L'observatoire électoral d'Eric Dupin publié dans 

Retrouvez les vendredis ma chronique sur les élections régionales et européennes de 2004
Paru dans « les Echos » du 16 janvier 2004

21, voilà les élections

 Un spectre hante la campagne des prochaines élections régionales : celui du 21 avril 2002. Deux ans après, la classe politique demeure traumatisée. « Vous avez aimé le 21 avril, vous adorerez le 21 mars », plastronne Jean-Marie Le Pen en référence à la date du premier tour des régionales de 2004. La gauche s’efforce de conjurer une répétition du drame en unissant ses forces ici ou là. La droite n’est guère plus rassurée, consciente qu’elle est du mécontentement ambiant.
 La situation a-t-elle fondamentalement changé depuis ce fameux 21 avril ? Pour répondre à cette question, revenons d’abord sur ce sombre dimanche. Au-delà de la spectaculaire qualification de Le Pen pour le second tour du scrutin présidentiel, ce vote fut caractérisé par un extrémisme sans précédent. Les candidats de l’ultra-droite et de l’ultra-gauche totalisèrent 30% des suffrages exprimés. Les racines du phénomène n’ont rien de mystérieux, comme le prouvent nos deux cartes. La « France qui souffre » ressemble étrangement à la « France extrémiste ». Le degré de souffrance sociale a été estimé par un indicateur rudimentaire construit à partir du taux de chômage dans les différentes régions, de la proportion d’étrangers (étant entendu que ce n’est pas la présence étrangère en tant que telle qui pose problème, mais bien la désormais peu contestable difficulté de la société française à les intégrer) et de la pauvreté. A l’exception de l’Alsace et de l’Ile-de-France, la position des différentes régions selon cet indicateur est assez prédictive de son inclinaison à l’extrémisme. Dans une relation de complémentarité, le vote d’extrême droite est corrélé avec la présence étrangère tandis que son pendant de gauche est lié à la pauvreté.
« En politique, il faut déjà beaucoup de culture pour se contenter d'explications simples », disait le politologue André Siegfried. Le 21 avril n’est rien d’autre que la traduction électorale d’un état de crise sociale. Or la situation actuelle est-elle plus riante qu’il y a deux ans ? Le taux de chômage a progressé d’environ un point depuis 2002. La vivacité de la polémique autour du foulard islamique est symptomatique des ratés de l’intégration d’une partie de la population d’origine immigrée. Le rythme actuel de la croissance économique est autrement plus faible qu’il ne l’était il y a deux ans, même si la tendance est à la reprise tandis qu’elle était alors au freinage.
Le seul élément positif de la comparaison concerne l’insécurité, dont on sait le rôle qu’elle a joué dans la dernière campagne présidentielle. D’après les statistiques officielles, le nombre de crimes et délits a baissé, en 2003, de 3,4% après avoir augmenté de 1,3% en 2002 et de 7,7% en 2001. Le retournement de tendance semble avéré, même si ces chiffres doivent être appréciés avec une grande prudence méthodologique. Cela étant, certains électeurs considèreront sans doute que les performances du Front national ont poussé la classe politique à prendre enfin à bras-le-corps la question de la délinquance…
Globalement, il ne fait hélas guère de doute que l’état de la société française ne s’est pas vraiment amélioré depuis l’avertissement du 21 avril. La confiance des électeurs à l’égard des gouvernants, et de ceux qui ambitionnent de les remplacer, ne s’est nullement redressée. En décembre 2001, d’après le baromètre Ifop-Journal du Dimanche, 43% des sondés étaient « satisfaits » du Premier ministre Lionel Jospin et 45% « mécontents ». En décembre 2003, selon le même indicateur, Jean-Pierre Raffarin ne satisfait que 38% des personnes interrogées contre 60% de mécontents. L’actuel chef du gouvernement semble certes remonter la pente alors que son prédécesseur la descendait. Mais le rejet du pouvoir en place est plus manifeste qu’en 2002. La gauche ne saurait s’en réjouir : 64% des Français considèrent que « l’opposition ne ferait pas mieux que le gouvernement » (enquête Ifop-Paris-Match de janvier 2004).
Tout ceci laisse augurer des performances médiocres pour l’UMP et le PS mais bonnes pour les différentes figures de contestation de ce binôme (FN, extrême-gauche mais aussi UDF). Toute la question est de savoir si les électeurs se saisiront du scrutin des 21 et 28 mars pour envoyer un message politique d’envergure nationale ou s’ils voteront en pensant au meilleur gestionnaire de leur région. La tradition qui veut que les élections intermédiaires servent, surtout en période de mécontentement, à juger le pouvoir en place milite en faveur de la première hypothèse. La relative affirmation des régions dans le paysage institutionnel français apporte de l’eau au moulin de la seconde. Mais les électeurs résisteront-ils au plaisir de sanctionner à nouveau une classe politique qui a tant de mal à les entendre ?


Paru dans « les Echos » du 30 janvier 2004

Un ordre de bataille défavorable à la droite

 Une part importante de l’élection se joue bien avant que le premier bulletin de vote ne tombe au fond des urnes. Car l’électeur ne peut que réagir à une offre de candidatures concoctée par les appareils politiques. Celle-ci influence l’issue du scrutin tout en étant très révélatrice du paysage politique du moment.
 Tel qu’il se dessine, l’ordre de bataille des régionales de mars prochain se caractérise d’abord par une complexité en partie dérivée de celle du nouveau mode de scrutin, mêlant prime majoritaire et représentation proportionnelle. La configuration électorale varie d’une région à l’autre, ces divergences tenant moins aux spécificités locales qu’à des calculs politiciens plus ou moins transparents. L’existence de deux seuils (5% des suffrages exprimés pour participer à une fusion, 10% pour se maintenir au second tour) ne simplifie pas l’équation.
 A ce jeu subtil, la gauche semble cette fois-ci relativement mieux partie que la droite. On se souvient que la multiplication des candidatures issues de la « gauche plurielle » avait contribué à l’élimination de Lionel Jospin du tour décisif de l’élection présidentielle de 2002. Echaudés par ce cuisant souvenir, les anciens partenaires du PS ont été soumis à de fortes pressions unitaires. A l’inverse, l’impopularité du gouvernement Raffarin a libéré les contestations à droite. François Bayrou a ainsi pu mettre en pratique sa stratégie farouchement autonomiste.
 C’est une union à la carte qui prévaut à gauche. Ses trois principales formations (PS, PCF et Verts) partent unies à la bataille électorale dans neuf régions (Bourgogne, Centre, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Basse-Normandie, Haute-Normandie, Pays de la Loire, Poitou-Charentes, PACA). Une liste d’union de la gauche classique socialistes-communistes sera en concurrence avec celle des Verts dans cinq régions. Inversement, une alliance moderniste socialistes-écologistes s’opposera à une liste du PCF dans cinq autres régions. Enfin, ces trois formations iront au combat séparément dans trois régions (Auvergne, Corse, Nord-Pas-de-Calais).
 Chez les communistes, le « centralisme démocratique » n’est plus qu’un souvenir. Des référendums militants ont décidé de la stratégie à suivre dans les différentes régions. On constate un sérieux tropisme unitaire : l’alliance avec le PS a été ratifiée dans 14 des 22 régions métropolitaines. Le choix de l’autonomie a souvent été retenu là où de fortes personnalités communistes étaient en lice comme Marie-Georges Buffet en Ile-de-France, Alain Bocquet dans le Nord-Pas-de-Calais ou Maxime Grémetz en Picardie.
 Du côté des Verts, les militants ont clairement désavoué la stratégie autonomiste de la direction. Contrairement aux souhaits de Gilles Lemaire, les écologistes ont décidé de s’allier au PS dans la majorité des régions (12 sur 24). François Hollande y a même vu le signe d’un « tournant stratégique » de l’imprévisible formation écologiste. Dans certains cas, comme en Alsace, les militants Verts ont voté en faveur de l’union après s’être préalablement prononcés pour une liste autonome…
Tout se passe comme si le PCF comme les Verts n’étaient plus très sûrs de leur propre influence électorale. Cette faiblesse profite inévitablement au PS. D’autant plus que le cadavre de la « gauche plurielle » bouge toujours. Les cinq formations qui la composaient ont signé, le 27 janvier, une déclaration commune contre la politique gouvernementale de l’emploi. Un rapprochement qui fait suite à la « plate-forme programmatique » préparée par le PS et les Verts et au « comité de liaison de toute la gauche » lancé par le PS et le PCF.
 Le paysage est très différent à droite. Sur cette rive, les forces centrifuges semblent l’emporter. François Bayrou a réussi à imposer sur le terrain sa stratégie de confrontation avec l’UMP. L’UDF défendra ses propres couleurs dans 16 régions. Les six exceptions à cette règle correspondent toutes à deux types de motifs : la menace du Front national (Alsace et PACA) ou la protection de diverses personnalités (Auvergne, Picardie, Poitou-Charentes, Rhône-Alpes). Le bouillant président de l’UDF est parvenu à mater les velléités unitaires d’une partie de ses élus comme dans le Nord-Pas-de-Calais. C’est la première fois depuis belle lurette que ce courant politique court en solitaire une élection locale. Cette cassure à droite, qui s’ajoute aux tensions internes à l’UMP, ne devrait pas rester indolore.



Paru dans « les Echos » du 6 février 2004

Une triste leçon de choses

 Peu d’événements marquent durablement la conscience de l’opinion. Parions que la spectaculaire condamnation d’Alain Juppé, et surtout la chaîne de réactions qui l’ont accompagnée, en feront partie. Quand une décision de justice affirme que le président du principal parti au pouvoir a « trompé la confiance du peuple souverain », celui-ci ne peut rester totalement indifférent. Lorsque cette même décision est contestée, de manière plus ou moins oblique, par les plus hautes autorités de l’Etat, le trouble de l’opinion est inévitable.
A moins de deux mois des élections régionales, cet épisode a toutes les chances de conforter trois lourds préjugés que subissent les responsables politiques. Le premier s’exprime simplement : « Les hommes politiques sont malhonnêtes ». Le mythe d’une classe gouvernante qui se remplit les poches avec l’argent public reste très vivace. De ce point de vue, l’opinion a toujours eu du mal à distinguer entre la corruption visant un enrichissement personnel et celle qui a seulement pour but de financer les activités politiques. Force est cependant de reconnaître qu’au fil des ans ce dernier type de délinquance est devenu de moins en moins excusable.
En 1995, date charnière pour les affaires reprochées à Alain Juppé, la France en était à sa quatrième loi de financement des partis politiques. Le cadre juridique existant leur permettait d’agir efficacement en toute légalité. Et chaque dirigeant se devait de veiller à son respect. C’est dire si la défense du président de l’UMP fut peu convaincante et sa condamnation, le 30 janvier par le tribunal correctionnel de Nanterre, peu surprenante. Quelque soient les suites judiciaires de cette affaire, ce jugement conservera une forte charge symbolique.
Deuxième préjugé : « Les hommes politiques sont au-dessus des lois ». Dans un pays d’héritage monarchique et féodal comme la France, l’idée que les dirigeants doivent respecter les mêmes règles que l’ensemble de leurs concitoyens reste controversée. La manière dont une fraction notable de la classe politique a réagi à la condamnation d’Alain Juppé est révélatrice d’un étrange mode de pensée. Comme si la raison politique devait, au final, l’emporter sur la règle juridique.
La législation prévoit une peine d’inéligibilité pour les délits reprochés au président de l’UMP. Quel est alors le sens des déclarations de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin proclamant que la France aurait impérativement « besoin » d’Alain Juppé ? De même, comment l’opinion peut-elle comprendre que le président de la République et le Premier ministre se portent garant de l’honnêteté d’un homme qui vient d’être condamné par la justice de son pays ? Elle sera inévitablement tentée d’y voir la marque d’une réaction de caste qui refuse que les responsables politiques soient sanctionnés à l’égal des autres justiciables. Or toutes les enquêtes montrent que si les Français ont un reproche à adresser aux juges, c’est celui de ne pas être assez sévères, notamment dans les affaires politico-financières.
 Troisième préjugé : « Les hommes politiques ne tiennent pas parole ». Alain Juppé avait annoncé, non sans solennité, qu’il se retirerait de la vie publique s’il était condamné à une peine « infamante ». Après que celle-ci l’a frappé, le président de l’UMP a toutefois « évolué » pour des raisons au moins autant politiques que personnelles. Ce revirement risque fort d’être source d’incompréhension dans l’opinion. En France, il est vrai, la décision de mettre un terme à une carrière politique demeure du domaine de l’exception. Le camp de ceux qui ont choisi de s’extraire du jeu – comme Lionel Jospin, François Léotard ou Philippe Séguin – reste peu fourni.
Alain Juppé a certes laissé présager un effacement en cas de condamnation en appel. Un sondage réalisé à chaud par l’Ifop pour Le Figaro indique que sa prestation télévisée sur TF1 du 3 février a été plutôt bien perçue. Mais cette réussite médiatique ne suffira pas à réparer les dégâts de cette affaire. Ses conséquences sur le scrutin régional des 21 et 28 mars se feront immanquablement sentir. D’autant plus que le climat s’était alourdi avant même ces péripéties. Selon une enquête Sofres/LCI/RTL/Le Monde, 66% des personnes interrogées avaient l’intention de « profiter de cette élection pour manifester leur mécontentement ». Et ce ne sont pas les considérations locales qui vont empêcher la fièvre protestataire de se répandre. D’après un sondage CSA-France 3-France Info, 65% des électeurs estimaient qu’un changement de couleur politique de leur région n’aurait pas de conséquences importantes sur leur vie quotidienne. L’UMP devrait être la principale victime d’un discrédit de la classe politique qui n’épargnera pas forcément le PS. Une fois de plus, le fossé entre dirigeants et dirigés menace de s’élargir pour le plus grand bénéfice des extrémismes.



Paru dans « les Echos » du 20 février 2004

Elections régionales mais vote national

 A un mois du premier tour du scrutin régional, le paysage électoral se dessine plus nettement. Les enquêtes d’opinion fournissent d’utiles enseignements bien qu’elles n’encombrent guère cette campagne. N’ayant pas oublié les désagréables surprises de la dernière compétition présidentielle, les médias se montrent peu friands de sondages. Du reste, ceux-ci sont plus délicats à réaliser en cas de joutes régionales. Rares sont ainsi les enquêtes qui se risquent à évaluer les rapports de forces sur le terrain.
 C’est surtout le climat national qu’éclairent les coups de sonde. Cela tombe bien car tout indique que le scrutin des 21 et 28 mars ne sera pas surdéterminé par des considérations locales. Selon TNS-Sofres (1), 55% des électeurs voteront « en fonction des problèmes nationaux ». Pour Ipsos (2), ce sont 57% des sondés qui affirment vouloir d’abord tenir compte « de la situation politique au niveau national ». La Sofres nous apprend d’ailleurs que moins d’un tiers des citoyens connaissent le nom de leur président de région.
Une fois de plus, bien au-delà de son enjeu propre, le scrutin régional permettra aux Français d’envoyer un message de portée plus générale. Un message passif, tout d’abord. Toutes les enquêtes signalent un manque d’intérêt pour cette élection qui laisse présager un taux d’abstention élevé. Un message négatif, ensuite. L’élection qui s’annonce sera placée sous le signe de la protestation. D’après la Sofres, 63% des personnes interrogées souhaitent que « les électeurs profitent de cette élection pour manifester leur mécontentement ».
 La formation gouvernementale sera naturellement la première victime de ce lourd climat. Créditée de 26 à 30% des intentions de vote selon les trois instituts qui se livrent à cet exercice (3), l’UMP risque d’arriver au premier tour derrière les listes conduites par le PS. Avec 33 à 39,5%, la droite classique apparaît en fort recul par rapport aux législatives de 2002 (43,9% des suffrages exprimés). Elle pourrait même ne pas retrouver son score des régionales de 1998 (35,7%).
 Au sein de cette droite, il faut relever la performance honorable annoncée de l’UDF. La formation de François Bayrou est créditée nationalement de 7 à 9,5% des voix. Cela signifie qu’elle pourrait dépasser le seuil des 10% dans les trois-quarts des régions où elle présente des listes autonomes. Un résultat qui permettrait à l’UDF de s’affirmer comme le premier parti non extrémiste autonome par rapport à l’UMP et au PS. La présence d’une offre électorale contestataire au sein même de la droite l’aidera sans doute à limiter les dégâts.
 Si la droite est en difficulté, la gauche ne semble pas portée par une réelle dynamique. L’ensemble des listes proposées par le PS, le PCF et les Verts totalisent 35,5% à 37,5% des intentions de vote. Cela situe la gauche classique dans les eaux de ses performances aux régionales de 1998 (35,4%) et aux législatives de 2002 (37,2%). Alors que l’ancienne « gauche plurielle » part unie à la bataille dans de nombreuses régions et qu’elle s’efforce d’exploiter le vote-sanction contre le gouvernement Raffarin, son succès électoral n’apparaît pas acquis.
 Au sein de la gauche, le PS manifeste spectaculairement son hégémonie. Les listes qu’il anime raflent à elles seules de 30 à 32% des suffrages potentiels. Les Verts, qui ne concourent sous leurs couleurs que dans une petite moitié de régions, se contenteraient nationalement de 3 à 4%. Ce scrutin risque enfin d’acter le décès du PCF en tant que formation politique indépendante s’il se confirme que ses propres listes n’ont convaincu que 1,5 à 3% des électeurs.
 L’espace électoral du communisme est désormais occupé par l’extrême gauche. Créditée de 6 à 7,5% des intentions de vote, l’alliance LCR-LO progresserait nettement par rapport aux régionales de 1998 (4,4%) et aux législatives de 2002 (2,7%). Selon la Sofres, l’extrême gauche recueille 15% chez les ouvriers et les employés et 13% parmi les jeunes de 25 à 34 ans. Elle semble d’ailleurs recycler certains votes protestataires attirés par l’extrême droite. Pas moins de 29% des électeurs potentiels de l’extrême gauche disent envisager de voter pour le FN !
 Cette nouvelle concurrence explique peut-être que, pour le moment, le parti de Jean-Marie Le Pen ne franchit pas un nouveau palier en dépit d’un contexte extrêmement porteur. Avec 14 à 15,5% des intentions de vote, le FN ne gagne pas de terrain par rapport aux régionales de 1998 (15,3%) même s’il fait mieux qu’aux dernières législatives (11,2%). Il ne faut cependant pas oublier, comme les enquêtes Ipsos le montrent, que l’extrême droite réalise parfois une percée dans le dernier mois de la campagne. Si Jean-Marie Le Pen réussit à se présenter en victime après n’avoir pu se présenter en PACA, le Front national gagnera un nouvel argument de mobilisation de ses électeurs.

(1) Enquête réalisée les 10 et 11 février pour LCI, RTL et Le Monde.
(2) Enquête réalisée les 6 et 7 février pour Le Point.
(3) Ces chiffres prennent en compte une troisième enquête réalisée les 4 et 5 février par CSA pour France 3 et France Info.



Paru dans « les Echos » du 5 mars 2004

Vers un rééquilibrage régional

 Plus on est bas, plus il est facile de s’élever. La gauche ne dirige actuellement que huit des vingt-deux régions métropolitaines. Dans le contexte actuel de forte hostilité à l’égard de la droite gouvernante, elle doit logiquement renforcer ses positions. Même si le PS n’obtient pas de résultats mirobolants en voix au premier tour du scrutin, il devrait au final être le grand bénéficiaire d’un probable vote sanction. En multipliant les triangulaires, l’audience du Front national lui permettra de décrocher plusieurs présidences de conseils régionaux. Il est vrai qu’en 1998 la droite n’avait conservé certaines régions qu’en passant alliance, plus ou moins ouvertement, avec l’extrême droite.
 Ce fut notamment le cas en Languedoc-Roussillon, l’une des régions les plus menacées par la gauche. Celle-ci y est historiquement dominante : 43,4% aux régionales de 1998 contre seulement 31,7% pour la droite. Mais, cette fois-ci, Jacques Blanc (UMP) aura fort à faire face à l’impétueux maire de Montpellier, Georges Frêche (PS), qui a su rassembler derrière lui écologistes et communistes et s’assurer jusqu’au soutien de José Bové. Une enquête CSA (1) attribue à la liste de gauche une avance sensible (44%) sur celle de droite (40%) lors d’un second tour triangulaire avec le FN (16%).
 Un autre président de région ayant naguère bénéficié de la complaisance de l’extrême droite risque de passer la main. Usé et victime des divisions de la droite, Jacques Blanc (UMP) se trouve en position délicate face à une gauche unie derrière François Patriat (PS) en Bourgogne. En 1998, la gauche avait été privée de victoire par le jeu des alliances alors qu’elle avait légèrement devancé la droite en voix.
 La région de Jean-Pierre Raffarin peut également basculer à gauche si l’on en croît les enquêtes d’opinion. D’après un sondage Ipsos, les listes conduites par Ségolène Royal (PS) l’emporteraient au second tour sur celles d’Elisabeth Morin (UMP) avec 52% des voix (2). Et la gauche maintiendrait son avance de quatre points en cas de triangulaire. En Bretagne aussi, les socialistes sont à l’offensive. La situation s’annonce très ouverte d’après CSA (3) et Ipsos (4). Ces deux instituts s’accordent pour placer à égalité les listes de gauche et de droite en cas de duel au second tour et à accorder une avance de deux points à celles de Jean-Yves Le Drian (PS) dans l’hypothèse d’une triangulaire avec le FN.
 Les chances de succès de la gauche semblent plus minces en Rhône-Alpes malgré la très probable présence de l’extrême droite au tour décisif. Selon une enquête Ipsos (5), les listes unies de la droite conduites par Anne-Marie Comparini (UDF) remporteraient 45% des suffrages contre seulement 40% à celles de la gauche emmenées par Jean-Jack Queyranne (PS) et 15% au FN. Une enquête plus ancienne réalisée par TNS-Sofres (6) donnait la gauche et la droite à égalité à 43% en cas de triangulaire. En Picardie, c’est la division de la gauche qui risque de lui coûter la victoire. Le méconnu Claude Gewerc (PS) est concurrencé par l’obstiné Maxime Grémetz (PCF) alors que la droite est unie derrière Gilles de Robien (UDF). L’influence de l’extrême gauche peut également entraver les espoirs de conquête des socialistes. En Franche Compté, c’est une autre sorte de division de la gauche qui pourrait profiter à la droite. Ici s’affronteront au premier tour une alliance PS-Verts conduite par Raymond Forni (PS) et une alliance PCF-MRC emmenée par Jean-Pierre Chevènement (MRC).
 Malgré un climat national peu porteur, la droite est en position offensive dans plusieurs régions. C’est peut-être dans le Nord-Pas-de-Calais que son ambition est la plus fondée. Dans cette région durement frappée par les difficultés économiques, la gauche a spectaculairement perdu du terrain au cours de la dernière période. Socialistes, communistes et écologistes présentent leurs propres listes dans une totale désunion. Si l’extrême gauche recueille plus de 10% des suffrages au premier tour, une quadrangulaire opposant la droite, la gauche et leurs extrêmes respectifs s’annonce périlleuse pour le président sortant Daniel Percheron (PS). Son collègue de Provence-Côte d’Azur, Michel Vauzelle (PS), est lui aussi en position inconfortable. En recentrant le débat local, la non-candidature de Jean-Marie Le Pen peut favoriser Renaud Muselier (UMP). Le rapport des forces est très équilibré selon TNS-Sofres (7) : 39% pour la gauche, 38% pour la droite et 23% pour le FN. Une enquête plus récente de CSA (8) confirme l’ouverture du jeu : 39% pour Muselier comme pour Vauzelle et 22% pour Guy Macary (FN).
 En Ile-de-France, les tiraillements internes à la droite favorisent la gauche. Jean-François Copé (UMP) et André Santini (UDF) seraient au coude à coude selon Ipsos (9). Au second tour, en cas de duel, Santini l’emporterait sur Jean-Paul Huchon (PS) tandis que Copé ferait jeu égal avec le président de gauche sortant. Dans l’hypothèse où le FN participerait au tour décisif, Santini permettrait la victoire de la droite et Copé sa défaite. Le premier tour sera également lourd de conséquences en Aquitaine où François Bayrou (UDF) et Xavier Darcos (UMP) sont donnés à égalité par Ipsos. La gauche espère profiter de cet affrontement tant il est vrai, ici comme ailleurs, que la capacité à être plus uni que le camp adverse constitue un avantage électoral avéré.

(1) Enquête réalisée pour Marianne les 23 et 24 février.
(2) Enquête réalisée pour Le Point le 23 février.
(3) Enquête réalisée pour Marianne les 16 et 17 février.
(4) Enquête réalisée pour Le Point le 23 février.
(5) Enquête réalisée pour Le Figaro et LCI le 1er mars.
(6) Enquête réalisée pour Le Figaro Magazine du 7 au 10 novembre 2003.
(7) Enquête réalisée pour L’Humanité Hebdo les 6 et 7 février.
(8) Enquête réalisée pour TMC les 25 et 26 février.
(9) Enquête réalisée pour Le Figaro et LCI les 16 et 17 février.



Paru dans « les Echos » du 12 mars 2004

Cantonales, le scrutin caché

 C’est l’effet pervers du regroupement de scrutins différents. Désormais, les élections cantonales se déroulent simultanément tantôt avec les municipales, tantôt avec les régionales. L’objectif fut de tirer à la hausse la participation grâce à une économie de déplacement des électeurs. Le résultat a été de faire sombrer dans l’oubli médiatique les batailles cantonales. Une conséquence fâcheuse si l’on songe que la décentralisation à la française attribue d’importantes compétences aux départements. La maîtrise d’un conseil général constitue toujours, pour les partis, un enjeu majeur de pouvoir local.
 Les états-majors, eux, n’oublient pas les cantonales. A droite, on espère ouvertement qu’elles lui offriront une sorte de scrutin de consolation. Le camp gouvernemental s’attend à perdre des régions mais à gagner des départements. On assisterait alors à une situation symétrique de celle qui prévalait en 1998 : la gauche au pouvoir avait cédé cinq régions à la droite, mais lui avait ravi onze départements. Cette contradiction de tendance s’explique, en partie, par la conjoncture très particulière de ce second tour des cantonales. Il y a six ans, nombre d’électeurs sanctionnèrent la droite coupable d’avoir, dans plusieurs régions, cédé à la tentation d’alliances avec le Front national pour décrocher la présidence.
 Jean-Claude Gaudin, sénateur-maire de Marseille, estime que ces tractations ont « fait perdre 400 cantons » à la droite et qu’elle devrait cette fois-ci « en récupérer plus de la moitié ». Dans les cercles gouvernementaux, on envisage plutôt le gain d’une centaine de sièges. Et on considère que six départements pourraient basculer de gauche à droite : l’Eure, le Finistère, l’Isère, la Meurthe-et-Moselle, le Vaucluse et l’Essonne. A l’exception de ce dernier, tous avaient élu leur président en 2001 avec deux voix ou moins de majorité. Inversement, la droite craint de perdre l’Aisne ou la Drôme. Au total, son solde serait toutefois largement positif.
 Ce scénario n’emporte pas la conviction de tous les experts. On peut lui opposer que la conjoncture actuelle est également singulière. L’impopularité gouvernementale est telle que l’hypothèse d’un découplage entre régionales et cantonales est des plus fragile. Si les visiteurs d’isoloirs choisissent le vote-sanction, cette vague ne s’arrêtera pas à l’un des deux scrutins. Même si elles sont lestées par des considérations locales, particulièrement en zone rurale, les élections cantonales servent parfois de défouloir politique. Les socialistes en savent quelque chose. En 1985 comme en 1992, ils furent durement sanctionnés dans les urnes sur fond de rejet de la politique qu’ils menaient. Les hasards du calendrier électoral ont épargné à la droite, dans les dernières décennies, pareilles mésaventures. C’est peut-être ce qui explique son excessive confiance.
 Le renouvellement cantonal de 2004 pourrait finalement se traduire par une nouvelle poussée de la gauche dans les départements. Celle-ci avait arrondi de six unités le nombre de conseils généraux qu’elle gère en 2001. Mais elle ne dirige toujours qu’environ le tiers de ces collectivités locales (36 contre 63 à la droite). L’opposition conserve des marges de progression. Elle pourrait, en cas de politisation nationale du scrutin, emporter des départements comme la Côte d’Or, la Drôme, l’Ille-et-Vilaine ou la Saône-et-Loire.
 A un autre niveau, les élections cantonales constitueront de précieux tests pour l’influence de certaines forces politiques. Alliés aux socialistes dés le premier tour dans la majorité des régions, les communistes manifestent plus d’indépendance dans un scrutin qui leur est traditionnellement plutôt favorable. Lors des deux dernier renouvellements cantonaux, le score du PCF au premier tour était de l’ordre de 10% des suffrages exprimés. Le parti de Marie-George Buffet parviendra-t-il à conserver cette audience ? On observera particulièrement sa résistance dans les deux fiefs qui lui restent, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. Pour la première fois, le PCF sera d’ailleurs très souvent en situation de concurrence avec l’extrême gauche présente dans les trois-quarts des cantons.
 Le score cantonal du Front national sera également à surveiller. En 1998, elle avait obtenu 13,7% des voix. Affaiblie par la scission de Bruno Mégret, elle s’était tassée à 9,9% en 2001. Un rebond est prévisible. Soulignons enfin que, pour la première fois, le deuxième tour des cantonales se déroulera parallèlement à celui des régionales (qui se jouaient précédemment à un seul tour). Comment se comporteront les électeurs du FN dans les nombreuses régions où ils pourront voter pour leurs propres candidats au tour décisif des régionales mais pas aux cantonales ?



Paru dans « les Echos » du 19 mars 2004

La sanction du suffrage universel

    Vote-sanction. C’est incontestablement l’expression vedette de la campagne régionale qui s’achève. Les oppositions ont ostensiblement appelé l’électorat à se saisir de ce scrutin pour affaiblir le pouvoir en place. Sur la défensive, celui-ci en a été finalement réduit à dénoncer, par la voix de Jean-Pierre Raffarin, le passéisme d’un « vote négatif ». Régionaliste fervent, l’ancien patron de Poitou-Charente est d’une totale sincérité lorsqu’il déplore la politisation nationale du scrutin des 21 et 28 mars. Tout annonce pourtant que cette élection intermédiaire, située presque à mi-chemin des quinquennats présidentiel et législatif, sera placée sous le signe de la protestation.
 Ce ne sont pas moins de 70% des Français qui, selon la dernière enquête TNS-Sofres (1), entendent utiliser ce rendez-vous démocratique pour « manifester leur mécontentement ». Seulement 18% veulent soutenir « le gouvernement actuel » alors qu’ils étaient 36% avant les régionales de 1998. On retrouve aujourd’hui un niveau de rogne anti-gouvernementale analogue à celui qui prévalait pendant la campagne des régionales de 1992. La gauche au pouvoir avait alors été massivement désavouée par le corps électoral, ne réussissant à sauver que trois régions métropolitaines.
 Affaires-contestations-attentats : le climat de cette campagne régionale aura été marqué par cette lourde trilogie. Début février, la spectaculaire condamnation d’Alain Juppé a d’abord réactivé la relation de méfiance entre élus et électeurs. Au cours des dernières semaines, le cortège des protestations sociales n’a cessé d’occuper la chronique. Des buralistes aux chercheurs, les catégories les plus variées ont exprimé leurs doléances – avec, au demeurant, un succès inégal auprès des pouvoirs publics. Enfin, les dramatiques attentats de Madrid ont ajouté une charge émotionnelle à l’état d’esprit public. Ni Jean-Pierre Raffarin ni François Hollande n’ont résisté à la tentation d’essayer d’en tirer profit, le premier en s’affirmant « en situation d’autorité » face au terrorisme, le second en appelant à une « grande manifestation civique » dimanche. Rien n’assure toutefois que cet événement modifiera les équilibres droite-gauche. Remarquons simplement que toutes les composantes de ce climat politique peuvent être exploitées par l’extrême droite.
 Le taux de participation aura une influence majeure sur les résultats, selon que les protestataires se rendront aux urnes ou les bouderont. Toutes les enquêtes montrent que le degré d’intérêt pour ce scrutin est faible et qu’il n’a pas sensiblement progressé au cours de la campagne. L’enjeu régional ne passionne pas les foules et la tendance de fond de la période est à l’augmentation de l’abstention. Plusieurs facteurs pourraient cependant jouer dans l’autre sens. La simplification du vote par procuration et le couplage avec les élections cantonales, plus attractives en zone rurale, devraient tirer vers le haut la participation. Surtout, l’hostilité à l’égard du pouvoir stimule souvent le vote. En 1992, le taux d’abstention n’était que de 31,4% alors qu’il s’est élevé à 42,3% en 1998.
 Les instituts de sondages ont le plus grand mal à évaluer le niveau de participation probable. Leur mesure des rapports de forces au cours de cette campagne laisse une impression mitigée. L’examen de la douzaine d’enquêtes d’intentions de vote réalisées au niveau national par CSA, Ipsos et TNS-Sofres ne met pas en évidence de vraie dynamique de campagne. Dans le détail, les instituts semblent même se contredire parfois.
 La Sofres annonce ainsi une progression du Front national (de 14% en janvier à 16,5% aujourd’hui) qui n’est observée ni par CSA (16%) ni par Ipsos (14%). Les indications des sondeurs (2) sont plus convergentes en ce qui concerne l’extrême gauche estimée entre 5,5 et 7% et fragilisée par des intentions de vote plutôt incertaines. Les listes autonomes de l’UDF sont créditées de 8,5 à 9% des suffrages nationaux avec une légère tendance à l’érosion. Les instituts s’entendent encore pour situer très bas les listes autonomes des Verts (2,5% à 3%) et du PCF (2 à 3%).
 Mais la balance entre droite et gauche classiques fait l’objet d’appréciations très différentes. La Sofres conclut à une nette avance de la gauche (39,5% des intentions de vote contre 34,5%) qui se serait creusée au cours de la campagne. Pour sa part, Ipsos anticipe un équilibre (37,5% contre 37%), même si cet institut a lui aussi noté une progression de la gauche lors des derniers mois. Enfin, CSA donne la droite en tête (38% contre 35,5%) et n’a pas perçu de dynamique en faveur de l’opposition. Au-delà des difficultés méthodologiques (estimation des petites listes), ces divergences renvoient peut-être à certaines ambivalences du corps électoral. La dernière enquête Ipsos montre que seulement 38% des Français souhaiteraient « la victoire de la gauche » dans leur région. Le vote-sanction ne saurait être confondu avec un vote de confiance pour l’opposition.

(1) Enquête réalisée les 10 et 11 mars pour RTL, LCI et Le Monde.
(2) Ces fourchettes prennent également en compte l’enquête CSA réalisée du 16 au 18 mars pour La Tribune ainsi que l’enquête Ipsos réalisée les 12 et 13 mars pour Le Point.



Paru dans « les Echos » du 26 mars 2004

La roue tourne

 La grande roue de l’alternance s’ébranle à nouveau. Au stade actuel, elle ne concerne que l’échelon régional. L’éclatant revers subi par la droite dimanche dernier laisse présager un retournement complet de situation. Au soir du second tour, la majorité gouvernementale risque de ne conserver qu’un tiers des régions métropolitaines. Le scrutin de ballottage est favorable à la gauche dans sept régions dirigées par la droite (Bretagne, Bourgogne, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, Picardie, Poitou-Charentes, Rhône-Alpes) tandis qu’aucune de ses présidences n’est fortement menacée.
 Le vent d’hostilité à la droite gouvernante qui a soufflé le 21 mars est si fort qu’un retournement de tendance au second tour est très peu probable. En pareilles circonstances, la règle générale est plutôt celle d’une amplification. C’est ce que suggèrent les enquêtes d’intentions de vote réalisées entre les deux tours. En Aquitaine comme en Ile-de-France, en passant par le Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte-d’Azur ou Rhône-Alpes, la gauche est largement donnée gagnante avec, partout, un score supérieur au total des voix de gauche et d’extrême gauche du premier tour. En Ile-de-France, une fraction notable de l’électorat UDF n’entend pas se reporter sur la liste conduite par le porte-parole du gouvernement. Dans la plupart des régions où l’extrême droite reste en piste, seule une minorité d’électeurs du FN envisagent de courir au secours de la droite.
 Au second tour de ces régionales, comme au premier, la gauche est plus unie que la droite. L’opposition n’a pas réussi à rassembler ses forces dans seulement deux régions alors que la majorité reste divisée dans quatre d’entre elles. Cette asymétrie est plus frappante encore au plan politique. Revigorées, les composantes de l’ancienne « gauche plurielle » se retrouvent dans de chaleureux banquets unitaires. A l’inverse, les rivalités de personnes et les antagonismes stratégiques minent la droite. Les « nouvelles ambitions » de Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Debré s’opposent à l’humanité dans la continuité promise par Jean-Pierre Raffarin.
 Au-delà de ses conséquences immédiates, le paysage politique dessiné par ce scrutin régional s’annonce prometteur pour la gauche en général et le PS en particulier. Si la sanction du gouvernement Raffarin était prévisible, il était moins évident que ce vote protestataire profite autant aux socialistes. Il faut sans doute ici prendre en compte l’utilitarisme d’un électorat désabusé mais calculateur. Après tout, le bulletin de vote PS était celui qui gênait le plus l’UMP. Il a été utilisé par nombre d’électeurs soucieux d’affaiblir un pouvoir considéré comme injuste et menaçant pour les acquis sociaux. Le vote socialiste est aussi un vote de protection pour un électorat populaire se vivant en légitime défense. L’argument, développé par certains dirigeants de l’UMP, selon lequel les Français auraient manifesté leur « impatience » face à un rythme de réformes jugé trop lent n’est pas d’une efficacité électorale frappante.
 Les retrouvailles entre la gauche et une fraction des milieux populaires sont un enseignement majeur : 50% des employés et 49% des ouvriers ont voté à gauche le 21 mars selon TNS-Sofres (1). Dans ces catégories salariées, le PS a effectué un spectaculaire rétablissement au point de redoubler, selon certaines enquêtes, le FN en milieu ouvrier. La droite parlementaire demeure d’une extrême faiblesse dans le salariat d’exécution – un handicap électoral structurel pour elle. Elle est écrasée par la gauche parlementaire dans la tranche la plus basse de revenus (28% contre 41%), chez les non-diplômés (28% contre 35%) ou encore les chômeurs (26% contre 52%). L’étroitesse sociologique de la droite, coincée entre un FN qui conserve une solide assise ouvrière et une gauche de nouveau influente chez les salariés, tout particulièrement du secteur public, s’est aggravée.
 La gauche a également marqué de précieux points dans l’électeur jeune. Celui-ci s’est exceptionnellement mobilisé dimanche dernier. La volonté d’empêcher la réédition du 21 avril 2002 a conduit beaucoup de jeunes à un « vote utile » en faveur de la gauche parlementaire. Celle-ci obtient son meilleur score (48% selon TNS-Sofres) chez les 18-24 ans.
 La nouvelle configuration partisane est un troisième facteur qui joue en faveur de la gauche. La contre-performance de l’extrême gauche lui ôte une épine du pied tandis que l’enracinement du Front national, même si celui-ci ne progresse plus, reste un boulet pour la droite. En outre, le PS a retrouvé dimanche des alliés moins inquiets pour leur propre avenir. Le PCF est toujours sur le déclin, comme en témoignent ses résultats cantonaux, mais il n’a pas disparu de la scène électorale. Les Verts ont, eux aussi, vu l’électorat valider une stratégie à géométrie variable. Tout ceci ne garantit pas un avenir radieux à la gauche mais annonce sans doute de gros soucis pour la droite.

(1) Enquête TNS-Sofres effectuée pour Le Monde, RTL et LCI les 22 et 23 mars.



Paru dans « les Echos » du 2 avril 2004

La bataille de l'interprétation électorale

 La bataille électorale n’est pas terminée au moment où le dernier bulletin de vote tombe au fond des urnes. Les résultats du scrutin sont une chose, leur interprétation politique en est une autre. C’est là un enjeu décisif : la leçon que les acteurs retiennent du verdict électoral détermine largement leurs stratégies futures. Pour ce qui est des régionales et cantonales de mars 2004, cette analyse est apparemment limpide. On sait pertinemment qui a gagné et qui a perdu. La gauche a pris à la droite douze régions et dix départements. Elle a réussi l’exploit de recueillir, au tour décisif, la majorité absolue des suffrages. Mais les raisons du raz-de-marée oppositionnel, encore accentué au second tour, sont plus complexes.
 Comment expliquer l’imprévue violence de cette protestation électorale dont la gauche a été la grande bénéficiaire ? Deux thèses contradictoires, mais finalement assez jumelles, ont pu être avancées. L’une est celle du conservatisme foncier des Français qui rendrait le pays décidément irréformable. L’ancien ministre de l’Economie, Francis Mer, en a donné une illustration caricaturale en accusant ses compatriotes, dans l’entre-deux tours, d’avoir pour fâcheuse habitude de s’enfouir « la tête dans le sable ». Le vote des 21 et 28 mars a certes une dimension conservatrice. Selon une enquête CSA (1) réalisée au soir du second tour, 67% des électeurs de gauche souhaitaient que le gouvernement « renonce aux réformes annoncées ». On note cependant que, d’après ce même sondage, une courte majorité de Français se déclaraient en faveur d’une poursuite de l’action réformatrice. Par ailleurs, si le solde de popularité de Jean-Pierre Raffarin est devenu négatif au printemps 2003, en pleine réforme des retraites, il est notable que sa cote de confiance a baissé presque régulièrement depuis l’été 2002.
 Une autre thèse n’est guère plus respectueuse des réalités. C’est celle qui voudrait que les électeurs aient sanctionné la politique « ultra-libérale » du pouvoir. Or la principale réforme accomplie, celle des retraites, ne s’inscrit nullement dans l’extrémisme idéologique. En fait, la droite semble moins avoir payé son action passée que le flou de ses intentions. L’appel incessant à la « réforme », toujours indexé sur les nécessités de l’ordre mondial et économique et jamais présenté en termes de choix sociaux, a des effets anxiogènes sur de larges fractions de la population. Les projets gouvernementaux inquiètent d’autant plus que l’on se sent en position de fragilité sociale, qu’il s’agisse de la menace du chômage, du sous-emploi ou de la précarité. A cet égard, la crainte d’une remise en cause des contrats à durée indéterminée a sans doute eu un impact démultiplié par l’annonce d’une dégradation du régime d’indemnisation des chômeurs.
 La vérité des scrutins de mars est plus sociale que politique. La France n’est pas passée de la tentation fascisante en 2002 à la conversion socialiste en 2004. Le surcroît de participation des derniers dimanches risque également de prêter à contre-sens. Il s’agit moins d’une renaissance civique que des effets d’une politisation négative habituelle dans les périodes où l’électorat utilise les élections intermédiaires pour protester. Au fond, les régionales de 2004 ne contredisent pas aussi radicalement qu’on pourrait le croire les présidentielles de 2002. Le discrédit des gouvernants et l’état d’angoisse sociale qui ont produit le 21 avril n’ont pas disparu. Ils se sont simplement manifestés d’une manière extrêmement différente.
 D’où un paysage politique nouveau qui pose de redoutables défis à la droite comme à la gauche. Le troisième gouvernement Raffarin aura à traiter la décisive question sociale. Il lui faudra trouver une cohérence entre le pilotage économique et l’ajustement social de son action. Le danger existe d’un grand écart entre le libéral Nicolas Sarkozy, encouragé d’un « vas-y mon gaillard » par le Medef, et le sociétal Jean-Louis Borloo qui peut légitimement craindre de servir de « caution sociale » au gouvernement.
 La gauche, pour sa part, est confrontée à un dilemme d’ordre stratégique. Va-t-elle continuer à se faire le porte-voix de toutes les contestations ou commencera-t-elle à dessiner les grands traits d’une politique alternative ? Brutalement dit, sera-t-elle plus attentive à la rue ou aux dossiers ? La facilité consisterait à se poser en gauche du moratoire des réformes au lieu d’imaginer un progressisme rénové. Mais les socialistes devraient songer que l’élection européenne se déroulera selon des règles différentes. Chacun allant à la bataille sous ses propres couleurs, le PS sera moins qu’hier le réceptacle naturel de toutes les protestations.

(1) Enquête CSA réalisée le 28 mars pour France 3, Radio France et Le Nouvel Observateur.



La suite de cette chronique consacrée aux élections européennes de 2004

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