Inquiétude du carnet blanc

Au retour de mon voyage à Boston, voyage au cours duquel je n'ai guère écrit, carnet neuf pourtant dans mes bagages, deux plumes et un pot d'encre à moitié plein, j'en suis venu à cette réflexion. J'ai remarqué qu'à toutes les fois où je débute un nouveau carnet, il me faut consacrer des pages à… rien, en quelque sorte, pour que l'écriture (re)démarre, que le travail se (re)mette en marche. Je ne saurais expliquer tout à fait pourquoi, mais à ce(s) moment(s) il y a cette inquiétude récurrente : celle d'avoir épuisé tout ce qu'il y a à dire, et / ou de n'avoir plus rien à écrire.

Bien entendu, par expérience, je peux affirmer que même si, en effet, les débuts se révèlent lents — et qu'on dirait que tout a déjà été dit, et qu'on ne fait que (se) répéter —, vers la fin c'est tout l'inverse : rapide, dense, complexe, toujours plus en profondeur. En un sens, l'angoisse de la page blanche — ou du carnet blanc —, je la vis aussi, ainsi : démarrages qui semblent n'en plus finir, expérimentations sans lumière (dans l'ombre, la noirceur), jusqu'au moment (d'illumination) où, soudain, à force d'écrire, de noircir des pages, quelque chose émerge.

Comprenez que rien ne sert de s'inquiéter devant une page blanche ou un carnet blanc, même si nous n'avons rien de précis à y écrire au départ, car c'est à force d'écrire dans cette page qu'on en vient à faire parler… le texte, même si cela exige quelques feuilles d'échauffement. Ce qui importe, pour moi, est d'en arriver au démarrage : injection de carburant, bougie d'allumage, et voilà que le moteur se (re)met en marche.

Dès lors, la seule chose dont il faut se soucier, c'est de (ne pas) tomber en panne. Songeons donc à mettre du carburant de temps en temps, à nous ressourcer. Tant que la mécanique est bonne, qu'elle fonctionne, on peut rouler, faire du chemin, voyager jusqu'à l'inattendu, l'inespéré.

(2003)