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L’Action Française face à la montée du nazisme (1930-1933) |
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"Labor omnia vincit Improbus" (Virgile, Géorgiques, I, 144-145)
Alors que certains ont aujourd’hui tendance à assimiler sous un vague concept " d’extrême droite " le Monarchisme et le Nazisme, il est particulièrement intéressant de se replonger à l’époque où l’idéologie national-socialiste n’avait pas encore épouvanté le monde par ses massacres. Cette modeste étude a pour objet de rappeler que les Royalistes, par la voix de l’Action Française, furent les premiers à s’inquiéter de l’ascension de l’hitlérisme. Petite leçon d’Histoire pour En-Face… A l’instar des mouvements monarchistes, l’Action Française a, invariablement, considéré l’Allemagne comme un ennemi de la France. L’objectif de toute action de politique étrangère à l’égard de Berlin devait être d’empêcher le redressement de cet ennemi. L’achèvement de cet objectif se heurtait à la nécessité de conserver ses amis, et de ne pas s’isoler sur la scène internationale. Ainsi, une alliance avec Moscou était inenvisageable, le bolchevisme ne pouvait qu’apporter la désintégration de la France. De même, l’alliance avec les Anglais et les Américains, imposée par les conséquences de la Première Guerre, n’était, en réalité, qu’une communauté d’intérêts partielle. Si Washington et Londres se montraient toujours prêts à réduire la dette allemande des réparations, leur intransigeance vis-à-vis de la France quant au remboursement de ses dettes empêchait de voir en elles de véritables alliés. L’abandon du plan Dawes au profit du plan Young, provoqua la colère et le désespoir de l’Action Française, qui, depuis longtemps, avait pris position en faveur de la fermeté vis-à-vis de l’Allemagne. A un plan autoritaire, qui imposait le paiement par l’Allemagne d’importantes réparations, qui soumettait la liquidation et le versement de ces sommes à un contrôle politique, on substituait un texte bien plus souple, en transformant la dette politique en dette commerciale garantie par l’Etat Allemand ; en outre, le plan Young levait tout contrôle de la part des alliés. L’Action Française organisa plusieurs manifestations durant les discussions à la Chambre des députés pour faire échouer la ratification du plan, allant même jusqu’à faire larguer des tracts par avion au-dessus de Paris. Malgré cela, cette mesure fut approuvée par le Sénat le 5 avril 1930. A l’occasion de ce vote, les seuls sénateurs à avoir exprimé leur crainte et s’être opposés à ce qui devait se transformer en une caution du relèvement de l’Allemagne et en une aide précieuse à l’accession du nazisme au pouvoir furent les Royalistes. Dès le lendemain, l’Action Française, sous la plume de Charles Maurras, se désola de cet abandon des gages concrets au profit de promesses qui risquaient fort de n’être jamais tenues. " Voilà donc notre œuvre d’avertissement terminée. Et terminée par un échec. Echec complet sans doute, échec qui semble sans remède… Mais enfin échec tel que la responsabilité en retombe toute entière sur la République, sur les partis républicains, tous ces partis sans exception ayant ratifié, les royalistes seuls flanqués d’honorables exceptions personnelles, ayant dit carrément, clairement, constamment les paroles pleines de bon sens qu’il était important de dire contre cette ruine de la patrie. " (A.F. 6 avril 1930) Tous les nationalistes s’inquiétèrent par la suite de l’évacuation de l’Allemagne. Critiquèrent (et avec quelle raison) l’arrêt de la ligne Maginot, qui laissait nue la frontière du Luxembourg à la mer. Soulignèrent la menace pour la France que constituait la montée des extrémismes, nationaux-socialistes ou communistes, lors des élections allemandes. Jacques Bainville s’alarmait du nationalisme allemand, ce " germanisme " " aux ambitions indéfinies ". Les journaliste républicains s’amusaient de la crainte à laquelle faisait écho l’Action Française. Ainsi, la Dépêche de Rouen raillait l’organe du Nationalisme Intégral en ces termes : " Si nous écoutions l’Action Française, la France serait dans un Etat permanent de mobilisation générale. Ce serait trop exténuant ! M. Maurras estime que nous n’aurons jamais assez de généraux, jamais assez de canons, jamais assez de soldats ". (Dépêche de Rouen, 25 décembre 1930) L’appréhension exprimée par l’Action Française redoubla lorsqu’en mars 1931, éclata la nouvelle que l’Allemagne et l’Autriche étaient sur le point de conclure une union douanière, premier indice d’une marche inéluctable vers l’Anschluss total. A ses yeux, cela n’était que la conséquence logique de l’abandon du plan Dawes et de l’évacuation par les troupes françaises de Mayence. Comment avait-on pu faire confiance en l’Allemagne, qui s’était engagée, dans le traité de Versailles, à respecter l’indépendance autrichienne, et à l’Autriche, dont la volonté d’indépendance ne résultait que d’une vague clause d’un prêt de 1922 ? Conséquence logique, inéluctable, qui valut à un chroniqueur de l’Action Française l’honneur de composer à cette occasion ce qui devint le leitmotiv des royalistes à propos de la situation germanique : " Je vous l’avais bien dit ! ". Léon Daudet écrivit alors : " France, nous t’avons prévenue, comme il y a dix-huit ans. L’heure va sonner. Ouvre tes yeux tout grands et garde-toi ! ". La crise économique allemande, indirectement provoquée par le krach boursier Jeudi noir du 24 octobre 1929, entraînant une montée du chômage, profita largement au parti National-Socialiste. Dès 1930, alors même qu’Hitler était bien loin du pouvoir, l’Action Française signalait ce mouvement comme " un des plus grands dangers pour la France ". Car, bien loin de n’être qu’un parti anti-marxiste ou anti-parlementariste, la NSDAP mettait ces caractères au service d’une cause encore plus efficace : l’antisémitisme. Et cette arme puissante, pourvu qu’elle fut maniée par un artificier habile, pouvait mettre la France à genoux. Peu d’autres, dans le milieu politique, partageaient cette clairvoyance. Le Populaire, dans son édition du 1er janvier 1933, prévoyait la prochaine disparition de Hitler, et pourtant… Le 1er février 1933, Hitler accédait à la Chancellerie. Indifférence à gauche. Réaction mitigées à droite. Condamnation sans appel de l’Action Française. La socialiste Suzanne Buisson mettait en garde ses amis contre l’excès d’inquiétude : " A force de crier au péril fasciste, vous allez le faire naître ! ". Un député radical-socialiste déclarait : " Hitler au pouvoir ou dans les coulisses, quelle différence est-ce que cela peut bien faire ? ". Daladier, fraîchement nommé Président du Conseil, se contenta d’un : " A Berlin, Hitler est appelé à la Chancellerie. Ce n’est pas négligeable ! ". Sachons mettre cette lucidité à son actif. A droite, certaines personnalités exprimaient même une relative satisfaction. Hitler n’était pas l’ennemi de la France. Au contraire, en rendant l’Allemagne impopulaire en Angleterre, il servait nos intérêts. Certes, il y avait cette haine des Juifs. Mais elle était largement rattrapée par son anti-marxisme. Pas de quoi en faire un fromage… La presse républicaine ne se montra pas vraiment critique. Ainsi, l’Est Républicain se contenta d’une demi-Une (l’autre étant consacrée à la formation du cabinet Daladier), sobrement intitulé " Adolf Hitler Chancelier du Reich ". La substance de l’article est désespérément plate, et strictement informative. Outre la composition du cabinet et les alliances partisanes, l’Est livre une simple biographie de Hitler. Curieusement, pas un mot n’est dit à propos de Mein Kampf, sans doute considéré par les républicains comme un détail… L’Action Française, quant à elle, isolée comme à son habitude, restait totalement hostile aux nationaux-socialistes, et Charles Maurras publia la chronique suivante. " Sur Hitler chancelier, nous sommes en droit de solliciter de nos lecteur un petit effort de mémoire. Le premier semestre de 1930, qui expira, comme les autres, au 30 juin, fut le dernier de l’occupation de Mayence. Et, dans ce semestre, Hitler et l’hitlérisme furent profondément ignorés de l’opinion générale. Quelques soldats français à Mayence suffisaient à maintenir Hitler et l’hitlérisme dans la zone des agitations confidentielles. Le 30 avril, le 1er mai, le 3 mai, l’Action Française publia trois longs articles d’information intitulés " Sous la croix gammée ", " le parti socialiste national allemand ". Ces articles révélateurs passèrent, comme il est d’usage, assez inaperçus. Personne ne voulut les croire. Ils réunissaient cependant tous les éléments qui étaient alors nécessaires pour comprendre ce qui se passait en Allemagne dès que nous aurions mis le point final à l’occupation. Hitler ne faisait pas de bruit. L’hitlérisme couvait. La croix gammée ne se montrait que discrètement. Le 30 juin, nous évacuions la Rhénanie. Cela ne traîna pas : dix semaines plus tard, avaient lieu pour toute l’Allemagne les élections historiques du 14 septembre, poussée violente de l’esprit hitlérien qui tendait à déchirer les traités, à rendre à l’Allemagne tout ce qui avait été allemand, à dériver et à vomir au-delà des frontières les ardeurs, les fureurs, les appétits qui gonflaient la politique intérieure des Allemagnes. Depuis, Hitler a eu des hauts et des bas, mais, jusqu’à ces derniers temps, il fallait avouer que des succès généraux compensaient toujours, et même au-delà, ses reculs partiels. Ces reculs avaient bien parus s’accroître ces temps derniers, et notre presse servile, nos journaux de mangeoire et de râtelier, en avaient tiré leurs conséquences intéressées sur le fatal reflux de l’esprit de guerre allemand. Résultat :Hitler est devenu chancelier du Reich. Rien que ça ! Appelons ce résultat par son nom : c’est la dernière en date des conséquences de la politique briande*, de ses concessions et de ses capitulations à jet continu. Cette saleté, cette indignité, cette absurdité n’a du reste pas fini de porter ses fruits qui sont déjà amers, qui le seront de plus en plus. " L’Atmosphère de paix " dont elle prétendait envelopper l’Europe en reçoit de nouvelles charges d’électricité homicide. Sainteté ! Eminences ! Grandeurs ! Paternités ! Ne serait-il pas temps d’avouer que, faillibles comme nous tous en matière politique, vous vous êtes cruellement, lourdement, et risiblement, trompées ? " (A.F. 31 janvier 1933). * référence à la politique extérieure menée par Aristide Briand, politicien socialiste et syndicaliste, qui prônait le rapprochement franco-allemand. Il se vit décerner le prix Nobel de la paix 1926, malgré le rôle qu’il a, indirectement, joué dans le relèvement de l’Allemagne et la montée du nazisme. Malgré un anti-marxisme partagé avec les nazis, l’Action Française voyait en cette accession au pouvoir la conséquence logique et attendue de la politique laxiste des républicains envers l’Allemagne, et de leur apathie à l’égard des nationaux-socialistes. Les membres de l’Action Française éprouvaient une parfaite inimitié non seulement à l’égard des dirigeants nazis et de leurs discours, mais également vis-à-vis des fondements de leur idéologie. " Le racisme et l’étatisme ne peuvent correspondre qu’à des sociétés imparfaites. Une société dans laquelle la civilisation a atteint ses sommets les plus rares ne peut se contenter de telles significations ; l’édifice des valeurs les plus aristocratiques et les plus rares ne saurait abriter ces religions grossières, dont la pauvreté spirituelle n’a d’égale que la malfaisance et la stérilité. En face de l’étatisme et du racisme, le nationalisme représente la seule manière acceptable de sauvegarder les valeurs réelles, parce qu’il est la seule attitude sociale également dépouillée de mystère et d’abstraction. " (A.F. 30 mars 1933). Cette position sera confirmée par Maurras qui, en 1936, écrira : " l’entreprise raciste est certainement une folie pure et sans issue ". Bien loin de céder à la solution facile de hurler au loup, l’Action Française adopta une position réaliste, en s’érigeant en rempart idéologique contre le nazisme. Au contraire, elle tourna en dérision l’indignation facile de certains mouvements (notamment la LICA, Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme) envers l’antisémitisme de Hitler. Le mot d’ordre était de garder son sang froid, ainsi qu’il résulte d’un article de Pierre Gaxotte : " Le Troisième Reich est une menace pour la France : soyons forts, prenons nos précautions, armons-nous. Mais n’injurions pas. Tous ces messieurs de la gauche prolongent sur le plan extérieur leurs haines de partisans. " (Je Suis Partout, 18 mars 1933). Alors que, face à l’afflux des nouvelles faisant apparaître la multiplication de brutalités antisémites, la gauche regrettait sa pusillanimité, l’Action Française, sans fausse modestie, soulignait la supériorité dont elle avait fait preuve. Et, loin de rentrer dans un consensus politicien anti-nazi, elle renvoyait dos à dos nazisme et communisme. " Si les communistes allemands avaient gagné la partie, leur troupe aurait fourni autant de bourreaux que la bande hitlérienne. Si un jour les uns et les autres s’entendaient contre nous, pour nous régler, comme ils le souhaitent, notre compte, qui peut croire que la chair Française serait mieux traitée que celle des " dolichocéphales blonds " dont la race doit régénérer l’univers ? La conclusion est qu’il faut se garder de leurs entreprises par une solide chaîne de mitrailleuses bien graissées ". (Gaudy) De son coté, Léon Blum refusait le réarmement, au profit d’hypothétiques sanctions morales. La Gauche, à l’instar de Jean Guehenno, rêvait " de paix, et d’une France désarmée et modeste, mais forte de son génie raisonnable et de sa tradition révolutionnaire ". La realpolitik à l’état brut… De même, Maurras se battit pour obtenir une traduction non expurgée de Mein Kampf, d’une part afin de démasquer qui, sur la scène politique interne, était proche du nazisme, d’autre part pour cerner l’idéologie nazie. En effet, qui pouvait prévoir quelles seraient, après les Juifs et les communistes, ses prochaines cibles ? Les latins ? Et, par la suite, l’Action Française se montra toujours à la pointe de l’information, dénonçant " la vie affreuse des prisonniers dans les camps de concentration ", dans des termes qui ne laissaient aucun doute sur la cruauté des SS. (R.A.) |
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