Une histoire de latrines

Latrines — du latin latrina —, ce mot de moins en moins en usage que j'ai saisi au vol au cours de mes études collégiales, dans un roman particulier : Une saison dans la vie d'Emmanuel de Marie-Claire Blais. Latrines, ou… lieu d'aisance. L'endroit où l'on défèque. J'y ai passé beaucoup de temps dans ma vie, aujourd'hui encore mais moins qu'avant. J'y lis surtout. Lire dans le silence et les senteurs.

Jeune étudiant au baccalauréat je m'y exilais (peut-on parler d'exil ?) pour y lire. Un peu de Gargantua — c'est bien à propos. On pourrait même dire que Rabelais, c'est aux latrines que je l'ai lu. C'est aussi là que j'ai écrit certains de mes textes, les premiers jets du moins, à coups de séances odorantes.

Je me rappelle qu'enfant, au restaurant, après avoir bien mangé j'avais coutume d'annoncer mon intention (davantage que le besoin) d'y aller. Exaspérés au constat des heures que j'y passais d'habitude, mes parents me disaient alors : « Prends pas une heure ! »  Au restaurant, jamais. Chez mes tantes par contre…  Imaginez tout le plaisir à faire ce que beaucoup font, c'est-à-dire… lire les ingrédients chimiques des produits à récurer sous l'évier, à m'inventer des histoires entre Monsieur Net et la vieille Hollandaise.

Aujourd'hui, chez moi, dans mes latrines privées persiste l'habitude de lire, de la bande dessinée au traité de chimie, en passant par les dictionnaires et les manuels d'utilisation des appareils électroniques que je ne possède plus. Au sortir on me dit encore, à l'occasion : « Tu es resté là tout ce temps ? », à quoi je réponds : « Oui, j'ai terminé. Maintenant je vais aller écrire. »

(2003)