Editorial: Classe, nation, communauté (I)
Dossier Thématique: Le marxisme-léninisme et la question nationale,
Une militance dans la communauté arabe en Belgique : l’UJPA,
Histoire et perspectives des relations entre le mouvement marxiste marocain et front Polisario, et
La question juive et le sionisme
Débats et théorie: Rubrique philosophique (1) : introduction (ou de la vérité) et
Catégories de la politique militaire révolutionnaire (suite et fin).
Où en est-on dans la question nationale en Belgique ? Depuis la reconnaissance par l’Etat belge des droits de la nation flamande, le mouvement flamand a pris un caractère exclusivement réactionnaire et chauvin, se faisant le promoteur des anciennes pratiques d’oppression nationale (principalement linguistique) dont il fut victime. Cette évolution d’un nationalisme « défensif » (réponse à une oppression) en nationalisme « offensif » (producteur d’oppression) s’est faite toute naturellement puisque la direction du mouvement national flamand a toujours été entre les mains de forces bourgeoises et petites-bourgeoises réactionnaires.
Si la question nationale empoisonne les luttes syndicales, (et à vrai dire toutes les luttes), c’est bien parce que le réformisme et le chauvinisme sont inséparables. Mais on ne peut négliger le fait que les mouvements populaires sont aussi des mouvements nationaux et que dans l’histoire, les deux peuples constitutifs de la Belgique, Flamands, Wallons, n’ont pas perdu leur caractère national.
Une lecture « nationale » de l’histoire contemporaine montre à quel point les mouvements populaires (voire mêmes ouvriers) se sont développés en gardant un caractère national, flamand ou wallon. La résistance à l’occupation militaire durant la guerre de 14-18, a gardé ses spécificités nationales, flamandes ou wallonnes. Les grandes grèves de 1934 et 36 se sont surtout localisées en Wallonie. Lors de l’agression nazie, la « campagne des 18 jours », l’engagement au combat des régiments a été significativement différent, selon qu’il s’agissait d’unités flamandes ou wallonnes, ces dernières comptant un nombre nettement plus élevé de morts et combattant parfois après la capitulation. La grève générale contre le retour de Léopold III, comme le "non" au referendum qui suivit, et la grande grève de ’60-’61, marquèrent la même différenciation.
Mais cette lecture « nationale », pour légitime et utile qu’elle soit, n’a pas à occulter la lecture « de classe ». A savoir que la classe ouvrière flamande a joué un rôle actif dans la lutte prolétarienne alors même que l’ensemble du peuple flamand était encore majoritairement rural et idéologiquement dominé par un clergé réactionnaire. Que la classe ouvrière flamande a mené héroïquement la résistance contre l’occupation nazie (alors même que la petite-bourgeoisie et la bourgeoisie flamande collaboraient massivement). Que la classe ouvrière flamande a porté seule, en Flandre, la lutte contre le retour de Léopold III. L’analyse nationale montre vite ses limites : la province du Luxembourg n’a-t-elle pas voté pour le retour du roi ? Comment expliquer cela autrement que par sa structure de classe (importance d’une paysannerie moyenne se reconnaissant idéologiquement dans l’église catholique) ?
En sous-estimant l’oppression nationale dont furent victime les Flamands, le mouvement ouvrier belge a commis une lourde erreur qui n’est pas sans origine. Dès avant la première guerre mondiale, le POB estimait qu’avec le suffrage universel, les problèmes linguistiques se résoudraient automatiquement, et que tout devait céder à cet objectif. En outre, il percevait les revendications flamandes comme propre à diviser le mouvement ouvrier et la lutte pour le suffrage universel. Le caractère catholique petit-bourgeois du mouvement flamand d’alors contribua aussi à le tenir pour négligeable. Cette confusion entre la légitimité de la revendication flamande et le caractère réactionnaire des forces qui portaient cette revendication s’alliait à cette conviction que le POB ne pouvait avoir de base sérieuse qu’en Wallonie où, sinon quelques exceptions (textile gantois), le prolétariat industriel était concentré. Or, c’est précisément à ce moment (fin XIXe début XXe) que l’industrialisation de la Flandre prit son essor (chimie et industrie des non-ferreux en Campine et sur l’axe Bruxelles-Vilvorde-Willebroek-Boom, chantiers navals à Hoboken, ensuite mines du Limbourg etc.). Les éléments qui, au sein du POB, voulaient lier la libération nationale à la libération sociale (comme la fraction de Camille Huysmans), étaient marginaux. Certes, le POB a voté toutes les premières lois linguistiques qui firent entrer, au début du siècle, le flamand dans les écoles primaires, les tribunaux, les casernes, le Parlement, etc. en raison de leur caractère évidemment démocratique, mais le POB ne joua aucun rôle actif dans ce processus d’affranchissement. Il créait ainsi les conditions d’une hégémonie durable des courants réactionnaires dans le peuple flamand, surtout après le prurit social-chauvin (allant jusqu’au culte de la monarchie) de la première guerre mondiale. Et lorsque à leur tour les Wallons se sont estimés opprimés (pour une souris, dit-on, il n’est aucun animal plus fort que le chat, le chat du PS wallon étant le prétendu « Etat-CVP »), les revendications nationales wallonnes ont-elles aussi pris (malgré les apparences) une orientation anti-prolétarienne.
L’opposition entre une « Flandre noire » et une « Wallonie rouge » a servi de prétexte « progressiste » pour diviser le mouvement ouvrier et l’entraîner sur les voies du chauvinisme et de la collaboration de classe. Il faut accorder une attention particulière à la grande grève de ’60-’61 et son issue marquée par le « renardisme » . 0n vit les particularismes régionaux exacerbés par la direction de la FGTB et le mouvement ouvrier engagé dans le Mouvement Populaire Wallon, soutenu avec enthousiasme dans cette trahison des revendications populaires par la direction révisionniste du PCB . C’était les premiers pas d’une collaboration de classe à l’échelon régional qui n’allait cesser d’empirer, et qui allait prendre toute sa mesure lorsque le PS, rompant avec sa logique unitaire, joua la carte fédéraliste. Les divisions s’étendirent même au niveau sous-régional, et c’est ainsi que lors du démantèlement des ACEC (Ateliers de Constructions Electriques de Charleroi) et des usines sidérurgiques on pu assister, en Wallonie, à la « guerre des bassins », activement menée par les directions syndicales, Liège luttant pour que les fermetures aient lieu à Charleroi et vice-versa. Significative également cette manifestation de « protestation » à Charleroi précédée d’une banderole « Les ouvriers veulent un aéroport à Charleroi » ! C’était l’époque où un dirigeant du PS liégeois déclarait ouvertement « préférer un patron wallon à un ouvrier flamand ». Rien n’a réellement changé depuis ; pensons aussi aux plans mystificateurs comme « Vlaanderen 2000 », Contrat d’Avenir pour la Wallonie, (le CAWA, signé par la FGTB), ou encore le « Plan Marshall ».
Les multiples scissions — et il ne s’agit pas seulement de scissions Nord-Sud — dans les appareils syndicaux réformistes ont « coulé » les structures syndicales dans le moule des institutions fédérales étatiques, au détriment de l’unité de lutte de la classe. Le dernier avatar de cette politique est la scission, cette année, de la Centrale des métallos bruxellois en une Centrale flamande et une centrale francophone. Ce qui signifie qu’au sein d’une usine comme VW à Forest, les ouvriers FGTB néerlandophones et francophones appartiennent à des syndicats différents ! C’est exactement ce genre de division dont ils ont besoin aujourd’hui…
A la multiplication des divisions et sous-divisions nationales, communautaires régionales et sous-régionales qui ne cesse d’entraver l’unité du mouvement prolétarien correspond la mondialisation capitaliste (qui place les prolétaires dans une situation de concurrence) et la construction européenne (qui donne à la bourgeoisie impérialiste européenne des moyens d’agir au plus haut degré d’unité).
Voilà la tendance catastrophique qui s’est dégagée ces dernières décennies. Une division du prolétariat en de minuscules portions étrangères les unes aux autres mais dont les directions politiques et syndicales se lient à des institutions locales dépourvues de vrai pouvoir. Une unification de la bourgeoisie impérialiste européenne dans le cadre de l’UE, qui lui permet de faire valoir ses intérêts, opposés à ceux du prolétariat, dans le cadre d’une mondialisation déchaînant les forces de la concurrence.
Il ne s’agit pas, pour les communistes, de « sauver la Belgique ». Les cadres régionaux, national, européen sont également étrangers aux intérêts du prolétariat. Il s’agit avant tout de faire valoir l’unité des intérêts prolétariens à chaque échelon : sous-régional, régional, national, européen et international. Chaque échelon nécessite une analyse et une politique particulière pour avancer vers l’union des prolétaires dans la lutte pour leur libération.
Le fait que le mouvement flamand a pris un caractère exclusivement réactionnaire et chauvin ne nous dispense pas d’analyser attentivement le problème qu’il pose, car le mouvement flamand actuel bénéficie dans les milieux populaires du bénéfice de son ancienne légitimité, quand le mouvement flamand s’opposait à une réelle oppression nationale. Mais la question nationale en Belgique ne se limite pas à la confrontation Wallons/Flamands qui a pris le relais de la confrontation fédéralistes/unitaristes. La présence en Belgique d’importantes communautés d’origine étrangères (arabe et turque, notamment) requière également la plus grande attention. A l’heure où la machine capitaliste à assimiler les immigrés (école+usine) ne fonctionne plus, la manière dont ces communautés sont victimes du chauvinisme et du racisme, la manière dont, faute d’une direction prolétarienne, leur « nationalisme défensif » peut se muer à la première occasion en un « nationalisme offensif », également chauvin et raciste, sont autant d’éléments qui appellent la plus grande attention. Participent également au panorama de la question nationale en Belgique, la question juive et sa contamination par la question sioniste, la lutte des sans-papiers qui revendiquent l’égalité des droits, etc.
Ce numéro de Clarté propose une première livraison d’éléments d’analyses pour éclairer les choix des communistes révolutionnaires dans la question nationale. Une seconde livraison abordera notamment la question du travail politique parmi les sans-papiers et dans les communautés turque et kurde en Belgique, et analysera les positionnements de la gauche indépendantiste basque.
Lénine : « La question nationale exige d’être posée et résolue clairement par tous les ouvriers conscients. Lorsque la bourgeoisie luttait pour la liberté avec le peuple, avec les travailleurs, elle prenait la défense de la liberté complète et de l’égalité des droits complète des nations. Des pays d’avant-garde comme la Suisse, la Belgique, la Norvège, etc. nous montrent en exemple comment des nations libres, vivant sous un régime démocratique réel, vivent ensemble en bonne intelligence ou se séparent pacifiquement [NdE : en 1905, la Norvège se sépare pacifique, par referendum, de la Suède]. Aujourd’hui la bourgeoisie craint les ouvriers ; elle recherche l’alliance des Pourichkévitch et de la réaction ; elle trahit la démocratie, prend la défense de l’oppression ou de l’inégalité des nations et cherche à corrompre les ouvriers par des mots d’ordre nationalistes. Seul, de nos jours, le prolétariat défend la liberté véritable des nations et l’unité des ouvriers de toutes les nations.
Pour que des nations différentes puissent, dans la liberté et la paix, vivre unies ou bien se séparer (lorsque cela les arrange davantage) en formant des Etats distincts, il faut la démocratie complète dont la classe ouvrière se fait le champion. Pas le moindre privilège pour aucune nation, pour aucune langue. Pas la moindre vexation, par la moindre injustice à l’égard d’une minorité nationale. Tels sont les principes de la démocratie ouvrière.
Les capitalistes et les grands propriétaires veulent à tout prix diviser les ouvriers des différentes nations ; mais pour leur part, les grands de ce monde vivent en parfaite intelligence, comme les actionnaires d’« affaires » qui « rapportent » des millions (du genre des mines d’or de la Léna) : qu’ils soient orthodoxes ou juifs, Russes ou Allemands, Polonais ou Ukrainiens, tous ceux qui possèdent un capital exploitent à qui mieux mieux les ouvriers de toutes les nations.
Les ouvriers conscients sont pour l’unité complète des ouvriers de toutes les nations au sein de toutes les organisations ouvrières, qu’elles soient éducatives, syndicales, politiques, etc. Laissons à messieurs les cadets, le déshonneur de nier ou d’amoindrir l’égalité des droits des Ukrainiens. Laissons à la bourgeoisie de toutes les nations le passe-temps des phrases mensongères sur la culture nationale, sur les problèmes nationaux, etc.
Les ouvriers ne permettront pas qu’on les divise à l’aide de quelque discours doucereux que ce soit sur la culture nationale ou l« autonomie culturelle nationale ». Les ouvriers de toutes les nations s’unissent pour défendre ensemble au sein de leurs organisations communes, la liberté complète et l’égalité en droits complète, gage de la culture véritable.
Les ouvriers créent dans le monde entier leur culture à eux, une culture internationale, à la préparation de laquelle ont œuvré de longue date les champions de la liberté et les ennemis de l’oppression. Au monde ancien, monde de l’oppression nationale, des querelles nationales ou du particularisme national, les ouvriers opposent le monde nouveau de l’unité des travailleurs de toutes les nations, dans lequel pas un seul privilège, pas la moindre oppression de l’homme par l’homme ne peuvent avoir place. »
(La classe ouvrière et la question nationale, La Pravda n°106, 10 mai 1913, Œuvres complètes, Tome 19, Editions de Moscou)
Lénine encore : « la tendance historique universelle du capitalisme à la destruction des cloisons nationales, à l’effacement des distinctions nationales, à l’assimilation des nations qui, à chaque décade, s’affirme plus puissante et constitue un des plus grands facteurs transformant le capitalisme en socialisme. N’est pas marxiste, ni même démocrate, celui qui ne reconnaît ni ne défend l’égalité des nations et des langues, qui ne lutte pas contre toute oppression ou inégalité nationale. Cela ne fait pas de doute. Mais il n’est pas douteux non plus que le pseudo marxiste qui attaque à fond le marxiste d’une autre nation en l’accusant de « tendance à l’assimilation », n’est en réalité qu’un simple philistin nationaliste. C’est à cette catégorie peu honorable de gens qu’appartiennent tous les bundistes… Sur dix millions et demi de juifs dans le monde entier [NdE : en 1913] , près de la moitié vivent dans le monde civilisé [NdE : Lénine appelle ainsi les pays démocratique bourgeois] dans les conditions de la plus grande "assimilation", alors que les juifs de Russie et de Galicie, malheureux, accablés, privés de droits(…), vivent dans les conditions de la moindre assimilation, du plus grand particularisme (…) les juifs dans le monde civilisé ne constituent pas une nation ; ils se sont assimilés plus que les autres (…) Les juifs de Galicie et de Russie ne constituent pas une nation : ils ne sont ici, malheureusement, non point par leur faute, mais par celle des exploiteurs, qu’une caste. Tel est le jugement indiscutable des hommes qui connaissent incontestablement l’histoire juive et tiennent compte des faits. Qu’attendent donc ces faits ? Ils attestent que seuls peuvent crier contre l’assimilation les petits bourgeois réactionnaires juifs qui veulent faire marcher à rebours la roue de l’histoire, l’obliger à tourner non point en commençant par le régime de la Russie et de la Galicie pour aller vers le régime de Paris et de New-York, mais inversement. Les meilleurs parmi les juifs, glorifiés par l’histoire universelle et qui fournirent au monde des guides avancés de la démocratie et du socialisme n’ont jamais crié contre. Seuls les contemplateurs admiratifs de ce qu’il y a de rétrogrades chez les juifs crient contre l’assimilation (…) Toute propagande tendant à séparer les ouvriers d’une nation (ou d’une minorité nationale) d’avec ceux d’une autre nation (ou d’une autre minorité nationale), toute critique visant les « tendance à l’assimilation » marxiste, toute opposition – dans les problèmes concernant le prolétariat – d’une culture nationale dans son ensemble à une autre culture nationale soi-disant intégrale, etc. c’est du nationalisme bourgeois contre lequel il nous faut absolument lutter sans merci… Le principe du nationalisme bourgeois, c’est le développement de la nationalité en général, d’où le caractère exclusif du nationalisme bourgeois, les rivalités nationales sans issue. Quant au prolétariat (…) il salut toute assimilation des nations, excepté l’assimilation violente ou qui s’appuie sur des privilèges. »
Staline : « Première question : comment organiser la vie politique des nations opprimées ? A cette question, il convient de répondre que le droit doit être accordé aux peuples opprimés faisant partie de la Russie, de décider eux-mêmes la question de savoir s’ils veulent rester au sein de l’Etat russe ou s’en détacher pour former des Etats indépendants. Nous sommes, à l’heure actuelle, en présence d’un conflit concret entre le peuple finlandais et le Gouvernement provisoire. Les représentants du peuple finlandais, les représentant de la social-démocratie exigent du Gouvernement provisoire la restitution au peuple des droits dont il jouissait avant l’annexion à la Russie. Le Gouvernement provisoire s’y refuse, ne reconnaissant pas la souveraineté du peuple finlandais. De quel côté devons-nous nous ranger ? Evidemment, du côté du peuple finlandais, parce qu’il est inconcevable qu’on reconnaisse le maintien par la violence d’une peuple quelconque dans le cadre d’un seul Etat. En formulant le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, nous élevons de ce fait la lutte contre l’oppression nationale au niveau d’une lutte contre l’impérialisme, notre ennemi commun. Si nous ne faisons pas cela, nous pouvons nous trouver dans la situation de gens qui portent l’eau au moulin des impérialistes. Si nous, social-démocrates, refusions au peuple finlandais le droit d’exprimer sa volonté de se séparer et le droit de résister cette volonté, nous nous trouverions, de ce fait, dans la situation de continuateurs de la politique tsariste.
Il n’est pas permis de confondre la question du droit des nations à la liberté de séparation avec le problème de la séparation obligatoire de la nation à tel ou tel moment. Cette question, le Parti du prolétariat doit la résoudre dans chaque cas particulier, tout à fait à part, suivant la situation. Reconnaissant aux peuples opprimés le droit de séparation, le droit de décider de leur sort politique, nous ne résolvons pas de ce fait la question de savoir si telles nations doivent, à un moment donné, se séparer de l’Etat russe. Je puis reconnaître à la nation le droit de se séparer, mais cela ne veut pas encore dire que je l’aie obligée à le faire. Le peuple a le droit de se séparer, mais il peut aussi, suivant les conditions, ne pas faire usage de ce droit. Ainsi, de notre côté, nous restons libres de faire de l’agitation pour ou contre la séparation, suivant les intérêts du prolétariat, les intérêts de la révolution prolétarienne. Ainsi, le problème de la séparation doit être résolu dans chaque cas particulier, tout à fait à part, suivant la situation ; et voilà pourquoi précisément la question de la reconnaissance du droit à la séparation ne doit pas être confondue avec l’utilité de la séparation dans telles ou telles conditions. Pour ma part, je me proposerais, par exemple, contre la séparation de la Transcaucasie [NdE : division administrative tsariste comprenant la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ; rappelons que Staline était Géorgien] , en tenant compte du développement commun à la Transcaucasie et à la Russie, de certaines conditions de la lutte du prolétariat, etc. Mais si les peuples de la Transcaucasie réclamaient néanmoins la réparation, ils se sépareraient certainement, sans rencontrer aucune opposition de notre part. (…)
Poursuivons. Comment agir envers les peuples qui voudront rester dans le cadre de l’Etat russe ? Si parmi les peuples il y a eu de la méfiance à l’égard de la Russie, elle était alimentée avant tout par la politique du tsarisme. Dès l’instant que le tsarisme a disparu, qu’a disparu sa politique d’oppression, la méfiance doit se relâcher, l’attraction s’accroître vers la Russie. Je pense qu’après le renversement du tsarisme, les neuf dixièmes des peuples ne voudront pas se séparer. Aussi, le Parti propose-t-il l’organisation d’autonomies régionales pour les peuples qui ne voudraient pas se séparer et qui se distinguent par les particularités de leurs conditions de vie, de leur langue, comme, par exemple, la Transcaucasie, le Turkestan, l’Ukraine. Les frontières géographiques de telles régions autonomes seront déterminées par la population elle-même, conformément aux conditions économiques, aux conditions d’existence, etc.
Enfin, reste la question des minorités nationales. Leurs droits doivent être protégés tout spécialement. Aussi le Parti réclame-t-il l’égalité complète dans les questions scolaires, religieuses, etc., l’abolition de toutes restrictions pour les minorités nationales.
Leurs droits doivent être protégés tout spécialement. Aussi, le Parti réclame-t-il l’égalité complète dans les questions scolaires, religieuses, etc., l’abolition de toutes restrictions pour les minorités nationales. (…)
Nous devons encore résoudre la question de savoir comment organiser le prolétariat des diverses nations en un seul parti commun. Selon un plan, les ouvriers s’organisent par nationalité, - autant de nations, autant de partis. Ce plan a été repoussé par la social-démocratie. La pratique a montré que l’organisation par nationalité du prolétariat d’un Etat donné, ne mène qu’à l’effondrement de l’idée de la solidarité de classe. Tous les prolétaires de toutes les nations composant l’Etat donné doivent être organisés en une seule collectivité prolétarienne indivisible. »
Staline Rapport sur la question nationale in La question nationale et coloniale (1917). Editions Norman Bethune, Paris, pp 95-98
« Mais trouver la clé d’une juste solution du problème national ne signifie pas encore le résoudre entièrement et définitivement, ni amener cette solution, à sa réalisation pratique et concrète. Pour réaliser de façon juste le programme national formulé par la Révolution d’Octobre, il est nécessaire encore de surmonter les obstacles qui nous ont été laissés en héritage par la période déjà franchie de l’oppression nationale, et qui ne peuvent être surmontés d’un coup en un bref laps de temps.
C’est héritage consiste, en premier lieu, dans les survivances du chauvinisme dominateur grand-russe [NdE : "grand russe" par opposition à "blanc-russe" (biélorusse) et "petit-russe" (ukrainien, l’Ukraine était traditionnellement appelée Petite-Russie)] , qui est le reflet de l’ancienne situation privilégiées des Grands-Russes. Ces survivances subsistent encore dans l’esprit des travailleurs de nos institutions soviétiques au centre et en province (…). Pratiquement, elles s’expriment dans l’attitude de mépris hautain et de bureaucratisme sans cœur que manifestent les fonctionnaires soviétiques russes envers les besoins et les nécessités des Républiques nationales. (…)
Cet héritage consiste enfin dans les survivances du nationalisme au sein de toute une série de peuples, qui ont subi le pénible joug de l’oppression nationale et qui n’ont pas encore eu le temps de se libérer du sentiment des vieux griefs nationaux. L’expression pratique de ces survivances, c’est un certain isolement national et l’absence d’une pleine confiance des peuples autrefois opprimés à l’égard des mesures émanant des Russes. Toutefois, dans certaines Républiques composées de plusieurs nationalités, il n’est pas rare de voir ce nationalisme défensif se transformer en nationalisme offensif, en chauvinisme avéré de la nationalité plus forte, dirigé contre les nationalités faibles de ces Républiques. Le chauvinisme géorgien (en Géorgie), dirigé contre les Arméniens, les Ossètes, les Adjars et les Abkhaz ; le chauvinisme azerbaïdjanais (en Azerbaïdjan), dirigé contre les Arméniens ; le chauvinisme ouzbek (Boukharie et Khorezm), dirigé contre les Turkmènes et les Kirghiz, le chauvinisme arménien, etc., - toutes ces variétés de chauvinisme (…) constituent le plus grand mal, qui menace de transformer certains Républiques nationales en une arène de querelles et de discordes. »
(Staline Thèses sur les facteurs nationaux dans le développement de l’Etat et le Parti (1923) in La question nationale et coloniale (1917). Editions Norman Bethune, Paris, pp 382-385.)
En résumé, les principes marxistes-léninistes relatifs à la question nationale sont :
- le droit à l’autodétermination de toute nation jusqu’à et y compris sa séparation d’avec l’Etat dans lequel elle se trouve (ce qui ne veut pas dire que la séparation soit toujours ni partout, pour les communistes, souhaitable) ;
- l’égalité en droit de toute nation et nationalité et l’interdiction de discrimination envers les minorités nationales ; les minorités nationales doivent avoir les moyens de protéger et valoriser leur patrimoine culturel ;
- la reconnaissance du processus d’assimilation des minorités par les majorités comme un processus historique qu’il convient ni de précipiter ni d’entraver. Reconnaissance du processus de constitution d’une culture mondiale, transnationale, comme expression du même processus historique à quoi il convient non de s’opposer mais de donner un caractère prolétarien, anti-capitaliste.
- la lutte contre les tendances du nationalisme défensif des nations opprimées à se transformer en chauvinisme, en racisme, et/ou nationalisme offensif. La lutte de libération nationale doit uniquement servir à faire falloir les droits de la nation à disposer d’elle-même, sans préjudices pour les droits des autres nations.
- l’organisation commune des prolétaires de nationalités différentes du même Etat dans les mêmes organisations de lutte (syndicats, Parti) ;
- la subordination générale pour les communistes de la question nationale à la question sociale, de la lutte nationale à la lutte de classes.
Une militance dans la communauté arabe en Belgique: l'UJPA
L’action politique au sein des communautés d’origine étrangère est, aujourd’hui, plus périlleuse que jamais. Périlleuse pour les militants marxistes, et d’une certaine manière, marquée dans le temps. Les difficultés rencontrées ne tiennent pas à la nature des conflits de classes qui traversent ces communautés à l’image de la société d’accueil en général.
Elles tiennent essentiellement de la négation de l’identité sociale de l’étranger, remplacée par un concept d’identité culturelle, raciale ou religieuse.
Ce concept a été inventé et encouragé par les classes dominantes des pays d’accueil. Il a été récupéré de façon utilitaire par les régimes réactionnaires des pays d’origine.
Et cette difficulté, l’Union des jeunes progressistes arabes, comme certainement d’autres groupes politiques de gauche, la rencontre dans toutes les activités organisées.
Le premier élément est flagrant. De par l’histoire de l’immigration en Belgique, nous pouvons aisément retirer des conclusions qui nous permettent de situer historiquement et spatialement la ségrégation faite à l’encontre des travailleurs étrangers. Des quartiers entiers livrés à l’abandon et à la débrouille, des structures sociales inadaptées, incomprises par des primo arrivants ne parlant pas la langue du pays. Le résultat ? Des enfants d’immigrés qui ont aujourd’hui intégré l’image qu’on leur a renvoyé : étranger tu resteras. C'est-à-dire, entre les lignes : pauvre tu resteras. Plus que ça : l’identité sociale, ils la connaissent, ces enfants d’immigrés. Ils la vivent, ils savent qu’à l’horizon, c’est le chômage, c’est la galère. Et aujourd’hui, ils la revendiquent, et l’utilisent comme une arme offensive contre cette société qui les a rejetés.
Il n’est pas question ici de leur donner raison ou tort. C’est un fait.
Le second élément est peut être le plus visible. La montée du conservatisme religieux.
Ces idéologies d’extrême droite fleurissent et prospèrent au sein des groupes en recherche de révolte ou de réponses à des questions irrésolues.
Ces idéologies sont également, et de façon très rationnelles et concrètes, lancées et propagées par des militants et des intellectuels aguerris. Et pour finir, ces idéologies sont soutenues de façon opportuniste par les divers dirigeants des pays arabes.
On le voit donc, et comme à plusieurs reprises dans l’histoire, la misère et le désespoir des peuples dominés sont instrumentalisés.
C’est dans ce cadre que notre action doit s’inscrire. Et elle comporte beaucoup de difficultés.
La première est le manque flagrant de moyens.
Face à des sommes importantes versées par les diverses organisations religieuses pour diverses actions sociales vis-à-vis des populations immigrées défavorisées, face également aux réseaux clientéliques mis en place par les gouvernements des pays d’origine – réseaux liés aux autorités belges d’ailleurs, et dont les centres culturels sont un exemple, - face enfin à l’encouragement et à l’utilisation des caractéristiques culturalo-religieuses par nos syndicats, nos partis politiques, nos associations, nous devons improviser, innover, pour casser les chaînes.
Une difficulté réside également dans l’amalgame, parfois intéressé, que des groupes politiques de gauche entretiennent : entre la condition sociale des personnes concernées et les combats contre l’impérialisme. L’amalgame ne réside pas dans l’absence de lien entre les deux problématiques. Nous ne pesons pas que les deux ne soient pas liées. Mais l’amalgame réside dans les mots d’ordres, les slogans et parfois les analyses livrées par ces groupes, qui surfent sur les idéologies identitaires et religieuses avec pour seul but de ramener à eux un maximum de monde.
Nous avons refusé cela.
L’UJPA se veut une organisation de masse. Mais ses concepts politiques sont clairs.
Autant de terrains à (re)conquérir, tel celui de la lutte syndicale des travailleurs exploités, des chômeurs instrumentalisés, la défense des droits des femmes arabes, la promotion d’une culture populaire, le combat pour une Palestine libre et socialiste, la lutte contre l’absolutisme étatique dans le monde et dans les pays arabes en particulier, le soutien aux luttes contre l’impérialisme et le capitalisme. Et il y en a d’autres.
Mais le temps passe. Et les idées droitières s’installent. La figure de Malcom X, de Tariq Ramadan, comme d’autres, fausse le débat.
Il ne s’agit pas de mener un combat tous seuls. Il s’agit que ce combat soit partagé par tous les opprimés.
Les fluxs migratoires ont leur origine dans la division entre pays impérialistes et pays dépendants économiquement. Ils sont aussi l’image de l’exploitation qui règne dans les pays dépendants.
Un bourgeois reste un oppresseur, peu importe son origine raciale ou religieuse.
Un travailleur a son émancipation à gagner. Comme tous les travailleurs exploités.
Histoire et perspectives des relations entre le mouvement marxiste marocain et front Polisario
Texte de la conférence présentée le 25 mai 2006 à Bruxelles par Abdelaziz Menebhi, co-fondateur du Mouvement Marxiste-Léniniste Marocain « Ila Alamam » (« En avant ! »), ancien président de l’Union Nationale des Etudiants du Maroc, ancien prisonnier et exilé politique, frère de la martyre Saida Menebhi. Cette conférence avait été organisée par l’Union des Jeunes Progressistes Arabes (UJPA) dans la salle de l’Espace Marx.
Je remercie vivement les camarades de l’Union des Jeunes Progressistes Arabes (UJPA) de Belgique de nous avoir réuni dans cet Espace Marx qui évoque l’une des périodes les plus rayonnantes de l’histoire de l’humanité dans son combat contre l’exploitation et pour le socialisme. Les peuples sahraoui et marocain continuent ce combat contre l’oppression et la répression. Je remercie vivement les camarades de l’Union des Jeunes Progressistes de la monarchie marocaine pour l’indépendance, la démocratie et le socialisme.
Je tiens à préciser d’emblée qu’il ne sera pas question de mon propos de revenir en détail sur l’histoire des deux peuples, leurs origines et formation, encore moins de revenir sur l’histoire des deux mouvements, marxiste marocain et front Polisario, ni sur les enjeux et perspectives de la guerre injuste et fratricide que livre la monarchie alaouite au peuple sahraoui, et l’oppression et l’exploitation de classe qu’elle exerce sur le peuple marocain.
Je me limiterai au rappel bref de faits, de dates et d’événements historiques importants qui ont entouré et marqué la naissance simultanée de ces deux mouvements de luttes révolutionnaires, nationales et démocratiques, fin des années ‘60 début des années ‘70, dans cette région de l’Afrique du nord ou de l’occident arabo-berbère …contre l’occupation coloniale et néo-coloniale, l’oppression et l’exploitation de classe et la domination impérialiste.
Permettez-moi de commencer par un rappel du contexte géopolitique de cette période :
-début de la défaite de l’impérialisme Américaine au Vietnam ;
-victoires des mouvements de libération nationale en Afrique (Angola, Mozambique ,etc.) qui ont sonné le glas des empires coloniaux (Espagne, Portugal) ;
-déclenchement de la lutte armée en Palestine contre l’occupation sioniste ;
-essors des mouvements de libération et de lutte armée en Amérique du Sud (Bolivie, Uraguay, Paraguay, etc.) et la consolidation de la révolution cubaine ;
-victoire de la Longue marche en Chine et son impact idéologique sur la jeunesse dans le monde ;
-montée des mouvements sociaux ouvrier et étudiant et l’apparition des actions armées en Europe occidentale (Mai 68 en France, Fraction Armée Rouge en Allemagne, Brigades Rouges en Italie) .
En Espagne, l’isolement du régime franquiste, avec la montée des luttes sociales des jeunes et des mouvements ouvrier et basque, et la pression internationale pour la décolonisation du Sahara occidental, va accélérer l’approfondissement de la crise de ce régime fasciste et sa décomposition finale.
Le Maroc venait juste de sortir de l’état d’exception imposé au peuple marocain par Hassan II après le massacre de l’insurrection populaire de mars 65 et la liquidation de Mehdi Ben Barka ; le pays connaît une crise grave et la monarchie était isolée et minée de l’intérieure (deux coups d’état successifs, 1971-72).
Un événement va sceller la relation de deux noyaux de militants révolutionnaires et aura un impact déterminant sur l’avenir et l’évolution de la lutte des deux peuples sahraoui et marocain.
Le 3 mai 1970 annonce surprise à la radio marocaine de la visite de L .Bravo (ministre des affaires étrangères Espagnole) pour négocier un projet d accord entre Hassan II et Franco pour l’exploitation du phosphate de Boukraa, au Sahara.
Le 4 mai, grève générale à l’université Mohamed V de Rabat pour dénoncer cette visite. L’élément moteur à l’origine de cette grève n’est autre que le noyau de militants révolutionnaires qui allait quelques semaines après (le 30 Août) constituer l’organisation Mouvement Marxiste-Léniniste Marocain « Ila Alamam ».
Cette grève, et les manifestations qui l’ont accompagné, vont provoquer une vague d’arrestations, de tortures, de procès, d’enrôlement forcé dans l’armée pour « punir » ces militants.
La riposte du mouvement étudiant marocain à cette répression va être à la hauteur : une grève générale et illimitée est déclenchée dans toutes les facultés (Rabat ; Fès, Casa, Tétouan, Marrakech…) et sera suivie par plusieurs lycées dans plusieurs villes. Pendant cette grève qui va durer deux mois , la Faculté des lettres et de sciences humaines (Rabat) sera transformée en université parallèle où des centaines d’étudiants vont participer à larges mouvement de débats d’idées qui vont remettre en cause et contester les fondements historiques même du nationalisme bourgeois marocain et la conception makhzenienne de l’histoire et élaborer une toute autre conception, une toute autre histoire redonnant leur vérité aux luttes séculaires des masses populaire marocaines et sahraouis contre le pouvoir central oppresseur.
La présence et la participation active des militants Sahraouis (Elwali Mustapha Es-Said, Mohamed Sidati ; Mohamed Ouled Salek, Mohamed Lamine etc. noyau à l’origine de la création du front Polisario et de la République Arabe Sahraouie Démocratique), en particulier dans le débats qu’ils sont animé sur l’histoire du peuple sahraoui, sa culture, son mode de vie spécifique vont donner une dimension riche et profonde à ce débat unique et tout à fait exceptionnel
Un article non moins historiques, riche et exceptionnel va être publier quelques jours après dans le numéro 19 de la revue Souffle, intitulé Nouvelle Palestine au Sahara Occidental.
Je vous résume les idées fondamentales qui ont jailli de ce débat :
-1. La notion de « peuple » n’est ni statique ni mythique, elle doit être située dans sa dynamique, à partir des réalités historiques, réalités intégrant les composantes économiques, sociales et culturelles. Le fondement d’une telle dynamique est le processus socio-spatial de longue durée, au cours duquel se forge, s’élargit et s’approfondit la symbiose intégrant le maillage urbain et les activités économiques et culturelles qui lui ont donné naissance et qui s’en nourrissent.
Dans le cas de la population sahraouie, le fondement de cette dynamique est le processus de construction de son identité en tant que peuple, processus qui s’est concrétisé dans la longue lutte de ces tribus contre toutes les formes de soumissions aux pouvoirs centraux oppresseurs (la dynastie alaouite en particulier), et contre le colonialisme espagnol et la domination économique et militaire impérialiste depuis 1884.
L’un des facteurs historiques fondamentaux qui a entravé le développement du mouvement de libération sahraoui contre le colonialisme et l’impérialisme, tout au long du siècle passé, est précisément l’intervention continuelle de la monarchie marocaine qui a toujours collaboré avec ces derniers pour encercler et disperser les initiatives libératrices des Sahraouis et leur imposer sa tutelle (celle de Maa Al Inine au début du siècle, du mouvement de libération début des années 50, ou du mouvement de Mohamed Bassiri en 1960, par exemple).
Le peuple marocain,quant à lui, a connu une toute autre dynamique, séculaire et spécifique, dans sa lutte contre les oligarchies tribales alliées à la bourgeoisie mercantile et érigés en états impériaux centralisés et dominateurs. Dès que la voie de contrôle des accès au nord du Sahara du commerce caravanier qui transportait principalement de l’or du Ghana vers les marchés transméditerranéens fut dépassée par la navigation européenne à longue distance, ils vont se transformer en structure parasitaire du Makhzen, se maintenant par le pillage de la production céréalière des tributs soumises pour l’exporter vers les marchés du capitalisme européen ascendant, en échange des armes et des moyens de paiement nécessaire à sa domination et à l’entretien de sa structure parasitaire, en collaboration étroite avec le capitalisme et l’impérialisme. Tel fut le rôle, le fondement et l’histoire de la dynastie alaouites qui a soumis et dominé les masses populaires, marocaines et sahraouies, par la force des armes et dans le sang et le pillage ; My Ismaël (sultan au 18e siècle) et Hassan II (1961-1999) sont deux grands monarques de cette dynastie sanguinaire et oppressive.
Les révoltes des tribus marocaines au début du dernier siècle, du mouvement de Maa Al Inine en 1905, de la révolution de Mohamed Abdelkarim Khatabi dans le Rif en 1921 et le Mouvement et l’Armée de libération au début des années de 50, sont autant d’exemples qui ont illustré le combat de nos deux peuples contre la monarchie et la collusion de celle-ci avec le colonialisme français et espagnol.
-2. Les deux peuples, leurs mouvements de libération et leurs forces révolutionnaire savaient toujours conscience que la monarchie alliée du colonialisme et de l’impérialisme représente le plus grand obstacle à leurs libération et à leur développement économique, social et culturel et à toute forme de démocratie, d’émancipation et de liberté ainsi qu’un facteur de haine chauvine entre les peuples, l’élément majeur qui entrave l’unité, la fraternité et la paix entre les peuples de cette région du monde.
-3. Que la contradiction entre ses deux forces antagonistes ne peut trouver sa solution à travers une coexistence pacifique, ni avec des choix réformistes ; cette solution passe nécessairement par la violence révolutionnaire des masses populaires, par la lutte armée des peuples.
-4. Pour mener à terme cette tâche, les révolutionnaires et les démocrates des deux peuples doivent se doter de leurs organisations spécifiques ,autonomes et indépendantes de l’idéologie nationaliste bourgeoise et de la vision bourgeoise et makhzenienne de l’histoire et opter pour une stratégie de libération nationale, démocratique et populaire qui met fin à la domination impérialiste et réactionnaire, ennemie des deux peuples et qui ouvre la voie de la liberté, de la solidarité ,de la fraternité et de la paix entre eux dans une perspective d’unité, pour la construction d’une société d’hommes et de femmes affranchis de toutes formes de domination et d’exploitation de l’homme par l’homme.
Il nous est apparus dans l’intérêt des deux peuples de reconnaître l’existence du peuple sahraoui et de son droit inaliénable à l’autodétermination, et déclarer notre soutien inconditionnel à sa lutte contre le colonialisme et la réaction, ce même colonialisme qui a envahi militairement notre pays, massacré notre peuple, brisé notre culture et pillé nos richesses, avec la collaboration active et avérée de ce même colonialisme continue de coloniser une partie de notre pays (Ceuta et Mellila) au vu et au su de la monarchie marocaines et des instances internationales.
Le premier acte politique exprimant officiellement cette analyse et position était la motion de reconnaissance du peuple sahraoui et de son droit à l autodétermination votée au 15e congrès de l’Union Nationale des Etudiants du Maroc. (15-18 août 1972). Les militants sahraouis ont continué leur lutte contre l’occupation coloniale du Sahara Occidental avec l’organisation de plusieurs manifestations à Tan Laayoune et Samara. Ces manifestations se sont soldées par des interventions violentes de l’armée espagnole et des forces de répressions marocaines et l’arrestation de plusieurs militants sahraouis parmi lesquels le martyr Mustafa Elouali, Mohamed Sidati, Mohamed Ouled Salek, etc.
Au même moment, les militants révolutionnaires marxistes affrontaient la répression, la dissolution de l’UNEM et l’arrestation d’une centaine de ses responsables et militants, la mort sous la torture, les disparitions de la part du même système policier.
Ce processus d’atteintes graves aux libertés démocratiques va prendre une forme et un degré digne d’un régime fasciste et dictatorial. Le règne de la terreur et de la barbarie va dominer dans tout le Maroc, éclaboussant par son ampleur les rives nord de la méditerranée ou résident quelques dizaines de milliers d’immigrés et d’exilés marocains.
Une aventure coloniale meurtrière, une guerre injuste et fratricide va être déclarée au peuple sahraoui dans le terroir du Sahara Occidental. Tandis qu’au Maroc, une autre guerre, dont la nature et différente mais pas moins meurtrière et injuste, sera livrée au peuple marocain.
Soutenu par les anciens colonisateurs et les multinationales, par la bourgeoisie locale décadente et les appareils dirigeants des partis sois disant de gauche, Hassan II va engager la région dans ce tunnel noir qui dure maintenant depuis presque quarante ans. Tout au long de cette période, le Maroc a connu trois insurrections populaires (1981, 1984, 1990) réprimées dans le sang, et des milliers de morts, assassinés, morts sous la torture et disparus dans des lieux de détentions secrets (Tazmamart-Kallat Maguouna-Agdes-Derb My Cherif…) des dizaines de procès fallacieux ou les juges (la police du roi) ont distribué des siècles de prison, provocant des souffrances, des frustrations et de l’humiliation dans notre peuple.
Plus de trente ans de mensonges, de falsification de l’histoire et de la volonté du peuple, d’institutions fantoches, de mépris et de non respect des principes des droits de l’homme, des décisions des institutions internationales et régionales (ONU, OUA, N.A.) et de déformation de leur avis.
Plus de trente ans de propagande de haine chauvine entre les peuples de la région et contre tous les peuples et les gouvernements qui n’ont pas plié à l’instinct fasciste et mythomane de Hassan II.
Plus de trente ans de guerre et d’étouffements des libertés démocratiques et des droits sociaux, économiques et culturelles, pendant lesquelles la mafia du Makhzen et les généraux ont pillé la richesse de notre pays, racketté notre peuple en l’appauvrissant et piétinant la dignité et la fierté de ses hommes et de ses femmes ; où la police clandestine a semé la terreur ,l’arbitraire et la loi de la jungle ; où le Maroc est devenu un paradis du tourisme sexuel, de la drogue et de toutes sortes de trafics ; un pays de chômeurs simples et diplômés ,d’analphabètes ,de marginaux et de laissés pour compte.
Cette destruction violente des bases même de notre société, de point de vue matériel, économique social, culturel et intellectuel …était applaudie, soutenue et glorifié par les partis politiques qui sont dit pompeusement d’oppositions et progressistes (l’Union Socialiste des Forces Populaire de Bouabid A ,le Parti Communiste de Yaata .A . le parti d’Istiqlal d’Elfassi Allal etc.). Leurs leaders se sont envolés à l’appel de Hassan II pour sillonner tout les pays du monde et défendre l’aventure meurtrière Hassanienne, en la présentant sous l’habillage de l’« union sacrée », de l’« unanimité nationale », de la « paix sociale », du « processus démocratique », et en présentant Hassan II comme un « génie, libérateur, unificateur et bâtisseur ». Ils ont tous qualifié le Front Polisario de mercenaires d’Alger et les marxistes marocains d’agents de l’impérialisme et du sionisme (sic).
Au même moment, la salle guerre au Sahara fait rage avec du napalm (arme utilisée par l’armé Américaine au Vietnam et par l’armé sioniste en Palestine), des bombardiers F-5, l’empoisonnement de puits, la dispersion et la destruction du bétail, la déportation et la séparation de la population, le partage du territoire de manœuvre politiques et diplomatiques…
Le peuple sahraoui, dirigé par le front Polisario et organisé au sein de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) va faire preuve d’une résistance héroïque à cette invasion coloniale et barbare de l’armada militaire marocaine soutenue par l’impérialisme international (France, Espagne, USA).
L organisation « Ila Alamam » (« En avant ! ») apportera son soutien aussi héroïque à la lutte du peuple sahraoui et à son droit à l’ autodétermination, malgré la terreur et la campagne chauvine des partis politiques marocains.
La monarchie marocaine a échoué dans son aventure guerrière au Sahara Occidental et dans sa politique de terreur et de répression au Maroc, grâce à la résistance et les sacrifices des deux peuples et de leurs organisations révolutionnaires.
Aujourd’hui l’occupation militaire et la colonisation du Sahara Occidental continuent et la répression sauvage et les atteintes graves aux droits de l’homme n’ont diminué ni au Maroc ni au Sahara (arrestations, morts sous la tortures, procès, violations des libertés et des droits, etc).
La nouvelle carte d’autonomie des territoires, soutenue aveuglement par quelques anciens détenus politiques devenus des nouveaux défenseurs et mercenaires du trône, n’est qu’une manœuvre pour gagner du temps en semant la confusion, dans le seul but est de faire avorter la lutte de libération qui se développe dans cette région en désarmant le peuple sahraoui et renforçant la domination de la réaction et de l’impérialisme dans cette partie du monde.
Le peuple sahraoui doit reprendre sa lutte armée, le peuple marocain, en particulier les ouvriers ,les paysans pauvres et les militants intellectuels révolutionnaires doivent se préparer pour le même choix pour même voie : c’est notre seul salut.
Abdelaziz Menebhi
Bruxelles 25 juin 2006
La question juive et le sionisme
E.K.
Les écoles stratégiques insurrectionnalistes et guérrilleristes ne sont en soi ni dogmatiques, ni non-dogmatiques.
Chaque école a "ses" dogmatiques, et il est remarquable qu’à chaque fois, une interprétation dogmatique de l’option stratégique soit le fait de forces qui, derrière une rhétorique guerrière, développent une pratique opportuniste.
1° Pour l’insurrection
Chez les représentants de la "théologie de l’insurrection", celle-ci s’apparente à l’horizon : plus ils avancent vers elle, plus elle s’éloigne. En dissociant les objectifs à moyens termes de leur (prétendu) objectif à long terme — l’insurrection armée — ils développent une ligne de développement partitiste, d’organisation des avant-gardes ouvrières, de tactique dans les luttes de masses, etc., qui réussissent (parfois) à renforcer le Parti et son influence à moyens termes, mais qui dessert objectivement l’émergences des conditions objectives et subjectives de la crise révolutionnaire appelant au déclenchement de l’insurrection.
2° Pour la guerre prolongée
Pour certains "maoïstes", le projet d’imitation servile de la guerre populaire prolongée de Mao est proposé dans des conditions (politico-historiques, socio-économiques, géographiques, etc.) tellement éloignées de celles des pays dominés que le déclenchement de la lutte armée est sans cesse reporté faute des « conditions préalables » prétendument requises. On voit parfois apparaître des manières de substitut à la lutte armée, par exemple l’emprunt de formes de propagande spectaculaire (marteau et faucille en flammes sur les collines surplombant une ville) pratiquée par des forces (dans cet exemple : le PCP) qui pratiquent par ailleurs la lutte armée. On voit alors apparaître ce véritable abus de langage consistant à se déclarer en "guerre populaire" sans mener d’action armée .
Tourner le dos au dogmatisme signifie :
1° Établir sa politique militaire (et donc faire ses choix stratégiques) en fonction d’une analyse vivante de l’expérience historique et des conditions objectives et subjectives contemporaines. Cette analyse peut déboucher soit sur l’affirmation du caractère universel d’une option stratégique (autrement dit, soit l’insurrection, soit la guerre prolongée, doit être retenue toujours et partout comme unique stratégie révolutionnaire ), soit sur l’affirmation que les conditions objectives déterminent le choix entre l’insurrection et la guerre populaire. Affirmer le caractère universel d’une option stratégique n’est pas en soi une démarche dogmatique. Cela peut l’être, mais cela peut être le fruit d’une réflexion exhaustive, vivante et honnête, visant à dégager les lois de l’histoire pour agir sur elle. C’est une démarche conforme aux principes du matérialisme historique. Tant que les uniques victoires révolutionnaires avaient été la Commune de Paris et la Révolution d’Octobre, l’analyse historique tendait naturellement à faire de l’insurrection armée la seule voie possible. Les victoires révolutionnaires en Chine et en Indochine ont bouleversé cette prétendue évidence historique. Distinguer ce qui est l’exception de la règle est un exercice absolument nécessaire mais qui sort du cadre de cette conférence.
2° Une fois le choix stratégique établi, tourner le dos au dogmatique signifie se confronter à la question des caractères universels et particuliers de l’option stratégique retenue.
1° Pour l’insurrection
Le manuel du Komintern signé Neuberg en offre un excellent exemple : l’insurrection armée y est présentée comme une « nécessité » et une « fatalité » de la lutte des classes. À aucun moment l’ouvrage de Neuberg ne remet en question l’option stratégique insurrectionnaliste, toutes les démarches critiques (et elles sont nombreuses et intéressantes) concernent des erreurs commises dans le cadre de cette option (mauvais moments, effectifs insuffisants ou mal répartis, manque de coordination, etc.). C’est à partir de l’"évidence" insurrectionnelle que l’ouvrage propose d’étudier chaque expérience concrète (Hambourg en 1923, Canton en 1927, Reval en 1934, etc.), pour que les révolutionnaires puissent, à leur tour, adapter la stratégie insurrectionnaliste à leur réalité socio-historique : ici il conviendra de faire précéder l’insurrection d’une grève générale, là il conviendra de la déclencher par surprise, etc.
2° Pour la guerre prolongée
La question des caractères universels et particuliers de la stratégie de la guerre populaire prolongée a principalement été abordée par le président Gonzalo, pour qui Mao Zedong, en établissant les principes de la guerre populaire, a doté le prolétariat de sa ligne militaire, de sa théorie et de sa pratique militaire, « de valeur universelle, donc applicable partout, selon les conditions concrètes ». Le Président Gonzalo répond à celui qui verrait dans cette reconnaissance du caractère universel de la guerre révolutionnaire une marque de dogmatisme, que les spécificités des conditions concrètes donnent naissance à des formes spécifiques de tactique, de lutte et d’organisation. Et d’en énumérer trois pour le Pérou : primo l’importance de la lutte dans les villes à côté de la lutte dans les campagnes (à l’image de l’importance des villes sur le continent latino-américain) ; secundo le fait d’avoir pu et du établir un pouvoir populaire dans des zones libérées avant la défaite des forces armées (à cause du caractère tardif de l’entrée en scène de ces dernières, en 1982, lorsque la débâcle des forces de police était depuis longtemps consommée) ; tertio la militarisation du Parti .
À la différence de la question des caractères universels et particuliers, la question des « bases d’appui » est propre aux stratégies guérilleristes. Examinons-en tout d’abord les différentes catégories.
1° La zone de guérilla
Il s’agit d’une catégorie géographique : l’aire dans laquelle la guérilla est active, où elle se déplace et agit
2° La base d’appui
Il s’agit d’une catégorie à la fois géographique et politico-sociale. Il s’agit d’une zone où l’ennemi est présent (ou dans laquelle il peut pénétrer aisément) mais où le contre-pouvoir révolutionnaire est une réalité. Le parti révolutionnaire est bien implanté dans les masses et la guérilla y trouve un appui (recrues, ravitaillement, abris, renseignements, etc.). Socialement, les rapports sociaux sont toujours ceux de l’ancienne société, mais le rapport de force entre les classes a changé : les revendications populaires sont fortes de l’appui de la force armée révolutionnaire .
3° La base d’appui fixe ou la base d’appui stable
Elle suppose le contrôle politico-militaire d’une aire donnée, débarrassée des institutions du régime et défendue contre les forces armées ennemies. C’est l’état intermédiaire entre la base d’appui et la zone libérée.
4° Le territoire libéré
C’est une aire où le pouvoir révolutionnaire a chassé les forces et institutions de l’ancien régime, où la nouvelle société se déploie. Les capitalistes, les propriétaires fonciers et les membres de l’oligarchie sont expropriés et passés en jugement. Les moyens de productions sont socialisés, etc. Cela suppose, du point de vue militaire, la capacité et la volonté de défendre ces zones.
Le risque de confusion entre ces catégories est d’autant plus fort que, selon les auteurs ou les textes, le même terme désigne parfois des catégories différentes. Mao Zedong emploie le plus souvent le terme de "base d’appui" dans le sens de "base d’appui stable", c’est-à-dire supposant un contrôle politico-militaire total de la région . La résistance vietnamienne appelait "zones de guérilla" les territoires dont elle avait le contrôle la nuit — les forces saïgonnaises en gardant le contrôle le jour. Cela explique que de nombreux paradoxes ne sont en fait qu’apparent, comme par exemple les textes récents du Parti Communiste du Népal qui ne s’estime « pas en mesure de créer des bases d’appui stables » , alors même qu’il déclare « qu’une certaine forme de base d’appui existe à Rolpa et Rukum, nous collectons des taxes, nous tenons des cours de justice populaire, nous contrôlons les forêts, etc. (…) La police ne vient pas dans ces zones ». Dans cette question plus que dans n’importe quelle autre, il ne faut pas s’attacher aux mots, mais aux concepts qu’ils désignent dans chaque discours particulier.
L’analyse foquiste met en avant le fait que la guérilla cubaine n’ai installé une base d’appui fixe qu’au bout de 17 mois de combats continuels et attribue à la volonté d’établir prématurément des bases l’échec des guérillas péruviennes de 65. Le foquisme remet ainsi en question directement et ouvertement des principes de la guerre populaire prolongée maoïste qui postule l’établissement d’une base d’appui comme point de départ de la guérilla (et non comme lointain aboutissement). La critique foquiste rejette non seulement (dans les conditions latino-américaines des années 60) l’idée de vouloir établir une base fixe (ce qui se conçoit) mais même l’idée de se reposer sur une "zone de sécurité" de plusieurs milliers de kilomètres carrés. Mais la critique porte une confusion entre base d’appui et base d’appui fixe. En réalité, et bien avant le dix-septième mois, la guérilla castriste disposait de bases d’appui dans la Sierra Maestra. Si l’on mène à son terme la critique foquiste de la base d’appui on aboutit à un pur et simple nomadisme de guérilla.
Les expériences de guérillas latino-américaines privées de bases d’appui (et notamment les guérillas colombiennes de l’ELN des années 60) ont fait naître le concept de tacticisme, qui désigne la situation dans laquelle une guérilla isolée, mal, peu ou pas appuyée par un appareil politique, perd sa valeur révolutionnaire en devant se focaliser sur des problèmes tactiques (assurer l’intendance, se déplacer, reconnaître le terrain, etc.). Les guérillas tombées dans le tacticisme ne peuvent assurer un travail de propagande armée suffisant, ni assurer l’éducation politique des masses, ni même se développer en incorporant et formant des recrues.
La stratégie est médiatisée par l’art opératif : si la stratégie détermine quelles opérations doivent être menées, c’est l’art opératif qui détermine les conditions dans lesquelles ces opérations sont menées. Il concerne les fondements et la préparation des opérations militaires en fonction des plans stratégiques. Pour reprendre les définitions d’Alexandre Svechine, grand théoricien militaire soviétique des années ‘20, l’opération est le moyen de la stratégie, l’art opératif est le matériau de la stratégie ; la bataille est le moyen de l’art opératif, la tactique est le matériau de l’art opératif. Svechine a fondé le concept d’art opératif en constatant que l’issue de la guerre ne se décidait plus, comme au XIXe siècle, par une seule et grande bataille de type napoléonien. La décision s’emportait par une série d’opérations successives liées entre elles. On voit que l’art opératif concerne les stratégies guérrilléristes plutôt que les stratégies insurrectionnelles. Les forces révolutionnaires animant ces dernières n’ayant usage de l’art opératif que pour affronter la guerre civile (et/ou l’intervention étrangère) qui fait suite à l’insurrection victorieuse.
C’est très clairement dans la catégorie de l’art opératif que l’on peut ranger cette catégorie intermédiaire entre la stratégie et la tactique que Mao appelait, en 1936, la science des campagnes.
C’est également l’art opératif qui règle, toujours dans le cas de la guerre populaire prolongée de type maoïste, les coopérations et interactions entre les trois niveaux de forces armées : celui des milices locales (milices d’autodéfense), celui des forces régionales, et celui des forces régulières (le corps de bataille à vocation offensive, dépendant directement du commandement général). La forme spontanée de guérilla est en effet le combat de petites unités issues et épaulées par la population locale luttant dans les environs immédiates de leur localité d’origine. Pour conserver et surtout développer ses forces, une guérilla doit rompre avec cette pratique spontanée pour adopter le principe de la guérilla de mouvement , qui relève de l’art opératif. Il s’agit de regrouper des effectifs issus des guérillas locales pour constituer des forces mobiles capables de rayonner dans une grande aire, et se déplaçant effectivement dans cette aire (en collaborant avec les guérillas locales). Le mouvement protège l’unité (l’ennemi dans l’ignorance de sa situation), permet de garder l’initiative (dans l’attaque comme dans le recul ), le quadrillage de la région y renforce l’autorité de la force révolutionnaire. La guérilla de mouvement évolue alors en grande guérilla , puis en guerre classique.
L’art opératif a pour principes :
1° La mobilité et l’importance des rythmes accélérés dans les opérations de combat ;
2° La concentration des efforts à (aux) l’endroit(s) et (aux) moment(s) décisif(s) ;
3° La surprise ;
4° L’initiative et l’activité dans le combat ;
5° La préservation des capacités et de l’efficacité de ses propres forces ;
6° La conformité des objectifs de l’opération aux conditions de la situation réelle ;
7° La coopération des forces et des moyens.
Pour présenter plus simplement (et très schématiquement) ces catégories, nous dirons que la conduite de la guerre relève de la stratégie, que la conduite des campagnes relève de la stratégie et de l’art opératif, que la conduite des batailles relève de l’art opératif et de la tactique, et que la conduite du simple engagement armé relève de la tactique.
Donc, si la stratégie détermine quelles opérations doivent être menées, si l’art opératif détermine les conditions dans lesquelles ces opérations sont menées, c’est la tactique qui détermine la manière dont ces opérations sont menées. La tactique est le domaine de la préparation et de l’emploi des armes, des hommes et des moyens pour mener à bien l’engagement armé.
La tactique possède des principes généraux et des principes particuliers qui sont fonction des différents types d’opération militaire.
Aucune stratégie révolutionnaire n’est tributaire, nous l’avons vu, d’une seule méthode, donc d’une seule tactique : la stratégie insurrectionnelle par exemple met en œuvre non seulement la tactique insurrectionnelle, mais aussi (à des degrés moindres), toutes les autres tactiques et formes particulières de l’art de la guerre révolutionnaire. Le sabotage, par exemple, prend dans la guerre révolutionnaire une dimension inconnue des guerres classiques, il ne s’agit plus de quelques opérations de sabotage stratégiques décidées au sommet, mais d’un nombre infini de sabotages commis par les masses, du plus grand (paralyser une centrale électrique) au plus petit (arracher une affiche gouvernementale), et qui par leur nombre même engluent l’ennemi.
1° Renoncer aux barricades mais se fonder au contraire sur l’utilisation de petits groupes mobiles (spécialisés, pour certains d’entre eux, dans la lutte anti-tank) connaissant bien le terrain. Aménager le terrain pour favoriser l’action des groupes mobiles (percer les murs des maisons mitoyennes pour ménager des passages, etc.).
2° Utiliser toutes les armes possibles. En 1956, les contre-révolutionnaires hongrois électrocutaient les tankistes soviétiques en faisant tomber les câbles des tramways sur les tanks, des couches de tissus imbibés d’huiles sur lesquelles patinaient les tanks favorisaient l’attaque de ces derniers. Lors de l’insurrection de Hanoi en 1946, les miliciens vietminh creusaient des fosses antichars et les masquaient par un obstacle qui incitait le tankiste à accélérer à leur approche. Utiliser des leurres (fausses mines, faux postes de tir, etc.), des obstacles (pointes métalliques enfoncées dans le sol) et des pièges (miner les positions susceptibles d’être abandonnées, voire simuler des abandons pour attirer l’ennemi dans un endroit miné). Se mettre à l’écoute de la créativité des masses en favorisant la généralisation des idées utiles.
3° Utiliser au maximum et dès le début de l’insurrection la troisième dimension : les toits, les étages, les caves, les égouts
4° Masquer les perspectives (avec des écrans tendus en travers des rues par exemple)
5° User largement de snipers et de pionniers embusqués veillant au déclenchement opportun de mines. Adopter des dispositifs (caches, passages secrets) permettant aux combattants d’agir dans les zones que l’ennemi croit avoir sécurisées.
6° Fixer éventuellement l’ennemi en faisant occuper quelques immeubles propices à la défense (en béton armé, avec de nombreux étages et sous-sols, avec un champ de tir dégagé (parkings, parvis, esplanade, etc.) par des groupes de combattants résolus à les défendre jusqu’au bout.
Les 5° et 6° ne se justifient que comme adjuvant aux groupes mobiles qui restent au cœur de la tactique insurrectionnelle.
L’initiative est la clé de la tactique insurrectionnelle. Aucun dispositif défensif ne résiste s’il se cantonne à attendre l’ennemi. De nouvelles techniques (comme l’ACSS qui capte à l’aide de microphones l’onde de choc émise par la balle de fusil et calcule instantanément la position du sniper) renforcent l’importance de ce principe.
La lutte du faible au fort impose la tactique de la guérilla dont les principes généraux (valables tant pour les guérillas urbaine que rurale) sont :
1° Aller du simple au complexe dans l’organisation des opérations ;
2° Mener un travail de renseignement et de reconnaissance soigné (chronométrage de l’itinéraire de repli etc.), pouvant aller jusqu’à la répétition sur le terrain d’une partie de l’opération ;
3° Sélectionner judicieusement les combattants et répartir les rôles en fonction de leurs compétences ;
4° Dissimuler les forces jusqu’à l’opération et parfois pendant l’opération ;
5° Veiller à ce que les combattants soient dépourvus de tout objet ou papier utile aux services de renseignement ennemis s’il venait à tomber entre leurs mains ;
6° Veiller à ce que chaque combattant ait une parfaite connaissance du terrain, de l’objectif, de sa propre unité et du plan d’action ;
7° Savoir concentrer ses forces, manœuvrer rapidement et en temps voulu ;
8° Exploiter les erreurs et les négligences de l’ennemi ;
9° Abandonner (ou remettre) une opération si elle semble éventée (ne serait-ce qu’en partie) par l’ennemi ;
10° Privilégier la ruse et la manœuvre à la puissance de feu, tout en se donnant les moyens de celle-ci ;
11° Choisir l’embuscade et le coup de main comme formes privilégiées d’opération, et idéalement associer coup de main et embuscade (contre les unités venant en renfort sur l’objectif du coup de main) ;
12° Se donner les moyens de la surprise (dans le choix de l’objectif et/ou dans le choix des moyens : une cible dont l’ennemi attend une attaque commando peut par exemple être attaquée par surprise au moyen d’un mortier) ;
13° Créer des « doubles emplois » pour permettre aux nouveaux combattants d’expérimenter l’action guérillera sans qu’une éventuelle défaillance de leur part ne mette en danger l’opération et ses participants ;
14° S’assurer de la supériorité d’effectif et/ou de moyens à l’endroit et au moment de l’opération par la mise en œuvre du principe de concentration des forces ;
15° Se replier immédiatement, rapidement, sans laisser de trace ;
16° Dissimuler les forces à la faveur du repli, dans des structures prévoyant notamment l’accueil de blessés ;
17° Brouiller les pistes ;
18° Disperser les forces ;
19° Faire pratiquer la critique et l’autocritique de chaque opération par ses participants, communiquer les réflexions utiles (erreurs à éviter, etc.) à tous les combattants.
L’expérience montre que l’apprentissage des tactiques particulières a souvent été négligé par les forces révolutionnaires, à la différence de l’apprentissage des techniques particulières. Dans la perspective du combat de rue, par exemple, on apprendra volontiers aux combattants comment manipuler et utiliser les armes, (cours de démontage, tir à la cible, etc.), mais on aura tendance à négliger l’instruction de l’usage tactique de l’arme à feu (ainsi par exemple l’intérêt à progresser sur le côté droit de la rue, par réciproque à l’obligation pour l’ennemi de placer ses armes par protection sur le côté gauche de la rue : pour ne pas s’exposer, un tireur droitier se plaquera du côté gauche d’une encoignure de porte ou de fenêtre).
Il est impossible dans une conférence de détailler tous les principes tactiques particuliers utiles à la guerre révolutionnaire. Ces techniques sont répertoriées et détaillées dans des manuels militaires facilement accessibles.
La rhétorique contre-révolutionnaire « anti-terroriste » nécessite une contre-propagande telle que, parfois, les forces révolutionnaires, obnubilées par la volonté de ne pas présenter le moindre "profil terroriste", perdent de vue que le terrorisme est un élément clé de la politique militaire révolutionnaire.
Il est illusoire d’espérer que la totalité de la population adhère au projet révolutionnaire. Celui-ci doit donc revêtir un caractère didactique : il doit non seulement épouser les intérêts historiques des masses mais être clairement perçu comme tel. Cependant, considérant les dégâts que peuvent occasionner les traîtres, infiltrés, agents provocateurs, dénonciateurs, etc. les forces révolutionnaires doivent bénéficier de l’équivalent de cette "peur du gendarme" qui profite au régime. Pour ce faire, les activités délibérément contre-révolutionnaire doivent être sanctionnées.
Tout nécessaire qu’il soit, le terrorisme doit être amené à sa juste mesure. Lorsque Jérôme Bonaparte, qui avait reçu de son frère un trône de Westphalie menacé par une insurrection, appela Napoléon au secours, celui-ci lui écrivit : « Par Dieu, frère, servez-vous de vos baïonnettes. » . Jérôme lui répondit par une formule restée célèbre : « Frère, on peut tout faire avec des baïonnettes, excepté s’asseoir dessus. » De fait, le terrorisme ne suffit jamais à la contre-révolution ni à la révolution.
Il joue néanmoins pour cette dernière un rôle irremplaçable d’égalisateur des forces. C’est un des aspects les moins héroïques de la guerre de guérilla (il signifie souvent l’exécution d’hommes désarmés), et il est donc assez souvent absent des textes ayant (ne serait-ce qu’en partie) une vocation de propagande. Pourtant, les chiffres sont éloquents. Au Sud-Vietnam, les chefs de village, désignés par les autorités saïgonnaises, avaient une mission policière (ils devaient signaler le passage des personnes étrangères au village, etc.). Les chefs de villages qui n’étaient pas favorables au FNL devaient être soit abattus, soit paralysés par la peur de l’être. Pour ce faire, une campagne terroriste de grande ampleur fut menée : entre avril 1960 et avril 1961, 4.000 chefs de village ont été abattus.
Dans la mesure où elles incarnent les intérêts populaires et prolétariens, les forces révolutionnaires ont nettement moins besoin de la terreur que les forces réactionnaires. Et dans la mesure où la terreur ne va pas sans prix politique (c’est une arme au service de la propagande ennemie), elle doit être mesurée, proportionnée, réduite au strict nécessaire — le cas du FLN en 60-61 est un cas extrême, il devait alors faire face à la terreur blanche du régime Diem.
Cette question a été très peu étudiée, mais lorsque ce strict nécessaire n’est pas atteint, la sanction suit. Un expert de la contre-insurrection US a estimé qu’une des raisons majeures de l’échec des Brigades Rouges était de n’avoir pas utilisé le terrorisme, de n’avoir pas su intimider les petits exécutants de la contre-révolution.
A cela s’ajoutent tous les principes particuliers de l’art de la guerre classique (guerre de mouvement, nécessaire, à laquelle s’ajoute éventuellement la guerre de position) au fur et à mesure que la guerre révolutionnaire se développe et s’assimile les méthodes de la guerre classique — mais nous sortons ici du cadre de cette conférence.
Je vous remercie de votre attention.
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