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TIRONS SUR L'AMBULANCE
 

 

Les médias nous avaient annoncé le retour imminent de l'ancien premier ministre Jospin sur le devant de la scène politique. Au point qu'à chaque manifestation des restes du Parti Socialiste, les journalistes trépignaient d'impatience : Viendra ? Viendra pas ? Malgré son départ définitif de la vie politique, il a donc fini par revenir, et de la manière la plus honorable, puisque c'est en signant une tribune dans le Monde du samedi 1er février que Lionel Jospin est sorti de son silence, ce que personne ne lui avait demandé. On apprendra au passage que cette contribution particulièrement ébruitée à la reconstruction de la gauche ne constitue pas un retour à la vie politique, car « parler, ce n’est pas revenir ». Ceci dit, son surnom de Yoyo n'a rien à voir avec son physique, qui n'a rien du jouet du même nom, mais se rapproche sans doute bien davantage de sa propension infaillible à revenir d'où il vient... le PS a eu beau chercher, il n'a pas su couper la ficelle.

Ce n'est pas sans une certaine curiosité que je me mis à la lecture de cette tribune. Non sans, également, une certaine appréhension : la lecture du Monde n'étant pas conseillée pour des raisons sanitaires, s'enfiler d'un seul tenant une double page, soit exactement 3 008 centimètres carré de Jospin, frôlait la folie suicidaire. Mais, poussé par le désir malsain d'observer les dernières compulsion du jospinien cadavre, je me mis derechef à lire ce papier. Grand bien m'en fit. Car, non seulement cette tribune est très drôle, mais elle est également très révélatrice du personnage Jospin.

On remarque dès les premiers mots l'incroyable fatuité de l'homme. "Etre utile", tel est le titre de cette tribune. Mais utile à qui ? Utile, non seulement à la gauche (ce qui n'est pas très difficile, par les temps qui courent), mais également, dans un élan d'abnégation que laissait présager son image de moine protestant agnostique, utile à la France tout entière. Après avoir été martyrisé par ces salauds d'électeurs (nous y reviendrons), Lionel leur donne l'absolution. Et une bonne partie de sa prose tourne autour du thème biblique "Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font". Jospin, prophétique comme jamais, nous pardonne, car nous n'avons pas su ce que nous faisions, en le virant manu militari d'une scène politique qu'il avait déjà trop occupée. Il nous pardonne, car, c'est ce qui ressort de ses pathétiques affabulations, nous sommes irresponsables, bêtes, embrigadés par la propagande nauséeuse d'une droite totalitaire. Comment pourrait-il nous en vouloir, à nous qui n'avons pas été faits à son image (Dieu merci), qui ne possédons pas sa sagesse innée, son sens politique ? Tout l'article est à l’avenant et baigne dans cette conception très démocrate de l'électeur ingrat. Les Français ont fauté en votant mal (alors qu’à l’en croire, ils ne souhaitaient pas la défaite de la gauche). Les Français ont pêché en refusant de suivre la voie qu'on leur montrait. Belle conception de la démocratie...

Par la suite, la manière dont il aborde sa gamelle présidentielle se rattache logiquement à sa vision des français et à sa conception de la vie politique, subtile alliage de démocratie et de méthode Coué. Comprenez bien ceci : la gauche n'a pas perdu les élections. Passez-le vous en boucle dans votre walkman, écrivez-le sur vos murs et votre porte d'entrée, faites le vous tatouer sur le nombril : la gauche n'a pas perdu, qu'on se le dise et répète. Il n’a pas tort, puisqu’après moult manifestations bigarrées, notre Chirac national a été porté aux sommets grâce aux voies du PS, des verts, du PC et de toute la racaille gauchiste qui s’était prononcée en faveur d’un postier haut-de-seinien, d’une retraité crédit-lyonnaise ou d’un inconnu glucksteinois, ce qui, à y bien regarder, représente sûrement bien davantage que les voies exprimées en faveur de l’UMP et de l’UDF réunies. On apprendra par ailleurs que cette défaite est « absurde », ce qui, mathématiquement parlant, n’est pas forcément une erreur.

Absurdité ou non, Jospin en déduisit la nécessité d’un « geste de responsabilité personnelle » et d’un « acte de rupture ave la frivolité politique qui avait perverti la campagne et le vote ». En dehors de cette profession de foi de démocrate (son éviction par le suffrage universel étant « frivole », futile etc. : merci pour les électeurs), on admirera la dignité de celui qui, sous couvert de responsabilité personnelle, ressemble bien davantage au rat qui quitte le navire qu’au capitaine qui évacue les femmes et les enfants d’abord. Une conception de l’honneur et de la responsabilité toute particulière, qui se double d’une démonstration verbeuse, tendant à démontrer que, malgré ce tiers de mètre carré de blabla inutile, il n’est pas revenu dans la vie politique (« Parler, ce n’est pas revenir. J’ai quitté la vie politique et je n’y reviens pas », et honni soit qui mal y pense).

Notons, en passant, que si la gauche a perdu, ce n’est pas que sa politique était mauvaise. Ce n’est pas que la « pensée socialiste » (sic) est anachronique. La seule mauvaise note que l’ancien premier ministre ose s’administrer, c’est d’avoir, je cite, « manqué de vigilance face aux messages d’insatisfaction et d’impatience » qui lui étaient adressés. Le gouvernement avait pourtant, à l’en croire, apporté les réponses qui s’imposaient, et les bonnes, de surcroît, les électeurs, dans leur idiotie de souverain universel, ne s’en sont même pas aperçus. Si bien lancé dans son autocritique, exercice dont il n’est pourtant pas familier, Jospin reconnaît avoir été trahi par « l’usure du pouvoir »… thème que, si l’on se souvient bien, il avait déjà abordé à propos de son challenger Chirac lors de quelque voyage aérien, soigneusement entouré par des journalistes qui étaient là par hasard…

Une part de responsabilité, donc, pour les socialistes. Mais minime, et encore… car l’on apprendra à la lecture de ce papier, qui ferait un excellent sujet d’examen à la faculté lacanienne de psychanalyse, que le peuple « ne semblait pas vouloir » rejeter la gauche. Avouez que les apparences étaient trompeuses. Ce peuple, quel farceur… mais de là à imaginer qu’il utilise des élections pour faire une blague de la sorte… Conclusion provisoire : gagner était possible. Ce qui est confirmé, un peu plus loin, par une révélation : après son éviction, Jospin a reçu des milliers de lettres dont les auteurs regrettaient de n’avoir pas voté pour lui au premier tour, alors qu’ils voulaient l’élire au second. Pour un peu, on s’attendrait presque à découvrir que des électeurs lui ont envoyé personnellement leur bulletin de vote, adressé rue de Solférino dans une enveloppe bleue cachetée de la préfecture. Etonnant, non ?

Alors pourquoi donc la gauche (celle qui s’approprie volontairement ce titre, j’entends) a-t-elle été virée aussi sèchement ? pourquoi l'assemblée nationale n'est-elle pas rose bonbon ? pourquoi les soviets suprêmes sont-ils devenus un peu plus bleus qu'auparavant ? Simplement parce que la Providence s'est déchaînée contre Jospin. Et ce dernier, plus Don Quichotte que jamais, se venge. Et tout le monde en prend pour son grade. La droite, populiste, qui exploite un sentiment d'insécurité qu'elle a elle-même créé de toutes pièces, avec l’odieuse complicité des médias fâchistes. Il ne manquerait plus qu'à accuser Chirac d'avoir été élu avec les voix du Front National pour que l'infamie soit complète (ça n'aurait pas été un scoop d'ailleurs, puisque Jack Lang, viré de l'un de ses multiples sièges percés lors d'une élection récente, avait ouvertement accusé son adversaire de droite d'avoir été élu avec les voix de l'extrême droite, alors que le second tour était disputé par trois candidats dont un FN : pas de demi-mesure dans la mauvaise foi). Jospin n'évite pas d'ailleurs le ridicule dans cette veine, en qualifiant notamment Sarkozy d'activiste (à se demander si Raël n'a pas piqué la place de Jospin). On n’est pas passé loin de l’assimilation Sarkozy-Brunerie. Dans la même veine, il dénonce cette droite qui stigmatise à tour de bras et qui tire sur tout ce qui bouge « en lâchant la bride aux forces de police (ce qui peut à terme entraîner des dérives) » (sic) : le fâchisme n’est pas très loin. Enfin, prophétique et prophylactique, il nous annonce que, si la gauche avait adopté les bonnes réponses (naturellement), « rien n’indique que la droite en donnera de meilleures » : bien mal acquis ne profite jamais. Ceci  est confirmé par la révélation suivante (mais pourquoi diantre ne nous en sommes nous pas aperçu ?) : le programme de la gauche « répondait mieux que celui de la droite aux besoins du pays ».

Dans le même registre, une pique est adressée au Président sortant-rentrant, qui, s’il s’est constamment associé aux réussites du gouvernement, maintenait la distance suffisante pour lui reprocher ses griefs. Stratégie de sangsue qui se révéla payante, puisque les électeurs de gauche finirent par voter pour lui. Moralité : mieux vaut être bon et menteur que médiocre et honnête.

Les médias sont également mis au pilori. En soi, je ne suis pas contre. Mais lorsque c'est Jospin qui ressort la rengaine ultra-réchauffée de la télé partisane, qui favorise tel parti plutôt que le sien (au mépris de toutes les études parues sur le sujet), qui insiste lourdement et fallacieusement sur l'insécurité en amalgamant immigration et délinquance... on frôle l'indigestion.

Enfin, last but not least, la gauche. Le papier se transforme en un mélodrame moderne, mettant en scène un Saint Jospin (que l'on a déjà rencontré) trahi par les siens. Quel sort de martyr fut le sien : trahi de toute part, accablé d'injustice... et au milieu, lui, impassible, poursuit son dur labeur, ignorant les maugréments, les voix, les cris, la pluie de tomates et d’œufs pourris. Mais qu'on le comprenne bien : la défaite (ou la non-victoire, si l'on veut) n'est pas due à ce qu'a fait le gouvernement. Ce ne sont pas les idées ou le programme de gauche qui sont dépassés ; le socialisme, recherche mystique, perpétuelle et permanente du bien, a, aux dires mêmes du principal intéressé, de beaux jours devant lui. Lionel nous livre au passage, sur fonds de lutte des classes, un couplet sur la différence entre le socialisme de contestation et le socialisme d’action, se réclamant du second, tout en reconnaissant implicitement avoir (35 heures à l’appui) avoir bien davantage pratiqué une politique totalitaire qu’une politique pragmatique. Ca n'était pas la politique menée dans tous les domaines depuis 1997 qui était inadaptée. Non, l'os est venu des alliés du PS. Les communistes et les verts, qui ont chahuté le gouvernement de gauche auquel ils participaient, au lieu de s'en prendre à la droite. Alors que Jospin, lui, n'a jamais discuté sur les programmes de ses petits camarades, et anciens alliés : « j’aurais été », nous dit-il « le seul candidat de la majorité plurielle à éviter d’attaquer ses partenaires et à refuser d’ajouter la division à la division ».

Mention spéciale est adressée à Chevènement, coupable aux yeux du Mollah Jospin d’avoir remis « en cause le clivage aussi vieux que la république entre la gauche et la droite » en renvoyant dos-à-dos Chirac et Jospin « de façon tout à fait injustifiée ». Rompre avec le laxisme passif de la gauche est un crime pour un homme de gauche, et l’ancien ministre de l’intérieur n’avait pas le droit de critiquer l’extraordinaire tolérantisme de ses anciens alliés.

On reste admiratif devant ce Jospin, piégé par ses amis, victime de son démocratisme… car c’est « par esprit démocratique » qu’il accepta « la multiplicité des candidatures, comptant sur l’esprit de responsabilité de chacun dans la campagne pour préserver l’essentiel ». Les amis de gauche apprécieront cette insulte à peine voilée. Les démocrates apprécieront cette leçon de démocratie régulée. Les adversaires apprécieront cette vision toute néostalinienne de la politique, qui se poursuit dans un style qui n’est pas sans rappeler celui du petit livre rouge : « la démocratie se défend aussi au quotidien et est faite d’actes ordinaires et essentiels, comme celui de voter ». Sous-entendu, évidemment, « de BIEN voter », car les quelques millions de personnes qui ont voté pour « le démagogue de l’extrême droite » (appréciez cette tournure impersonnelle style post-Nuremberg), n’ont pas défendu la démocratie, et ont perverti le droit de vote. Quelle affrosité, ma chère ; ils méritent le pilori. Et ces apostats, ces suppôts de Satan ont été aidés par les abstentionnistes, qui en prennent à leur tour pour leur grade, coupables de crime de lèse-démocratie. « A se montrer complaisant à l’égard de ceux qui n’accomplissent pas leur devoir civique »… gageons que la criminalisation de l’abstention figurera en bonne place dans le programme du candidat Jospin aux présidentielles de 2007. Si…

S’il y a encore des élections en 2007. Car la droite dispose aujourd’hui de tous les pouvoirs, et « commence à prendre des libertés avec quelques règles républicaines ». Indépendance de la justice, de l’administration (où Jospin feint de découvrir qu’un changement de majorité entraîne des remaniements dans la haute fonction publique, ce qu’il n’avait jamais vu, et encore moins pratiqué), liberté absolue donnée à la police (à quand les escadrons de la mort ?), népotisme (avec la meilleure volonté, je n’ai pas compris de quoi il parlait), communication excessive, et surtout gouvernement aux ordres qui « dans la réalité sert toujours les mêmes intérêts ». Heureusement, Jospin, grand amateur, à ce qu’il semble, des dénonciations anonymes (au point qu’on se demanderait quel aurait été son comportement durant la dernière guerre…) veille.

En guise de conclusion, c’est un message d’optimisme qui est délivré à l’attention de la gauche, qui « n’a pas laissé un mauvais souvenir aux Français » (qui l’eut crû ?). Et Jospin d’enfoncer le clou : « la France a besoin de nous ». S’il n’avait pas eu peur de quelque assimilation avec certain personnage des heures les plus sombres etc., il aurait presque pu « faire don de sa personne à la France » : le résultat aurait été le même. Paternalisme et démocratisme, telle est la cuvée 2003 de ce Jospin-là. Vu le contenu de cette tribune hallucinante (car les quelques extraits que je cite sont représentatifs, mais toute la prose est du même acabit), espérons que les socialistes sauront rappeler à leur ancien leader ses paroles du 21 avril au soir : « j’assume pleinement la responsabilité de cet échec et j’en tire les conclusions en me retirant de la vie politique après la fin de l’élection présidentielle ».

 

 

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