours de 25%.
Il souffrira peut-être prochainement d’une concurrence revigorée
à droite. François Bayrou est passé d’une moyenne
de 3 à 4% des intentions de vote depuis la fin février.
Jean-Pierre Chevènement a cessé de
profiter des réserves des Français à l’égard
du couple des sortants. Son cas pose un réel problème aux
sondeurs. Les évaluations des différents instituts ne forment
pas une fourchette mais un râteau : de 6,5% à 11% des intentions
de vote pour les dernières enquêtes réalisées
dans la même période. Au couple Ifop-Ipsos qui estime un Chevènement
relativement stable autour de 10-11% s’oppose le couple BVA-Sofres qui le
voit plonger vers les 6,5-7%. Pour ce candidat idéologiquement atypique
et sans historique électoral, les sondeurs ne s’accordent si sur
son niveau d’influence ni sur l’évolution de ses soutiens. En tout
état de cause, la dynamique Chevènement apparaît au
moins enrayée. Son électorat potentiel demeure l’un des plus
susceptibles de changer d’avis, une fraction de ses supporters étant
tentée de rallier Jospin.
La seule vraie dynamique de campagne porte toujours
Arlette Laguiller. Créditée de 7 à 10%, elle se situe
désormais en moyenne à 9% des intentions de vote, soit devant
Chevènement et presque au niveau de Le Pen. Sa candidature protestataire
attire des électeurs d’horizons incroyablement divers. Selon l’Ifop,
le vote « Arlette » serait le deuxième choix des électeurs
de Jospin qui disent pouvoir changer d’avis ! Dans un autre sens, les électeurs
hésitants de Laguiller se reporteraient prioritairement sur Le
Pen… La passionnaria de Lutte Ouvrière obtient, toujours selon
l’Ifop, ses meilleurs scores chez les jeunes (12%) et les employés
(16%).
A ses côtés, Robert Hue fait pâle
figure. Depuis le début de la campagne, le candidat communiste
reste désespérément fixé à une moyenne
de 5,5% des intentions de vote. Le « parti de la classe ouvrière
» s’est volatilisé. Hue ne recueille que 4% des voix des ouvriers
selon l’Ifop et 7% d’après la Sofres (contre respectivement 9 et
12% pour Laguiller). L’ex-publicitaire Frédéric Beigbeder
ne sera pas le sauveur suprême du PCF. Pour le reste, espérons
qu’un recentrage du débat sur les programmes lestera de contenu
cette drôle de campagne. Sans trop d’illusion.
Paru dans « les Echos »
du 29 mars 2002
La productivité médiatique
des candidats
Aucune tendance nouvelle n’émergeant des
dernières enquêtes, tentons d’évaluer l’efficacité
des différentes campagnes. Question particulièrement complexe.
Image du candidat, perception de son programme, appréciation de
sa stratégie : la conquête d’un électorat mêle
des facteurs quantitatifs et qualitatifs difficilement mesurables.
Contentons-nous d’estimer la « productivité
médiatique des candidats ». La télévision ne
fait certes pas l’élection. S’il en était ainsi, Edouard
Balladur aurait été sacré à l’Elysée
en 1995. Mais le petit écran est devenu la scène majeure
du combat préélectoral. La différence de traitement
médiatique des divers postulants au scrutin présidentiel a
d’ailleurs provoqué une polémique. Non seulement les «
petits candidats » se sont plaints de la faveur accordée par
les chaînes de télévision aux deux favoris de la compétition,
mais le Conseil supérieur de l’audiovisuel a multiplié les
mises en garde.
Le CSA – à ne pas confondre avec l’institut
de sondage homonyme – a salué, dans son communiqué du 26 mars
une « inversion de tendance », la part de couverture réservée
à Jacques Chirac et Lionel Jospin diminuant. L’égalité
de traitement entre les candidats reste cependant loin d’être respectée,
même en tenant compte de leur différence d’audience. C’est
ce que prouve notre petit calcul. A combien de minutes d’antenne correspond
un point d’intention de votes ? Nous avons retenu les totalisations effectuées
par le CSA du 1er au 22 mars pour les journaux de TF1, France 2 et France
3 de la tranche horaire 19H-20H. Il s’agit des temps d’antenne accordés
aux candidats et à leurs soutiens. Un autre calcul se limitant
aux prestations diffusées par la seule TF1 du 1er janvier au 22
mars ne donnait pas de résultats très différents.
Les intentions de vote retenues constituent la moyenne des cinq dernières
enquêtes réalisées par les instituts de sondages.
Les résultats de ce calcul posent un problème
d’interprétation. L’égalité parfaite de traitement
des candidats – de Jacques Chirac à Daniel Gluckstein – serait utopique.
Mais le postulat d’équité selon lequel les télévisions
devraient accorder à chacun un part strictement équivalente
à son audience du moment est tout à fait contestable. Au
demeurant, le sens de la relation entre exposition médiatique et
influence sondagière n’est pas évident. Une forte présence
sur les écrans stimule-t-il l’électorat virtuel ? En sens
inverse, de bons sondages multiplient-ils les invitations sur les plateaux
?
Toujours est-il que le décalage entre le
degré d’exposition télévisuelle et l’influence potentielle
des candidats est flagrant. Un point de sondage équivaut à
quelques six minutes d’antenne pour Lionel Jospin, mais à un peu
moins de deux pour Arlette Laguiller. L’écart maximal de notre indice
va de 1 à 3. C’est beaucoup. On remarquera, sans surprise, que les
deux principaux candidats extrémistes sont les moins bien lotis médiatiquement.
Comme la candidate de Lutte Ouvrière, Jean-Marie Le Pen n’a pas
besoin d’occuper les écrans pour faire passer son message. Ces deux
candidats expérimentés du combat présidentiel ne souffrent
guère de cet ostracisme grâce à la simplicité
de leur discours en phase avec l’humeur protestataire d’une large fraction
de l’opinion. A la limite, leur marginalité par rapport au système
médiatique les protège.
On note avec quelque étonnement le sous-traitement
de Noël Mamère, pourtant lui-même ancien journaliste
de télévision et qui menace de retourner dans la presse en
cas d’insuccès électoral. Son récent haussement de
ton sur le nucléaire tient peut-être à la prise de conscience
qu’un candidat Vert se doit de porter avec plus de conviction un discours
écologiste.
Viennent ensuite toute une série de candidats
qui se situent dans une honnête moyenne selon notre indicateur. C’est
notamment le cas de Jean-Pierre Chevènement qui s’est pourtant plaint
d’être défavorisé par les grands médias. Ce résultat
tend à prouver que l’enrayement de sa campagne relève d’abord
d’un problème stratégique. Le candidat du « Pôle
républicain » s’est enfermé dans une campagne répétitive
d’opposition à « Chirospin » qui ne lui a pas permis
de développer suffisamment son projet autour de propositions évocatrices.
Reste le cas Jospin. Le candidat socialiste est,
de loin, celui dont la productivité médiatique est la plus
faible. Comme si une série de maladresses parasitaient sa campagne.
De l’aveu de « naïveté » sur l’insécurité
aux propos ambigus sur le cannabis en passant par la gêne devant les
ouvriers de Danone et de drôles d’excuses (« ce n’est pas moi
»), Jospin a multiplié les impairs. Heureusement pour lui,
Chirac arrive en troisième position dans ce hit-parade de l’improductivité
télévisuelle. « Supermenteur » est sans doute
passé par-là.
Paru dans « les Echos »
du 5 avril 2002
Dispersion et focalisation
Jamais autant de candidats ne se seront lancés
dans la course à l’Elysée. La richesse de l’offre électorale
est prometteuse d’un premier tour marqué par une forte dispersion
des bulletins de vote. De l’extrême droite à l’extrême
gauche, il y a en pour tous les goûts. Pour la première fois
depuis l’instauration de l’élection du chef de l’Etat au suffrage
universel direct, tous les partis ont cherché à courir sous
leurs propres couleurs. Loin d’être le lieu d’une mystérieuse
rencontre entre un peuple et son guide, l’élection présidentielle
est bel et bien devenue l’affaire des partis.
Les deux favoris de la compétition sont les
premiers à faire les frais de ce phénomène d’éclatement.
Ensemble, Jacques Chirac et Lionel Jospin n’attirent plus que 41% des suffrages
virtuels alors qu’ils en rassemblaient encore une petite moitié à
l’automne – ce qui était déjà inhabituellement bas.
Les deux candidats issus du pouvoir exécutif sortant souffrent certainement
aussi d’un regain de pessimisme des Français. Selon le baromètre
Sofres-Figaro Magazine de ce week-end, 70% des personnes interrogées
considèrent désormais que « les choses ont tendance
à aller plus mal en France » contre seulement 15% qui les voient
s’améliorer. La situation était très différente
il y a un an : 31% d’optimistes contre 48% de pessimistes. Le retournement
de conjoncture économique et le lancinant climat d’insécurité
pèsent inévitablement sur la conjoncture préélectorale.
Qui plus est, ni le candidat-président ni
le candidat-premier ministre ne parviennent à donner de véritable
allant à leur campagne. En dépit de sa promptitude à
réagir aux événements qui troublent la nation, Chirac
a perdu l’avantage de premier tour qu’il semblait avoir conquis dans la
première quinzaine du mois de mars. Le refus de mener une campagne
clairement marquée à droite, et le choix de se limiter presque
exclusivement à la thématique sécuritaire, l’empêchent
de créer une large dynamique en sa faveur. De son côté,
Jospin a connu en mars une baisse tendancielle de ses intentions de vote.
S’il paraît délivré de la menace que Jean-Pierre Chevènement
a fait peser sur lui en début de campagne, le candidat socialiste
se trouve désormais aux prises avec la démagogie protestataire
d’Arlette Laguiller. Or Jospin peine visiblement à trouver le ton
juste. Il apparaît coincé entre une image de gauche destinée
à lui assurer un score honorable au premier tour et un profil rassembleur
qu’il dessine dans la perspective du second.
Si cette campagne est marquée par une exceptionnelle
dispersion des forces politiques, elle est simultanément dominée
par une thématique obsédante, celle des insécurités.
Le pluriel s’impose tant ont peu à voir le chapelet de faits divers
plus ou moins tragiques, l’effroyable tuerie de Nanterre et les récents
attentats antisémites. Mais tous ces événements focalisent
inexorablement l’attention des électeurs sur les multiples dangers
qui menacent la paix civile. Comme on pouvait le prévoir avant même
cette triste actualité, la campagne 2002 est empoisonnée par
un lourd climat d’insécurité.
Le baromètre Sofres cité plus haut
nous apprend que 60% des sondés estiment que « le gouvernement
doit s’occuper en priorité de lutter contre la violence et la criminalité
». La lutte contre le chômage n’est citée que 23% des
personnes interrogées… Mais cette enquêtes indique aussi que
68% prévoient que les mois à venir seront marqués par
« beaucoup de conflits sociaux » et que les problèmes
de la société française risquent de provoquer des «
affrontements ».
On touche peut-être ici au cœur de l’équation
de cette présidentielle. Et si les Français étaient
avant tout soucieux de protections ? Ils peuvent se sentir menacés
tant dans leur sécurité civile que sociale. Comme par hasard,
les deux candidats qui ont le vent en poupe incarnent jusqu’à la caricature
ces deux angoisses. Plus qu’un tribun d’extrême droite, Jean-Marie
Le Pen est perçu par beaucoup de ses partisans comme le hérault
d’une discours d’ordre et de sécurité. De même, les
électeurs enclins à voter Laguiller n’ont que faire de son
projet de construire un parti révolutionnaire. Ils cherchent à
exprimer leur mécontentement face aux menaces qui pèsent sur
leur condition sociale.
La problématique du second tour risque de
tourner autour de cette dialectique de la protection civile et de la protection
sociale. Pour faire respecter « la loi et l’ordre », Chirac reste
incomparablement mieux placé que Jospin, du moins dans les représentations
symboliques. Mais pour rassurer les Français sur leur avenir économique
et social, le candidat socialiste a des cartes en poche. Rien n’est joué.
Paru dans « les Echos »
du 12 avril 2002
Avantage Chirac
A deux semaines du premier tour, les intentions de
vote présidentielles prennent de la densité. Incapable de remuer
les passions, cette étrange campagne laisse certes dans la perplexité
une fraction inhabituelle d’électeurs. Selon les enquêtes Ipsos-le
Point-France 2-Europe 1, la proportion de ceux qui déclarent un «
choix définitif » ne progresse que très lentement, pour
n’atteindre que 58%. Des évolutions de dernière minute aux
conséquences majeures restent possibles.
Pour autant, il est rare que les électeurs
de la onzième heure se prononcent tous dans le même sens. Et
les dernières enquêtes réalisées par les instituts
de sondage, par leur convergence, laissent penser que Jacques Chirac vient
de prendre un réel avantage dans son duel avec Lionel Jospin. Le président
sortant creuse à nouveau l’écart avec son rival, en moyenne
de trois points. A l’exception de BVA – dont les méthodes de redressement
sont particulières – tous les sondages réalisés en
avril donnent une avance de 3,5 à 5 points à Chirac sur Jospin.
Le candidat socialiste est presque toujours en net recul au cours de la
toute dernière période tandis que Chirac est de nouveau coté
à la hausse.
Plusieurs détails sont inquiétants pour
le candidat socialiste. Son électorat potentiel est, d’après
Ipsos, sensiblement moins déterminé que celui de Chirac.
La dernière enquête Sofres-LCI-Politique Opinion montre que
Jospin accuse d’étranges faiblesses dans des catégories que
le PS avait souvent su séduire dans les dernières décennies.
Le candidat socialiste n’est crédité que de 21% des intentions
de vote des jeunes de 18 à 24 ans contre 33% pour Chirac. Il n’attirerait
que 15% des employés contre 33% à son rival. Parmi les femmes,
Jospin doit se contenter de 18% de suffrages virtuels à comparer
avec les 26% de Chirac. Le score du candidat socialiste est aussi modeste
quantitativement que décevant qualitativement.
Ces difficultés n’ont pas échappé
à son équipe de campagne qui a multiplié les interrogations.
L’argument classique selon lequel Jospin souffrirait d’un « déficit
d’explication » est un peu court. Pour un homme politique, un problème
de communication est toujours un problème politique. Le candidat
socialiste souffre essentiellement d’un manque d’axe clair. Il est symptomatique
que Jospin se soit senti obligé de changer de slogan en plein milieu
de campagne. Le très abstrait « Présider autrement »
a laissé la vedette à une « France plus juste ».
Mais Jospin peine à donner un contenu parlant à cette dernière
orientation. Au lieu de centrer sa deuxième phase de campagne sur
la justice sociale, il a préféré multiplier les clins
d’œil envers certaines catégories. La déclaration ambiguë
sur la consommation du cannabis, la proposition d’abaisser à 17 ans
l’âge du droit de vote et celle de supprimer, en de nombreux cas,
la « double peine » frappant les délinquants en situation
irrégulière participent d’une démarche un peu improvisée
et teintée de démagogie. Ce genre de messages entre, au demeurant,
en totale contradiction avec le discours de fermeté que Jospin voulait
marteler sur le terrain de l’ordre et de la sécurité.
A l’inverse, on doit reconnaître à Chirac une constance
inébranlable. Le président-candidat ne cesse de se faire
le porte-parole d’une France qui souffrirait de l’insécurité,
d’un carcan administratif étouffant l’économie et d’une absence
de dialogue social. Au terme de sept années paisiblement passées
à l’Elysée, Chirac entonne le registre de la dénonciation
qu’il affectionne avec le culot qu’on lui connaît. Ce faisant, le
fondateur du RPR réussit à coller à son adversaire
l’étiquette de « sortant ». Or, dans un pays qui a pris
la manie des alternances à répétition depuis 1981,
la posture de l’opposant est plutôt payante. Même quand elle
repose partiellement sur une imposture…
La configuration des rapports de forces du premier tour qui se dessine
avantage également Chirac. Jospin ne rassemble qu’une moitié
des intentions de vote qui se portent sur les quatre candidats issus de
la « gauche plurielle ». A droite, le chef de l’Etat domine
autrement son camp. Chirac rafle les deux tiers des suffrages virtuels attribués
aux candidats assimilables à la droite classique. Ajoutons que la
droite n’est désormais plus seule à être handicapée
par un extrémisme fort. Jospin aura presque autant de difficulté
à convaincre les électeurs d’Arlette Laguiller que Chirac
ceux de Jean-Marie Le Pen. Sans oublier que les supporters de Jean Saint-Josse
– de plus en plus nombreux – ont un net penchant droitier. Tout ceci ne
signifie pas que le suspense sur l’issue finale s’est évanoui. Simplement,
il n’y a plus tout à fait symétrie dans les chances de victoire
de Chirac et de Jospin.
Paru dans « les Echos »
du 19 avril 2002
Les utilités d'un vote
Les concepts les mieux établis sont bousculés
par cette campagne présidentielle atypique. Traditionnellement, le
slogan du « vote utile » est un piège tendu par les grands
candidats pour ramener au bercail les électeurs tentés par
des votes moins centraux. L’astuce fonctionne d’autant mieux qu’un suspense
plane sur l’identité des deux finalistes. En 1995, certains électeurs
de gauche se sont ralliés in extremis à Lionel Jospin par crainte
d’un duel entre Jacques Chirac et Edouard Balladur. Rien à voir avec
la situation actuelle. Chirac et Jospin sont pratiquement assurés
d’être présents au second tour. Jean-Pierre Chevènement
était le seul en position stratégique de troubler leur duel.
Après un spectaculaire envol dans les sondages, il a manqué
cette occasion pour redevenir un « petit candidat ». Et la montée
en puissance de Jean-Marie Le Pen ne lui laisse qu’un infime espoir d’être
qualifié au soir du 21 avril.
Le premier tour ayant perdu sa fonction originelle
de choix des compétiteurs du second, l’utilité de voter Chirac
ou Jospin s’affaiblit. Il faut vouloir fortement la victoire de l’un ou de
l’autre – ou l’échec de son adversaire – pour que le classique «
vote utile » joue. Au dernier moment, une fraction de l’électorat
y sera peut-être sensible. Une réaction anti-Chirac stimulée
par les mauvais sondages de Jospin pourrait alors redonner un peu d’air au
candidat socialiste.
Cette morne campagne de premier tour n’en aura pas
moins été dominée par l’affaiblissement régulier
des deux candidats issus du pouvoir exécutif. Crédité
en moyenne de 26% des intentions de vote en novembre, Chirac termine aux
alentours de 20%. Quant à Jospin, il a glissé de 23% à
18%. Le candidat-président est mal entré en campagne. Il a
ensuite été égal à lui-même – ce que chacun
appréciera à sa manière. Son adversaire principal a
pêché par excès de confiance en lui avant de procéder
à de laborieuses corrections stratégiques. L’un et l’autre
ont été incapables de faire vivre la « passion »
ou le « désir » imprudemment annoncés.
Le premier round de la présidentielle a ainsi
été détourné vers d’autres utilités.
Il a permis à de multiples courants de s’exprimer. Et ce sont les
extrémismes de tous bords qui en ont le plus profité. Arlette
Laguiller a, la première, surfé sur la vague des mécontentements.
De l’automne au mois de mars, elle a grimpé de 6 à 10% des
intentions de vote. Mais l’exposition médiatique, dans la dernière
phase de la campagne, des autres candidats trotskiste l’a ramené vers
les 8%.
C’est finalement Jean-Marie Le Pen qui a été,
apparemment, le grand gagnant de cette campagne. Parti de 8% des suffrages
virtuels en octobre, il s’est hissé vers les 13 % à la veille
du scrutin. Le vieux leader du Front national a même réussi
à ce que sa dynamique de progression ne soit guère affectée
par les quelques points gagnés par Bruno Mégret en fin de course.
On dira que le thème ultra-dominant de l’insécurité
dans la campagne n’a pu que le servir. Mais il est probable que le vétéran
de l’extrême droite est également parvenu à occuper l’enviable
place de celui qui dérange le système en place.
Etrangement, la bataille du premier tour n’a profité
ni nui à quatre candidats. Robert Hue et Noël Mamère,
deux représentants de la « gauche plurielle », sont restés
scotchés aux alentours de 5% pour le premier et de 6% pour le second.
Les deux candidats de la « droite plurielle » que sont François
Bayrou et Alain Madelin ont également fait du surplace, le premier
ne progressant que très légèrement vers les 6% tandis
que le second piétinait aux environs de 4%. Ces quatre candidats,
incarnant pourtant des sensibilités politiques bien identifiées,
n’ont pas su profiter des faiblesses du couple Chirac-Jospin. Les élections
se gagnent, dit-on, au « centre ». En attendant, les trois candidats
trotskistes semblent avoir plus d’influence (11%) que les deux candidats
issus de l’UDF (10%) !
L’utilité du vote dépendra souvent dimanche
de la volonté d’envoyer un message. A cet égard, les enquêtes
d’opinion jouent un rôle d’information non négligeable. Le problème,
c’est que rarement sondeurs n’auront été aussi inquiets. Ils
savent d’expérience qu’une élection réserve toujours
des surprises par rapport aux enquêtes préélectorales.
Il y a une différence de nature entre l’intention et l’acte de voter.
Mais la difficulté de l’exercice est accentuée, cette fois-ci,
par plusieurs facteurs. Une abstention élevée – telle qu’elle
est prévue – brouille déjà la donne. Le record du nombre
de candidatures alourdit la mesure. Enfin et surtout, l’indétermination
et la fluidité de l’électorat sont exceptionnelles. L’hésitation
tenaille d’innombrables esprits. Avec la crainte de jouer, en fin de compte,
les utilités…
Voir aussi nos graphiques
des intentions de vote
de gauche
et de droite