LA PROTECTION DES MINORITÉS "DISPERSÉES" EN REPUBLIQUE FEDERALE DE YOUGOSLAVIE: LE DROIT EN VIGUEUR, LA PRATIQUE, LES PERSPECTIVES
Avant d’entrer dans le vif du sujet qu’on va exposer dans cet article, il semble utile de dire au préalable quelques mots sur la situation generale des minorites (nationales, éthnique, etc.) dans les sociétés "postcommuhnistes", de l’atmosphère politique qui les entoure en tant que des "entités différentes" de la majorité de la population et, finalement, de cet envitonnement juridique qui caractèrise ces sociétés en "transition" et au sein duquel il faut échafauder et mettre en oeuvre le systeme de protection des minorités. Cette mise au point serait valable - me semble-t-il au moins - non seulement pour la RF de Yougoslavie (Serbie et Monténegro), mais également pour l’ensemble de l’ex-Yougoslavie, voire même pour tous les anciens pays communistes. l) L’atmosphère politique tout d’abord. Sur un point il ne faut pas s’y méprendre: si le système totalitaire ait volé en eclats dans l’Europe centrale et orientale, la pensée totalitaire, cet ésprit outrancier qui pendant un demi-siècle marqua comme un sceau la mentalité des gens, y est toujours présente. En effet, si toute l’idéologie marxiste, avec son "internationalisme" et la primauté de la "classe ouvriere", ait été radicalement reniée, l’ idée directrice est maintenant le nationalisme non moins radical et le nouvel "avenir radieus" c est l’Etat-nation, si possible "éthniquement pur". Or, tout ce qui gêne l’"unité nationale", dérange le tableau idéal de la "collectivité du sang" qui est le peuple majoritaire, est - par la nature des choses - difficilement acceptable, à ne pas dire suspect. Une minorité nationale, éthnique, réligieuse ou autre et qui, par surcroît, reclame son droit a la "différence", l’est d’autant plus. Et cela surtout si dans un Etat voisin réside la majorité du peuple auquel appartient la minorité, cet Etat étant le Kin-State et l’Etat-nation de la minorité en question. En bref, même si les gouvernants en Europe de l’Est comprennent et réalisent que tout de meme certains droits - vu les standards internationaux et, surtout, la pression politique de la communauté internationale - doivent être accordés aux minorités, le "coeur n’y est pas" pour le dire d’une manière populaire, autrement dit on ne le fait qu’à compte goutes pour ce qui est du droit et quant à la mise en oeuvre reticenses et subterfuges sont souvent à l’ordre du jour. Pour conclure, l’atmosphère politique dans cette partie du monde, en RF de Yougoslavie notamment, n’est pas propice à la protection et encore moins à la promotion des droits des minorités. Quant au droit il correspond à cette atmosphere et en est le résultat. 2) Mais qu’est-ce-que, au fond, représente le droit dans les pays autrefois communistes? Pour le moins qu’on puisse dire c’est que le droit, en tant que tel, représente une notion plus que relative. De même que la démocratie et le parlamentarisme. Pour les gens vivant dans les sociétés occidentales où le Rule of Law est une des bases de fonctionnement de la société, une telle constatation est difficilement compréhensible. Une explication est done nécessaire. Dans le regime totalitaire où l’Etat est gouverné par le parti unique le parlement, les éléctions, le droit et tous les autres éléments inhérents à une "société normale" sans doute existent, mais ne sont que des apparences. Le pouvoir réel est concentré entre les mains de la nomenklatura où, dans un cerele restreint, on décide souverainmenot de toutes les questions importantes concernant la vie de la société. Or, le droit, que cette même nomenklatura a imposé à la population, a une valeur tout à fait relative et cela pour deux raisons. D’une part, vu le fait que son intérprétation est sujette à ce qu’on désigne comme l’"intérêt de la société", qui change en fonetion de la politique momentanée du parti. Comme la séparation des pouvoirs n’est qu’une fiction et les magistrats en majorité membres de ce même parti, la mise en oeuvre du droit n’est autre chose que l’ expression de la volonté de la nomenklatura. D’autre part, et parlant la "langue de bois", quand une loi est "objectivement perimée" vu le "stade actuel du développement du socialisme" rien de plus facile que de l’abroger ou d’en changer le contenu. D’où la constatation avancée plus haut que le droit dans de telles sociétés n’a qu’ une valeur vraiment plus que relative. Et il en est de même pour ce qui est du parlemantarisme et de la démocratie en générale, étant donné que la société civile n’existe pas et que l’individu n’est pas consideré comme citoyen, mais plutôt comme sujet pratiquement sans aucun pouvoir réel à influencer la vie publique. Certes, les sociétés actuelles en Europe de l’Est ne sont plus totalitaires, mais elles demeurent passablement autoritaires. Une démocratisation a effectivement été effectuée, les éléctions parlementaires sont relativement honnêtes, un multipartisme fonctionne, le droit de parole existe plus ou moins et la presse jouit d’une certaine marge de liberté. Et pourtant ces sociétés sont encore loin d’être vraiment "démocratiques" dans le sens occidental du mot. La raison principale réside justement dans ce lourd héritage totalitaire qui pèse sur les ésprits de la population dans son ensemble et qui se reflète notamment dans la technique de fonctionnement du pouvoir. Il y aurait peut-etre lieu de s’ attarder au cours du débat d’une manière plus détaillée sur cette constatation (on pourrait citer manits exemples pour le justifier), mais elle me semble évidente. Dans de telles conditions le parti politique qui - grâce aux effets de suffrages - acquiert une majorité confortable au parlement, gouverne le pays pratiquement en maître absolu, en effectuant une mainmise sur l’ensemble des structures étatiques et les léviers économiques, y compris les médias éléctroniques, et en imposant une législation, voire même la constitution, susceptible d’assurer au gouvernants du moment une longévité exceptionnelle au pouvoir. l Si on ajoute à ceci que les anciennes élites politiques communistes, exerçant en maître un travestissement démocratique, influencent fortement la vie politique ou carrément detiennent le pouvoir - comme en RF de Yougoslavie,2 l’image est complète. Evidemment, toure généralisation est dangereuse et il y a sans doute des différences entre les regimes dans differents pays de l’ex-URSS et en Europe de l’Est, mais un fait est hors de doute: le processus de la "transition" s’ effectue partout avec une lenteur exaspérante et le problème d’une effective mise en oeuvre des droits de l’homme est constamment à l’ordre du jour. Or, sans la constitution d’une "société civile" et l’ Etat de droit, la transformation de l’individu du sujet en citoyen à part entiere avec une promotion et respect en bonne foi par les gouvernants des droits de l’homme et libertés fondamentales, la situation des minorités reste, en principe, précaire. Voyons maintenant la position en droit et pratiquement en RF de Yougoslavie.
Les minorités en RF de Yougoslavie et les conséquences de la disparition de l’Etat-prédécesseur
Il faut tout d’abord constater qu’en RF de Yougoslavie
n’existent pas des minorités linguistiques ou réligieuses
qui ne seraient en même temps des minorités nationales (ou
ethniques), de sorte que le sujet d’analyse ne sont que ces dernières.
Arretons-nous en premier lieu sur leur nombre et leur "dispersion" dans
le pays. D’après le dernier recensement en l99l la population de
la RF de Yougoslavie se chiffrait à lo,4o6.765 habitants, dont 9,79l.475
en Republique de Serbie et 6l5.267 en Republique de Monténegro.
Pour ce qui est des peuples majoritaires ou "constitutifs", 3 Serbes et
Monténegrins, de 6,486.595 Serbes 6,428.42o vivent en Serbie (65,8%
de la population) et 57.176 au Monténegro (9,29% de la population)
et 57.176 au Monténegro (9,29% de la population). Quant au Monténegrins,
de 52o.5o8 le Monténegro habitent 38o.484 (6l,84%) et les l4o.o24
sont domiciliés en Serbie où ils representent l,4% de la
population. Dans l’ensemble de la RFY les minorités nationales représentent
dans les 37% de la populations, numériquement les plus nombreuses
étant les Albanais (l,721.541) pratiquement concentrés à
Kossovo (1,607.690) et les Hongrois (345.376) habitant la region de Voïvodine.
Les premiers représentent l7,00% de la population de Serbie et 6,64%
du Monténegro, tandis que les autres font 3,5% de la population
en Serbie et ne vivent pas au Monténegro.4 Exception faite des Albanais
au Kossovo, toutes les autre minorités, y compris les Hontrois,
peuvent être considérées en tant que minorités
"dispersées", étant donné - et nonobstant le fait
que dans certaines communes les members de telle ou telle minorité
représentent quelquefois meme 5o% de la population - qu’elles ne
sont pas concentraient d’une manière dense sur une partie du territoire
national. Pour ce qui est de nombres des minorités en RFY la situation
est la suivantes:
Ce tableau de statistiques exige certains commentaires. Tout d’abord le recensement avait été effectué pratiquement à la veille de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, ainsi que - au moins d’après mes recherches - les résultats définitifs n’ont jamais été publié. D’autre part, comme les Albanais ont boycoté le recensement, leur nombre - d’ailleurs contésté par l’opposition albanaise actuelle (le parti de Rugova) qui avance le chiffre d’à peu près 2,000.000 - a été évalué d’après la méthodologie statistique internationalement reconnue. Ensuite, les "Yougoslaves" représentent les personnes issuent des mariages mixtes pour la plus grande partie, qui psycologiquement ne pouvaient pas se décider à opter pour une nationalité quelconque, de mêmes que ceux qui apparaissent sous la rubrique "Autres" (en ex-Yougoslavie la loi n’exigeait pas de l’individu de déclarer obligatoirement sa nationalité). Ajoutons, pourtant, que les "Yougoslaves" n’etaient pas reconnus en tant que minorité et n’avaient donc droit à aucun statut spécial. Il en est de même pour ce qui est des Gitans qui étaient considérés comme une "éthnie" distincte, mais - n’étant pas une "nationalité", voire minorité nationale - n’avaient droit à aucun statut spécial. Quant aux personnes appartenant aux peuples "constitutifs" mais vivant hors de leur republique-mère (Serbes en Slovenie, etc.) ils n’avaient - et c’etait la règle dans toute ex-Yougoslavie - aucun statut spécial, car on considérait que le seul fait qu’ils appartiennent à un des peuples dit "constitutif" est par lui-même suffisant afin qu’ils puissent jouir pleinement de tous leurs droits nationaux. Finalement, les Musulmans (le terme écrit en majuscule représente la nationalité et non la réligion) promus au rang de "peuple constitutif" en Bosnie Herzegovine vers la fin des années soixante étaient considérés à pied d’egalité avec les Serbes, Croates, Slovènes et autres.
La dissolution de la RSFY et surtout les effets du conflit armé ont considérablement changé la situation en la matière en Yougoslavie actuelle.
En tout premier lieu, la Constitution de la RFY adoptée en avril 1992 restreint passablement les droits des minorités nationales par rapport à la Constitution de l’ex -RSFY, et cela spécialement quant à la participation de leurs représentants dans les organes du pouvoir à tous les niveaux, depuis la commune jusqu’à la Fédération, et élimine pratiquement l’ancien concept de self-governement au niveau local et communal. Ensuite, la Constitution de la République de Serbie, adoptée en septembre 1990, c’est à dire à l’epoque où la Constitution de l’ex-RSFY, adoptée en l974, était encore en vigueur, abroge pratiquement les compétences des deux provinces autonomes, Kossovo et Voïvodine, où les minorités nationales sont territorialement concentrées et dans le cadre desquelles elles exerçaient - vu la règle de proportionalité numérique - des pouvoirs extrêmement larges. Cette constatation est surtout valable pour Kossovo où les Albanais représentent une majorité écrasante et où, il faut le reconnaître, leurs représenants exerçaient le pouvoir souvent d’une manière abusive aux dépens des Serbes et autres qui étaient, et le sont toujours, une minorité (lo à l5% de la population). D’autre part, quant il s’agit de Voïvodine, ou les minorités, même prise dans leur ensemble, ne sont nullement majoritaire, une telle constatation n’est sans doute pas valable. Nous reviendrons dans un moment sur le droit actuel, mais une dernière constatation s’impose ici. Si, en effet, ne semble pas acceptable ni justifié que dans une republique fédérale les provinces autonomes jouissent d’une autonomie à ce point large qu’elles représentent les "Etats dans l’Etat", et c’était sans doute le cas de la Serbie et des deux provinces d’apres la Constitution de 1974, il n’est ni équitable, ni politiquement raisonable d’eliminer, pratiquement par un trait de plume, toute autonomie en ne laissant vraiment que des apparences. Or, cela a été fait dans une atmosphère de nationalisme effervescent et le résultats sont un sentiment de mécontentement généralisé chez toutes les minorités nationales et une éspèce de crainte que cette tendance ne se poursuive en éliminant pratiquement la jouissance même de ceux droits et libértés reconnues par le droit en vigueur.
Signalons également un autre résultat de la dissolution de l’Etat prédécesseur et du conflit armé. Il se reflète sur deux niveau. Tout d’abord, sur celui de la législation.
Comme la RF de Yougoslavie prétend à la "continuité" par rapport a l’ex-Yougoslavie, ce qui veut dire la continuation de la personalité juridique de l’ancien Etat, toute la législation de l’Etat-prédécesseur reste, en principe, en vigueur, en attendant que les lois soient articulées à la nouvelle Constitution. Or, ce processus est très lent, la nouvelle loi sur la citoyenneté n’a pas encore été adoptée, ansi qu’un bon nombre d’autres lois de base, de sorte que les personnes appartenant autrefois aux "peuples constitutifs" (Musulmans, Croates, etc.) se trouvent dans une drôle de situation et leur nombre - comme on peut le voir - n’est pas négligeable. Représentent-ils des "nouvelles minorités" ou, par contre, doit-on les considerer comme des "ressortissants étrangers"? En principe, ceux qui sont originaires ou autochtones en Serbie (Muslimans dans la région de Novi Pazar, par exemple, ou les Croates de Voïvodine) sont considerés comme appartenant aus minorités, mais leur situation, contrairement à celle des "anciennes minorités" (Albanais, Hongrois, etc.) pour le moins qu’on puisse dire n’est pas claire, ni leur statut précisé.
Le deuxième niveau est celui de la vie quotidienne où on constate que certaines catégories de personnes qui, autrefois, ne pouvaient ou ne voulaient déclarer leur nationalité disparaissent. Tels, par exemple, les "Yougoslaves" ou ceux qui, lors du dernier recensement, se sont trouvés dans la rubrique des "autres". Quoique dans l’ ancien régime ces gens n’aient pas été traités en tant qu’un groupe minoritaire distinct, ils en étaient un. Actuellement, tout un chacun tâche de fouiller dans ses "racines nationales", car aujourd’hui il est vraiment judicieux d’être Serbe ou Monténegrin, vu qu’il n’est pas tellement recommandable d’appartenir à une minorité, même si elle soit "yougoslave". Cette tendance simplement témoigne de l’atmosphère politique mentionée au début de ce rapport, celle-ci n’étant - comme on l’a vu - nullement favorable aux minorités quelles qu’elles soient.
Le droit en vigueur et le traitement des minorités
Pour ce qui est de la législation régissant la situation et les droits des minorités elle se situe tout d’abord au niveau fédéral, mais certaines dispositions ont trouvé leur place dans les législations des deux républiques. Il faut signaler pourtant qu’une délimitation claire et nette des competences de la Fédération par rapport aux celles des républiques fédérales n’est pas - dans le système constitutionnel yougoslave - prècisement établie, de sorte que ces compétences ont souvent tendance à apparaître comme une éspèce de chevauchement. Si donc la situation n’est pas toujours claire du point de vue de droit, du point de vue pratique on constate que de fait le statut des minorités est régis par les deux républiques.
Voyons tout d’abord comment la Constitution fédérale, comme législation de base en la matière, réglemente les droits des minorités et leur promotion et protection.
"La RFY reconnait et se porte garante des droits des minorités nationales à la conservation, développement et promotion de leur diversité éthnique, culturelle, linguistique et autres, ainsi qu’à l’emploi (usage) des symboles nationaux en accord avec le droit international" (Art. 11).
C’est la disposition fondamentale suivie d’une douzaine d’autres dispositions, toutes conçues d’une manière déclaratoire, lesquelles garantissent l’usage de la langue et écriture nationale (Art. 15), l’egalité devant le droit sans aucune discrimination (Art.20), libérté de réligion (Art. 43), l’expression de la culture nationale et l’appartenance à une nationalité (Art.45), la scolarité et l’information en langue maternelle (Art.46), le droit de constitution des institutions et associations éducatives, culturelles et autres (Art. 47), le droit de communication entre groupes minoritaires et avec leurs conationaux hors des frontières yougoslaves (le Kin-State) (Art. 48) et le droit d’usage de la langue maternelle en rapports avec l’administration étatique et devant les tribunaux (Art. 49). Il faut souligner qu’une bonne partie de ces dispositions, dont le libellé est sans doute correcte et qui, au fond, développe les dispositions de l’Art. 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, contiennent un petit bout de phrase qui le caractère de la disposition, de prime abord absolu, relativise. A savoir, l’exersice du droit reconnu va s’effectuer "en vertu de la loi", ce qui permet au législateur, tout en précisant la mise en oeuvre, d’en restreindre l’application.
La Constitution contient également certaines dispositions interdisant actes ou actions qui pourraient mettre en danger ou violer les droits de l’home et libértés garanties par la Constitution ou inciter à l’hostilité ou la haine nationale, éthnique, réligieuse ou autres. Ainsi, la presse ou autres sources d’informations peuvent être dans de tels cas frappés par une interdiction (Art. 38), l’activité des organisations politiques, syndicales et autres agissant de cette manière et avec de tels buts est considérée comme interdite (Art. 42) et d’une manière générale, en vertu de l’ Art. 50, toute activité de ce genre est interdite et passable de sanctions. Ajoutons ici en passant que, au moins à ma connaissance, personne n’a jamais été inquiété pour de tels mafaits ou aucun journal intérdit, quoiqu’il est notoire que, surtout en période 1991 - 1993, de vraies "vagues de haine" ont été diffusées par une partie de la presse et que certains partis ultra-nationalistes incitaient ouvertement a l’hostilité contre certaines minorités (musulmane, croite ou hongroise notamment).
La majorité de ces dispositions constitutionnelles est précisée dans les lois fédérales correspondantes, tel le Code pénal et celui de la procédure pénale, la Loi sur la procédure civile, celle sur l’association politique et autre des citoyens, sur l’information publique et la publication des actes législatifs fédéraux. Pourtant, toutes ces lois font partie de la législation de l’ex-RSFY, elles restent en vigueur en attendant d’être articulés à la nouvelle Constitution. Cette situation sans doute ne facilite pas aux membres des communautes minoritaires de se prévaloir toujours de leurs droits, surtout quand il s’agit de l’usage dela langue maternelle dans les contacts avec l’administration ou devant les tribunaux. Je n’ai pas eu le temps de faire une recherche approfondie, mais apparemment il y a une forte tendance à restreindre cet usage.
La Constitution de la Republique de Serbie, adoptée en 1990, ce qui veut dire sous l’empire de l’ancienne Constitution de l’ex-RSFY et qui n’a pas été revue depuis, contient - également d’une manière declaratoire - quelques dispositions (Arts. 8, 13, 32 et 41) garantissant aux minorités nationales l’usage de la langue et écriture qui leur sont propres dans la sphère publiques (relations avec les autorités, toponimes, etc.), ainsi que la scolarité en langue maternelle, mais l’un comme l’autre "en vertu de la loi" et proclamant d’une manière générale l’ égalité en droit de tous les citoyens sans aucune discrimination et la liberté des cultes. Ensuite, des dispositions semblables à celle déjà precitées lors de l’ analyse de l’actuelle Constitution fédérale, interdisent la diffusion dans la presse ou autrement des textes ou déclarations incitant à la haine ou hostilité nationale, raciale ou réligieuse, de même que l’activité des organisations politiques ou autres agissant dans le même sens (Arts. 44 et 46).
La Constitution de la Republique de Monténegro est, pourtant, différemment conçue, en offrant aux minorités une protection plus large et plus précise. Tout d’abord, un sous-chapitre spécial, intitulé "Droits spéciaux des personnes appartenant aux groupes nationaux ou éthniques", est consacré aux minorités nationales (Arts. 67 a 76).
L’art. 67, comme la règle de base, offre une garantie générale et absolue aux "membres des groupes nationaux et éthniques" (c’est la notion dont se sert le législateur pour indiquer les minorités) la protection de leur identité nationale, éthnique, linguistique et réligieuse en précisant que cette protection s’effectue en accord "avec la protection internationales des droits de l’homme et de citoyen". Cela veut dire que la mise en oeuvre doit être en accord avec les standards internationalement reconnues.
La règle fondamentale est ensuite élaborée dans les dispositions qui suivent en couvrant les différents aspects du droit ainsi reconnu: le droit de libre usage de la langue maternelle et de l’écriture nationale, ce qui englobe le droit à la scolarité et l’éducation 5 et le droit à l’information (Art. 68); le droit de l’usage des symboles nationaux (Art. 69), le droit de l’association avec buts éducatifs, culturels et réligieux, suivi de l’obligation de l’Etat de préter assistance materielle pour ce qui est de leur réalisation (Art. 7o)6 ; le droit d’emploie de la langue maternelle dans tous les contacts avec les organes de l’Etat (Art. 72); le droit de représentation proportionnelle dans les services publics, organes étatiques et l’autonomie locale (Art. 73); le droit de contacter et d’entretenir des relations sans entrave avec leurs conationaux hors des frontières du Monténegro (donc, également à l’etranger) (Art. 74) et, une disposition très importante, le droit à participer dans les travaux des organisations nongouvernementales et internationales et à s’adresser aux institutions internationales en vue de protection des droits et libértés garanties par la Constiution (Art. 74, par. 2). Finalement, l’art. 76 préscrit qu’un Conseil de protection des droits de membres des groupes nationaux et éthniques est constitué avec tâche de sauvegarder et protéger les dits droits, dont la composition et les compétences seront precisées par le Parlement. La seule limitation a l’exercice des ses droits se trouve dans l art. 75 qui précise que les dits droits ne peuvent pas être exercés contrairement à la Constitution, les principes de droit international et celui de l’intégrité territoriale du Montenegro. Soulignons aussi que nulle part dans ce texte n’existe pas la formule "en vertu de la loi" qui ouvre, comme il a été dit, une possibilite indirecte de limiter les droits constitutionnellement reconnus.
Dans les deux républiques fédérales ont été adopté depuis 1992, donc après que la RFY a été constitué, plusieures lois touchant la matière des droits des nationalités. Ces lois sont les suivantes: - Montenegro: Loi sur l’information publique, celle sur l’association des citoyens, sur le sceau de la République de Monténegro et ceux des organes étatiques et les lois sur les écoles primaires et secondaires; - Serbie: Loi sur la Radio-télevision, sur l’information publique, sur les écoles primaires, secondaires et supérieures (trois lois différentes) et sur l’université, ainsi que la loi sur l’usage officielle de la langue et de l’écriture. Cet article aurait été trop long, si on se lancerait dans une analyse détaillée de ces textes et c’est pourquoi je ne me bornerais q’à deux ou trois constatations.
Tout d’abord et pris à la lettre toute cette réglementation est - en principe - bien faite, pourvu évidemment qu’elle soit appliquée en bonne foi. Pourtant, le langage est assez sybillin avec les tournures de phrases dans certains libellés permettant l’arbitraire, c’est à dire l’intérprétation qui pourrait aller contre l’ésprit supposé de la loi, donc contrairement aux intérêts des minorités.
Somme toute, on pourrait faire deux rémarques - mais d’après mon opinion elles sont de taille - quant aux solutions législatives adoptées: d’une part, les libellés trop generaux avec un langage flou et manquant de précision necessaire ne permettent pas à savoir quand et dans quelle situation concrètement, vu le nombre de la minorité dans une localité, commune, ville, etc., les membres de la minorité peuvent exercer les droits qui, en principe, leur sont reconnus; de l’autre, et c’est plus sérieux, les minorités ne disposent pas - exception faite du Monténegro où existe le Conseil mentionné plus haut - des moyens (organes politiques représentatifs) leur permettant de faire valoir leurs droits. Finalement, les voies spéciales de recours en justice, qui ouvriraient aux représentants des minorités la possibilité d’ester en justice s’ils considèrent que leurs droits aient été violés, n’existent pas, tandis que les moyns qui s’offrent dans le cadre des procèdures régulières sont difficilement pratiquables.
Pour ce qui est du quotidien, donc des pratiques relatives aux comportements de l’Etat et de la nation majoritaire vis-a-vis des minorités la situation se présente comme assez ambiguë.
Pretendre que les minorités sont maltaitées systèmatiquement et sur une large échelle serait sans doute faux. Exception faite, evidemment, des Albanais au Kossovo qui vivent, depuis l989, sous une éspèce d’état de siège et où toutes les relations entre le pouvoir et l’éthnie albanaise sont rompues. Mais comme le sujet de cet article est la situation des minorités dites "dispersées", donc des gens vivant entremeles avec la nation majoritaire, laissons ce problème ici de coté.
Pour ce qui est de ces derniers la situation est sensiblement différente quand il s’agit des minorités "anciennes" (Hongrois, Roumains, etc.) et celles dites "nouvelles" (Musulmans, Croates).
Ayant déjà leur statut bien établi dans l’ancien régime, les "anciennes" minorités en principe conservent ces "droits acquis", quoiqu’une tendance se manifeste à restreindre leur droit relatif à l’emploi de la langue dans la vie publique, l’information et à la TV et radio, ainsi que les manifestations de leur identité différente dans d’autres domaines (éducation, culture, etc.). Grâce aux partis politiques organisés sur les bases nationales (par exemple, La Communauté democratique des Hongois de Voïvodine - DZVM (Demokratska zajednica vojvodjanskih Madjara) une représentation dans les parlements fédéral et des républiques, ainsi que dans les organes du pouvoir local est plus ou moins assurée. Il y a sans doute des pressions, même des excès agressifs contre les minorités organisés par des groupuscules de l’extrème droite nationaliste serbe, mais de telles actions sont relativement rares, surtout depuis que la politique de l’Etat yougoslave a positivement changé (août 1994) en tâchant à s’accomoder avec la communauté internationale, et toujours controlées par le pouvoir.
Par contre, la position des minorités "nouvelles" est très difficile. Les Musulmans et les Croates n’ont, comme on l’a vu, aucun statut juridiquement précisé, leurs "nations-mères" sont en guerre avec les Serbes en Croatie et Bosnie-Herzegovine et le sort des Serbes se trouvant au pouvoir des régimes de Zagreb et de Sarajevo n’est nullement enviable, ainsi que toute sorte d’arbitraire contre les membres de ces deux communautés minoritaires est chose courante.
Les perspectives
On peut aisement conclure d’après ce qui vient d’être dit que la position des minorités nationales en RF Yougoslavie laisse à désirer, et c’est le moins qu’on puisse dire. Il semble que la situation n’est pas essentiellement différente dans d’autres régions de l’Etat-predecesseur, donc dans les Etats crées après la dissolution de l’ancien Etat yougoslave. Pour remedier à cet état de choses - il semble indispensable que tous ces Etats, y compris evidemment la RF de Yougoslavie se transforment réelement en Etat de droit en créant une vraie société civile, une effective séparation des pouvoirs et ou le Rule of Law serait la règle de base de comportement tant du pouvoir que de l’individu. En un mot, il s’agit au préalable de construire un système effectif et efficace de pouvoir démocratique où les droits de l’homme et libertés fondamentales seraient scrupuleusement respectées par rapport à tout un chacun, à l’individu en tant que tel, et c’est seulement après qu’on pourrait parler des droits des communautés, des peuples (majoritaires) ou des minorités. Sans que ces conditions préalables soient remplies tout effort à régler séparément la situation des minorités semble un exercice futile.
Revenons tout de même maintenant aux solutions qui, une fois ces conditions remplies, pourraient repondre aux besoins des minorités en satisfaisant leurs droits internationalement reconnus, mais également aux exigences de justice et de l’équité. Se tenir, aujourd’hui, au cadre ésquissé par l’article 27 du Pacte international relatif au droits civils et politiques sans doute n’est pas satisfaisant. Outre les droits dans le domaine de la langue, culture, éducation, etc. permettant à une minorité de conserver et d’épanouire son identité, donc de jouire de ce droit à la "différence"; il est indispensable eu plus - d’assurer sa participation proportionnelle à la vie politique et à la gestion des affaires publiques, en bref au pouvoir. De même il est important d’ouvrir des voies, par des mécanismes appropriés, permettant aux minorités de protéger les droits reconnus d’une maniere efficace (juridiction spéciale, Ombudsman, etc.). Il va de soi, également, que la minorité doit être loyale envers l’Etat où elle vit et vis-à-vis du peuple majoritaire et que le droit doit assurer cette loyauté.
Les modèles de telles solutions existant. Les Belges, par exemple, ont reussi à en trouver un par la transformation de leur constitution et la fédération nouvelle, tout en préservant les droits de la minorité allemande. On pourrait également s’inspirer du projet de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe. Finalement, un modèle, qui semble tout à fait approprié et raisonnable, a été proposé par le "mini contact-groupe" en Croatie pour régler le problème des Serbes de Krajina (le plan dit "Z-4") que - disons-le en passant - Zagreb et Knin ont apparemment refusé. Donc, les modèles existent et ce qui manque, c’est la volonté politique de les appliquer en les adaptant à la situation.
La solution du problème de toutes les minorités en ex-Yougoslavie serait, selon toute probabilité, une convention multilateralle que auraient conclu tous les Etats successeurs dans le cadre d’un réglement deffinitif du "problème yougoslave" au sein de la Conference de Genève (ou une autre enseinte internationale), et par laquelle la question serait reglé d’une maniére uniforme avec des garanties internationales indispensables quant à la mise en oeuvre et un mécanisme de reglement pacifique des différends en la matière. Malheureusement, une telle solution n’est pas pour demain.
Pour en arriver là il faudrait, d’abord,
la reconnaisance mutuelle des Etats successeurs de l’ex-Yougoslavie et,
ensuite, la convocation de la Conférence de Succession où
ces problèmes pourraient être reglés d’une manière
deffinitive. Mais pour que la traité en question soit respecté
par le co-contractant, des garanties internationales semblent indispensables.
Sans elles, on reste à juste titre perplexe quand à la mise
en oeuvre, effective et en bonne foi.
CSS Survey, No.3, March 1996