Nul besoin d'écrire pour vivre

Tout comme l'homme n'a d'existence aux yeux des autres qu'à travers ses gestes et ses pensées, l'écrivain n'a d'existence que par l'écriture et sa publication. La nécessité de publication est bien entendu discutable, mais comment être (re)connu écrivain s'il n'y a personne pour le lire ?

Dans une majorité de cas une majorité d'individus n'aura jamais conscience du passage d'une majorité d'autres individus sur la planète. Ces individus naîtront et mourront, et n'auront eu pour fonction planétaire que la procréation visant la survie de l'espèce.

J'envie ceux qui s'en contentent, et qui n'ont aucune préoccupation qui précède ou suive la durée de leur propre existence ; ceux pour qui la vie se résume à l'école, puis le travail, et enfin la retraite.

J'envie cette simplicité — de là la difficulté à vivre pour ceux qui veulent davantage de la vie et d'eux-mêmes que le schème de vie le plus commun, comme si l'héritage à léguer devait dépasser celui d'un testament de biens matériels.

C'est pourquoi j'ai tous les jours une pensée pour nos ancêtres, les anonymes autant que les plus connus, car il faut bien que quelque part quelqu'un procréé dans une vie sans dessein pour que naisse un Mozart, un Molière ou un Rembrandt.

Je m'exaspère à répéter qu'une vie sans but n'est pas une vie. Néanmoins, j'accepte que tout individu est libre de choisir, et que si la vacuité insouciante est à préférer pour être heureux, alors qu'il en soit ainsi. Car pour moi tout artiste ne peut vivre que tourmenté par quelque chose d'immatériel et d'immanent, difficile à saisir, à définir.

De l'exploration de ce noyau d'être, et des tentatives de saisissement, pour moi naît l'art au sens propre.

(2007)