L'arbre courbé

Parmi mes habitudes — les bonnes —, je compte le port du carnet et du crayon, pour saisir l'essentiel de tout ce qui se présente à moi, ce qui me vient en tête. La beauté du geste d'une femme, par exemple, croisée dans la rue, laquelle femme s'acharnait à redresser un arbre de quelques années, que quelque chose avait heurté si fort qu'il en avait fait fléchir le tronc sans toutefois le briser.

Cette courbure, sans doute, témoignait d'un accident, sinon d'un incident d'assez bonne envergure. Aussi, malgré l'acharnement de la femme à vouloir redresser le tronc pour remettre l'arbre bien droit, celui-ci persistait à fléchir, comme s'il refusait de se plier… à la droiture, ou encore qu'il eût quelque conscience vengeante à vouloir montrer ce qu'on lui a fait.

Observant cela j'ai pensé : en écriture nous ne sommes pas plus à l'abri des coups. Parfois, sans paraître blessé nous courbons le dos malgré nous. Et si d'aventure quelqu'un nous vient en aide, qu'il tente de nous redresser, nous gardons néanmoins un souvenir, une cicatrice de la blessure.

(2003)