Humilité du soliloquiste

Quand je me surpasse à déclamer tout haut des discours ou bribes de séminaires à l'air ambiant de l'appartement, j'ai la fantaisie circonspecte d'imaginer qu'en dépit de l'absence de tout être, quelque chose m'écoute en tant que bon élève, et qu'il ou elle en vérité comprend mieux que moi ce que je m'explique en tournures complexes.

Tout s'organise autour d'une idée que j'essaie de développer de façon vulgaire pour lui donner un ordre et la rendre accessible et d'un certain intérêt. Or combien tout semble plus simple lorsque c'est bien dit. Lisant par exemple une Promenade de Rousseau, je songeais que le narrateur-auteur pût révéler là quelque infâmie que je la trouverais quand même belle et poétique.

Le littéraire réside pour moi en la maîtrise orchestrale de tous les éléments poétiques, articulés dans le langage et par le langage, en un texte où tout prend forme esthétique et se présente en tant qu'entité qu'on ne saurait dissoudre sans en altérer le sens fondamental et profond. C'est la quête de l'apprenti qui s'exerce à cette perfection sans jamais l'atteindre, mais dont les élans témoignent d'un exercice volontaire d'originalité.

C'est pourquoi j'exerce mon droit au soliloque, imaginant à m'entendre l'effet reçu suivant ma propre perception, comme si j'étais au centre d'un auditoire d'individus curieux d'entendre tour à tour les vérités inouïes que recèlent les mots qui, lorsque bien articulés, s'affranchissent de leur sens en franchissant le seuil du compréhensible répréhensible.

Par contre, se clamer soi-même poète prophète est pour moi un blasphème, en ce qu'on est reconnu poète parce qu'on écrit et que cette écriture défie les conventions et les attendus. Il reviendrait en ce sens à la postérité de proclamer ses prophètes ou usurpateurs, non à l'artisan.

Néanmoins, présumant que la planète survive à ses habitants, la culture dès lors en crottes n'aura servi qu'à nous élever d'un cran au-dessus de la bêtise animale, ce qui revient à nous questionner quant aux raisons d'écrire et d'accorder tant d'importance aux effets artistiques de la vie.

(2007)