Editorial
Dossier: Dans la classe: Cockerill/arcelormittal - forges de clabecq
Entretien avec Silvio Marra
Un peu de vocabulaire sidérurgique
Entretien avec un animateur du bulletin des travailleurs communistes de Cockerill
Petite histoire de Cockerill
Les dernières grèves à Cockerill
Cockerill MITTAL aujourd'hui, à Liège
Théorie: Rubrique Philosophique (4)
Culture proletarienne: Suite et fin de La Décision de Brecht
Edito
Comment comprendre aujourd’hui le travail des communistes dans la classe ouvrière ? Si économiquement et sociologiquement, la classe a infiniment moins évolué que le discours dominant le prétend (discours allant jusqu’à évoquer sa « disparition »), l’impact idéologique des décennies de défaites successives du mouvement ouvriers et communistes a considérablement modifié les modalités du travail en son sein.
Pour traiter cette question, nous avons choisi deux acteurs/témoins. D’abord Silvio Marra qui a porté au plus loin, aux Forges de Clabecq, avec le reste de cette délégation d’exception, le syndicalisme de lutte des classes. Cet entretien n’est ni une biographie de Silvio Marra, ni une histoire des Forges : il suit le fil d’un engagement politique dans le cadre exclusif d’une structure syndicale.
Nous avions déjà abordé dans le n°3 Clarté la question des journaux d’entreprises. Le second entretien de ce n° de Clarté est celle d’une camarade qui, depuis le début, est au cœur du bulletin des travailleurs communistes de Cockerill. Ce bulletin est parvenu, dans des conditions générales de régression des luttes, de l’engagement et de la militance, a faire sa place dans la communauté ouvrière de Cockerill et à y obtenir une modeste mais réelle reconnaissance. C’est une expérience radicalement différente de celle de Clabecq puisque extérieure au syndicat (même si y participent des militants syndicaux, parce que extra-syndical ne signifie pas anti-syndical), mais qui mérite d’être analysée et soutenue.
J’avais eu une formation professionnelle en Italie, dans une école comme les « Art et métier ». J’ai d’abord travaillé à Stuttgart, chez Mercedes, sur les premières machines à commande numérique (à bande perforée). Notre secteur, qui combinait tournage, alésage et fraisage, produisait en toutes petites séries des pièces pour moteurs d’avion. Je travaillais là avec un strasbourgeois bilingue, nous parlions français parce que c’était plus facile pour moi que l’allemand. J’étais syndiqué mais ma connaissance insuffisante de l’allemand était un grand obstacle à la participation lutte de classe, qui implique échange d’expérience, collectivité, communication. J’avais contact avec le groupe qui éditait Rote Fahne et qui se proclamait marxiste-léniniste. J’achetais le journal sans comprendre grand chose : il fallait qu’on me le traduise un peu.
Clarté : Ton emploi aux Forges a été ton premier emploi en Belgique ?
Le premier et le dernier. Je suis rentré comme mécanicien aux Forges en 1972. J’avais 26 ans. Je me débrouillais en français et j’avais une bonne connaissance de la grande industrie. J’ai travaillé dans la même brigade jusqu’en 1983. De 83 à 97, j’étais délégué principal et je faisais donc du travail syndical plein temps, mais je restais inscrit aux effectifs de cette brigade (ce qui déterminait ma paie). Ma brigade s’occupait de dépannages, on dépannait en entretenait plus spécialement les laminoir mais aussi les fours, les oxycoupages et les cisailles. Tout ce qui touchait à la mécanique, à l’hydraulique, et à l’air comprimé… On était 28 personnes qui travaillaient ensemble mais chacune avec ses spécialisations. On était rattaché à tel ou tel secteur mais si c’était nécessaire, on travaillait tous ensemble. Je me suis d’abord trouvé dans « les caves », le cœur du système de lubrification par huile et par graisse, mais on allait dans tous les secteurs.
Clarté : Quand a commencé ton activité politique ?
En 1972 j’ai été contacté par une organisation marxiste-léniniste à l’extérieur de l’usine : l’UCMLB. J’ai eu des contacts, j’ai participé à des réunions. Ils étaient intéressés à organiser les travailleurs. Cela m’a aidé à mieux apprendre le française et à commencer l’étude des classiques du marxisme. A l’époque cette organisation se proclamait maoïste. Nous étions cinq militants de l’UCMLB aux Forges, le noyau d’un cercle d’une dizaine de travailleurs. Notre cellule écrivait et diffusait tracts de l’UCMLB très théoriques, tout a fait coupés des réalités des Forges. On disait qu’il fallait faire la révolution. Cela ne sortait pas de nul part. Géopolitiquement, la révolution était à l’offensive. On était dans la dynamique de 68, du mouvement « mao », de l’Albanie, de la révolution culturelle, de Radio-Pékin, il y avait le mot d’ordre « importer le Vietnam dans les entreprises », etc. Tout cela se discutait à cette époque inévitablement dans les entreprises. Mais si tu dis des choses aux travailleurs, c’est pour les faire. Il faut les confronter à des problèmes à affronter immédiatement. Si tu parles de lutte armée, il faut la faire et pas dire « il faut se préparer pour… ». Mais faute de contexte précis tu n’auras pas une masse pour la lutte armée.
Clarté : Quel était alors le climat social aux Forges ?
C’était une période qui suivait un gros conflit où deux délégués et vingt ouvriers avaient été licenciés pour des faits de grève. Je n’étais pas aux Forges à ce moment encore mais on en parlait encore. La lutte avait accentué l’esprit antisyndical parce que la délégation syndicale avait été divisée par le patron. Elle s’était donc affaiblie, ce qui avait rendu possible ces licenciements. Les deux délégués, Sabbe et Desantoine, étaient deux militants communistes (au PCB, donc), mais influencés par le mouvement de mai 68, par les contradictions du mouvement communiste international entre l’URSS, la Chine, l’Albanie, la Yougoslavie etc. Quand je suis arrivé on parlait de tout cela .
Clarté : Et au syndicat ?
En entrant aux Forges tout le monde se syndique. Il y avait d’abord examen d’entrée pour le travail mené par un ingénieur qui posait des questions sur la mécanique, etc. Puis contrat de travail à durée indéterminée était signé d’office, avec 15 jours d’essai. Il n’y avait pas de mi-temps, pas de statu précaire ni rien. Les délégués étaient présents à la conciergerie, au guichet où se passait l’embauche. Ils voyaient le nouveau travailleur et lui disaient : « Ici tout le monde est syndiqué, il faut se syndiquer ». J’ai fait un choix politique avec la FGTB : c’est là où avaient milités les communistes de Belgique. Je n’ai jamais pensé que le syndicat puisse être une organisation révolutionnaire. Elle ne peut pas l’être puisque c’est une organisation de masse dans laquelle 100% du personnel était affilié
La délégation FGTB était composée en majorité de membres du PS, et de quelques membres du PCB, La CSC avait d’autre sensibilité, anti-socialiste, et les libéraux avaient une sensibilité procapitaliste
Le rapport de force était tel que tout le monde était syndiqué. Théoriquement, celui qui n’était pas syndiqué cotisait à la caisse d’entraide gérée paritairement par les patrons et les syndicats. Mais faute de cotisation ouvrière, c’étaient les patrons qui finançaient cette caisse.
Clarté : Tu as immédiatement commencé un travail politique dans les Forges ?
J’ai commencé à diffuser dans ma brigade, avec mes moyens très limités en langue française, la pensée communiste. Je me situais sur la tendance qui défendait Staline et Mao contre Khrouchtchev etc. Comme notre brigade avait pour rôle de réduire au maximum l’arrêt de l’entreprise par panne mécanique, on accourait avec toute l’énergie disponible, physique et psychique, pour régler un problème quand il y en avait un. Mais sinon, on avait un espace assez important pour discuter entre nous et pratiquement avec tout le personnel du service. On discutait souvent de mécanique, d’hydraulique, de soudure, et moi j’essayais de ramener chaque discussion à la politique, à l’économie, à la création de la richesse, à l’appropriation de la plus-value.
Clarté : Et ton élection à la délégation syndicale ?
Des travailleurs m’avaient demandé de m’inscrire sur les listes pour les élections syndicales de 1975. Mais à ce moment là j’estimais que ma connaissance de la langue était insuffisante pour m’engager dans une telle fonction. Donc c’est en 1979 que je me suis présenté aux élections et j’ai été élu directement délégué syndical et délégué au Comité Sécurité et Hygiène. J’ai été directement élu en raison de mon travail politique entre 72 et 79.
Pour pouvoir faire travail politique sans m’affaiblir par rapport au patron, j’essayais d’être impeccable sur le travail et à partir de l’efficacité du travail acquérir le respect des travailleurs. Et puisque j’était un très bon travailleur j’était en quelque sorte protégé des manœuvres de la direction.
Tous les délégués élus étaient très contents. Ils ont fait la fête mais moi, je n’ai rien fêté du tout car j’étais angoissé par l’événement, par le fait de devoir m’occuper de chose sans finalement savoir la façon de s’y prendre. Je n’avais pas de formation syndicale. Ce n’est qu’après quelques temps que j’ai suivi les formations.
Clarté : Quel a été la nature de ton travail politique en 1972 et 1979 ?
Avant l’élection, j’ai participé chaque assemblée prendre parole sur la qualité de travail. A ce moment là il y avait une convention collective par an, qui était précédée par des assemblées générales du personnel. On y discutait la convention collective. Et il y avait une fois par an une discussion sur l’objectif d’un treizième mois. Etant données mes positions politiques, j’étais souvent très critique envers les délégués syndicaux, sans pour autant les considérer comme des ennemis de classe. Je leur en voulais un petit peu de ne pas être radical comme moi dans la lutte contre le patronat. Mais je me rends compte qu’étant donné le rapport de forces politique de l’époque, il n’en pouvait pas être autrement. Tous les délégués, représentant tout le personnel, ne pouvaient pas se retrouver sur ma position. C’était idéaliste, illusoire.
Clarté : Qu’impliquait, pour ton travail, tes liens avec l’UCMLB ?
Fait d’être identifié à l’UCMLB d’une part déforçait ma position, mais d’autre part suscitait de l’intérêt. Ce discours était nouveau, exceptionnel par rapport à la normale syndicale. Je mettais en avant par exemple la guerre du Vietnam, les méfaits de l’impérialisme US, la question palestinienne, j’expliquais ce qui se passait en Amérique latine, les coups d’état militaires, j’expliquais l’usurpation du pouvoir.
On parlait des problèmes internes de l’entreprise ; on cherchait des solutions pour les problèmes concernant les travailleurs, comme les accidents de travail. Il y avait plusieurs tués par an aux Forges et pratiquement 20% du personnel blessé chaque année. La sidérurgie concentre toutes les risques : le froid, le chaud, les chutes, l’écrasement, l’incendie, l’explosion, l’intoxication aux gaz,l’électrocution, et même la noyade dans les bassins ou l’exposition aux rayonnements ionisant puisqu’il y avait des sources radioactives dans les instrument de mesure au cobalt. Un jour on a descendu un pontier presque mort, il était bronchitique et avait respiré les émanation du four. On utilisait des produits toxiques : l’amiante, la peinture pour les tôles produites, les métaux lourds allergisant comme le mercure des transformateurs, le trichloréthylène qui donnait de l’eczéma et des produits de nettoyage comme le White spirit : près de 600 produits toxiques ! Il n’y avait alors pas de politique d’achat spécifique, pas de politique d’utilisation, pas de politique d’élimination des déchets. , Je liais tout cela à la politique internationale et à l’analyse économique sur la création et le partage des richesses. Il faut passer sa pensée, et faire participer à la discussion. A trop crier, à être trop sectaire, on s’isole. Et il ne fallait pas parler que de ceci ou cela, il fallait que le discours soit multiple, il fallait savoir écouter les gens qui parlaient des problèmes personnels.
Clarté : Comment se passait la lutte de lignes ?
Il y avait la tendance socialiste — social-démocrate —, le PC de l’époque qui ne se revendiquait déjà plus de la révolution socialiste, puis la tendance marxiste-léniniste qui disait que la révolution était toujours possible et que d’ailleurs les Vietnamiens et les autres étaient en train de la faire. J’ai assisté aux réunions de cellule de l’UCMLB de 1972 à 1975. C’était une organisation très active, très intellectuelle : ils étudiaient tout le temps les classiques du marxisme-léninisme et la pensée de Mao. Fin 1976, l’UCMLB s’est disloquée, mais les travailleurs qui avaient cette sensibilité continuaient à se rencontrer dans l’usine. Nous n’avons travaillé après cela avec aucune autre organisation. Avec TPO, le courant n’est pas passé du tout. Et puis à ce moment, TPO ne venait plus tellement aux Forges. Petit à petit la lutte strictement politique a cédé le pas à la lutte syndicale.
Clarté : Tu as rencontré des difficultés pour figurer les listes des élections sociales ?
Je n’ai eu aucune contradiction avec les délégués. Je ne leur ai jamais cherché misère. Je ne leur reprochais pas de faire ce qu’ils ne pouvaient pas faire : je prenais contact directement avec les travailleurs pour faire ces choses.
Clarté : Quelles étaient alors les luttes sociales ?
Il y avait eu les luttes lors de la fermeture de Athus. Je suis allé les soutenir avec la délégation. Suite à cela on a eu le débat puis la lutte sur la prépension pour éviter licenciements. Nous avons fait une grève de trois jours dans la sidérurgie, par laquelle nous avons obtenu la prépension.
Vers 1976, la crise de la sidérurgie commençait à se profiler. Il y a eu en 1977 l’audit McKinsey qui classifiait la sidérurgie belge en catégories à garder et développer, ceux qu’il fallait fermer à court terme et ceux qui pouvait survivre à moyen terme. Clabecq faisait partie de la 2ème (haut-fourneau, aciérie, coulée continue, laminoirs) et, pour une partie importante, de la 3ème catégorie (produits des longs train à files, etc.). A ce moment, le patronat avait déjà fait le choix d’abandonner les produits longs et de « se renforcer » dans les produits plats (tôles fortes et moyennes). Petite à petit, à partir de 76 l’effectif du personnel à commencé à baisser et chaque année ou presque, on nous annonçait une grosse catastrophe. Ils préparaient un plan de restructuration qui comportait une réduction du personnel et fermeture de secteurs.
C’est dans cette situation que j’ai été élu délégué en 79.
Clarté : Il y avait eu des grèves « internes » ?
A partir 76, il y a eu des actions pour éviter les licenciements et pour garantir les salaires aux travailleurs déplacés suite à l’arrêt de leur secteur. Dans cette période, Clabecq était active dans la solidarité : la délégation et les travailleurs qui en étaient proche participaient aux luttes à la FN, à Sidmar, dans les mines du Limbourg. A partie de 1979, la politique qui consistait à s’appuyer sur les masses des travailleurs a commencé. C’étaient eux qui avaient la force pour faire des choses formidables.
Clarté : Te voila délégué. Dans ton travail politique aux Forges, cela a été une rupture ?
Je m’investissais déjà à fond dans le travail syndical. Dès que c’était possible, je venais à l’usine une heure avant mon travail pour rencontrer les arrivants du poste dans les vestiaires, puis je partais une heure après voir ceux qui partaient. Je savais qu’à telle heure et à tel endroit on commençait à « faire malette » [à manger] et j’y allais, pour établir le contact. Chaque poste avait sa propre sensibilité, les délégués y menaient leur combat à leur manière.
J’avais plus de liberté de mouvement comme mécanicien : je me rendais dans toute l’usine. Mais une fois élu, mon action s’est étendue du NTT à la coulée continue, à l’aciérie, aux services annexes. En 1980, j’avais déjà une base. Cette année-là, Roberto [D’Orazio] est entré aux Forges et il est arrivé dans mon poste. On a commencé à sympathiser. Il était très critique envers la délégation et n’adhérait pas facilement aux activités syndicales. Mais c’est avec lui et quelques autres militants que nous avons approfondi l’esprit politique et syndical de l’ensemble du poste (soit le tiers des 2000 personnes travaillant à la nouvelle usine ).
Cela a été un travail de plusieurs années dans le poste. Le poste évoluait et cela se voyait : tout le monde avait des autocollants syndicaux sur son casque, sur son armoire ; dans les réfectoires, il y avait des affiches d’Engels et de Marx tandis que les autres postes mettaient des femmes nues. Chez eux c’était socialement moins sensible. Tout cela s’est accompagné de multiples conflits contre les patrons : sur les salaires, sur la classification du personnel, lors de désaccords sur les réprimandes, pour ce qu’impliquaient les restructurations : la garantie des salaires etc. C’était notre poste qui participait aux manifestations : à Bruxelles et dans les autres entreprises. C’est de ce poste qu’émanait la force syndicale des Forges.
Clarté : Vous aviez le soutien de l’appareil syndical ou vous avez développé cela autonome ment ?
L’ensemble de la délégation participait, même si elle avait parfois été mise devant le fait accompli. Il y a eu un début d’opposition : nous étions plus revendicatif, tranchant. Nous ne cherchions pas une voie de sortie avant même d’engager un conflit. Nous, on s’engageait pour gagner.
En 83, il y a eu de nouvelles élections sociales. Roberto s’est inscrit pour la première sur les listes. Roberto et moi avions fait pour ces élections une affiche qui avait été élaborée en groupe de travail à Mellereux . Le gouvernement avait bloqué l’index à cette époque. On revendiquait son rétablissement, mais aussi l’emploi, la sécurité sociale, les 36 heures.
Il y avait tellement de candidats à la FGTB que les nouveaux ne pouvaient s’inscrire que sur une des trois listes : pour la délégation syndicale, pour le Conseil entreprise ou le Comité de sécurité et d’hygiène. Comme cela, on faisait participer le maximum de gens à la problématique syndicale. Seuls ceux qui avaient déjà été élu pouvaient figurer sur deux listes, à part Capelli qui était très populaire et qui était le seul délégué FGTB élu sur les trois listes (c’était courant dans les autres syndicats, mais parce qu’ils manquaient de candidat).
Roberto a été élu suppléant à la délégation syndicale et moi effectif à la délégation syndicale et au Comité de sécurité et d’hygiène. Avec mes bons résultats aux élections, avec mon influence assez importante parmi les travailleurs, je devais faire un choix : soit continuer à travailler à poste et avoir un rôle limité dans le syndicat, soit devenir délégué principal et avoir un impact plus fort dans les trois postes et la délégation syndicale.
Clarté : On ne t’a pas reproché de te couper du travail effectif ?
Déjà dans ma brigade, j’étais toujours en route pour régler les problèmes des gens, et cela pesait sur le travail des autres. Mais quand je suis éloigné de ma brigade, mon travail m’a terriblement manqué. C’était une forme d’expression physique qui m’a manqué. J’aimais le contact avec les machines : tu posais la main dessus et tu sentais si elle vibrait trop ou si elle chauffait. Elle transmettait les choses et j’étais sensible à ça. Cela m’a très fort manqué.
Clarté : Comment abordais-tu les travailleurs qui développaient un discours anti-syndical « de gauche »
Il y avait plein de gens survoltés à l’usine. Ils étaient persuadés que les délégués ne rapportaient pas correctement ce qu’ils voulaient. Alors je leur disais : « viens t’expliquer au comité d’usine et si tu veux, on t’invite à la réunion avec la direction en tant que "technicien" » . Certain pensaient qu’un raisonnement logique suffisait. Les patrons ne pouvaient qu’être convaincus. On mettait le point à l’ordre du jour de la délégation syndicale, et à la réunion, le travailleur expliquait avec beaucoup de véhémence ce qu’il avait longuement médité. Le patron (ou le cadre qui le remplaçait) récusait point par point. Le travailleur voyait alors que ce n’était pas un problème de transmission des délégués vers les patrons, mais de conflit d’intérêts. Les patrons ne sont pas là pour donner des augmentations, même mille fois justifiées, ils sont là pour augmenter le profit. On en a ramené ainsi quelques uns à la réalité.
Clarté : Comment a commencé ton travail de délégué syndical à temps plein?
Après les élections, j’ai voulu régler un vieux problème que personne n’osait affronter parce qu’il n’était pas populaire du tout. Par rapport au personnel de fabrication, et par rapport à certaines fonctions en particulier, les mécaniciens (ou les ajusteurs, comme on disait avant la nouvelle classification) n’étaient pas bien payés. Comme il s’agissait de faire évoluer les salaires d’un seul corps de métier, ce n’était pas populaire. C’est pourquoi j’ai mis cela sur la table après les élections.
Chez les mécaniciens, la mobilisation était déjà bien avancée et Capelli a lancé le mouvement plus tôt que je le voulais. Je n’étais pas prêt mais c’est comme ça : on ne fait jamais comme on veut. Une fois lancé, Roberto et moi nous avons pris ce mouvement en charge. Quand un mouvement démarre, tu ne peux pas dire « stop » dans l’idée de le relancer trois mois plus tard. C’est impossible. Bref, on a fait en sorte que le combat devienne celui des travailleurs. Le mouvement était corporatiste, mais il a mobilisé tous les mécaniciens, même ceux qui étaient anti-syndicaux. Ils ressentaient une injustice profonde. Pour eux, les travailleurs de la fabrication étaient des manœuvres qui faisaient toujours la même chose, alors qu’eux avaient de nombreuses qualifications et un travail plus difficile. Le problème était ancien mais la crise l’avait rendu aigu, car on avait diminué leur travail le dimanche, et c’était grâce à la paie du week-end que les salaires des mécaniciens dépassaient ceux de la fabrication.
Pour première fois, les150 mécaniciens du laminoir, puis l’ensemble des 450 mécaniciens de l’usine, se sont trouvé directement confrontés au patron et à l’encadrement. Et cela a duré six mois, sous la forme d’une grève perlée, avec des arrêts ponctuels et une mauvaise volonté ouverte. Par exemple, il fallait régulièrement changer les quatre cylindres du laminoir. On ralentissait tout. Quand un chef demandait au mécanicien d’aller chercher la clé de deux pouces, le mécanicien lui ramenait celle dix pouces.
Il faut s’attarder à cette lutte. C’est là que la pensée syndicale a changé aux Forges. Les mécaniciens ont lutté six mois face au patron, à ses ingénieurs, aux cadres, aux contremaîtres et même à la fraction syndicale qui n’était pas d’accord avec ces actions. C’était un moment où les gens ont approché de plus près le pouvoir patronal dans l’entreprise. Les gens s’y opposaient directement, pour la première fois de face, sans se cacher derrière les délégués.
La grève n’a fini pas par une augmentation de salaire mais une nouvelle classification pour les ajusteurs : on est passé de quatre à huit catégories, ce qui a créé un espace pour des augmentations immédiates et des espérances d’augmentations prochaines.
Et à la fin de la grève des ajusteurs, c’est la fabrication qui se met en grève ! Ils veulent aussi une nouvelle classification ! Tout le personnel de l’usine de Ittre se met en grève méchamment, alors que rien ne se passe à Clabecq. On ne maîtrisait plus la situation. Les contradictions apparaissaient dans la délégation. Après de multiples arrêts de travail, la direction propose pour la première fois aux Forges des chèques-repas, et pour tout le monde. Pour Roberto et moi et les militants proches de nous, c’était inespéré : à l’époque, cela représentait un avantage assez conséquent. On s’est dit : « C’est bon » . Mais en réunion du comité d’usine, des militants ont dit que le système des chèques-repas était anti-social, le patron ne payait ni l’ONSS ni les impôts là-dessus, les chèques ne comptaient pas pour les congés payés ni pour la pension, c’était une nouvelle manière de payer les gens au noir, etc. Dans ces réunions nous avons fait marche arrière, très fortement déforcés.
Le patron a vu l’occasion de se débarrasser de nous. Il a réuni l’encadrement et il a lancé une campagne contre nous. Les contremaîtres faisaient le tour de l’usine pour dire qu’il fallait nous liquider, Roberto, moi et quelques autres, car nous avions mis les Forges dans une grande confusion. Le personnel était divisé, la délégation aussi. L’ancienne usine [Clabecq] a même fait un arrêt de travail contre nous! Ils n’avaient pas assisté à la lutte de Ittre, ils en avaient seulement entendu parler, généralement par des gens qui nous étaient hostiles.
Voyant cette évolution dans le rapport de forces, nous avons réuni la nuit tous les militants de la nouvelle usine qui pouvaient nous soutenir. Si je me souviens bien, on a réuni et organisé 600 personnes. Et on s’est rendu, ensemble, à l’assemblée de l’ancienne usine. On est descendu là avec 600 personnes pour nous protéger physiquement et pour imposer notre prise de parole. Grâce à cette complicité massive, on a réussi à retourner l’assemblée et à faire face aux forces patronales et aux syndicalistes dégoûtés par la difficulté de la situation. On a réussi à reprendre le contrôle de la situation tout en faisant une retraite stratégique.
Le rapport de forces nous était tellement défavorable que les patrons auraient pu, à ce moment, nous licencier sans grosse difficulté. Ce qui nous nous sauvé, c’est le souvenir de Sabbe et de Desantoine qui était encore dans tous les esprits. La direction ne pouvait pas répéter ce coup-là.
Finalement : on a eu les chèques-repas. Quant à ceux qui les avaient refusé en comité d’usine parce qu’ils voyaient que la situation se retournait contre nous, ils avaient disparu.
La grève avait représenté un grand acquis politique, parce que le pouvoir patronal avait été défié et démystifié, mais nous étions affaiblis dans le rapport de force, et c’est alors que le patron a présenté son propre "cahier de revendication". En 1984, la crise s’approfondissait et le patron a exigé le licenciement de 100 ouvriers, l’introduction de la flexibilité, la polyvalence, etc. Il avait bien préparé son coup en faisant passer le message que si l’usine allait mal, c’était à cause de cette centaine de carottiers. Il mettait en avant des exemples très convaincants : « untel est malade et à la mutuelle mais il tient un magasin » , etc. Il a réussi de la sorte à diviser la délégation et à décourager des délégués. La délégation a cependant refusé le licenciement collectif. Alors le patron a procédé par licenciement individuel.
C’était les premiers licenciements de l’histoire des Forges. Il licenciait une ou deux personnes par jour. Mais chaque licenciement a provoqué des discussion : les travailleurs constataient que les licenciés n’était pas les « carottiers » dont on leur avait parlé, mais leurs camarades de travail. Rien ne correspondait à ce qui était présenté : les malades licenciés étaient réellement malade, etc. Comme cela passait au compte-goutte (deux licenciements ici, puis un là-bas…) les gens ont mis du temps à comprendre. Mais ils en discutaient de plus en plus et quand les gens discutent, ils s’avancent. Après presque quatre-vingt licenciements, la marmite commençait à bouillir méchamment. Le patron l’a senti et a appelé la délégation pour dire : « C’est fini, je ne licencie plus » . Il avait sentit que la situation pouvait déborder.
Ces licenciements avaient provoqué de fortes contradictions, jusque dans la délégation. Tout le monde se sentait dégradé par ces licenciements. Surtout les délégués qui avaient la confiance des gens, ceux qui ne trahissaient pas les travailleurs. Alors on a commencé à très fortement réfléchir sur le type de syndicalisme qu’il fallait relancer. Il y avait la matière aux Forges : toute leur histoire, la grève des mécaniciens, la grève qui avait suivi, les différents conflits découlant des plans de restructuration entre 79 et 85, etc.
Entre 83 et 87 nous avons créé un comité d’usine parallèle qui rassemblait une cinquantaine de militants syndicaux actifs. Ce comité se réunissait chaque fois que la situation l’exigeait, de six à huit heures du matin. Ce n’était pas un comité ouvert, mais on accueillait des personnes invitées par les militants. On a commencé à établir des contacts systématiques avec Sidmar et Boël. On s’est réunit autour d’un programme appelé « Agir autrement » et on en discutait tout le temps dans l’usine.
On revendiquait une augmentation salariale, la sécurité de l’emploi, une cinquième cage [au laminoir] et une bobineuse pour fabriquer des produits d’une qualité supérieure et accéder à d’autres marchés. Nous ne voulions pas d’autre sous-traitance que celle des travaux spécifiques des constructeurs des machines. Or ils voulaient sous-traiter par exemple le décriquage , la traction [les transports], etc.
Clarté : C’est sous l’étiquette « Agir autrement » que vous vous êtes présentés aux élections sociales de 1987…
On a fait une affiche avec sept candidats de « Agir autrement » de la FGTB. Ce n’était pas inhabituel. Il n’y avait pas de discipline particulière pour les campagnes : tu pouvais faire ton affiche, tu pouvais faire une affiche avec deux ou trois candidats dont tu te sentais proche, etc. Nous, on a fait une affiche avec ce programme là. Mais l’imprimerie du Parti Communiste nous a fait une affiche, en grand format, avec des couleurs etc. Alors avec les noms des candidats, le programme et cette affiche magnifique, on est apparu comme une fraction et cela a mis la FGTB sur le pied de guerre. Le président de la provinciale des métallos nous a attaqué. Capelli déchirait les affiches ! Il y a eu plein d’engueulades et même une bagarre. Les permanents croyaient que la FGTB allait perdre élections car une délégation qui se déchire ouvertement à ce point, c’était du jamais vu. Chez nous, certains ont paniqué plein tube. Un candidat a voulu se retirer : on l’a rayé au crayon sur l’affiche. Un autre a demandé qu’on mette son nom entre parenthèses !
C’était une campagne hautement politique. Et tous les candidats de « Agir autrement » ont été élus ! Tous ! Même celui entre parenthèses ! Et même celui qui s’était retiré !
Les anciens boss de la délégation ont aussi élus, mais avec des scores diminués tandis que les nôtres étaient montés en flèche. La FGTB avait totalement remporté ces élections avec 10 élus sur 14 . La CSC et la CGSLB étaient marginalisées.
Alors cela a provoqué des discussions. Les contradictions avaient été si loin qu’ils avaient décidé de nous exclure du syndicat. Mais au lieu de perdre les élections, on les avait gagnées comme jamais auparavant. Et le fait que nous avions gagné beaucoup d’influence parmi travailleurs rendait cette exclusion difficile. Eux-mêmes étaient divisés là-dessus : certains se disaient qu’un jour, leur exclusion pouvait suivre la nôtre. Et ils ont du abandonner l’idée.
Suite à cela notre position on était renforcée. Si, de façon apparente, chacun était à la même place, dans les faits, la direction de la délégation avait changé. L’ancien président avait été réélu mais il délaissait le travail syndical au profit de la politique communale. Le vice-président avait été fortement affaibli et il se consacrait essentiellement à ses activités sportives. La direction de la délégation était composée de ceux de « Agir autrement » et de tous les autres, car à certains moments, il faut savoir agir avec tout le monde. Tout ceux qui soutenaient « Agir autrement » dans le comité parallèle ont intégré le comité d’usine officiel. Ce comité était complètement régénéré, sans qu’il n’y ait eu aucune exclusion.
Clarté : C’est un parcours exemplaire de syndicalisme de lutte de classe, mais l’absence d’un parti révolutionnaire a dû vous apparaître.
Selon moi, il n’existait pas de véritable parti révolutionnaire. Et même une cellule de parti ne peut diriger une lutte d’usine à 100% comme nous l’avons fait. Les militants de parti qui sont arrivés à Clabecq étaient généralement décalés par rapport à la réalité des Forges. Ils proposaient des choses à côté de la plaque parce qu’ils ne comprenaient pas les sensibilités, les équilibres. Parfois ils pouvaient être un frein à notre travail. Un mouvement social est quelque chose d’extrêmement complexe, il suffit parfois d’un clin d’œil pour transformer une assemblée.
Clarté : Ce qui est frappant, c’est que la délégation des Forges assumait finalement des tâches de parti.
Ce n’est pas étonnant car ses membres avaient généralement lu les classiques du marxisme. Il y avait des gens du PC, des PC grec, espagnol, les anciens de l’UCMLB. On regardait dans une certaine direction.
On a voulu faire des Forges le centre de coordination pour les entreprises qui faisaient un syndicalisme différent. On rencontrait les délégués de la Sabena, de VW, de Sidmar, de VW, de Feluy etc. Une vingtaine de délégations. Nous voulions faire des choses en commun, contre les astreintes notamment. Une des idées était d’organiser 50.000 ouvriers pour intervenir en force partout où il y avait une menace d’astreinte.
Il n’y a pas eu un mouvement sans que la délégation des Forges ne fasse un tract ou n’organise une collecte. Même à l’étranger : on a fait des collectes pour les mineurs anglais et les métallos allemands. On intervenait dans les luttes de manière massive et visible. Par exemple, nous étions allé dans la manifestation des enseignants en tenue de fondeur.
Dans l’usine, on faisait participer les gens au maximum. Après chaque réunion avec la direction, on convoquait une assemblée pour en discuter. Face aux problèmes que nous ne pouvions pas résoudre, nous posions la question en termes politiques, on parlait du capitalisme, de la destination de l’argent que l’on produisait, etc.
Clarté : Dans ces conditions, le manque d’un parti n’est jamais apparu ?
Il est apparu en force après la marche des 70.000. Mais cela, c’est plus tard.
Clarté : Revenons à la chronologie. En 1988, c’est le centenaire des Forges
La délégation y a participé en faisant à Clabecq-village une exposition ouverte au grand public sur les cent ans de vie sociale aux Forges. On a fait des recherches, lu la presse du passé, la presse du PC, etc. On a découvert des choses curieuses, par exemple que, pendant la guerre, il y avait eu des conflits pour le paiement des heures passées dans les abris. On a aussi mis en avant les points essentiels des luttes passées aux Forges, comme par exemple la lutte pour les congés payés, la participation à la grève de l’hivers 60-61, etc.
Le patron a aussi présenté son exposition, une exposition faite par des professionnels de la pub, avec un film. Puis le patron a annoncé après quinze années de crise, les Forges avaient fait 640 millions de bénéfices. Nous avions toujours le programme de « Agir autrement » à réaliser, alors on a rentré un cahier de revendication.
Il y a eu un affrontement assez costaud : une grève de deux semaines ou plus. Finalement on a gagné la meilleure convention [de 2 ans] qu’il y a jamais eu aux Forges. Il y avait un index forfaitaire qu’on nous avait retiré en nous promettant qu’il serait rétabli si la situation devenait meilleure. Le patron a subit un rapport de forces tel qu’il a dû rétablir cet index, lâcher 10% d’augmentation, un jour férié pour la fête de la Wallonie (pour faire plaisir à la FGTB !), une prime pour la Saint-Eloi (pour faire plaisir à la CSC !), l’engagement de 150 des 300 travailleurs temporaires, et prolonger le salaire garanti pour travailleurs déplacés d’un secteur à l’autre et qui n’avaient pas encore de poste.
La délégation trouvait qu’on ne pouvait pas aller plus loin (et certains pensaient qu'on avait été trop loin). Alors on a peut-être pêché par autoritarisme. On a dit « Maintenant, c’est fini » . C’était si les augmentations gagnées étaient très conséquentes, cela ne se voyait pas car elles étaient fractionnées. Et le rapport de force n’était pas épuisé. Les gens se sont sentis tellement forts que peu de temps après il y a eu une autre grève. Comme les travailleurs temporaires étaient alors en majorité les fils des ouvriers des Forges, ceux-ci ont fait grève pour que l'engagement définitif de tous les temporaires.
Mon projet était de faire revenir d’une grève les gens forts et mobilisés, et pas de les faire revenir épuisés. C’est comme pour les négociations : il faut négocier quand le mouvement peut aller crescendo, pas quand il décline. Mais les gens se sentaient tellement fort, ils avaient encore tellement de réserves, qu’ils ont redémarrés pendant onze jours sur cette question des temporaires, et les 150 derniers temporaires ont été engagés à durée indéterminée.
Clarté : C’est sur base de ce succès que vous vous êtes présenté aux élections de 1991
On s’est reposé sur tous ces acquis : les augmentations, ces avantages, l’embauche des temporaires. On n’a pas fait de politique. Pratiquement, le message était : « On a fait tout cela, votez pour nous » . On n’avait pas analysé l’élection de 87. En 87, on avait dépassé l’électorat classique de la FGTB, on avait fait le plein, y compris des forces qui n’étaient pas vraiment nôtres, et ces forces peuvent t’échapper. Pour ces élections, on a juste fait de l’économie, et on les a perdues : la FGTB est passée de 10 à 7 élus. De plus, les sièges étaient moins nombreux parce que le personnel avait diminué. Voilà notre expérience : tu ne parles que d’économie ? Tu perds les élections. Tu parles de politique et d’économie ? Tu les gagnes les élections. La lutte mobilise les gens, ils s’enthousiasment, cherchent à surmonter les difficultés.
Et dès qu’on a perdu une partie de notre appui, le patron est parti à l’offensive. Dessy n’avait pas accepté sa défaite totale de 89. La situation financière s’est à nouveau dégradée, alors il a créé en 92 une situation de catastrophe et il a produit le « plan Dessy » : diminution des salaires de 10% (exactement l'augmentation gagnée en 89), suppression du treizième mois, licenciement de cent personnes en plus des départs naturels (soit la suppression de 300 emplois).
[Suite de l’entretien avec Silvio Marra dans le prochain n° de Clarté]
L. : A Cockerill Liège, depuis 1995. Et nous avons pu étendre notre travail à Cockerill Charleroi en 2006.
Clarté : Dans quelles unités êtes vous présents ?
L. : Essentiellement à la cokerie, à Chertal pour le « chaud », et à Ferblatil pour le « froid ». A cela s’ajoute quelques camarades et sympathisants extérieurs à l’entreprise ou ayant quitté celle-ci mais qui continuent à diffuser le bulletin aux portes, et quelques sympathisants dans la sous-traitance.
Nous sommes loin de couvrir tout Cockerill. C’est un monstre : il y a 21 portes différentes et nous ne sommes présents systématiquement à deux portes extérieures. A quoi s’ajoutent les diffusions à l’intérieur, des diffusions de la main à la main.
C’est insuffisant mais ce n’est pas négligeable. Le bulletin finit par arriver : il traîne dans les ateliers, dans les vestiaires, dans les toilettes, sur les postes de travail, au dispatching, dans les cantines, etc. Il circule, on en discute.
Tout un moment, nous avions un bon caricaturiste (un ancien militant de l’UCMLB). Ses dessins avaient beaucoup de succès : on les retrouvait agrandis en A3 et collés dans les ascenseurs.
Clarté : Dans ton engagement politique, il y a eu des précédents de ce type.
L. : Oui, j’ai commencé à la Sabena en 1991. J’y bossais comme bagagiste. A ce moment là, j’étais proche de Lutte Ouvrière. A LO, on m’a dit d’aller voir le POS, mais j’ai vite vu qu’il n’y avait rien à faire avec le POS. Par contre, il y avait à la Sabena un noyau du PCB, héritier de l’ancienne cellule Sabena du PCB. C’est avec eux que j’ai commencé le bulletin. Je ne leur ai pas caché que j’étais proche de LO, et cela ne leur a pas posé de problème : nous avons travaillé ensemble et édité pendant deux ans un bulletin intitulé Runway. Mais les militants PCB sont partis les uns après les autres en pré-pension, et moi-même, un camarade a été viré en raison de son activité politique dans l’entreprise, en profitant et sous prétexte d’un « plan social », et moi on ne m’a pas renouvelé mon CDD. Faute de gars à l’intérieur, le bulletin s’est arrêté.
Mais par l’intermédiaire de ce bulletin, j’étais entré en contact avec des militants syndicaux de chez VW, et c’est avec eux que j’ai poursuivi mon travail. C’était en pleine lutte contre un plan d’austérité. Avec des syndicalistes en rupture avec les têtes syndicales de la FGTB et de tout jeunes militants FGTB à peine formé par le syndicat, nous avons essayé de construire une cellule. Les difficultés étaient grandes, les camarades travaillaient en trois pauses et il n’était pas évident de se réunir.
Il y a eu une grève de trois semaines sur les horaires ; une grève assez dure, avec piquet de grève derrière des semi-remorques placés en travers de la rue. Après trois semaines cela a été l’intervention policière massive.
Les travailleurs hésitaient, les dirigeants syndicaux de l’extérieur et le « milieu syndical » a bloqué seul la nouvelle tôlerie dans un baroud d’honneur. Puis le syndicat a mis fin à la grève en criant « victoire ». Pour nous, ce n’était pas du tout une victoire, mais l’équipe syndicale travaillant autour du bulletin a suivi sa direction et a défendu la reprise. Le noyau restant a sorti un tract qui nous a valu une attaque du milieu syndical, et cette attaque a provoqué l’explosion du noyau qui animait le bulletin. A ce moment, notre bulletin, avec son évaluation critique de la grève et de la direction syndicale, avait beaucoup d’ennemi. L’équipe des formateurs FGTB de Mellereux s’était lancée dans « Gauche Unie » … ils voulaient une initiative large et fédératrice, et pas une voix critique… Ce fut la fin du bulletin à VW.
Clarté : Pourquoi un journal d’entreprise comme première forme d’activité militante ?
L. : J’avais vu en France le travail que LO arrivait à faire à travers un bulletin d’entreprise. Ils ont monté de véritables sections d’entreprise (à Peugeot notamment), avec des « établis » qui ont tenus et qui se sont réellement implantés. Le bulletin d’entreprise m’a paru un bon outil pour faire un véritable travail dans la classe. Un bulletin permet une intervention directe dans la classe, et suivant le schéma léniniste du journal comme « échafaudage » organisationnel, il permet d’essayer d’organier les travailleurs hors des structures syndicales ou parallèlement à celles-ci.
Le bulletin permet :
1° D’affirmer une présence communiste dans l’entreprise (le simple mot « communiste » a un impact, ce en quoi la Belgique diffère de la France) ;
2° De prendre position sur l’actualité (via l’éditorial de politique générale) face au bombardement médiatique de la presse bourgeoise ;
3° D’être en connexion avec ce qu’on pense dans la classe même, et pas uniquement ce que l’on pense dans les milieux syndicaux. Ce dernier point est important car dans l’extrême gauche, on écoute les délégués syndicaux et on finit par les considérer comme des thermomètres de la classe. Mais c’est une erreur. Ce que disent les délégués ne reflète que ce que pense le « milieux syndical ». Cette erreur est particulièrement forte chez les trotskistes et au PTB. J’ai vu le POS et PTB coller au milieu syndical et être incapable de faire la différence entre celui-ci et la classe.
Clarté : Et donc, Liège…
L. : Il a avait en 95 à Liège des sections PC (les soi-disant « sections staliniennes »). Elles étaient pour l’essentiel composées de prépensionnés et de pensionnés, mais elles avaient de nombreux liens avec Cockerill (principalement à Chertal). J’avais de bons contacts avec eux, et après la fin du bulletin à VW, je leur ai proposé de mettre sur pied un bulletin à Cockerill. Il s’agissait cette fois d’un bulletin directement communiste (et non pas syndicaliste), dirigé non seulement contre les patrons mais aussi contre les bonzes syndicaux. Cependant, sur ce dernier point, on a commencé en doucement.
C’était un bulletin PCB et j’ai adhéré au PCB même si, fondamentalement, je me sentais toujours proche de LO. Mes rapports avec des militants de LO m’ont permis d’amener quelques sympathisants LO (des étudiants de l’ULB essentiellement) sur le projet. Il ne s’agissait pas pour moi « d’infiltrer » le PC liégeois ou de faire de « l’entrisme » pour le compte de LO. Simplement, comme communiste, à Liège, ces sections du PCB étaient à mes yeux la seule possibilité pour faire un véritable travail de classe. C’est ainsi que « La voix des travailleurs » a vu le jour.
Clarté : Combien de temps le PCB liégeois a-t-il assumé politiquement le bulletin ?
L. : Pendant deux ans. Les premières pressions sont venues de la FGTB, puis, du PC. Le clash de VW a été invoqué contre le bulletin, et là aussi, les partisans de « Gauche Unie » (opposé aux partisans d’un vrai parti communiste) voyaient dans ce bulletin critique un obstacle. La direction du PC a mis toute l’équipe en demeure de choisir : soit arrêter le bulletin, soit quitter le PC.
J’ai refusé d’arrêter le bulletin et ai été expulsé du PC en 97. Les autres ont profité du fait que la discipline du PC, à Liège, est très relative. De fait, la direction s’est contentée de déclarations de principe, sans trop se soucier de leur application. Pratiquement, le noyau est resté au PC et a continué à produire et diffuser le journal... Comme le PC ne milite plus (pas seulement dans la classe : en général), les gens proches du PC qui collaborent au bulletin vivent cette double engagement sans contradiction : on a sa carte au PC parce que, traditionnellement, c’est le parti auquel on appartient, mais le travail militant se fait au bénéfice du bulletin.
Le travail a donc continué sans l’étiquette PC. Le journal s’appelait alors « bulletin communiste de Cockerill-Sambre » puis « bulletin de militants communistes et de travailleurs ». En plus du noyau, il y avait une série de travailleurs qui filaient les infos. Des délégués de lutte de classe nous contactaient parce qu’ils avaient intérêts à ce que telle ou telle info passe. Et il y avait des sympathisants qui se fichaient un peu de savoir ce que nous allions faire de l’info, mais qui nous la communiquaient volontiers quand nous la leur demandions.
Clarté : Quel était l’ampleur de ce noyau ?
L. : Nous avons compté jusqu’à quinze personnes dans l’entreprise, plus tous les extérieurs : les étudiants proches de LO dont j’ai déjà parlé, les prépensionnés et les pensionnés, mais aussi des communistes étrangers notamment des Iraniens du OGFPI, du Komala, et du PCOI.
Clarté : La forme du bulletin est toujours restée la même ?
L. : Oui : un édito de politique générale au recto, et des nouvelles de l’entreprise au verso, et le tout paraissant tous les 15 jours.
Clarté : Ce bulletin avait-il eu un précédent à Cockerill ?
L. : Pas sur ce modèle, mais le PC a eu longtemps une vraie section d’usine (une section de parti tout à fait indépendante de l’appareil syndical) à Cockerill, et cette section avait son propre bulletin jusque dans les années 80. La grande crise de la sidérurgie en 85-86 a liquidé cela.
Dans les années ’70, l’UCMLB intervenait régulièrement avec des diffs de tracts « de base », sur une ligne très anti-syndicale. PTB intervenait lui aussi de l’extérieur avec des tracts.
Clarté : Comment ce projet a-t-il évolué ?
L. : Il y a eu des ruptures en série qui a provoqué le désengagement des extérieurs proches de LO et mon propre éloignement d’avec LO et les groupes trotskistes.
Outre les anciens du PC, le réseau du journal est en grande majorité composée de sans-parti.
Un « proche » du PTB s’est approché puis s’est vite éloigné. Le MAS a essayé de discuter avec nous mais fondamentalement ils n’étaient pas intéressés par un travail de classe qui ne passe pas par les structures syndicales. Ils ont fait le choix stratégiques de thèmes qu’ils espèrent porteurs chez « les jeunes » : l’antifascisme, les sans-papiers, le syndicalisme étudiant, etc. Ils m’ont dit un truc curieux : « Tant qu’on est pas cinquante on n’intervient pas dans la classe ». Pourquoi cinquante et pas vingt ? Mystère…
Clarté : Le chiffre est arbitraire mais on peut comprendre la logique : pour intervenir dans la classe, il faut avoir les moyens d’en organiser les potentialités, il faut savoir quoi proposer, etc. Bref, il faut des forces…
L. : Oui, mais si tu es communiste, si tu considères que la révolution a pour base et acteur principal la classe ouvrière, alors il faut faire un travail de classe avec les forces que tu as.
Une activité comme le bulletin permet déjà de comprendre ce qu’est la réalité de la classe aujourd’hui.
Car les choses changent. Dans les 70 et 80, jusqu’au début des années 90, quand on faisait une diff de tract, tous les travailleurs prenaient des tracts et prenaient même spontanément des paquets de tracts pour les differ à l’intérieur. Même s’ils n’étaient pas d’accord avec tout : c’était un contrepoids au discours patronal.
Mais avec le temps, ces réflexes de politisation n’existent plus que de manière marginale.
L’influence des anciennes organisations d’extrême gauche et même du PC s’est affaiblie et a presque totalement disparue. Le départ des prépensionnés (et notamment ceux qui ont mené les luttes de 83-86) a terriblement fait baisser le niveau de lutte. On parle dans l’entreprise du temps où on cassait la gueule des contremaîtres et où on descendait sur Bruxelles comme d’une époque bénie mais révolue.
Ce qui revient aussi dans le discours des travailleurs pour expliquer la démobilisation, c’est le poids de l’endettement.
Clarté : Il doit rester des attitudes de l’ordre du réflexe de classe
L. : Oui : le bulletin circule bien. On a des échos de sa présence dans des secteurs de l’entreprise où nous n’avons jamais diffé et ou nous ne connaissons personne. Sans exagérer, le bulletin recueille un véritable courant de sympathie. Le bulletin dénonce les mauvaises conditions de travail, les accidents, les salaires, etc. Nous parlons des sous-traitants, alors que l’appareil syndical les ignore.
Et puis le bulletin permet d’aborder des questions quotidiennes de la classe que le syndicat refuse d’affronter. Nous avons par exemple critiqué la « topo-maitenance » , par exemple. Cette critique est bien accueillie car elle correspond à tout le mal que les travailleurs pensent de cette formule.
Clarté : Vous avez des connexions dans la sous-traitance ?
L. : Forcément : ils sont sur le site, ils ne travaillent pas dans des usines périphériques comme dans le secteur automobile. Les travailleurs des firmes extérieures s’amènent en camionnette, ils entrent dans l’usine et travaillent à l’intérieur.
Nous avons des contacts avec des militants syndicaux qui ont monté leur propre délégation syndicale dans leur boite, parfois avec l’aide individuelle d’un délégué de Cockerill qui ne partage pas le désintérêt de l’appareil pour les sous-traitants.
Prenons l’exemple du maçonnage des cuves des hauts-fourneaux avec des briques réfractaires. Les travailleurs qui font cela pour la sous-traitance relèvent de la CP du « bâtiment » et non de la « métallurgie ». Syndicalement, ils relèvent de la Centrale Générale et non Centrale de la Métallurgie. Et bien on a entendu des responsables syndicaux à Cockerill dire que « Ces mecs nous piquent notre boulot » et avoir des attitudes ouvertement hostiles envers eux. Par exemple : ils leur ont interdit les vestiaires !
Ceci a un tout petit peu évolué avec les grands discours sur le « syndicalisme de réseaux » mais ces discours restent en règle générale du blabla : les réflexes corporatistes sont écrasants. Ainsi, avec le bulletin, nous avons relayé l’inquiétude des travailleurs quant à la présence d’amiante dans les matériaux réfractaires. Pour les responsables syndicaux de Cockerill, c’est la loi du silence, le maçonnage ne les regarde plus, si on s’y empoisonne à l’amiante c’est pas leur problème.
La sous-traitance a beaucoup de formes. Il y a ces femmes qui sont peu politiques, qui travaillent dans le nettoyage. Elles n’ont rien de communiste mais elles utilisent le bulletin dénoncent les saloperies au quotidien dans leur boîte. Il y a aussi toutes les fonctions de transports routiers qui, à Ferblatil, sont confiés à des sous-traitants employant des chauffeurs tchétchènes et albanais roulant douze heures par jour six jours sur sept. !
Clarté : Y a-t-il des tentatives de répression dans l’entreprise ?
L. : Non. Parfois un coup de gueule de contremaître qui s’était reconnu dans un article.
La haute maîtrise a une fois convoqué des camarades pour leur dire « on a appris que vous faisiez circuler des tract, veuillez arrêter cette agitation, nous sommes dans un pays démocratiques vous pouvez faire de la politique sur la voie publique mais c’est un site privé c’est interdit. »
Dans l’idée du bulletin, nous voulions qu’il y ait de la discrétion pour que les rédacteurs et les diffuseurs ne puissent pas être la cible d’une éventuelle répression, mais un manque de discipline général n’a pas permis de tenir ce cap. Cela se passe à Liège, à la bonne franquette, on parle beaucoup…
Clarté : Lorsque nous avions traité dans Clarté des journaux d’entreprise, nous avions posé la question de la priorité : organe central ou journal d’entreprise ?
L. : Le journal d’entreprise est indispensable pour la présence dans la classe, pour y faire vivre un courant lutte de classe etc. C’est le minimum. Pour dépasser ce stade il faut naturellement une organisation. J’ai d’abord cru que cela pouvait être LO, maintenant je la crois à construire …
Clarté : Où est-ce que vous en être à Charleroi ?
L. : A Farcienne, il y a deux sites Mittal : il y a Carlam et nouvelle usine Carinox (Chatelet Mittal) ouverte il y a deux ans. C’est l’usine alibi du fameux « pôle inox ». C’est à Farcienne que nous sommes (modestement) présent.
La situation y est politiquement plus difficile. La répression est plus forte parce que c’est une nouvelle usine lancée avec des travailleurs très jeunes, coupé des traditions militantes, dans une région à fort chômage où les jeunes prêt à accepter n’importe quoi.
Clarté : Quelle est votre « politique syndicale » ?
L. : L’ennemi principal est clairement le patron, mais quand les directions syndicales signent des accords dans le dos des gens défavorables aux travailleurs, qu’elles refusent de prendre leur défense, quand elles signent par exemple les accords de Colonster où elles s’engagent à ce qu’il n’y ai aucune action de grève sans neuf semaines de préavis, quand elles négligent la lutte sur les conditions de travail, quand elles acceptent chaque restructuration accompagnant chaque fusion-rachat (d’abord Cockerill dans Cockerill-Sambre, puis dans Usinor, puis dans Arcelor, et maintenant dans Mittal), quand elles cautionnent l’appel à la sous-traitance, l’explosion des postes confiés aux intérimaires et aux CDD, il faut les dénoncer.
Clarté : Que penses-tu de la formule des Comités de Lutte Syndicale proposé par le Bloc ML ?
L. : Il y a un problème de terme. Chez les travailleurs, l’expression « lutte syndicale » évoque directement la FGTB et la CSC. L’idée que les CLS sont là pour s’organiser hors des syndicats, jusqu’à inclure des non syndiqués, ne passe pas dans le nom, même si je comprends que le nom a été choisi en raison du modèle historique.
S’organiser hors du cadre syndical est une perspective nécessaire, mais ce n’est pas évident pour tout le monde. A la base, le syndicat est perçu comme une caisse d’assurance et un garde- fou social. Les délégués s’occupent des problèmes individuels des affiliés, ils jouent le rôle d’assistants sociaux.
La base a une attitude ambivalente. Ils considèrent que les délégués sont des gens qui les défendant mais ils remarquent aussi qu’ils sont souvent du coté du patron.
D’autre part, il n’y a pas d’initiative pour combler les lacunes des délégués. Ils disent « Vas-y ! vas-y ! » aux délégués combatifs, mais eux-mêmes restent en retrait.
Clarté : Quelle est la réalité des délégués aujourd’hui à Cockerill ?
L. : Il y a de petits délégués de base honnête, mais ils sont vite achetés par l’appareil.
Cela commence par les crédits d’heures : crédits formation, réunions extérieures à l’usine. On voit de tout : des pseudo-formations syndicales (tous les mercredis après-midi, comme par hasard…), des séminaires à Blakenberghe, des réunions patrons-syndicats avec petites bouffes et voyage, etc.
Cela, c’est la corruption « normale », « structurelle », avec laquelle l’appareil syndical tient ses troupes. Mais cette corruption en engendre une autre.
Il y a beaucoup de fric qui circule, qui vient de la région wallonne, du patronat, etc.
Des détournements de cotisations syndicales ont été avéré tant à la CSC qu’à la FGTB : les cotisations étaient encaissées mais les timbres n’étaient pas remis. Les permanents démasqués ont été éliminés très très discrètement. Et puis il y a celui qui profite de ses heures syndicales pour construire sa baraque avec du matériel piqué à l’usine, etc.
Clarté : Y a-t-il une différence à Cockerill-Liège entre la CSC et la FGTB ?
L. : Les problèmes sont les mêmes. D’ailleurs, leurs structures sont copiées l’une sur l’autre. Il y a un taux de syndicalisation de plus de 90% mais la FGTG est majoritaire dans le « chaud » et la CSC dans le « froid »
Il semble qu’il y ai dans certains secteurs de la CSC plus de marge démocratique pour les délégués vis-à-vis de l’appareil. La CSC a d’ailleurs accueilli des délégués virés par la FGTB parce qu’insuffisamment soumis à l’appareil.
Clarté : Qu’en est-il du conflit actuel entre la CSC et la FGTB à Cockerill ?
L. : Il se déroule sur fond d’élection syndicale. En raison des différentes restructurations, le nombre de mandats syndicaux a été réduit. Les bonnes places sont moins nombreuses dans les CPPT, CE et délégation syndicale. Cela a exacerbé la concurrence entre les deux syndicats.
Ceux-ci défendent en outre de grands choix stratégiques différents :
La CSC a plus vite entérinée la fermeture du « chaud » (en revendiquant le développement du « froid » où elle est majoritaire).
La FGTB joue sur le mythe sidérurgie intégrée, et elle a crié victoire lorsque Mittal a accepté la réouverture du hauts-fourneaux, alors que les deux syndicats avaient accepté le plan fermeture d’Arcelor (le cirque de la manifestation des 50.000 était le chant du cygne de la résistance syndicale à cette fermeture).
La sidérurgie à chaud comprend les deux hauts-fourneaux qui sont le haut-fourneau 6 de Seraing (qui a redémarré le 28 février) et le haut-fourneau B à Seraing-Ougrée. Ils sont alimentés par la cokerie de Seraing.
L’acier en fusion à 1200° est transporté des hauts-fournaux par wagon-torpille à travers tout Liège jusqu’à l’île de Chertal (commune de Herstal) où il y a l’aciérie. Là, on ajoute à l’acier en fusion de la mitraille, et l’acier passe par la coulée continue pour devenir des brames de 3 ou 5 m de long pour 20 cm de haut. C’est au stade des brames que la production que Clabecq s’arrêtait, mais à Chertal, les brames passent par le laminoir TLB, le Train à Larges Bandes. Les brames réchauffées sont laminées sur un kilomètre jusqu’à ce qu’elles se transforment en coils, en bobine de tôle d’un centimètre d’épaisseur.
C’est avec les coils que s’achève la production du « chaud ».
Les coils sont alors transportées par camion ou chemin de fer sur l’autre rive de la Meuse, vers les usines du « froid » qui produisent à partir des coils de Chertal vingt-quatre types de tôles d’aciers différentes (pour l’automobile, l’électroménager, les conserves alimentaires, etc.). Les usines concernées sont Ferblatil à Tilleur, Kesales à Jemeppe-sur-Meuse, Phenix Works à Flémalle, Eurogal et Segal à Ivoz Ramez et TDM, la Tôlerie Deloy Mathieu à Huy.
Le tout représente 6.500/7.000 emplois sur l’ensemble du bassin liégeois pour Mittal uniquement, 15.000 emplois au total avec la sous-traitance.
LES QUATRE AGITATEURS. – Au cours de cette semaine, la répression s’accentua gravement. Nous n’avions plus qu’un seul local sûr pour l’imprimerie et pour les tracts. Mais un matin, de grandes émeutes de la faim éclatèrent dans la ville, et de la plaine environnante, on nous annonça des troubles importants. Au soir du troisième jour, tandis qu’échappant à la police nous arrivions à notre refuge, le jeune camarade vint au devant de moi, sur le pas de la porte. Devant la maison, des sacs étaient empilés sous la pluie. Nous reproduisons la discussion :
LES TROIS AGITATEURS. – Qu’est-ce que c’est, ces sacs ?
LE JEUNE CAMARADE. – C’est notre matériel de propagande.
LES TROIS AGITATEURS. – Et qu’est-ce qu’il fait là ?
LE JEUNE CAMARADE. – Il faut que je vous mette au courant : les nouveaux chefs des sans-travail sont venus ici, ce matin, et m’on convaincu qu’il fallait déclencher immédiatement notre action. Nous allons distribuer le matériel de propagande et prendre d’assaut les casernes.
LES TROIS AGITATEURS. – Tu leur as montré la mauvaise voie. Mais dis-nous tes raisons, et essaie de nous convaincre !
LE JEUNE CAMARADE. – La misère grandit dans la ville, et les révoltes se multiplient.
LES TROIS AGITATEURS. – Ceux qui ne savent rien commencent à comprendre leur situation.
LE JEUNE CAMARADE. – Les sans-travail se sont ralliés à notre doctrine.
LES TROIS AGITATEURS. – Les opprimés acquièrent la conscience de classe.
LE JEUNE CAMARADE. – Ils descendent dans la rue et veulent faire sauter les filatures.
LES TROIS AGITATEURS. – Il leur manque l’expérience de la Révolution. Notre responsabilité grandit.
LE JEUNE CAMARADE :
Les sans-travail ne peuvent plus attendre, et moi
Non plus, je ne peux plus attendre.
Il y a trop de miséreux.
LES TROIS AGITATEURS. – Mais encore trop peu de combattants.
LE JEUNE CAMARADE. – Leurs souffrances sont inouïes.
LES TROIS AGITATEURS. – Il ne suffit pas de souffrir.
LE JEUNE CAMARADE. – Il y a, chez nous, une délégation de sept hommes, venus nous trouver de la part des sans-travail. Ils ont derrière eux sept mille hommes, qui savent que le malheur ne pousse pas tout seul, comme les peux sur la tête ; que la misère ne tombe pas du ciel, comme la tuile du toit ; que le malheur et la misère sont l’œuvre d’hommes qui font leur cuisine, organisent la pénurie et se repaissent des lamentations. Ils savent tout.
LES TROIS AGITATEURS. – Est-ce qu’ils savent de combien de régiments dispose le gouvernement ?
LE JEUNE CAMARADE. – Non.
LES TROIS AGITATEURS. – Alors, ils n’en savent pas assez. Où sont vos armes ?
LE JEUNE CAMARADE, montrant ses mains. – Nous nous battrons avec nos dents, avec nos ongles.
LES TROIS AGITATEURS. – Ça ne suffira pas. Tu ne vois que la misère des sans-travail, et pas la misère de ceux qui travaillent. Tu ne vois que la ville, et pas le paysan de la plaine. Tu ne vois dans le soldat que l’oppresseur, et non le miséreux en uniforme qui t’opprime. Donc, tu iras trouver les sans-travail, tu rétracteras le conseil que tu leur as donné de prendre d’assaut les casernes, et tu les convaincras de manifester ce soir avec les ouvriers des entreprises ; nous essaierons, de notre côté, de convaincre les soldats mécontents de participer eux aussi, en uniforme, à la manifestation.
LE JEUNE CAMARADE. – J’ai rappelé aux sans-travail que plus d’une fois les soldats ont tiré sur eux. Dois-je maintenant leur dire de manifester avec des assassins ?
LES TROIS AGITATEURS. – Oui, car les soldats peuvent reconnaître qu’il n’était pas juste de tirer sur les miséreux, leurs frères de classe. Souviens-toi du conseil classique que nous donnait le camarade Lénine : ne pas considérer tout paysan comme un ennemi de classe, mais se faire un allié de la pauvreté au village.
LE JEUNE CAMARADE. – Alors, il faut que je vous pose une question : est-ce que les classiques admettent que la misère attende ?
LES TROIS AGITATEURS. – Ils traitent des méthodes qui permettent de saisir la misère dans son ensemble.
LE JEUNE CAMARADE. – Alors, les classiques ne sont pas d’avis qu’il faut aider les miséreux tout de suite, sans délai, sans condition ?
LES TROIS AGITATEURS. – Non.
LE JEUNE CAMARADE. – Dans ce cas, les classiques, c’est de la merde et je les déchire ; car l’homme, l’être de chair et de sang, hurle, et sa misère emporte toutes les digues que veut lui imposer la doctrine. C’est pourquoi je vais déclencher l’action, tout de suite ; car je hurle et j’emporte les digues de la doctrine.
Il déchire le matériel de propagande.
LES TROIS AGITATEURS :
Ne déchire rien. Nous avons besoin
De chaque tract. Vois donc les choses comme elles sont !
Ta révolution est vite faite ; elle dure un jour
Et demain elle est étranglée.
Notre révolution, elle, commence demain,
S’impose et transforme le monde.
Ta révolution disparaît, si toi-même tu disparais.
Toi disparu,
Notre révolution, elle, continue sa marche.
LE JEUNE CAMARADE. – Ecoutez ce que j’ai à vous dire : je sais, parce que mes yeux le voient, que la misère ne peut attendre. C’est pourquoi je m’oppose à votre décision, je refuse d’attendre.
LES TROIS AGITATEURS. – Tu ne nous as pas convaincus. Donc, tu vas aller trouver les sans-travail et les convaincre de la nécessité pour eux de prendre leur place dans le front de la Révolution. Nous t’y invitons au nom du Parti.
LE JEUNE CAMARADE. – Qui c’est, le Parti ?
LES TROIS AGITATEURS :
Le Parti, c’est nous.
Toi, moi, vous – nous tous.
Ton veston lui tient chaud, camarade, et dans ta tête il pense.
Où j’habite, il est chez lui ; où l’on t’attaque, il combat.
Montre-nous le chemin qu’il faut prendre, et nous
Le prendrons avec toi ; mais
Ne t’engage pas sans nous sur le bon chemin.
Sans nous il est
Le plus mauvais de tous.
Ne te sépare pas de nous !
Nous pouvons nous tromper, tu peux avoir raison, donc
Ne te sépare pas de nous !
Le chemin direct vaut mieux que le détour – nul ne le conteste :
Mais si, le connaissant,
Tu ne sais nous le montrer, à qui nous sert ta science ?
Partage-la avec nous !
Ne te sépare pas de nous !
LE JEUNE CAMARADE. – J’ai raison. Donc je ne peux pas céder. Je sais, parce que mes yeux le voient, que la misère ne peut attendre.
LE CHŒUR DES JUGES :
ELOGE DU PARTI
Car chaque camarade a deux yeux
Le Parti en a mille.
Le Parti connaît trois continents
Chaque camarade connaît une ville.
Chaque camarade a son heure
Le Parti, lui, a mille fois son heure.
Chaque camarade peut être anéanti
Mais le Parti ne peut être anéanti
Car il est l’avant-garde des masses
Et dirige leur combat
Avec les méthodes des classiques, forgées
Dans la connaissance de la réalité.
LE JEUNE CAMARADE. – Tout cela n’est plus vrai. A la vue du combat, je rejette tout ce qu’hier encore je tenais pour vrai, et je ne suis plus du tout d’accord avec aucun de vous ; j’agis, moi, au nom de l’Homme. L’action va se déclencher. J’en prends la tête. Mon cœur bat pour la Révolution.
LES TROIS AGITATEURS. – Tais-toi !
LE JEUNE CAMARADE. – Vous ne voyez donc pas l’oppression ? Je suis pour la révolte immédiate !
LES TROIS AGITATEURS. – Tais-toi ! Tu nous trahis !
LE JEUNE CAMARADE. – Je ne peux pas me taire : j’ai raison.
LES TROIS AGITATEURS. – Raison ou pas, si tu parles, nous sommes perdus ! Tais-toi !
LE JEUNE CAMARADE :
J’en ai vu trop.
C’est pourquoi je vais me présenter devant eux,
Leur dire qui je suis, et ce que je fais.
Il ôte son masque et crie :
Nous sommes venus vous aider.
Nous venons de Moscou.
Il déchire son masque.
LES QUATRE AGITATEURS :
Nous le regardions, et dans l’ombre du crépuscule
Nous vîmes son visage nu,
Un visage d’homme, ouvert et sans malice. Il avait
Déchiré son masque.
Et des maisons
Sortaient les cris des exploités : qui
Trouble le sommeil des pauvres ?
Une fenêtre s’ouvrit, et une voix cria :
Des étrangers ! Chassez les provocateurs !
On nous reconnaissait !
Or au même moment nous apprîmes que des émeutes avaient éclaté
Dans la basse ville, et que les prolétaires, avides d’apprendre, nous attendaient
Dans leurs salles de réunion,
Et que les prolétaires, réclamant des armes, nous attendaient dans les rues.
Mais le jeune camarade, lui, ne cessait de hurler.
Nous l’avons assommé,
Puis nous l’avons emporté, et, en hâte, nous avons quitté la ville.
LE CHŒUR :
Ils ont quitté la ville !
Les troubles s’étendent dans la ville
Mais les dirigeants prennent la fuite.
Dites-nous votre décision !
LES QUATRE AGITATEURS :
Attendez !
Il est facile de voir ce qu’il faut faire
Quand on est loin du feu,
Quand on a des mois devant soi.
Nous avions dix minutes
Et nous réfléchissions face aux fusils braqués.
Lorsque, dans notre fuite, nous sommes arrivés à proximité des fosses à chaux, en bordure de la ville, nous avons vu que la police nous suivait de près. Notre jeune camarade rouvrit les yeux, apprit ce qui s’était passé, comprit ce qu’il avait fait, et dit : nous sommes perdus.
LE CHŒUR :
Dites nous votre décision !
Lorsque la répression s’aggrave, lorsque la situation s’embrouille la théorie,
Les combattants font le schéma de la situation
Pour évaluer les forces en présence et les possibilités.
LES QUATRE AGITATEURS. – Nous reproduisons notre analyse :
LE PREMIER AGITATEUR. – Il faut l’emporter de l’autre côté de la frontière.
LE SECOND AGITATEUR. – Mais les masses sont dans la rue.
LE TROISIEME AGITATEUR. – Nous devons les amener à nos réunions.
LE PREMIER AGITATEUR. – Donc il ne nous est pas possible d’emporter notre camarade de l’autre côté de la frontière.
LE TROISIEME AGITATEUR. – Nous ne pouvons le cacher. Mais si on le trouve, qu’arrivera-t-il, puisqu’il a été reconnu ?
LE PREMIER AGITATEUR. – Les canonnières sur les rivières et les trains blindés sur les remblais sont prêts à attaquer, si l’on découvre l’un d’entre nous dans la ville. Nous ne pouvons permettre qu’on le voie.
LE CHŒUR :
Si l’on nous voit où que ce soit
On crie : il faut anéantir
Les meneurs.
Et les canons tirent.
Car si l’affamé
En gémissant rend ses coups à son bourreau
C’est que nous l’avons payé
Pour qu’il gémisse et rende les coups.
On lit sur notre front
Que nous sommes contre l’exploitation.
On lit sur notre mandat d’arrêt : ces hommes
Sont pour les opprimés !
Qui vient en aide au désespéré
Est la lie de l’humanité.
Nous sommes la lie de l’humanité.
Nous ne pouvons permettre qu’on nous trouve.
LES TROIS AGITATEURS :
Voici notre décision :
Il faut qu’il disparaisse – complètement.
Nous ne pouvons ni l’emmener, ni le laisser là
Nous devons le fusiller et le jeter dans la fosse à chaux car
La chaux le brûlera.
LE CHŒUR :
N’avez-vous pas trouvé d’autre issue ?
LES QUATRE AGITATEURS :
Nous avions peu de temps : nous n’avons pas trouvé d’autre issue.
L’animal vient en aide à l’animal.
Ainsi, nous souhaitions venir en aide au jeune camarade, qui
Avait lutté avec nous, pour notre cause.
La police sur nos talons, pendant cinq minutes
Nous avons réfléchi, cherchant
Une meilleure solution.
Réfléchissez maintenant vous aussi, cherchez
Une meilleure solution.
Un silence.
Donc nous avons décidé : il faut
Tailler dans notre chair et couper notre propre pied.
Tuer nous fait horreur.
Pourtant nous tuons, non seulement les autres, aussi les nôtres, s’il le faut.
Car seule la violence peut transformer
Ce monde meurtrier : quiconque
Vit le sait.
Il ne nous est pas encore permis, disions-nous,
De ne pas tuer.
Seule notre volonté inflexible de transformer le monde justifiait
Notre décision.
LE CHŒUR :
Continuez votre récit, notre sympathie
Vous est acquise.
Il n’était pas facile d’agir avec discernement.
Le jeune camarade a été condamné non par vous, mais
Par la réalité.
LES TROIS AGITATEURS. – Nous vous rapportons notre dernière discussion :
LE PREMIER AGITATEUR. – Nous allons lui demander s’il est d’accord, car c’était un vaillant combattant. (Sans doute, le visage apparu sous le masque était-il différent de celui que le masque avait recouvert, et celui qu’allait éteindre la chaux différent de celui qui nous avait accueilli à la frontière).
LE DEUXIEME AGITATEUR. – Pourtant, même s’il n’est pas d’accord, il faudra qu’il disparaisse – complètement.
LE PREMIER AGITATEUR, au jeune camarade. – S’ils te prennent, ils vont te fusiller, et comme ils t’auront reconnu, notre travail sera découvert. Donc il faut que nous te fusillions nous-mêmes et te jetions dans la fosse à chaux, afin que la chaux te dévore. Mais nous te le demandons : connais-tu une autre issue ?
LE JEUNE CAMARADE. – Non.
LES TROIS AGITATEURS. – Alors, nous te demandons : es-tu d’accord ?
Silence.
LE JEUNE CAMARADE. – Oui.
LES TROIS AGITATEURS. – Que devons-nous faire de toi, avons-nous demandé.
LE JEUNE CAMARADE. – Me jeter dans la fosse à chaux, dit-il.
LES TROIS AGITATEURS. – Nous lui avons demandé : veux-tu le faire toi-même ?
LE JEUNE CAMARADE. – Aidez-moi.
LES TROIS AGITATEURS :
Appuie ta tête sur notre bras
Ferme les yeux.
LE JEUNE CAMARADE, caché :
Il dit encore : dans l’intérêt du communisme
D’accord avec la marche en avant des masses prolétariennes
De tous les pays
Je dis oui à l’expansion de la Révolution à travers le monde.
LES TROIS AGITATEURS :
Puis nous l’avons fusillé, et
Jeté dans la fosse à chaux.
Lorsque la chaux l’eut englouti
Nous sommes retournés à notre travail.
LE CHŒUR :
Et votre travail a porté ses fruits.
Vous avez répandu
La doctrine des classiques
L’abc du communisme,
Apportant à ceux qui n’avaient pas la connaissance de leur situation
Aux opprimés la conscience de classe
Aux ouvriers conscients l’expérience de la Révolution.
Et là aussi la Révolution marche de l’avant.
Les rangs des combattants sont en bon ordre, là aussi.
Nous sommes d’accord avec ce que vous avez fait.
Votre rapport cependant nous montre aussi qu’il faut beaucoup de choses
Pour transformer le monde :
La colère et la ténacité. La science et l’indignation,
L’initiative rapide, la longue réflexion,
La froide patience et la persévérance infinie,
La compréhension du cas particulier et la compréhension de l’ensemble :
Seuls les leçons de la réalité peuvent nous apprendre
A transformer la réalité.
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