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La vieille rime

Je n'ai rien contre la rime, en versification classique ou traditionnelle du moins. Cependant, à l'heure actuelle j'estime qu'il est de plus en plus difficile de faire rimer de façon riche et juste, et d'innover surtout. En cela l'exercice de la rime me semble à ce jour l'un des plus difficiles.

Quelques rappels d'abord.

Une rime dite “ riche ” consiste en trois phonèmes ou plus qui soient identiques. “ Maniaque ” et “ cardiaque ” comportent donc une rime riche, “ iaque ¨ ou bien, en A.P.I., [jak]. “ Classique ” et “ musique ” comportent une rime techniquement suffisante [ik] qu'on peut à la limite considérer riche en rapprochant les consonnes [z] et [s].

“ Bonheur ” et “ malheur ” comportent une rime suffisante, [œR], quoique l'union des termes soit plutôt facile. Quant à “ aimer ” et “ jouer ”, ces termes comportent une rime pauvre, [e] en A.P.I. Ces rimes sont à proscrire, à moins d'être vraiment mal pris.

Ce que peu de gens savent, c'est qu'une rime devient poétique (créative / créatrice) lorsqu'elle est recherchée. L'oreille entend la rime, et la tête accomplit un rapprochement entre les deux termes rimés, lesquels se retrouvent liés l'un à l'autre.

Si “ amour ” va de soi avec “ toujours ” — à tout le moins dans nos vœux pieux —, il en va tout autrement de “ pétanque ” (jeu de boules) et “ saltimbanque ” (acrobate de foire), lesquels termes n'ont aucun lien intrinsèque qui les unit, à l'exception du lien imposé ou proposé par les vers.

Dans ce cas précis, le rapprochement constituerait un tour de force, par l'argumentation poétique à l'intérieur des vers, car c'est en ces vers que se développe le sens, et qu'on comprend le lien unissant les idées lointaines, dès lors soudées l'une à l'autre, comme on colle la céramique au sol de béton ou de bois pour faire un plancher.

La versification rimée constitue donc un obstacle majeur à l'heure actuelle, en ce qu'elle ne passe pas inaperçue et, trop souvent, se résout par un effet raté.

Néanmoins, pour ceux qui affectionnent la rime, il est possible de positionner les vers en prose. Les rimes non forcées tendent dès lors à passer plus inaperçues, quoique la tête retienne malgré tout les rapprochements sonores. Exemple :

Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants, et dans cette nature étrange et symbolique où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique, où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants, resplendit à jamais, comme un astre inutile, la froide majesté de la femme stérile.

Il s'agit d'un passage quelque peu modifié, que je reconstitue ci-dessous, tel qu'il est en réalité :

Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,
Et dans cette nature étrange et symbolique
Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique,

Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais, comme un astre inutile,
La froide majesté de la femme stérile.
Charles Baudelaire, « Spleen et idéal, XXVII », in : Les Fleurs du Mal, Paris, Librio, 1994 [1861], p. 32.

(2007)

 

©  Yann Ropers, 2003-2008

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