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Balançoire à une corde

Enfant, je me suis confectionné une balançoire assez particulière : une balançoire à une seule corde, pour la seule raison que je ne disposais pas d'assez long pour en mettre deux. Une planche recouverte d'un tapis commercial se trouvait rattachée, par le milieu et par une unique corde, à une poutre horizontale trois mètres au-dessus.

Cette balançoire, je l'ai aimée, je m'y suis balancé, beaucoup. J'était d'ailleurs le seul à pouvoir m'y balancer : la planche n'étant retenue que par un seul câble, elle avait tendance à tourner dans tous les sens, si bien que mes amis qui ont osé l'essayer se sont tous fait mal, sans exception. L'astuce en fait consistait à maintenir l'équilibre — ou plutôt le cap — lors de la plongée, puis, d'un mouvement des jambes, exécuter un demi-tour pour amorcer de nouveau la plongée de front plutôt que de dos voire de côté. Pour ma part, compte tenu que cette balançoire improvisée ne comportait aucun mode d'emploi, il a fallu improviser d'abord pour en apprivoiser, par la suite, le comportement, dompter la trajectoire.

Parfois quand j'écris je pense à cette balançoire. Je me rappelle que, pour qu'un texte soit compris, qu'il puisse être “ employé ” par une majorité d'individus, il doit se conformer à certains “ standards ”, sans quoi on risque de s'y blesser, de ne jamais pouvoir s'amuser, prendre plaisir au jeu proposé, instauré par le texte, trop occupé à en comprendre le fonctionnement, à se tenir sur ses gardes pour ne pas s'y casser les dents.

Dans leur forme définitive, mes textes comportent deux cordes plutôt qu'une. En fait, ceux qui n'en comportent qu'une, je les garde pour moi. En d'autres mots, tout texte inachevé constitue une sorte de balançoire à une corde, de laquelle on peut s'accommoder, bien que dans son imperfection, son inachèvement, il et elle (le texte, la balançoire) ait tendance à nous projeter dans tous les sens. Mieux vaut alors se faire petit, se recroqueviller, ramener les jambes vers soi, fermer les yeux s'il le faut, car le comportement d'un texte au stade d'élan est imprévisible.