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La réalité du dessin

Je dessinais beaucoup, avant : plus que maintenant, du moins, bien qu'à l'heure où j'écris (voire transcris) ceci, je compte bien m'y remettre. J'ai dessiné des paysages, des portraits, beaucoup de visages de femmes. À coup sûr, lorsque je montre ce portrait on me demande : « C'est qui ? »  À cela je réponds : « Je ne sais pas. »

Je ne sais pas à qui appartient ce visage. Il n'appartient en fait qu'au papier, dans la mesure où ce dessin ne représente pas une personne… réelle, une personne qui existe ou a existé, avec qui j'aurais eu un rapport intime. Dessinant, j'en viens à constituer… l'illusion d'un visage, représentation d'une personne du passé, come s'il s'agissait du portrait de quelqu'un. En un sens, ça l'est : cette femme constitue une réalité dans la fiction.

C'est un peu ce qu'il faut comprendre du texte en tant que construction. Le dessin (pour revenir au dessin) ne représente personne en particulier, et même s'il s'agissait du portrait de quelqu'un, cela demeurerait… un portrait : des traits de mine sur du papier.

Dessinant (ou écrivant), je ne me soucie pas beaucoup de la conformité à la réalité. De toute façon, lorsqu'on tente de l'illustrer, il y a toujours de la place pour quelque tricherie ou truchement. Cela dit, dessinant, j'illustre l'imaginaire, soucieux d'une conformité à une réalité, ça oui. Je dessine le visage d'une femme selon l'inspiration du moment. Ça suffit. La femme dessinée n'a jamais existé. Ou plutôt, c'est moi qui lui donne une existence, une réalité. Avant de la dessiner, je n'en avais pas le portrait en tête ni même l'idée. J'ai suivi les coups de crayon, et la femme a pris forme, presque toute seule. Aussi cette femme fait-elle sens dans la mesure où l'on reconnaît bien là une femme, de forme humaine, dans la vingtaine par exemple, un peu à la mode d'une certaine époque.

Tout ça pour dire que dans le rien à écrire, on peut concevoir quelque chose de bien, quelque chose qui n'est pas là au départ, ni dans la tête, ni dans le monde. Bien entendu, pour dessiner un visage de femme, il a fallu d'abord que j'aie observé des femmes, que j'apprenne à les reconnaître. Il peut arriver cependant qu'on ne sache pas ce qu'on dessine, qu'on pose des traits sans intention. Alors disons, pour être juste, qu'avant de dessiner un visage de femme, il y avait quand même… une intention. J'aurais pu lancer, aussi, des traits au hasard, tenter d'y voir (un) sens, plusieurs sens, des choses à dessiner à partir des mêmes traits : une maison, une chaussure, je ne sais trop.

En écriture aussi on peut avoir une intention au départ, autant qu'on peut écrire sans en avoir. Dans l'un et l'autre des cas, il y a un travail de la forme, différent cependant en ce que l'absence d'intention conduit à la révélation d'une forme quasi imprévisible, lorsqu'on va à la découverte d'une chose dont on ne connaît pas la nature d'avance. Considérez, dans ce cas, l'intervention de l'auteur dans une perspective d'investissement qui se présente de deux manières : d'une part l'acte des traits (ou acte d'écrire), d'autre part la reconnaissance de la nature de ce qu'il y a là, ce qu'on y voit, ce qu'on y reconnaît.

(2003)

 

 

©  Yann Ropers, 2003-2008

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