La chenille rouge

Pourquoi ne pas parler (de) chenille ?

Il y a quelque temps, une amie et moi marchions en bordure d'une route. Cependant que je lui racontais mon cheminement scolaire, elle s'est arrêtée comme ça, ayant vu, du coin de l'œil (ou, a-t-elle dit, en périphérie de son champ de vision), une chenille rouge qui rampait en direction de la route, presque parvenue là, en fait, et peut-être intentionnée à traverser. M'amie s'est acroupie pour observer la chenille. Elle lui a même parlé un peu : « Où tu t'en vas comme ça ? tu ne sais pas que c'est dangereux ? »  Elle a pris une petite branche et l'a présentée à la chenille qui, après hésitation, a fini par s'y agripper. Puis elle a lancé la branche dans le champ, loin des voitures, des chaussures, du danger.

Songeant à cela, je me suis dit que, souvent aveugles, insouciants, inconscients, il nous arrive aussi de nous aventurer dans des chemins qui présentent des dangers, jusqu'à ce que quelqu'un, peut-être, nous tire de là. En ce qui concerne la chenille, sans doute avait-il été juste de lui sauver la vie, mais aussi injuste de la relancer à son point de départ, l'obligeant à recommencer sa marche (ou sa… rampe) qui lui avait peut-être nécessité toute une journée de travail. Peut-être aurions-nous pu traverser la route pour elle en deux ou trois enjambées, et déposer la branche dans le canal, de l'autre côté…

Cette chenille rouge finira peut-être par subir l'écrasement imminent auquel elle se… prédispose sans le savoir. Nous ne serons pas là pour en témoigner. Toutes les conjectures sont possibles. Nous disposons néanmoins de l'essentiel, du souvenir. Cela suffit pour écrire.

(2003)

©  Yann Ropers, 2003-2008