Lire ce qui nous ressemble

L'erreur ne réside pas tant dans le fait de lire ce qui nous ressemble, lire ce qu'on aime : roman d'aventures, roman policier, peu importe. L'erreur consiste à se fermer à ce qui nous ressemble moins, à ce qu'on aime moins ou qu'on redoute de moins aimer. Sans le savoir nous opérons tous les jours de la discrimination, sous toutes ses formes.

Vous en doutez ?

Ce matin, avez-vous brossé vos dents avec votre brosse à cheveux ?  Non. Pourtant, la brosse à dents et la brosse à cheveux sont toutes deux… des brosses. Vous avez choisi la brosse à dents pour vous brosser les dents. Vous avez donc discriminé les deux types de brosses.

Si on vous demande d'acheter La Presse, achetez-vous Le Devoir ?  Si on vous demande de lever la main droite, levez-vous la gauche ?  Nous sommes en mesure de discriminer. Nous chaussons le pied droit de la bottine droite. Nous répondons au téléphone quand nous entendons sa sonnerie, et non celle du détecteur de fumée ou de la porte d'entrée.

La discrimination ne prend cette tournure péjorative que lorsque la différenciation s'arrête sur un choix au détriment d'un autre, comme la discrimination raciale, surtout lorsqu'elle est accompagnée d'un mauvais jugement, souvent mal fondé.

De la même façon nous choisissons nos lectures. Nous discriminons les genres. L'erreur ne réside pas dans cette discrimination mais bien dans la fermeture à ce qui est différent. Manque d'intérêt peut-être ; incompréhension sans doute. Le poème par exemple n'a jamais eu si mauvaise réputation selon moi. Texte de l'élite, des gens de lettres…  Incompréhension, discrimination. On lit peu de poèmes aujourd'hui, en proportion aux romans du moins. Parce que cela ne nous ressemble pas ?  Non. Parce que le poème ne raconte pas quelque chose qui lui est extérieur. Il se raconte, s'ouvre, s'épanouit à travers le lecteur, par sa lecture. Il nous invite à une rencontre (mystique ou spirituelle, peut-être) avec nous-mêmes.

Pour ceux qui aspirent à écrire, je recommande l'ouverture à tous les genres, à toutes les formes d'écriture, sans discrimination péjorative, même si cela nous plaît moins ou pas du tout — des chefs d'œuvre aux romans Harlequin (peu de gens de lettres ont déjà lu un roman Harlequin, et pourtant il y a une leçon littéraire à tirer de la lecture de ces romans). L'objectif consiste à explorer ce qui s'écrit (maintenant et avant) pour se munir de nouveaux outils propres à l'écriture créatrice / poétique.

(2003)