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LE
FESTIN DE PORTHOS
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Il est comme ça Dumas : regardez-le quand il voyage, c’est un tourbillon sans fin, un mouvement incessant, sur les routes, hors les routes, sur l’eau, en bateau, à pieds, à cheval, en calèche, en omnibus, à dos de n’importe quoi, il saute d’un mulet caparaçonné de pompons dans un traîneau et fouette cocher ! On l’a vu en cosaque traverser la Russie, c’est un géant en costume chinois qui pirouette entre Naples et Tamanrasset (il écrit en même temps), rentre à Marseille du Daghestan en grande tenue de Tcherkesse et raconte qu’il a mangé « du cheval cru aux petits oignons ». A Paris aussi, il passe de femme en maîtresses, fait des enfants adultérins à l’histoire, mange beaucoup, boit plus, devient riche, construit un château Renaissance – avec un pavillon gothique –, se ruine dix fois et refait onze fortunes, meurt, laisse un fils de son père et fera encore une postérité prodigieuse. « La bonne chose que cette liberté de faire ce que l’on veut, de se mettre ce que l’on veut, d’aller où l’on veut. » La politique de Dumas est là, dans ses voyages, dans sa vie, dans son œuvre plutôt que dans la politicaillerie de son temps, à laquelle il s’intéressait mais qui ne le lui rendait pas. De son œuvre justement que n’a-t-on pas dit ? écrite par ses nègres, sans génie, « esprit de quatrième ordre », « hâblerie courante » piaillait Saint-Beuve. Les lecteurs d’ailleurs ne font pas toujours le chemin nécessaire pour découvrir Dumas. Les Trois Mousquetaire, qu’est-ce que c’est ? L’histoire de cape et d’épée d’un cadet de gascogne qui sauve la reine ? ou le drame du comte de la Fère et de Milady ? Son œuvre est comme ses voyages ou sa vie, au père Dumas : à facettes, à recoins, à tiroirs, et à déguisements ; les lectures n’en sont pas exclusives les unes des autres. Première leçon : cessez donc de penser et d’agir par petits bouts, par compartiments étanches. Les situations et les pensées se contaminent, s’entrechoquent, réagissent comme des acides sur ce qu’elles mangent pour les transmuter. Vous croyez avoir bien raison en vous disant quoi ? royaliste, nazi, libéral, fasciste, catholique intégriste, national-bolcheviste ou inclassable anarchiste ? bon, d’accord, prenez la pose, voilà ! clic-clac ! maintenant, je vous en prie, recommencez à bouger et à vivre puisque la photo est prise. Ce qui permet ces pirouettes incessantes, ces doubles fonds et finalement la prodigieuse vitalité des romans de Dumas ? la légèreté. A la Rochelle les mousquetaires tiennent un bastion face à l’ennemi, par pari et par bravade, pour la gloire, le plaisir et même la gloriole narquoise. Et il mettent à profit ce pique-nique sous le nez de l’ennemi pour organiser loin des oreilles indiscrètes des affaires autrement plus secrètes et importantes. Seconde leçon : si tout communique, cessez de croire qu’il y a des choses sérieuses et d’autres pas, tombez vos masques sinistres de gens sérieux qui font de la « vraie politique » en condamnant ceux qui n’en feraient pas. La vraie politique c’est celle qui arrive à des résultats. Y arrivez-vous ? très bien ! Vous n’y arrivez pas ? alors c’est que vous vous trompez, enfermés puants le renfermé. Médication : allez donc me tenir pendant quelques heures ce bastion au grand soleil de midi sous le feu des parpaillots, avec un petit peu de panache, du vin et pas trop de sérieux apparent, cessez de ressembler à des cloportes qui se réfugient sous les pierres dès que la lumière les touche. Et ça marche. Dans la désolante strérilité du « nouveau roman » on a vu apparaître non des mousquetaires mais des hussards. Et de qui s’inspiraient-ils à votre avis ? Ce n’est pas un Maurras amoureux qu’a écrit Nimier, Blondin ne versait jamais que quelques larmes à son percepteur et Jacques Laurent disait de Dumas « notre seule épopée depuis le Moyen-Age ». Epopée : le mot est lâché. Il faut aux projets politiques plus que la froide raison politique, plus que les idées désincarnées qui tournent en rond dans le contentement béat qu’elles trouvent à se répéter dans leur forme parfaite : il leur faut un peu de corps, de chair, de chaleur, de salive, et quelques autres fluides. D’Artagnan va chercher les ferrets de la reine pour quoi à votre avis ? pour qui ? Pour la petite lingère Constance Bonacieux. Pas pour la patrie, la nation, ni même le roi ou vos autres baudruches gonflées d’importance. Les hommes se battent pour leurs femmes, leurs enfants, leurs amis, et en se battant pour cela ils se battent pour plus que cela. On se souvient de la page étrange de Vingt ans après où Athos va à Saint-Denis avec le jeune Raoul :
«
Puis Athos leva la main, et désignant
du doigt le
cercueil Qu’est-ce à dire ? voilà qu’il faut servir un principe invisible ! justement, justement. Pas un principe politique, pas une théorie philosophique, pas un théorème abstrait ou forgé en remontant de nous à lui par la raison. Tout le contraire : une incarnation, quelque chose qui se fait chair en descendant vers nous et en nous élevant vers soi, une étincelle qui vient de Dieu et qui justifie tout le reste, qui lui permet de se tenir debout, cohérent et pourtant divers, léger et périssable, tout en tensions : bref, en vie. Alors quoi ? la vie, la liberté, pas de règles ? Eh non, pas de règles. « Je n’admets pas en littérature de système, je ne suis pas d’école ; amuser et intéresser, voilà mes seules règles. » Que dit Porthos au jeune Louis XIV qu’il rencontre dans le Vicomte de Bragelonne ? il ne lui parle pas de morale, de politique ou de religion : il lui explique comment on cuit un agneau entier à la broche. Puissent les royalistes s’en inspirer, sortir de leur placard bourré de naphtaline, de grands principes et de prétendants qui ne prétendent à rien. |
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