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Vendredi sur le quai du métro c’est inespéré : on est 12 ! 13 ! 14 ! à chaque arrivée c’est presque des hourrras, des alleluia !…  on reconquiert ! que croyez-vous ? un banc de la station Place de Clichy a été libéré ! l’audace inouïe !

On laisse passer cinq minutes pour les retardataires, et hop ! métro ! Saint-Denis ! la ligne riante, colorée, gaie, qui a quelque chose de très africain. Le climat change on nous dit ! je crois ! à Saint Denis on voit très bien les effets du changement, du réchaufffment. C’est pas les inondations, certes, mais ça se répand pareil, ca gagne, ça envahit, prospère, une odeur de moisi sorti des brousses et qui gagne, corrode, tache murs et plafond…

Arrivés c’est encore pire, combien de degrés de réchauffement pour faire une telle adaptation de la population ? peut-être qu’on les ferait reculer rien qu’en installant des groupes frigorifiques, ce serait à tenter… nos anges gardiens sont là, on les reconnaît : ce sont les seuls pas adaptés au climat… avec nous… du coup on est repérables, même si l’un de nous porte un sac en plastique avec deux ananas dedans, c’est un camouflage trop sommaire… un petit beur qui n’a rien de nantais nous demande si on vient pour la manifestation, il est tout excité ! on va faire attraction ? possible ! les distractions doivent être assez rares… déjà hier on avait senti, ils nous attendaient, entonnaient pour nous, fignolaient les refrains, se relançaient les slogans… peut-être qu’ils répètent quand on n’est pas là ? posible, tout est possible !

Sur place nos CRS sont pas là ! on pense : les vaches de cognes nous ont refait le coup ! un jour là un jour pas là ! mais non ! ils nous font des niches, se cachent-cachent ! on leur demanderait de jouer à colin-maillard qu’ils diraient pas non… embusqués ils étaient, ne sortent que quand on approche... sont-ils taquins ! Et même notre ami Commissairix, le célèbre ! le gaulois pas très résistant à l’envahisseur, celui qui ne veut pas nous dire son nom !

Ils sont encore plus nombreux, ont rameuté tout ce que la riante Seine-Saint-Denis compte de clandestins et de gauchistes haineux… salut les amis ! on leur fait presque des petits signes, on les connaît un peu maintenant ! on se fait coucou !

Cette fois ils ont coupé la circulation, fait un vague périmètre. C’est qu’on devient l’attraction, il faudrait faire un chouia de réclame et on pourrait faire de notre petit rendez-vous le happening le plus couru de Paris ! Comme d’habitude nous leur lisons notre beau texte, bien, émouvant, qui fait appel aux plus hauts sentiments… les clandestins font une sorte de gospel citoyen sur les marches de la basilique, ils les occupent toutes, encore plus nombreux, et ils chantent… musicalement c’est atroce, mais enfin… comme on dit c’est l’intention qui compte. Ils sont plutôt rigolards, c’est les autres, les petits commissaires politiques blancs devant qui nous insultent : « collabos ! collabos ! » L’envie de leur répondre nous prend ! on a presque envie de leur renvoyer : « Collabois ! collabois ! » comprendraient pas ! les communistes ça a pas d’humour, c’est lourd. Leur gros défaut, ils sont pas légers, ils sont pesants…

(L-F. B.)