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to you in person
Nîmes, 2001
Avec Olivier Bardin et des étudiants de l’École Supérieure
des Beaux-Arts de Nîmes
Un générique déroulant tous les protagonistes
de ce projet est discrètement écrit au crayon
à papier sur le mur d’une des salles d’exposition de l’école
des Beaux-Arts de Nîmes.
En s’adressant à ceux qui y apparaissent, les membres de
l’école et les visiteurs extérieurs peuvent reconstituer
l’histoire complexe de ce projet.
« L’expérience menée avec les étudiants
s’est déroulée en quatre périodes. Elle concerne principalement
les étudiants de troisième année de l’école
des Beaux-Arts de Nîmes.
Première période : jeudi 2 novembre 2000.
A Nîmes, Aurélie Veyron, Grégory Biondi, Marie
Laurent, Catherine Houbart, Camille Morhange, Eugénie Nadal, Nicolas
Pene ont participé à ce projet à des degrés
divers.
En constituant un fonds sur le procès d’OJ Simpson à
partir de documents trouvés sur Internet,
les étudiants ont pu obtenir une vision fragmentée
de ce procès qui a marqué les Etats Unis,
en 1995. L’accès aisé au contenu et au fonctionnement
de ce procès très médiatisé a été
la raison du choix de ce sujet. Dans un lieu et un temps déterminés,
des témoins se succèdent.
Par leur parole, ils reconstituent l’image - jusque dans les moindres
détails - d’un fait réel.
Le recoupement des témoignages fabrique une carte. Une carte
non exhaustive du procès
comme le sont toutes les cartes, mais dont les contours décrivent
d’autres territoires.
Nous avons donc mis en contact, par téléphone, le
temps d’une soirée, ce groupe d’étudiants
avec un groupe de gens plus âgés (artistes, designers,
compositeurs, graphistes, scénographes, comédiens…). Cet
autre groupe se trouvait devant une image télévisée
muette de la retransmission en temps réel du procès de 1995.
Un extrait de cinq heures sur huit mois d’enregistrement.
Nous avions ainsi un fragment d’enregistrement sans contenu à
Paris et des fragments de procédure sans image à Nîmes.
Par un jeu de questions et de réponses par téléphone,
c’est une autre image que nous avons tenté de recréer, non
pas l’image juste du procès d’OJ Simpson mais une image produite
par la rencontre de gens qui ne se connaissent pas et dont le métier
est d’en fabriquer.
La conversation téléphonique a été enregistrée.
Elle révèle trois attitudes principales :
- Un intérêt pour le contenu formel de l’image et de
la procédure, une précision
dans la description des fragments et dans la recréation
précise d’une nouvelle image,
souvent fictive d’ailleurs.
- Une discussion plus large concernant, par exemple, les implications
du procès
dans la communauté noire américaine ou la présence
des médias dans une salle d’audience.
- Le troisième type de dialogue porte sur un désir
de rencontre entre les différents acteurs impliqués le temps
d’une soirée dans ce projet.
Ces dialogues n’ont parfois rien à voir avec le procès.
Chacune de ces attitudes révèlent
un certain type de comportement et fabrique à la fois l’image
nouvelle de ce procès éloigné
dans le temps et dans l’espace, et l’image précise d’un
temps passé entre deux communautés
qui ne se connaissent pas à Nîmes et à Paris.
Dans une deuxième période, nous avons proposé
à tous les étudiants de première année d’écouter
l’enregistrement de cette conversation téléphonique et d’interpréter
ce qui s’était dit.
Une nouvelle image était en train de naître par-dessus
la dernière, plus éloignée encore
du procès. Par des schémas et des notes, les étudiants
de première année ont fait des choix
dans ce qu’ils entendaient. A l’intérieur de la carte, des
trajets étaient tracés.
Des lignes singulières et juxtaposées recréent
ainsi de nouveaux territoires.
La salle d’audience et la position des acteurs dans cet espace
sont reconstituées.
Un schéma sélectif et des diagrammes retracent les
conversations ou des figures synthétiques
et emblématiques des attitudes adoptées au cours
de l’enregistrement téléphonique.
Nous avons ainsi rassemblé soixante-deux schémas.
Une troisième période, fictionnelle, a consisté
pour les étudiants de troisième année
à disposer ces dessins sur une table et à les rassembler
par famille. Ils ont juxtaposé
ces dessins de façon à entamer une fiction. Le soir
du jeudi 16 novembre, nous avons propulsé
les étudiants dans le même type de dispositif que
le jeudi 2. De nouveaux interlocuteurs étaient présents à
Paris, tandis qu’à Nîmes le groupe des étudiants s’était
agrandi aux autres années d’études. A Paris comme à
Nîmes, les participants se trouvaient face aux soixante-deux dessins
des étudiants de première année. Avec ces
dessins, nous avons, toujours par téléphone, tenté
de constituer deux expositions parallèles, deux images synthétiques,
sur un modèle proche
de la structure télévisuelle, où un même
programme est partagé par une communauté de gens séparés.
A partir d’une forme classique d’exposition, des dessins accrochés
sur un mur, nous avons abordé
la question de la subjectivité du spectateur et de sa participation,
finalement très studieuse
de part et d’autre. Une caméra pouvant pivoter sur un pied
était placée à la même distance du mur d’exposition
à Nîmes et à Paris. Nous avons maintenant en parallèle
le résultat filmé
de deux atmosphères distinctes et du travail de deux générations
d’individus au service
de la fabrication d’un programme commun.
Dans une quatrième période, j’ai demandé à
Aurélie Aura, étudiante en cinquième année,
dont le travail me semblait se prêter à l’expérience,
de synthétiser sa perception
des soixante-deux dessins des étudiants de première
année dans un objet, une installation
ou toute autre chose. Une vision singulière. Aurélie
est venue présenter le résultat de ses recherches aux auteurs
de ces dessins le mardi 28 novembre. Par une sélection de mots puisés
dans ces schémas, elle a proposé un objet parfaitement
synthétique et radical, en forme
de pirouette et controversé par ceux qui en étaient
à l’origine. Nous étions devant
l’expression d’une subjectivité, qui semblait réductrice
aux yeux des étudiants
de première année. Il s’agissait d’un jouet d’enfant,
une girafe en plastique
qui fait « pouêt pouêt ».
En quatre périodes nous avons raconté l’histoire courte
de la fabrication d’un certain type d’images, nous avons fabriqué
une maquette subjective de l’histoire. Des attitudes singulières
se sont exprimées. Des visions se sont croisées.
Au lieu de continuer indéfiniment à fabriquer
de nouvelles formes, nous nous sommes dit qu’il valait mieux maintenant
se poser en historiens
de cette brève histoire.»
Olivier Bardin |