MOUCHE A FEU (suite)

A l'instar de la coccinelle, le Lampyre, ou ver luisant (Lampyris noctiluca), est un insecte très populaire, et quel que soit notre âge c'est toujours un petit bonheur de voir son lumignon resplendir par une belle nuit d'été. Comme la coccinelle c'est un Coléoptère, et comme elle encore c'est un redoutable prédateur. La comparaison s'arrête là car notre Lampyre est par ailleurs un insecte bien peu ordinaire et nous allons voir en quoi consiste son originalité.

La plus connue de ses particularités, est bien sûr la faculté qu'il a d'émettre une lumière très nettement discernable, et à la fois quelque peu irréelle tant elle donne l'impression d'émaner de nulle part. Cette bioluminescence, puisque tel est son nom, est effectivement peu banale car il s'agit d'une lumière dite froide c.a.d. ne dégageant aucune chaleur. Sans entrer dans le détail du processus biochimique la générant disons que cette luminescence résulte de l'oxydation enzymatique d'une graisse très spécifique.

Par référence à la bionique notez au passage que notre Lampyre a inventé le concept de la lumière froide bien avant l'homme. Notez également que ce type de lumière est tout particulièrement adapté à l'observation rapprochée (loupe binoculaire par exemple) du matériel biologique vivant, et donc fragile par définition. Bien entendu dans ce dernier cas le processus d'obtention est plus électronique qu'enzymatique!

Cela dit notre ver luisant, qui d'ailleurs n'a rien d'un ver, se singularise par un dimorphisme sexuel véritablement hors normes car si le mâle a tous les attributs d'un coléoptère qui se respecte, et entre autres une paire d'élytres, on peut dire que la femelle ressemble à tout, sauf précisément à un coléoptère.

Ver luisant (larve âgée) en vue ventrale. A droite détail de l'extrémité abdominale et des 3 derniers segments (flèche) où sont localisés les organes luminescents (en l'occurence réduits en regard de la femelle ci dessous).

Tout d'abord on notera son aptérisme total, phénomène toujours extrêmement rare chez les coléoptères (Pachypus candidae par exemple), mais bien connu chez d'autres insectes tels certains Lépidoptères hétérocères (=nocturnes) de la famille des Géométridés.

On notera aussi et surtout que la femelle adulte conserve une morphologie de type larvaire tout au long de sa vie, ce qui est là tout à fait exceptionnel pour un coléoptère, mais qui peut se rencontrer chez d'autres insectes, tels les termites (cf. pages entomo.)

de gauche à droite: ver luisant femelle; détail de son "lumignon";
mâles, vues ventrale et dorsale

On notera encore que notre Lampyre est si je puis dire un perfectionniste, car ses oeufs eux-mêmes seraient plus ou moins luminescents, ce qui une fois de plus sort à l'évidence de l'ordinaire. Je ne suis cependant pas persuadé du fait car selon mes propres observations ils ne le sont pas, y compris sous UV.

les oeufs sont sphériques, jaunes, et déposés sans ordonnancement
 

On notera enfin que le Lampyre, grand consommateur d'escargots, marque là encore sa différence en usant d'une technique pour le moins originale et quasi chirurgicale. Il anesthésie en effet ses proies avant de les consommer, et il s'agit bien d'une anesthésie car les escargots en question sont susceptibles de "récupérer". Bien entendu il ne faut pas laisser le Lampyre passer à table, car c'est un adepte de la digestion extra orale, et à ce titre il liquéfie littéralement les tissus de sa victime avant de les absorber. Cette précision apportée, l'anesthésie en question est si efficace, et si subtilement instillée, que les quelques morsures infligées à cet effet paraissent d'aimables bécots, et ne provoquent aucune réaction de défense de la part de la victime (rétraction dans la coquille, ou émission de mucus par exemple).

femelle de Lampyre à l'oeuvre dans un Helix pisana

A titre indicatif, et comparatif, de nombreux Hyménoptères paralysent leurs proies, le plus souvent en vue d'assurer la subsistance de leur descendance. Cette paralysie est cependant irréversible, et elle résulte d'un coup d'aiguillon, au demeurant toujours très efficacement porté, car bien placé pour atteindre les centres nerveux de la victime.

Pour continuer cette page nous reviendrons à la bioluminescence pour préciser que les larves du Lampyre sont dotées elles aussi de lumignons fonctionnant à l'identique, mais ils sont réduits et a priori sans rôle bien défini. Celui de la femelle mature est différemment placé, beaucoup plus puissant, et son rôle sexuel est lui parfaitement identifié. Dans la mesure où ces organes luminescents sont ventraux, la femelle fait en sorte de les exposer au mieux. Bien que n'ayant jamais observé le fait, elle passe même pour pouvoir agiter son petit fanal, tel un chef de gare, afin de mieux capter l'attention des mâles en maraude, qui eux volent aisément.

Dans la même optique, et c'est bien le cas de le dire, les yeux des mâles sont énormes, et à côté ceux des rapaces nocturnes ne sont rien. On peut même dire qu'ils sont carrément hypertrophiés (image ci-contre) tant le reste de la tête apparaît comparativement insignifiant. Cela donne évidemment à penser qu'il y a corrélation avec le lampion abdominal des femelles, et que la recherche de la partenaire est de ce fait essentiellement visuelle. Là encore notre lampyre fait donc bande à part car chez la plupart des insectes l'émission de phéromones sexuelles spécifiques prévaut le plus souvent dans le rapprochement des sexes (cf. planche entomo. "curiosités"). A noter que cette émission cesse dès que la femelle est fécondée, et que pareillement c'est l'extinction des feux pour notre femelle de Lampyre dès qu'un mâle est venu honorer son petit lampion.

Ultime détail, les yeux du Lampyre mâle sont placés sous une avancée du pronotum et il n'est pas exagéré de voir en cette casquette une sorte réflecteur propre à optimiser le champ de vision, et donc la perception des signaux lumineux de la femelle. Accessoirement on peut également y voir une autre relation avec la bionique.

Pour conclure je dirais que notre charmant porte lampion tend à se raréfier pour de multiples raisons. Autrefois il était fréquent dans nos jardins, au bord des routes, au revers des fossés, le long des haies, bref partout où ses proies abondaient. Depuis l'avènement des insecticides, hélicides, et autres biocides, son petit lumignon se fait bien discret. Par ailleurs, comme tant d'autres insectes, tels les Orthoptères (sauterelles et criquets notamment), il est particulièrement vulnérable au girobroyage, technique dorénavant quasi généralisée en matière d'entretien des espaces herbacés de quelque importance en terme de surface.
 

Fait par William 

le 12 novembre 2002

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Mis à jour le 28 novembre, 2002