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De la singularité

Les peines d'amour, les premières amours, les débuts de toutes relations, ils (elles) se ressemblent tous (toutes). Une peine d'amour en vaut une autre — il s'agit presque toujours de la même histoire. Là où une peine se distingue d'une autre réside dans la perception de la rupture, et même là il faut être joliment (au diable l'adverbe !) habile pour renouveler le genre. Mes ruptures passées se révèlent, en somme, très banales. Et même si elle nous semblent uniques, apocalyptiques (c'est la fin du monde, après il n'y aura plus jamais rien), on finit toujours par entendre cette histoire — à quelques variantes près — dans la bouche de quelqu'un d'autre. Et puis on rencontre quelqu'un (de “ neuf ”) et on recommence.

Il y a eu une époque où je vivais des relations très étranges, toutes différentes des précédentes. Au travail, chaque semaine, mes collègues m'en demandaient le compte-rendu. Je racontais alors, de façon anecdotique, les “ faits saillants ”, ceux hors du commun. J'ajoutais (pour me conformer à l'exigence du genre, de la forme peut-être) bien du sel et parfois du poivre. J'en beurrais épais. Et malgré tout, j'avais souvent pour réaction le « been there, done that » classique, comme quoi, en somme, ce qui m'apparaissait unique, tiré d'un sitcom ou d'un scénario d'Hollywood, n'était en fait que la variante d'une histoire très commune.

L'amour serait-il devenu une banalité ?  Peut-être, en ce que la vie de couple impose presque son… mode de vie, comme la rupture son… mode de rupture (et le célibat, tiens, son… mode de célibat). Cela dit, la difficulté du questionnement (ou de l'énigme) réside dans notre manière de considérer l'amour (ou la rupture, ou le célibat). Pour moi, il s'agit d'un choix, d'une volonté, d'un acte de fiance. En cela, l'amour devient unique, singulier, puisque nous choisissons (dans une dynamique de couple) de nous investir dans une relation avec une personne plutôt qu'une autre. L'amour (de couple), pour moi, survient lorsque deux personnes indépendantes, qui n'ont pas besoin l'une de l'autre pour vivre, choisissent d'être ensemble.

Le questionnement sur la singularité d'une relation (ou d'une rupture) vaut quand même la peine d'être posé, tout comme le questionnement sur l'écriture. En quoi cette écriture (la mienne, par exemple) se distingue-t-elle d'une autre ?  En quoi est-elle singulière ?  Comment se vit-elle ?  Il vaut la peine de se questionner à ce sujet, se remettre… en question. Nous aspirons sans doute à quelque chose d'unique, au renouvellement d'une forme s'il le faut. Ce disant, je ne prétends pas y être parvenu. Mais j'aspire à cette singularité, à cette nouveauté, ce jamais-vu. Et dans cette volonté d'investissement, je vois en la poésie une manière de rendre de la façon la plus fidèle mes tremblements — ces mêmes tremblements qui précèdent le premier baiser, le plus marquant de tous —, ou mes larmes — celles de la première rupture, peut-être la plus marquante de toutes.

(2003)

 

 

©  Yann Ropers, 2003-2008

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