17 juillet 2002
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Langue bretonne
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DIWAN : aux Bretons de décider
Après 25 ans de progression dans un contexte politico-administratif globalement
hostile, Diwan, l’œuvre exemplaire de plusieurs générations de militant dévoués,
est gravement menacé dans sa capacité à répondre aux nouvelles sollicitations
des familles, voire à maintenir certains de ses établissements scolaires existants.
C’est dramatique pour la langue bretonne, élément fondamental
de l’identité de la Bretagne. Mais c’est dramatique aussi pour
le pluralisme, valeur humaniste s’il en est. Beaucoup l’ignorent
mais les écoles élémentaires Diwan furent les premières en Bretagne
à introduire un enseignement de l’anglais et en anglais (car les écoles
Diwan sont plus que des écoles bilingues), délivré qui plus est par
des anglophones de naissance. Et le lycée Diwan fut aussi le premier
en Bretagne à proposer un enseignement optionnel de langue arabe populaire,
délivré lui aussi par une arabophone de naissance. On le voit, Diwan,
qui accueille des enfants de toutes origines, est un exemple d’ouverture
sur le monde qui n’a aucune leçon de modernité ou de tolérance à recevoir,
surtout pas de ceux pour qui le territoire de l’universalité s’arrête aux
frontières des arrondissements parisiens dits " branchés ".
Diwan est menacé donc. La faute au Conseil d’Etat ? Trop commode ! Non,
la faute en incombe entièrement à ce régime politique archaïque,
aux relents post-colonialistes, qui s’obstine à réduire la langue
bretonne, comme les autres langues régionales ou minoritaires,
à un résidu vulgaire de folklore, un divertissement de comice agricole.
Cette attitude, disons-le franchement, pue le racisme.
O certes pas un racisme fondé sur la couleur de peau, non, mais un
racisme fondé sur la culture et la langue. Car
depuis Barrère et l’abbé Grégoire, le jacobin est cet individu,
au cortex indéchiffrable pour nos voisins européens, qui est disposé
à voir en l’Autre son égal dès lors que cet Autre abandonne son
altérité pour revêtir l’habit du jacobin. C’est ainsi que
Jules Ferry put être à la fois le père de l’Instruction publique laïque,
gratuite et obligatoire et le grand inspirateur des régimes coloniaux
français en Afrique et en Extrême-Orient. Et c’est ainsi que l’Etat
français jacobin a produit des dizaines de millions de Français acculturés
qui ne supportent pas que leurs
voisins d’immeuble maliens ou marocains continuent de vivre leur
culture populaire. La France a tué ses cultures populaires, et
c’est dramatique pour la démocratie.
Tirer à boulets rouges sur le Conseil d’Etat comme le font certains
politiques aujourd’hui est une hypocrisie insupportable. La position du
Conseil d’Etat n’est que la conséquence, révoltante certes mais
logique, d’une situation juridique voulue non par des juges mais
par le Pouvoir politique. Car, faut-il le rappeler ? – si les
juges disent le droit, ce sont les politiques qui l’écrivent.
C’est le Pouvoir politique qui modifie ou refuse de modifier tel
ou tel article de la Constitution. C’est le Pouvoir politique qui
rédige, vote les lois et promulgue les décrets.
Au titre de ce Pouvoir politique, le bétonneur en chef de ce mur
d’intolérance qui vient de se dresser sur le chemin de Diwan s’appelle
Jacques Chirac. C’est lui qui, après son fameux coup d’esbroufe de
Quimper (Ah ! que cet homme-là est sympathique à table ! quel joyeux
compagnon de bombance!), c’est lui donc qui s’est dressé droit sur ses
ergots pour s’opposer au projet de loi constitutionnelle qui devait
permettre à la France de ratifier la Charte du Conseil de l’Europe
– une organisation interétatique ! – sur les langues régionales ou minoritaires.
Une Charte européenne dont les principes d’action sont appliqués et
souvent surpassés depuis des lustres dans des Etats comme l’Espagne
(cf. la Catalogne, le Pays basque et la Galice) ou la Grande-Bretagne
(cf. le Pays de Galles et l’Ecosse).
Le Parti socialiste a lui aussi sa part de responsabilité, et non des
moindres, car le groupe socialiste à l’Assemblée nationale avait la
faculté d’introduire une proposition de loi constitutionnelle pour
contourner le veto présidentiel. La majorité de droite du Sénat
s’y serait peut-être opposée mais la question des langues régionales
ou minoritaires et de leur place dans la République française aurait
au moins mérité un véritable débat public, le premier. Les députés
socialistes ne l’ont pas voulu.
Aujourd’hui seuls importent d’abord le sort des 2.800 élèves attendus
à la rentrée et des 250 personnels de Diwan, ensuite l’avenir d’un
enseignement par immersion qui répond à une demande croissante des
familles en Bretagne et représente sans aucun doute possible la dernière
chance de survie de la langue bretonne comme langue vivante en Bretagne,
c'est-à-dire comme langue d’un peuple.
En tant que parti politique l’UDB s’est refusée d’intervenir dans les débats
internes à Diwan sur la question de la pertinence et des modalités d'une
intégration à l’Education nationale. Respectant les procédures décisionnelles
de Diwan, l’UDB s’est abstenue de toute ingérence, qu’elle soit publique
ou en sous-main. D’autres n’ont pas eu la même retenue. L’UDB ne changera
pas de ligne de conduite mais elle tient à exprimer sa plus vive préoccupation
quant aux risques de division parmi les soutiens les plus fidèles de Diwan
qu’induirait une soumission aux logiques de pouvoir et d’affrontement des
appareils politiques parisiens.
La suspension du processus d’intégration à l’Education nationale pour une
période d’au moins 18 mois commande à l’évidence d’explorer activement une
autre voie, à savoir le transfert de compétence pleine et entière à la Région
Bretagne et au conseil général de Loire-Atlantique pour l’enseignement par
immersion de la langue bretonne. Sur la base du discours de politique générale
que le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a prononcé devant les deux chambres,
ce transfert de compétence devrait pouvoir s’obtenir dans un délai de quelques
mois, soit par décret gouvernemental dans le cadre de ce que Jean-Pierre
Raffarin a appelé une " expérimentation-dérogation ", soit à la suite
d’une consultation des citoyens des cinq départements de la Bretagne
historique par voie de référendum.
Si le Premier ministre choisissait de s’opposer à ce transfert de compétence,
c’est la crédibilité même de ses projets de régionalisation qui serait réduite
à néant. Quant aux élus de la Bretagne, s’ils devaient refuser de porter cette
revendication auprès du Premier ministre, ils prendraient la responsabilité
historique de laisser dépérir Diwan.
Christian GUYONVARC’H
Porte-parole