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Corps
LA CHOSE DE FREUD ET LACAN : COURS DE DAVID PAVON CUELLAR A L'UNIVERSITE DE PARIS VIII (2003-2004)
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11. La mots et les mets :
la méprise de la Chose dans son ouverture
et dans son adéquation au sujet
L'art entoure le vide chosique, voire le vide signifiant de la Chose insignifiée, insignifiée précisément d'autant qu'elle est signifiante comme vide, comme ce vide entouré par l'art. C'est ainsi que "la fonction artistique peut-être la plus vieille, celle du potier"1, entoure ce vide signifiant de la Chose insignifiée, ce vide qu'est l'utérus de l'hystérique, de cette trompette puante, voire dissonante, que sera plus tard, dans le Moyen-Âge, la Dame élevée à la dignité de la Chose par la sublimation artistique, plus précisément par la mélodieuse chanson courtoise qui l'habille de beauté, cette chanson qui l'entoure -qui n'entoure d'une poétique variété de prédicats, de b1 + b2 + bn, que l'identité du a = a, voire le trou féminin, le Ding freudien, ce Loch ist Loch refoulé par l'artiste.
Par rapport à la Chose courtoise, ce potier qu'est toujours l'artiste, ce potier entoure donc le vide chosique refoulé d'une trompette dissonante, celle de l'hystérique, par une chanson mélodieuse. Pour illustrer ceci, je me permettrai d'avoir recours à une Chose de Swann, du Swann de Proust, qui me fut recommandée, pour ce cours, par quelqu'un parmi vous.
La Chose de Swann est entouré par la phrase d'une sonate, la Sonate pour piano et violon d'un certain Vinteuil. Or, puisqu'elle se découvre devant Swann, la Chose en question n'est pas certainement très bien enveloppée, voire habillé, par cette phrase de Vinteuil. En quelque sorte, la Chose porte ici un habit trop léger. Ceci n'a rien d'étonnant, si nous considérons que son tailleur, Monsieur Vinteuil, est apparemment "menacé d'aliénation mentale" -selon un peintre qui assure même qu'on peut s'en apercevoir de cette aliénation "à certains passages de la sonate"2. On a le droit de supposer que dans ces passages, comme dans le discours psychotique et particulièrement schizophrénique -d'après le Freud de 1915-, la lettre a, ou le sujet de tous les prédicats, apparaît dans la chaîne signifiante des prédicats, des b1 + b2 + bn. Autrement dit, le vide chosique se montre dans les ouvertures du tissu musical qui l'habille. C'est ainsi, malgré Swann, que "la folie est reconnue dans cette sonate"3, comme elle pourra aussi être reconnue -je vous l'assure- dans plus d'une pièce de Robert Schumann, par exemple dans la dernière de ses chansons du Frauenliebe und Leben -d'après les poèmes de Adalbert von Chamisso-, quand les fils des notes se séparent et le tissu de la mélodie se relâche, une fois qu'on s'est rendu compte -en regardant à travers les silences de cette mélodie- que "le monde est vide" (die Welt ist leer), au moment précis où la femme se "retire silencieuse" en elle-même (Ich zieh mich in mein Innres still zurück) et -pas par hasard- "le voile tombe" (der Schleier fällt)4.
Quant à la sonate de Vinteuil, Swann la découvrit lorsqu'au-dessus "de la petite ligne de violon, mince, résistante, dense et directrice, il avait vu tout d'un coup chercher à s'élever en un clapotement liquide, la masse de la partie de piano, multiforme, indivise..., sans pouvoir nettement distinguer un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait"5. Au centre de la sonate, dans cette masse multiforme, indivise, innommable et sans contour, la Chose de Swann se révéla pour la première fois. Et tout de suite, dans la page suivante, Proust désigne déjà cette Chose comme "chose", lorsqu'il la décrit comme "cette chose qui n'est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l'architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler de la musique"6. Dans la même page, cette Chose, comme le Dingo freudien, est bien distinguée par Proust des autres choses, des Sachen. En effet, la Chose en question se situe "au fond" de la surface imaginaire des choses, elle se situe ainsi loin de Swann, qui "avait pris l'habitude de se réfugier dans des pensées sans importance qui lui permettaient de laisser de côté le fond des choses"7.
Après sa première apparition, la Chose lointaine de Swann, cette Chose au fond des choses prochaines, telle qu'elle est entourée par le morceau de la sonate de Vinteuil, va s'assimiler progressivement à ce que nous pouvons tenir pour l'axe autour duquel tourne tout l'amour de Swann pour Odette. En fait, la phrase musicale qui entoure la Chose en question, cette "petite phrase" deviendra "comme l'air national" de l'amour de Swann8. Naturellement, il n'y aura, entre cet amour courtois et l'art en tant que tel -et tel qu'il s'exprime dans la sonate de Vinteuil-, aucune différence substantielle. Les deux entourent la même Chose axiale, comme vide chosique, et les deux mettent à la place de ce vide l'objet qu'ils élèvent à la dignité de la Chose. Les deux opèrent au moyen d'une même sublimation, les deux peuvent décevoir toujours de la même façon, en ne présentant jamais qu'autre chose à la place de la Chose. Rien d'étonnant, alors, que Swann "n'aborde" pas avec Odette "le fond" de "la beauté artistique", ce fond qui est "toujours autre chose" -voire ce fond qui est le fait d'être invariablement autre chose que la Chose-, en "craignant" qu'Odette, "désillusionnée de l'art, elle ne le fût en même temps de l'amour"9.
La Chose de Swann, en tant que Chose axiale, est donc entourée par une phrase musicale sublime aussi bien que par un amour non moins sublime -un amour courtois, sorte de symptôme de la Dame hystérique, lequel élève Odette, cette trompette puante ou ce trou qui n'est qu'un trou, à la dignité de la Chose courtoise. À travers le triste développement de cette sublimation amoureuse, nous retrouvons, dans les allusions successives à la Chose de Swann, plusieurs caractères avec lesquels nous sommes déjà familiarisés :
a) Chose fermée en soi, présente seulement pour soi. Telle une sphère d'Empédocle cernée de solitude, la Chose de Swann, "bulle irisée qui se soutient", est un "monde fermé à tout le reste"10.
b) Chose comme objet ultime de désir. Comme ce qu'il y a de "secrètement inapaisé"11 au fond de la douceur de la phrase musicale, la Chose constitue pour Swann "une de ces réalités invisibles auxquelles il avait cessé de croire et auxquelles il se sentait de nouveau le désir et presque la force de consacrer la vie"12.
c) Chose différente des choses. Comme "le fond des choses"13, comme "une réalité invisible"14, comme "une réalité supérieure aux choses concrètes"15, la Chose de Swann apparaît comme ce Dingo si différent des Sachen, ce Dingo qui est toujours, dans "le fond..., autre chose"16, autre Chose que les autres choses, que les choses élevées par l'art à la dignité de la Chose, les "belles choses"17 dont Swann parlait à Odette dès le début, et jusqu'à la fin, lorsqu'il "cherchait à lui apprendre en quoi consistait la beauté artistique"18.
d) Chose absente dans sa représentation imaginaire. Swann comprend que la beauté idéale de sa Chose est affreuse parce qu'elle est irreprésentable, parce qu'il n'y a aucune représentation imaginaire d'elle. Il s'exclame alors : "C'est si calmant de se représenter les choses! Ce qui est affreux c'est ce qu'on ne peut pas imaginer"19.
e) Chose lointaine et rapprochée. Tout en "appartenant à un autre monde"20, la Chose de Swann peut toutefois apparaître "tout au loin"21 et "s'approcher" de lui -ou l'approcher d'elle. Or, à la fin de la phrase musicale qui l'enveloppe, la Chose doit "s'éloigner" à nouveau, "indicatrice, diligente, parmi les ramifications de son parfum"22.
f) Chose perdue et cherchée. Pour Swann, l'apparition de sa Chose fut "comme s'il eût rencontré une personne qu'il désespérait de jamais retrouver"23.
g) Chose masquée, voilée, dévoilée. Dès sa deuxième apparition, la Chose, alternativement voilée ou dévoilée par la sonate de Vinteuil, ne se montre qu'en "s'échappant de sous cette sonorité prolongée et tendue comme un rideau sonore pour cacher le mystère de son incubation"24. Ensuite, elle n'apparaît que "dans le velouté d'une lumière interposé"25 -elle apparaît donc, telle cette Chose du Faust de Goethe26, derrière la "lumière orgueilleuse" qui "rampe à la surface" imaginaire qui recouvre l'obscurité réelle consistante du vide chosique. Une fois qu'elle s'est précisée comme ce qui est au centre de l'amour de Swann, celui-ci soupçonne qu'une "heure passée chez Odette" n'est "destinée" qu'à 'masquer" la Chose, laquelle était devenu alors "cette chose effrayante et délicieuse à laquelle Swann pensait sans cesse sans pouvoir bien se la représenter, une heure de la vraie vie d'Odette"27. Finalement, en attribuant à sa Chose une "existence réel", Swann considère que Vinteuil "s'était contenté, avec ses instrument de musique, de la dévoiler, de la rendre visible"28.
h) Chose consistante. Par "les choses de la musique", Swann peut apprécier "quelle richesse, quelle variété, cache à notre insu cette grande nuit impénétrée et décourageante de notre âme que nous prenons pour du vide et pour du néant". Ainsi, la petite phrase musicale de Vinteuil, "quoiqu'elle présentât à la raison une surface obscure, on sentait un contenu si consistant, si explicite"29.
i) Chose de jouissance. En sortant de la sonate de Vinteuil, la Chose avait "proposé aussitôt" à Swann "des voluptés particulières, dont il n'avait jamais eu l'idée avant de l'entendre"30. Plus tard nous saurons qu'il s'agissait d'une "jouissance qui ne correspondait à aucun objet extérieur"31. Finalement, nous assisterons au moment où Swann "commençait à se rendre compte", en découvrant le vide chosique -entre la jouissance et le désir-, "de tout ce qu'il y avait de douloureux, peut-être même de secrètement inapaisé au fond de la douceur" de la phrase musicale32.
j) Chose courtoise, vide chosique. En étant élevée à la dignité de la Chose de Swann, Odette, comme représentation imaginaire de la Chose, occupe la place de cette chose, elle occupe donc le vide chosique laissé par la Chose à la dignité de laquelle elle est élevé. Ainsi, même si Swann "voulait cesser de sacrifier tant d'intérêts intellectuels et sociaux à ce plaisir imaginaire" de sa relation avec Odette, la petite phrase musicale de Vinteuil, "dès qu'il l'entendait, savait rendre libre en lui l'espace qui pour elle était nécessaire, les proportions de l'âme de Swann étaient changées, une marge y était réservée à une jouissance qui ne correspondait à aucun objet extérieur..., une réalité supérieure aux choses concrètes". Et dans cette marge, dans ce vide chosique, dans ces "parties de l'âme" que la phrase musicale "avait laissées vacantes et en blanc", Swann était libre d'y inscrire le nom d'Odette"33.
Telle une Dame du Moyen-Âge, Odette, comme trompette puante entourée par la chanson mélodieuse de Vinteuil, fut mise à la place de l'objet ultime de désir, de la Chose de jouissance, la Chose lointaine, absente, perdue, cherchée, fermée en soi. En étant ainsi élevée par la sublimation à la dignité de la Chose courtoise, Odette put occuper à un moment donné le vide chosique de Swann, l'occuper en le remplissant de sa consistance imaginaire -plus précisément en feignant de le remplir, en le masquant, en le voilant.
Le vide réel que l'imaginaire d'Odette feint de remplir, ce vide chosique voilée par la chosette, ce vide signifiant de la Chose insignifiée, ce vide n'est masqué par le signifié d'Odette qu'après qu'il fut dévoilé par la phrase musicale de Vinteuil. Cette phrase, comme chaîne signifiante de b1 + b2 + bn entourant le vide chosique de a -réellement représenté par -a ou l'objet a insignifiant qui tombe de la chaîne signifiante-, n'était pas en état de soutenir la trame signifiée des a + b, ce tissu imaginaire qui ne pouvait donc plus voiler un vide réel qui devait nécessairement se dévoiler. Or, ce vide réel à l'intérieur de Swann, ce vide signifiant que la phrase dévoilait, de même que le vide intérieur d'un récipient, n'était vraiment tel que dans la mesure où la phrase, comme le paroi du récipient, l'entourait, le soutenait, le cernait.
Lorsque l'être réel chosique est dévoilé, il n'est alors que le réel de l'être symbolique langagier, l'Autre réel désirant, la cause de son désir ou son manque-à-être, son vide chosique, un vide aspirant qui aspire aussi bien l'être réel -l'objet a- de celui qui se jette par la fenêtre que l'être imaginaire -l'i(a) du narcissisme- de ce qui se colle à lui pour le recouvrir à nouveau -à l'occasion la figure d'Odette. Une fois qu'il est à nouveau recouvert ou voilé par l'imaginaire, le vide chosique ne cesse pas évidemment d'aspirer ou d'attirer vers lui. Or, étant masqué par une figure imaginaire comme celle d'Odette, ce n'est plus vers lui qu'il attire, mais vers cette figure imaginaire.
L'objet désiré qu'est la belle Odette n'est désiré que dans la mesure où il masque le vide chosique, cette cause de désir, ce -a -objet a-, en tant que manque-à-être -où ce qui manque n'est en dernier terme que l'affreuse beauté idéale de l'être réel chosique, de la lettre a, de la Chose en tant qu'objet ultime de désir.
Sublimée ou élevée à la dignité de la Chose courtoise par l'amour de Swann, Odette n'est désirée que dans la mesure où elle remplit de sa consistance imaginaire le vide chosique ouvert par la phrase musicale de Vinteuil, voire le vase qu'elle occupe -le vase comme prototype de la sublimation artistique. En ce sens, elle est semblable au vin qui n'est désiré que parce qu'il remplit un autre vase, le Graal de l'église, qui seul peut contenir le vin consacré par la sublimation religieuse, vin dont la consistance imaginaire prétend remplir un vide où manque le réel du sang du Christ.
Imaginez une scène mythique. Une goutte du sang du Christ tombe par terre et forme une minuscule cavité dans la poussière. Comme trait unaire, cette cavité deviendra le Saint-Graal, ainsi que tous les Graal qui vont proliférer plus tard dans les églises chrétiennes. Le Graal de l'église ne représente ainsi réellement la Chose dont il est vide, la Chose qu'est le sang du Christ, que comme trace de ce sang. De manière analogue, la phrase de Vinteuil ou le vase du potier ne représentent la Chose dont ils sont vides, cette Chose autour de laquelle il furent produits, que comme trace de cette Chose. Ainsi, le Graal de l'église, le vase du potier et la phrase musicale de Vinteuil, tous ces contenants découvrent ce qu'ils contiennent, le vide signifiant de la Chose insignifiée -de la lettre a-, cette Chose réellement représenté par sa trace découverte dans le vide -comme -a-, tel un indice de Peirce.
Dans le vase qui découvre le vide chosique, dans ce contenant qui découvre le vide qu'il contient, nous avons la Chose insignifiée qui s'ouvre comme un vide signifiant -le vide où manque la Chose en tant que -a ou objet a insignifiant. Cette ouverture de la Chose n'est rien d'autre que ce que nous avons déjà décrit comme coupure de la sphère. En fait, le vase ne surgit que lorsque la forme sphérique de la Chose amoureuse -comme confusion entre la mère et l'enfant- est affectée par le signifiant. En quelque sorte, un vase n'est qu'une sphère coupée, une sphère insignifiée coupée qui s'ouvre alors en ouvrant son vide chosique, le vide signifiant où elle manque, ayant perdu sa consistance et sa fermeture en soi du fait de sa coupure.
Dans son ouverture pour le sujet, qui n'est qu'une ouverture pour-soi, le vase -comme l'Autre réel suprasensible qu'est symboliquement le sujet- incarne le vide chosique où manque tout le reste -voire l'être du sujet- pour que la Chose, comme confusion chosique, puisse être dans sa consistance réelle, en se renfermant à nouveau en-soi.
La place de l'inconscient comme Autre symbolique, en tant qu'ouverture signifiante du vase, de ce vase créé ex nihilo par le potier divin, est celle du monde et l'univers pour le sujet -un sujet dont l'être manque dans ce monde et cet univers, qui ne peut donc être qu'ouvert et vide, en tant qu'espace. Puisque l'ouverture du vase n'est pour-soi qu'en tant qu'ouverture pour le vase qu'est l'existence du sujet du signifiant, il y aura nécessairement une adéquation, l'adaequatio rei et intellectus, entre les attentes du sujet désirant qui existe et ce qu'il reçoit de son être qui lui manque -la cause de son désir- dans le monde et l'univers. Autrement dit, le vase ne pourra contenir que ce dont il est la trace. Or, et nous arrivons ici à la thèse que nous allons discuter maintenant, l'adéquation entre la Chose qui s'ouvre et le sujet qui assiste à cette ouverture n'aura lieu que dans la méprise de la Chose par le sujet. Et ceci pourquoi ? Tout simplement parce que le sujet ne reconnaît pas, dans la Chose qui s'ouvre pour lui, qu'il s'agit d'une ouverture pour-soi, dans la mesure où la Chose qui s'ouvre, comme un vide chosique ou comme le vase du potier, constitue le même sujet qui s'ouvre pour-soi.
Le vide chosique du monde qui s'ouvre pour le sujet, ce vide où manque l'être du sujet, ce vide n'est que le vide signifiant du sujet qui s'ouvre pour-soi, comme lieu de l'Autre où existe le sujet -un lieu qui n'est toutefois que le vide chosique du sujet lui-même. Or, cette vérité, qui est la vérité du mélancolique, la vérité sous-entendue dans sa notion la plus traditionnelle -en tant qu'adaequatio rei et intellectus-, ne peut qu'être ignoré par le sujet. Voici l'extériorité de l'inconscient, qui est celle de notre propre vide chosique en tant qu'espace ou vide extérieur du monde, le vide où nous habitons, où nous existons, comme lieu de l'Autre symbolique -de l'être symbolique langagier à la place du Même, à la place donc de notre être réel chosique.
La méprise de la vérité, qui nous fait ignorer que ce qui s'ouvre pour nous dans le monde n'est que notre propre vide signifiant qui s'ouvre pour-soi, cette méprise est le résultat inévitable de la division du sujet, lequel, en étant divisé de son être pour-soi, ne peut le reconnaître que comme un être-autre. Comme résultat de la division du sujet, cet être-autre pour-soi du sujet, que nous appelons objet a, constitue comme tel -nous le savons déjà- en même temps la cause du désir et l'insignifiance du vide signifiant, ou le fait que ce vide chosique doit être vide, ne pouvant signifier l'objet ultime du désir, voire la Chose qu'il serait s'il était réellement comblé -renfermant ainsi le vase du monde sur lui-même, ou plutôt en soi, comme une sphère où tout désir serait assouvi.
Le vide signifiant du monde qui nous entoure, ce vide intérieur du vase créé ex nihilo par le potier, ce lieu de l'Autre est celui de notre propre inconscient, qui n'est inconscient que du fait de ne pas être reconnu être pour-soi en étant pour le sujet. Ainsi, le vide que la phrase de Vinteuil ouvre pour Swann n'est autre que le vide chosique de Swann, ce vide signifiant qui s'ouvre pour lui-même en s'ouvrant pour-soi. Rien d'étonnant alors que ce vide extérieur à Swann -qui insiste d'ailleurs sur l'extériorité de ce vide-, exhibant toute son insignifiance, ne puisse au moment de l'amour que signifier un objet imaginaire, à l'occasion l'objet appelé Odette, comme s'il était le propre être de Swann qui manque dans son vide intérieur, cet être réel de la Chose qui doit rester insignifié -en raison de l'insignifiance, comme être-autre pour-soi, du vide signifiant où il manque.
11.1. La Chose de Swann est une Chose qui parle. Qu'est-ce qu'elle dit, cette Chose ? Elle dit une phrase, elle prononce la phrase musicale de la sonate de Vinteuil. Et en la prononçant, elle parle du "mystère de son incubation"34, de son "autre monde"35, de cette "réalité invisible"36, de "l'affreux" qu'il y a en elle, dans "ce qu'on ne peut pas imaginer"37, quelque chose d'irreprésentable, "d'effrayant", "délicieux"38, "douloureux" et "secrètement inapaisé"39. La Chose de Swann parle de tout cela en parlant d'elle-même, de son vide chosique, et en donnant "un contenu consistant, explicite", à "cette grande nuit impénétrée et décourageante" de l'inconscient du sujet40.
De même que la Chose de Swann, la Chose freudienne parle au sujet, elle parle aussi au sujet d'elle-même, et puisqu'elle est elle-même le sujet auquel elle parle, elle ne se parle alors qu'à elle-même -au sujet qu'elle est- d'elle-même -au sujet d'elle-même. Dès lors qu'il s'agit dans les deux cas, celui de la psychanalyse et celui de Proust, de la même Chose, il n'est donc pas étonnant que la Chose freudienne finisse pas se dire à peu près la même Chose que celle de Swann.
En se parlant d'elle-même à elle-même, la Chose freudienne habite et se reconnaît elle-même dans sa parole. Elle est, en fait, indiscernable de sa parole. En quelque sorte, elle est sa parole, qui est celle du sujet, celle où le sujet habite et se reconnaît -cette chose-parole qu'est, aux yeux de Francis Ponge, "la véritable sécrétion commune du mollusque homme, la chose la plus proportionnée et conditionnée à son corps"41.
Dans le développement de la théorie lacanienne sur l'être réel chosique, la Chose freudienne qui parle, et qui s'ouvre en parlant, est la deuxième qui surgit, exactement en 1955, c'est-à-dire deux ans après la première Chose, la Chose hégélienne meurtrie par le symbole. À propos de cette succession, je vous prie de ne pas mépriser le fait qu'il s'agit d'un passage d'une Chose fermée à une autre ouverte, d'une Chose morte à une autre vivante, d'une Chose passive -meurtrie par le symbole- à une autre active -qui utilise le symbole pour s'exprimer. Ainsi, dans la chose freudienne qui parle, on assiste à l'ouverture du vide signifiant de la Chose insignifiée (8.6).
En s'ouvrant, en ouvrant son vide signifiant, la Chose insignifiée devient freudienne, elle sort alors de son mutisme, elle parle. Pour illustrer cette ouverture, on peut évoquer, chez Robert de Boron, l'ouverture du Saint-Graal, comme cette "veissel tout à descovert", sans aucun linge qui la couvre, laquelle ne cesse pas de parler à Joseph d'Arimathie42. Chez Malory, ce même Joseph d'Arimathie présentera le Saint-Graal, ouvert, au chevalier Galaad, qui "se mit à trembler de tous ses membres, quand sa chair mortelle commença à contempler les choses spirituelles" (the dedely flesshe beganne to beholde the spyrituel thinges)43 -des choses dont la spiritualité pourrait être comprise comme une certaine signifiance. Deux siècles avant, dans le Roman de Tristan, l'ouverture du Saint-Graal montrait déjà clairement son caractère spirituel, parlant ou signifiant, lorsque ce même Galaad "vit ouvertement le grand secret et les grand mystère du Saint-Graal, que langue de pêcheur ne pourrait raconter ni yeux mortels ne pourraient voir"44 (vit apertement les granz secrez et les granz repostalles du Saint Graal, que langue de pecheor ne porroit raconter ne iex mortex nel porroient veoir).
En général, dans sa quête, les chevaliers veulent connaître l'intérieur du Saint-Graal. Ce qu'ils cherchent c'est le Saint-Graal dans son ouverture -ce qui équivaut à résoudre le mystère du Saint-Graal. Ainsi, lorsqu'il entreprend la quête du Graal, le Gauvain de Malory explique : "Nous n'avons pu voir le Saint-Graal, il était si précieusement couvert... J'entrerai en quête du Saint-Graal... Je ne reviendrai à la cour sans l'avoir vu plus apertement qu'on ne l'a vu céans" (tyl I have sene hit more openly than hit hath ben sene here)45. Il s'agit de voir le Saint-Graal plus ouvertement, "more openly". Il s'agit de le voir dans son ouverture, tel qu'il est derrière ce "samit blanc" par lequel il est "si précieusement couvert"46 -tel qu'il est derrière la réalité imaginaire qui voile de lumière le réel obscur de la Chose.
Dans l'ouverture de la Chose qu'on illustre par celle du Saint-Graal, on vérifie le passage dialectique, chez Hegel, de la chose fermée en soi à la chose ouverte pour soi -c'est-à-dire, chez Lacan, le passage du noumène de la science qui ferme la vérité à la Chose freudienne qui ne peut que l'ouvrir47. C'est le passage de l'être réel chosique en soi, en tant que sujet insignifiée de tous les prédicats -ou lettre a supprimée comme objet a ou -a qui tombe comme insignifiance de la chaîne signifiante de ces prédicats-, à l'être réel chosique qui est pour soi, l'être réel indiscernable de l'être symbolique dans son vide signifiant, comme être-autre par rapport à lui-même, lui-même comme sujet, comme être-là dans l'Autre de la chaîne signifiante où il existe -voire le discours de l'Autre, l'inconscient où il ex-siste par rapport à lui-même, dans la mesure où il parle de lui-même, en parlant de ses propriétés par les prédicats dont il est sujet.
Nous voyons bien que la parole de la Chose freudienne n'est pas exactement celle du sujet qui parle de son inconscient, mais plutôt celle de l'inconscient -comme chaîne signifiante des prédicats en tant que discours de l'Autre ou du vide chosique signifiant- qui parle de son sujet -du sujet de l'inconscient, qui existe dans la chaîne signifiante des prédicats, lequel, à ce moment de notre analyse, n'est rien d'autre que le sujet insignifié de tous les prédicats.
Le discours de la Chose freudienne, comme être réel chosique, correspond au discours du grand Autre, comme être symbolique langagier. Le discours de la Chose, du Saint-Graal, correspond à "la voix du Saint-Esprit qui se manifeste", dans l'ouverture du Saint-Graal, premièrement à Joseph d'Arimathie48 et ensuite au Roi-Pêcheur49. La Chose insignifiée, le Père ou le fils réellement représentés par le Saint-Graal, est donc indissociable, en tant que Saint-Esprit, du vide chosique signifiant -si "le Saint-Esprit" est effectivement, comme le suppose Lacan, "l'entrée du signifiant dans le monde"50. Dans la Chose freudienne qui parle, dans cette chose -en tant qu'insignifiée- qui parle d'elle-même, c'est ainsi l'inconscient qui parle -en tant que vide chosique signifiant.
L'insignifié se montre déjà signifiant dans la Chose freudienne qui parle. Nous devons toutefois reconnaître, malgré nous, que dans cette Chose nous constatons encore plusieurs tensions irréductibles entre des termes qui n'arrivent jamais, dans sa synthèse dialectique, à se dépasser et s'assimiler totalement, à se supprimer tout en se conservant -à la manière d'une aufheben hégélienne- dans cette unité apparemment supérieure qu'est cette Chose parlante -cet insignifié signifiant. Des tensions irréductibles, alignées, parallèles : entre le Même et l'Autre, entre le réel et le symbolique, entre la Chose et le vide chosique, entre le sujet de tous les prédicats -comme être- et le sujet de la chaîne signifiante des prédicats -comme existence-, entre le sujet qui parle et le sujet dont il parle. Maintenant, dans les étapes successives de la théorisation lacanienne de la Chose freudienne, nous allons nous apercevoir que ces tensions ne cessent en aucun moment de subsister à l'intérieur du concept en question :
a) En 1955, la Chose freudienne, ouverte et parlante, fait son apparition chez Lacan. Dès le moment où elle vient d'être présentée comme "la vérité dans la bouche de Freud", elle commence à parler pour se décrire elle-même comme "l'énigme de celle qui se dérobe aussitôt qu'apparue". Elle dénonce ensuite ceux qui l'écoutent et qui ne veulent pas l'écouter, qui "entendent la dissimuler sous les oripeaux de ses convenances". Puis elle assure qu'elle s'est "évadée du donjon de la forteresse où ils croyaient le plus sûrement la retenir en la situant non pas en eux, mais dans l'être lui-même". Après son évasion, elle "vagabonde", selon ce qu'elle raconte, "dans le rêve, dans le défi au sens de la pointe la plus gongorique et le nonsense du calembour le plus grotesque, dans le hasard, et non pas dans sa loi, mais dans sa contingence". Finalement, tout en se situant dans le sujet, elle ne se reconnaît pas tout à fait dans sa "pensée", mais plutôt dans "les choses", qui sont les "signes de sa parole"51. En d'autres termes, le Dingo, la Chose réelle insignifiée, en tant que vide symbolique signifiant, s'ouvre et parle par des choses, par des Sachen imaginaires, qui sont les signes de sa parole. Tout se passe comme si la sphère insignifiée de la lettre a, qui s'évida pour devenir le vide signifiant de b, revenait à elle-même, sous la forme synthétique signifiée de a + b, pour s'exprimer -pour faire signe de son obscure consistance réelle à la lumière superficielle d'une consistance imaginaire, comme semblant de consistance.
b) Encore en 1955, lorsqu'il aborde l'adaequatio rei et intellectus, Lacan se réfère à la Chose freudienne comme à "cette chose qui nous parle, voire qui parle en nous". Ceci doit se comprendre, me semble-t-il, comme la notion d'une Chose freudienne qui nous parle par la réalité des choses, comme signes de sa parole, ainsi que par notre intellect -qui ne sera pas à proprement parler un intellect où la Chose ne se reconnaît, mais plutôt, si j'ose dire, les signifiants qui gouvernent cet intellect. Il y aura ainsi nécessairement une adaequatio rei et intellectus, pour autant que dans la réalité et dans notre intellect ce sera la même Chose freudienne qui parlera. En effet, ce sera la même Chose qui parlera en nous, dans notre intellect, et pour nous, dans les choses de la réalité -c'est-à-dire, à la rigueur, ce sera la même Chose en soi et pour soi. Ainsi, rien d'étonnant à que "notre intellect" soit "bien à la hauteur" de la Chose en question, dans la mesure où elle parle en nous. Lacan peut alors conclure que cette Chose, "même à se dérober derrière le discours qui ne dit rien que pour nous faire parler, il ferait beau voir qu'elle ne trouve pas à qui parler"52. Il y a lieu ici de se demander comment pourrait-elle trouver à qui parler, si en face d'elle, pour l'entendre, il n'y a que la réalité de ces choses qui sont elles aussi le signe de sa propre parole. Nous voyons bien que même si la Chose parle, même si elle est présente pour-soi -et non seulement en-soi-, elle ne peut vraiment parler qu'à elle-même en-tant-que-soi.
c) Toujours en 1955, Lacan explique l'adaequatio rei et intellectus, adéquation entre la Chose freudienne qui parle au sujet -au moyen des choses- en parlant d'elle même ou du sujet -comme sujet insignifié-, et celle qui parle dans le sujet du signifiant -au moyen de son intellect-, par la dette symbolique de ce sujet, en notant "l'énigme homonymique" entre le génitif rei, ou la réalité, et le mot reus, "l'accusé" ou "métaphoriquement celui qui est en dette de quelque chose"53. Pour ainsi dire, s'il y a une adéquation entre la Chose qui parle au sujet et la Chose qui parle en lui, c'est tout simplement parce qu'il s'agit de la même Chose, bien que divisée -comme totalité de l'être ou capital total de jouissance- en raison de la dette symbolique -par laquelle on doit renoncer à une partie de l'être ou à un plus-de-jouir. Tout en divisant le sujet insignifié de tous les prédicats, pour qu'il devienne aussi le sujet du signifiant -pour qu'il existe aussi dans la chaîne signifiante des prédicats-, la dette symbolique produit dans le sujet ces deux parties divisées qui ne peuvent que se correspondre : celle à laquelle il renonce et celle qu'il garde, celle objective qu'il a et celle subjective qu'il est, voire celle de la Chose qui lui parle et celle de la Chose qui parle en lui -dans l'adéquation entre la réalité et l'intellect. Il faut bien comprendre que cette adéquation découle du fait que l'être réel chosique qui constitue le monde, ou la Chose en tant qu'elle parle d'elle même -ou du sujet insignifié- au sujet, n'est extérieur au sujet du signifiant que parce qu'il s'est détaché -comme objet a ou -a- de son être symbolique langagier ou de ce que la Chose parle en lui -voire le discours du grand Autre qui parle comme lui dans le vide chosique signifiant creusé par le détachement de l'être du sujet, de son objet a insignifiant, ce -a qui tombe de la chaîne signifiante pour payer la dette symbolique du sujet qui ne peut exister dans cette chaîne, comme sujet du signifiant, qu'en payant cette dette.
d) Le 10 février 1960, la Chose freudienne parle dans "l'amour fou" de Breton, dans "le hasard collectif", qui "veut dire les choses qui arrivent avec un sens d'autant plein qu'elles se situent quelque part où nous ne pouvons saisir aucun schème rationnel, ni causal, ni rien qui en justifie d'aucune façon le surgissement dans le réel"54. Ce surgissement n'est évidemment qu'un effet de l'adéquatio rei et intellectus. Il est une parole, pour le sujet qui le constate, de la même Chose freudienne qui le parle, ou qui parle en lui, tout en parlant ce qu'il constate, en parlant pour lui. D'ailleurs, même objectivement, puisque c'est toujours la même Chose freudienne qui parle, il n'y a vraiment rien d'étrange dans la circonstance qu'il y ait dans sa parole, dans toutes les choses qui sont signes de sa parole, cet ordre apparemment inexplicable que nous attribuons au hasard collectif.
e) En 1965, la Chose freudienne et sa vérité ouverte, du côté de la psychanalyse, est opposée au noumène et sa vérité fermée, du côté de la science, "puisqu'une vérité qui parle a peu de chose en commun avec un noumène qui, de mémoire de raison pure, la ferme"55. La vérité ouverte de la Chose freudienne, cette vérité que la Chose parle, n'est possible qu'après l'ouverture de la Chose en soi kantienne, comme Chose fermée en soi, silencieuse et inaccessible au sujet. Une fois que le sujet de tous les prédicats, comme noumène, s'ouvre et se retourne sur soi comme un être-autre-pour-soi -moyennant l'être-là du sujet qui existe dans la chaîne signifiante-, la sphère silencieuse -la planète sans bouche- devient Graal ou vase, et tout de suite, comme Chose freudienne, elle commence à parler d'elle même -toujours comme sujet insignifié-, grâce au vide signifiant du sujet -le sujet du signifiant- où peuvent résonner ses vérités -c'est-à-dire sa bouche sans le sein insignifiant qui la comblait, mais qu'elle vient de perdre.
f) Encore en 1965, la Chose freudienne, toujours ouverte et parlante, se manifeste dans la magie, dans laquelle, d'après une "définition structuraliste", le "signifiant dans la nature est appelé par le signifiant de l'incantation", il est ainsi "mobilisé métaphoriquement", nous démontrant par là que "la Chose en tant qu'elle parle, répond à nos objurgations"56. Dans cette réponse, l'être réel chosique du magicien répond à son être symbolique langagier, le magicien comme sujet de tous les prédicats répond au magicien sujet du signifiant, le Même du magicien -ou son Autre réel comme Autre de son Autre- répond à son Autre symbolique. Mais la réponse de cette Chose freudienne, comme présence pour soi de la Chose, ne peut s'entendre que lorsqu'elle résonne dans le vide signifiant du monde creusé, comme le manque-à-être du magicien, à l'intérieur de la masse compacte de sa Chose insignifiée, comme présence en soi de la Chose. Pour la réponse de la Chose freudienne, il faut naturellement -on ne saurait trop insister sur ceci- la bouche dans la sphère, voire le vide signifiant dans le vase qui parle pour répondre à nos objurgations.
g) Finalement, en 1971, Lacan assure que lorsqu'il écrit la Chose freudienne, celle-ci "se lève et fait son numéro", un numéro "qui ne lui est pas dicté". Il assure ceci après avoir établi que "le propre du nom est d'être nom propre", que la "Chose freudienne" est le "nom propre" de la Chose et que "nommer quelque chose, c'est un appel"57. Ainsi, quand je nomme la Chose freudienne, j'appelle la Chose par son nom, je l'appelle et elle me répond, comme elle répondait également au magicien. L'expression de "Chose freudienne" apparaît là -si j'ose dire- comme une sorte d'incantation, comme un mot de la Chose qui parle en moi, un mot auquel répond la Chose qui me parle. Et ce qu'elle répond, ceci ne lui est pas dicté par moi, naturellement. On ne peut rien dicter à la Chose qu'on peut toutefois invoquer. À vrai dire, c'est uniquement la Chose, qui n'est présente -ouverte et parlante- que pour soi-même, ce n'est qu'elle qui pourrait se dicter, mais qui ne peut rien se dicter, qui ne peut rien s'indiquer en secret, à l'avance, qui ne résonne pas déjà dans son vide signifiant de notre inconscient -ou de la bouche du monde qui nous parle et où nous habitons, en existant dans la chaîne signifiante.
Nous devons distinguer trois moments dans la théorisation lacanienne de la Chose freudienne, ouverte et parlante. Premièrement, en 1955, elle parle, avec un accent assez militant, sans que personne lui demande de parler : elle dénonce ceux qui l'écoutent et qui ne veulent pas l'écouter, ceux qui la dissimulent et la fuient, elle se décrit comme celle qui se dérobe aussitôt qu'apparue, celle qui s'est évadée de la forteresse de l'être où on l'avait enfermait, celle qui se manifeste, malgré nous, dans les choses aussi bien que dans les formations de l'inconscient. Dans un deuxième temps, entre 1955 et 1965, en se concentrant dans la notion de vérité comme adaequatio rei et intellectus, la Chose freudienne est l'ouverture de la vérité -par contraste avec sa fermeture dans le noumène de la science-, elle donc la vérité ouverte, ainsi que tout hasard collectif et tout amour fou, en étant la même Chose celle nous parle dans toutes les choses -rei- tout en parlant simultanément en nous -intellectus-, ce qui n'est possible qu'en raison de notre dette symbolique. Finalement, entre 1965 et 1971, elle est celle mobilisée métaphoriquement par le magicien, celle que nous appelons, par l'incantation ou par son propre nom, et qui répond à notre appel et fait son numéro.
Soit comme dénonciation et manifestation malgré nous dans l'extériorité de l'inconscient, ou bien comme vérité -dans la bouche de Freud- en tant qu'adéquation de cet inconscient à notre extériorité, ou encore comme réponse à notre appel, la Chose freudienne est toujours celle, ouverte et parlante, dont la parole résonne dans ce vide signifiant qui est celui qui nous habite, lorsque la Chose parle en nous -en nous comme sujets du signifiant-, aussi bien que celui que nous habitons, lorsque la Chose nous parle d'elle-même en parlant de nous -de nous comme sujets insignifiés de tous les prédicats.
11.2. L'adéquation et la méprise ne sont des caractères de la Chose, ou des états de la Chose par rapport au symbole, que dans la mesure où la Chose dont il s'agit est freudienne. Pour qu'il y ait de l'adéquation ou de la méprise entre ce que la Chose ouverte parle au sujet, au moyen de la réalité, et ce qu'elle parle en lui, au moyen de son intellect, il faut nécessairement que la Chose soit ouverte et parlante, qu'elle soit donc freudienne.
La notion de la Chose freudienne présuppose déjà -dès le début- la vérité dans la bouche de Freud, soit une version très particulière de l'adaequatio rei et intellectus. En fait, tout ce que nous puissions dire à propos de l'idée lacanienne d'une Chose adéquate au sujet, tout cela est déjà compris dans la théorisation lacanienne de la Chose freudienne que nous venons de présenter. Cependant, il convient de résumer les idées essentielles sur cette adéquation :
a) L'adéquation freudienne, propre à la vérité freudienne, ne se manifeste pas seulement dans la notion traditionnelle et prétendument rationnelle de vérité, mais aussi dans des phénomènes comme l'amour fou, le hasard collectif et la magie, où nous ne pouvons saisir aucun schème rationnel qui justifie le surgissement dans le réel de ce qui apparaît comme adéquat par rapport à un certain intellect.
b) Il y a adéquation freudienne, ou vérité dans la bouche de Freud, dans la mesure où c'est la même Chose freudienne qui parle pour nous, au moyen de la prétendue réalité, et en nous, au moyen de notre soi-disant intellect. En effet, c'est la même Chose qui nous parle par la réalité imaginaire des choses, comme signes objectifs de sa parole, ainsi que par les signifiants qui gouvernent subjectivement notre intellect. En quelque sorte, la Chose ne pourra parler pour nous, en nous exprimons par des choses imaginaires ce que sa parole nous semble signifier, qu'en parlant en nous, au moyen de la chaîne signifiante où nous existons.
c) L'adéquation freudienne peut s'expliquer par la dette symbolique, laquelle, en détachant -comme -a ou objet a insignifiant- le sujet insignifié -le sujet de tous les prédicats- du sujet du signifiant -comme sujet qui existe dans la chaîne signifiante des prédicats-, afin que celui-ci puisse advenir ou commencer à exister, elle coupe la totalité sphérique chosique, elle creuse le vide signifiant du vase où la parole de la Chose freudienne résonne et elle produit un sujet divisé entre deux parties, l'une insignifiée et l'autre signifiante, qui doivent forcément se correspondre, pour autant qu'elles sont issues de la même Chose, la même Chose insignifiée par le fait d'être signifiante -la même Chose maintenant freudienne, ouverte et saignante de parole. À partir de cette Chose, deux parties se séparent, deux parties qui ne peuvent alors que se correspondre : d'une part, l'être insignifié du sujet, dont la Chose lui parle en lui parlant d'elle -par les choses de la réalité- ; d'autre part, l'existence du sujet dans la chaîne signifiante, dans ce que la Chose lui parle -en parlant en lui, dans son intellect.
La Chose freudienne nous parle par les choses qui sont les signes -signes et non pas signifiants- de sa parole. Puisque la Chose suprasensible qui nous parle ainsi est la même inconsciente qui parle en nous, il ne peut y avoir qu'une certaine adéquation -celle toujours problématique de la signification dans le signe- entre ce qu'elle nous dit -au niveau signifié de ses représentations imaginaires- et ce qu'elle dit en nous -au niveau signifiant de ses représentants symboliques. En définitive, les choses ne sont parlantes pour le sujet que dans la mesure où elles sont signifiées par la parole du propre sujet -comme sujet de l'inconscient, voire le sujet de tous les prédicats en tant qu'il est divisé, délogé de lui-même, voire condamné, en raison de sa dette symbolique, à ex-sister par rapport à son être, à exister dans la chaîne signifiante des prédicats. Soyons plus clairs : il peut y avoir une vérité, une adéquation des choses au sujet -comme adaequatio rei et intellectus-, parce que la Chose freudienne ouverte et parlante (11.1), la Chose présente pour soi (9.5), qui parle au sujet par les choses -en ouvrant pour lui son vide signifiant du monde-, cette Chose, comme sujet de tous les prédicats -en étant présente en soi-, est le même sujet pour lequel elle est présente -en étant présente pour soi-, elle est donc la Chose qui s'ouvre et parle comme intellect dans le sujet -pour autant qu'il est sujet du signifiant-, tout en étant la Chose qui lui parle d'elle -en lui parlant de lui-même comme sujet insignifié de tous les prédicats- au moyen des choses de la réalité signifiée -par la parole de la Chose en tant que chaîne signifiante où existe le sujet du signifiant.
Étant donné que l'adéquation des choses au sujet, comme adéquation entre une Chose suprasensible qui lui parle et une autre inconsciente qui parle en lui, est une adéquation entre deux Choses qui ne peuvent que se correspondre pour autant qu'elle sont toutes les deux la même Chose inaccessible, nous pouvons alors considérer que cette adéquation n'aura lieu qu'à l'intérieur de la même Chose, de cette Chose freudienne présente en soi et pour soi, dans son vide signifiant où résonne sa parole, dans sa bouche de sujet -la nôtre aussi bien que celle du monde où nous habitons- qui ne peut que parler en nous -comme sujets du signifiant- quand elle parle de nous -comme sujets insignifiés de tous les prédicats- pour nous parler.
L'adéquation des choses au sujet, comme adéquation de la Chose qui lui parle à celle qui parle en lui, est une condition indispensable pour qu'il y ait le désir du sujet à l'égard de ses objets imaginaires. Il faut comprendre ici que la Chose, comme objet ultime de désir, ne parle au sujet que par ces objets imaginaires signifiés et désirés, alors qu'elle parle en lui par la signifiance de son propre désir, comme le sujet désirant qu'il est en tant que sujet du signifiant. Puisque c'est toujours la même Chose qui parle, il n'y a rien d'étonnant dans le fait qu'il puisse y avoir, malgré toute absence de rapport sexuel, une adéquation spéculaire entre le désirant et le désiré.
Il n'y a pas de raison pour que le désir que l'inconscient impose au sujet, comme sujet du signifiant, ne puisse pas se correspondre avec les objets signifiés que le suprasensible offre au même sujet. Ce que la Chose donne au sujet se reconnaît dans ce qu'elle désire en lui. Voici pourquoi le Saint-Graal est appelé Graal. Voici pourquoi "il agrée à toutes gens"58 -d'après la Quête. Voici pourquoi, au moins -avec une restriction mise par Robert de Boron-, "il agrée à tous les hommes de bien et à tous ceux qui peuvent rester dans sa présence"59.
Le Saint-Graal ne peut que "servir à leur gré tous ceux"60 dont il gouverne le gré de ses désirs. Ainsi, dans la Première continuation de Perceval, il "sert le pain", "verse du vin" et "prodigue les mets", en sorte que les chevaliers "mangent tous à leur aise"61. Dans la Quête, lorsqu'il se présente devant les chevaliers de la Table Ronde, le Graal fait apparaître "à chaque place les mets que chacun désirait"62. De même, chez Eschenbach, "on trouve devant le Graal, prêts à être mangés, tous les mets dont les convives désirent goûter"63, alors que chez Malory, "chaque chevalier trouve les mets et boissons qu'il préfère au monde"64. Chez Chrétien de Troyes, il ne faut pas oublier que "c'est d'une seule hostie, apportée dans le Graal", que le Roi-Pêcheur "se soutient et réconforte, tant le Graal est sainte chose" (tant sainte chose est ci li Graax)65. Comme le Roi-Pêcheur, Perceval, dans la Troisième continuation de Manessier, se soutient seulement de ce que "le Graal lui sert nuit et jour"66. Dans le Tristan, un chevalier se met à gémir : "quand verrai-je la sainte Coupe qui doit apaiser ma douleur!" (saint Vaissel par qui ma douleur doie remanoir), avant de "ressentir immédiatement un grand soulagement" quand il voit ce qu'il désire voir67. Enfin, dans la Quête, il suffit que Lancelot "touche de ses yeux" le Graal, pour que celui-ci le "guérisse de ses souffrances"68.
Dans toutes les situations que nous venons d'évoquer, il y a une adéquation entre ce que le Graal donne et ce que le sujet veut recevoir. Il y a donc une adéquation idéale, à l'intérieur de la totalité unitaire de la Chose, entre son vide et ce qui le remplit, entre le vide du sujet -qui est sa bouche aussi bien que la cavité interne du Saint-Graal- et ce qui le remplit -ce qui remplit la bouche du sujet aussi bien que le Saint-Graal. Il y a donc une adéquation entre l'en-soi et le pour-soi, entre le sujet désirant -du côté du signifiant- et l'objet désiré -du côté du signifié-, entre la Chose inconsciente qui parle ce qu'elle veut ou reçoit au niveau de la conscience et la Chose suprasensible qui parle ce qu'elle offre ou donne au niveau de la sensibilité.
11.3. Comme vérité dans la bouche de Freud, l'adaequatio rei et intellectus n'aura lieu qu'à l'intérieur de la Chose freudienne présente en soi et pour soi. Ici, à l'intérieur de la totalité chosique, ce qui est signifié pour le sujet, les choses de la réalité, s'accordera ou se mettra en rapport d'adéquation avec ce qui est signifiant en lui, son intellect. Cette adéquation, dans la parole de la Chose freudienne, entre ce qui est signifié pour le sujet et ce qui est signifiant en lui, n'est en fin de compte, à l'intérieur de la présence en tant que soi de la Chose, qu'une présence en soi et pour soi. Ainsi, même en ouvrant pour le sujet son vide signifiant du monde (11.2), la Chose en tant que telle ne s'ouvre pas -à proprement parler- pour le sujet (6.5), mais seulement pour soi (6.6), dans la mesure où elle ne peut s'ouvrir pour le sujet qu'en étant le sujet, ne pouvant donc s'ouvrir pour lui qu'en s'ouvrant pour soi (9.5).
Certes, la Chose est freudienne parce qu'elle parle, parce qu'elle s'ouvre -comme la bouche de Freud où se trouve la vérité comme adéquation. Il n'en reste pas moins qu'elle ne parle et ne s'ouvre que pour elle-même et en elle-même en tant que soi. Elle ne parle et ne s'ouvre, en conséquence, qu'en soi et pour soi. Je veux dire par là que la Chose freudienne, quand elle parle, elle ne dialogue pas. Sa parole n'est pas un dialogue, mais un monologue. C'est le "monologue de l'apparole", dont parle Jacques-Allain Miller. Dans ce monologue, "il n'y a pas de communication, il y a autisme". Et il y a aussi la jouissance de la Chose, pour autant que l'apparole "est ce qui devient la parole quand elle n'assure pas communication mais jouissance"69. En effet, à ce niveau d'analyse, dans la Chose freudienne qui n'est, comme toute chose, qu'en présence d'elle même, présente en-soi, pour-soi et en-tant-que-soi, tout se réabsorbe dans la jouissance chosique de la totalité unitaire. Ceci ne veut pas dire qu'à l'intérieur de la totalité, le sujet du signifiant, dans son rapport à l'Autre qui le parle et qui le fait vouloir-dire -comme Chose freudienne qui parle en lui- ou dans son rapport à l'objet a qui cause son désir -comme son être insignifié qui lui manque-, ne puisse pas désirer et vouloir dire. Il n'y a aucune doute que le sujet du signifiant, dans son rapport à la totalité -comme cause de son vouloir-dire- et à la partie de la totalité -comme cause de son désir, veut-dire et désire. Cependant, au niveau de la totalité unitaire chosique, tout son désir et son vouloir dire se réabsorbe dans la jouissance de la Chose -et par là elle se réabsorbe aussi dans la pulsion, toujours pulsion de mort, qui domine l'apparole.
Même en étant freudienne, la Chose ne peut être présente qu'en présence d'elle-même. Lorsqu'elle parle et lorsqu'elle s'ouvre, elle parle et elle s'ouvre en soi, pour soi et en tant que soi -ceci nous le savons déjà. Examinons maintenant de quelle manière elle s'ouvrira et parlera, et quelles seront les formes que son ouverture et sa parole réserverons à son propre soi en tant que sujet.
Lorsqu'elle s'ouvre et parle pour le sujet, la Chose ne peut alors que parler dans le sujet, dans un sujet qui n'existe que dans cette parole de la Chose freudienne. Un tel sujet, comme sujet du signifiant, n'est différent à la Chose freudienne qui parle en lui, à la Chose comme sujet insignifié, que dans la mesure où lui, comme sujet du signifiant, existe dans la chaîne signifiante de la parole de cette Chose qui parle en lui. Or, suivant ce raisonnement, le sujet du signifiant n'existera comme tel, il n'ex-sistera par rapport à son être réel chosique, qu'en existant dans sa propre parole de sujet insignifié -qui est cette parole de la Chose freudienne qui résonne dans le monde ouvert par le vide signifiant, lieu de l'Autre ou de l'être symbolique langagier, où habite le sujet du signifiant. Autrement dit, si le sujet du signifiant n'est pas la Chose insignifiée, c'est parce qu'il doit exister dans la parole, ou dans la chaîne signifiante des prédicats, avec laquelle cette Chose lui parle au même sujet de lui-même, comme sujet insignifié de tous les prédicats, en lui parlant d'elle, au moyen des prédicats.
N'oublions pas que la Chose n'est insignifiée que pour autant qu'elle est signifiante, elle n'est ce dont elle parle que pour autant qu'elle existe dans ce qu'elle parle, elle n'est donc sujet insignifié de tous les prédicats que pour autant qu'elle est sujet qui existe dans la chaîne signifiante des prédicats. Nous comprendrons alors que la Chose freudienne ne puisse être le sujet insignifié qui parle qu'en existant, comme sujet du signifiant, dans cette parole qu'il parle. En d'autres termes, nous comprendrons que le sujet insignifié de tous les prédicats ne puisse être ce qu'il est, comme Chose freudienne qui parle, que pour autant qu'il est -en s'ouvrant- le sujet signifiant qui existe dans la chaîne signifiante des prédicats, dans sa propre parole de Chose freudienne.
Comme sujet insignifié, la Chose freudienne n'est en état de parler que pour autant qu'elle dispose de la signifiance du sujet du signifiant -voire cette parole où il existe. Il faut considérer, en outre, que la Chose freudienne n'est en état de parler pour le sujet du signifiant qu'en parlant en lui -en le faisant exister dans ce qu'elle parle, dans la chaîne signifiante où le sujet existe. Si la Chose ne parlait pas dans le sujet, alors celui-ci n'existerait pas dans la chaîne signifiante, il n'existerait pas, il n'y aurait personne pour entendre la parole de la Chose, une parole que de toute façon ne serait plus prononcée, pour autant que la Chose n'ex-sisterait plus -comme sujet du signifiant- par rapport à elle-même -comme sujet insignifié-, il n'y aurait donc plus aucune ouverture entre les deux, aucune bouche, aucun lieu -aucun vide signifiant- pour l'Autre, pour prononcer la parole. Notre Chose freudienne cesserait d'être freudienne. Elle se fermerait à nouveau sur soi. Elle redeviendrait la Chose en soi kantienne. Le vase retournerai à sa forme sphérique.
La Chose en-tant-que-soi, en-soi et pour-soi, n'est intelligible, comme Chose freudienne, qu'en tant que sujet parlant, parlant en lui et pour lui. Comme sujet, la Chose freudienne -entendez-moi bien- est une Chose déjà coupée, coupée en étant ouverte et parlante, dès lors que le sujet dont il s'agit est un sujet divisé, divisé précisément à cause du signifiant -ou plus précisément de l'insignifiance du signifiant- de ce que la Chose parle. En raison de ce signifiant, le sujet insignifié, celui qui n'est qu'en étant l'être du sujet de tous les prédicats, doit se détacher -comme insignifiance de l'objet a- de celui du signifiant, celui qui existe dans la chaîne signifiante des prédicats. Par ce détachement -en fonction de la dette symbolique-, par cette absence du sujet de tous les prédicats, il y aura cette succession des prédicats -la parole de la Chose freudienne- qui autrement n'auraient pas raison d'être. En effet, la raison d'être de la chaîne signifiante des prédicats où existe le sujet du signifiant, n'est que l'absence du sujet insignifié de tous les prédicats. Si les prédicats se succèdent, comme les instants de l'existence du sujet du signifiant, c'est pour autant qu'ils n'arrivent pas à signifier le sujet qui reste insignifié. S'il y a encore du signifiant -pourrions nous dire- ce n'est que par l'insignifiance qui l'affecte -cette insignifiance que nous désignons comme objet a, par laquelle la Chose, à signifier par le signifiant, n'a pas été encore signifiée.
Bien que divisé entre le sujet du signifiant et le sujet insignifié, le sujet qu'est la Chose freudienne, ce sujet chosique n'est rien d'autre que ce qu'elle est, alors qu'il n'ex-siste que là où elle aussi elle ex-siste, dans son vide signifiant, dans sa bouche, qui est la bouche du sujet, là où sa parole résonne. Ainsi, la Chose freudienne qui parle pour le sujet et en lui, cette Chose est divisée comme le sujet du signifiant qui existe dans sa parole, elle est divisé d'elle même comme sujet insignifié.
11.4. En plus de parler pour le sujet et en lui, je vous prie de ne pas oublier que la Chose freudienne -comme Ding- parle, qu'elle semble dire quelque chose, qu'elle semble dire des choses -des Sachen- qui sont les signes de sa parole -et parmi ces choses imaginaires qu'elle semble dire, il doit y avoir le moi du sujet, évidemment. Ainsi, en même temps, comme interlocuteurs de la Chose freudienne :
a) Nous sommes ce dont elle nous parle quand elle nous parle d'elle, comme le pragma réel ou ce qui est dénoté.
b) Nous croyons être ce qu'elle semble dire sur nous quand elle parle, comme le sèmaïnomènon imaginaire ou la dénotation.
c) Nous existons dans ce qu'elle parle en nous, comme le sens au niveau symbolique du sèmaïnon.
Indépendamment d'être ce dont la Chose freudienne parle quand elle nous parle d'elle -comme sujets insignifiés de tous ses prédicats-, et en plus d'exister -comme sujets du signifiant- dans ce qu'elle prononce lorsqu'elle parle en nous, nous croyons être ce que nous avons l'impression qu'elle nous dit sur nous lorsqu'elle nous parle -en tant que moi signifié par sa parole. D'ailleurs, le fait de cette croyance n'est vraiment pas surprenant. Au moins, ce fait relativement nouveau ne nous surprend pas autant que celui de la vieille certitude, qui nous apparaît toujours aussi nouvelle et surprenante, concernant l'existence du sujet dans cette parole de la Chose freudienne par laquelle toute croyance est signifiée.
De même que notre moi qui n'est tel objectivement qu'en nous apparaissant parmi les choses qui nous entourent, comme signes de la parole de notre Chose freudienne, nous aussi nous sommes subjectivement, comme sujets du signifiant, le résultat de la parole de cette même Chose, la nôtre, qui ne peut nous dire notre moi -comme notre être imaginaire signifié- qu'en prononçant la chaîne signifiante où nous existons symboliquement -comme sujets du signifiant.
Récapitulons. Notre Chose freudienne, ouverte et parlante, se manifeste, par rapport à nous, en trois sens différents (tableau 36) : nous croyons être l'objet imaginaire qu'elle semble exprimer -notre moi signifié par ses prédicats-, mais notre être ne réside réellement que dans le sujet dont elle parle en nous parlant d'elle -comme sujet insignifié de tous ses prédicats-, alors que nous existons symboliquement comme le sujet qu'elle prononce en nous -le sujet qui existe dans la chaîne signifiante de ses prédicats.
Tableau 36. Manifestations de la Chose freudienne par rapport à nous
Ce dont elle nous parle en nous parlant d'elle |
Ce qu'elle semble exprimer pour nous lorsqu'elle nous parle |
Ce qu'elle prononce en nous lorsqu'elle nous parle |
Notre être |
Ce que nous croyons être |
Notre existence |
Le sujet réel insignifié de tous les prédicats |
Le moi comme objet imaginaire signifié par les prédicats |
Le sujet qui existe symboliquement dans la chaîne signifiante des prédicats |
En ne prenant que ce qui nous est apparemment donné, ou ce qui est donné pour nous dans l'imaginaire, nous méprenons tout le reste, en nous et en tant que nous, dans le réel et dans le symbolique. En nous occupant exclusivement de l'objet imaginaire que la Chose freudienne semble exprimer, nous sommes en état de méprise, d'un coté par rapport à la Chose elle-même, ou à notre être dont elle parle quand elle parle d'elle, et d'autre côté par rapport à sa parole, ou à notre existence dans cette parole.
Puisqu'il n'y a que les choses imaginaires signifiées pour le sujet, puisqu'il n'y a que son moi et ses petit autres pour lui, il devra méprendre -et par là se méprendre- son être réel insignifié, en tant que lui, ainsi que son existence dans la chaîne signifiante, en lui. Dans cette situation, le sujet ne méprendra pas seulement son être et son existence, mais aussi l'adéquation entre les deux, voire même l'adéquation -l'adaequatio rei et intellectus- entre cette existence, ou ce que la Chose freudienne parle en lui, et le semblant d'être -et non pas l'être chosique- des choses qui sont les seules qu'il ne méprise pas, comme ce que la Chose freudienne semble exprimer quand elle lui parle.
Le sujet méprend donc son être et son existence, et en plus, à l'intérieur de son être, le rapport entre les deux, ainsi que le rapport entre l'existence et le semblant d'être qui lui apparaît. Toute cette méprise est d'ailleurs facilement compréhensible. Nous savons déjà que la Chose freudienne, comme vide signifiant de la Chose insignifiée, ne s'ouvre qu'en soi -en tant que vide ou signifiance- et pour soi -en tant qu'insignifiée. Même si en s'ouvrant en soi et pour soi, elle s'ouvre dans le sujet -dans la chaîne signifiante où il existe- et pour lui -dans les choses signifiées de la réalité-, elle ne le fait que dans la mesure où elle est, en tant que soi, indiscernable du sujet, c'est-à-dire dans la mesure où le sujet est le soi de la Chose, voire un sujet chosique, opaque, intransparent -qui n'est pas donc en tant que tel, en tant que soi, en mesure d'assister à sa propre révélation. En fait, le sujet, en tant que lui et non pas en tant que soi, n'assiste qu'à un semblant d'ouverture de la Chose pour lui, voire la réalité imaginaire des choses qui son les signes de la parole de la Chose et qui se déploient devant lui -cette révélation de la réalité signifiée qui n'a rien à voir avec cette autre révélation, qui est un privilège psychotique, du réel insignifié de la Chose freudienne qui s'ouvre pour soi, uniquement pour soi et non pas pour le sujet.
La circonstance que la Chose ne soit ouverte qu'en soi et pour soi, comporte déjà la méprise, par le sujet, de cette ouverture -qui n'est en lui et pour lui qu'en étant en soi et pour soi, voire dans un soi et pour un soi qui n'est pas exactement lui. Cette circonstance comporte aussi la méprise, par le même sujet, de l'adéquation entre les deux ouvertures, celle qui a lieu dans la réalité -comme ouverture de la Chose pour soi- et celle qui s'accomplit dans le sujet -dans son intellect, ou plus précisément, dans la chaîne signifiante où il existe, dans la parole de la Chose qui s'ouvre en soi. En effet, du fait que la Chose ne s'ouvre dans le sujet et pour lui qu'en s'ouvrant en soi et pour soi (11.3), le sujet, en tant que lui, méprendra nécessairement cette ouverture du vide signifiant de la Chose insignifiée (11.1) ; il méprendra, d'une part, cette ouverture en soi et pour soi, qui n'est en lui et pour lui que pour autant que lui n'est plus vraiment lui mais le soi de la Chose, ainsi qu'il méprendra, d'autre part, sa propre vérité, c'est-à-dire l'adéquation, à l'intérieur du soi, entre l'intellect et le réel réel ou la réalité imaginaire, voire l'adéquation entre l'ouverture en soi -comme son existence dans ce que la Chose parle en lui- et l'ouverture soit pour soi -comme son être insignifié dont la Chose lui parle- ou bien pour lui -comme le semblant d'être de la réalité signifiée par la parole de la Chose (11.2).
Lorsque j'affirme que la Chose ne s'ouvre qu'en soi et pour soi, vous devrez bien comprendre -je ne saurais trop insister sur ceci- qu'elle ne s'ouvre dans le sujet et pour lui que pour autant que le sujet, dans cette ouverture, n'est plus déjà lui, mais le soi de la Chose. À ce niveau, le sujet se voit même obligé à se méprendre, dans son être et dans son existence, pour continuer à être lui, comme existant, et ne pas se dissoudre dans le soi de la Chose.
Le sujet, en tant que lui, méprend la Chose freudienne qui ne s'ouvre pas vraiment, en tant que soi, en lui et pour lui, mais seulement en soi et pour soi. Il n'en reste pas moins que le sujet qui méprend ainsi la Chose freudienne, ce sujet est lui-même, à un autre niveau, la Chose qu'il méprend. Nous savons déjà que lorsqu'il méprend la Chose qui s'ouvre en soi et pour soi, le sujet se méprend lui-même dans son être et son existence. Or, ce que nous n'avons pas encore noté, c'est que le sujet, au niveau où il n'est plus discernable de la Chose en tant que soi, ne peut qu'assister à l'ouverture en soi et pour soi de la Chose au moment même où il assiste à sa méprise en lui et pour lui -dans un lapsus ou dans un acte manqué, par exemple. Voici l'idée que Lacan, à mon sens, veut nous transmettre lorsqu'il affirme que la Chose freudienne "rejoint" le sujet "dans la méprise contre laquelle il est sans refuge"70.
La Chose rejoint le sujet dans la méprise. Prenez l'exemple du Saint-Graal. Il apparaît le plus souvent lorsque les chevaliers ne l'attendent pas, et il disparaît tout de suite, sans laisser aucune trace. Alors il est cherché, mais il n'est découvert que lorsqu'il cesse d'être cherché. Rappelons-nous du Lancelot de Malory, qui ne découvre le Graal que lorsqu'il "se met à chevaucher en travers et en long d'une sauvage gaudine, sans suivre voie ni sentier (helde no pathe), ainsi que le menait la folle aventure" (as wyld adventure led hym)71. Par contre, lorsqu'il essaye, dans la Quête, d'approcher le Graal "plusieurs mains se saisissent de lui" pour le lui empêcher72. Quant au Perceval de Chrétien de Troyes, il ne rencontre le Saint-Graal qu'au début, par surprise, avant de commencer à le chercher en vain. À la fin, dans la Quête, le Saint-Graal est emporté par la seule main qui put le prendre, "une main qui descendit du ciel..., alla droit vers le Saint-Vase et le prit..., puis l'emporta dans le ciel"73.
En tant que totalité chosique signifiante, le Saint-Graal est sa propre histoire. Il ne peut donc rejoindre les chevaliers que dans la méprise, lorsqu'ils cessent d'être ce qu'ils sont par rapport à lui, en tant que des sujets à la recherche du Graal, celui-ci en tant que Chose recherchée par les chevaliers. Autrement dit, pour que la Chose qu'est le Graal puisse rejoindre un chevalier, il faut que celui-ci cesse de suivre les traces du Graal. Il faut qu'il cesse d'effacer l'effacement de la Chose, qu'il cesse de chercher à l'approcher. Il faut, bref, qu'ils méprenne sa présence pour lui. Seulement ainsi pourra-t-il, dans cette méprise, avoir l'expérience de la Chose qui n'est présente qu'en soi, pour soi et en tant que soi, voire l'expérience du Saint-Graal en tant qu'histoire du Saint-Graal -histoire signifiante où le Graal insignifié s'ouvre et se parle, dans la mesure où tout ce qui arrive "signifie le Saint-Graal"74 (senefie lou Saint Secré), tout le Graal ne signifiant alors que lui même, puisqu'il n'y a pas d'Autre de l'Autre.
Le sujet aura l'expérience de la présence en soi, pour soi et en tant que soi de la Chose, comme Chose freudienne qui s'ouvre et se parle, au moment où il méprendra sa présence en lui, pour lui et en tant que lui. Plus précisément, le sujet n'aura l'expérience de la présence de la Chose que lorsqu'il méprendra ses représentations réelle -en lui-, imaginaire -pour lui- et symbolique -en tant que lui. En effet, pour se reconnaître, en tant que soi et par rapport au Même, dans l'être réel chosique en soi et pour soi de la Chose, il suffit au sujet de se méconnaître lui-même, par rapport à l'Autre, comme être-autre de l'étron -de l'étant insignifiant ou objet a-, être-pour-un-autre du semblant d'être -du moi imaginaire- et être-là de l'être symbolique langagier -en tant qu'existant dans la chaîne signifiante. Alors, à force de se méprendre comme sujet du signifiant, il se prendra enfin pour le sujet insignifié qu'il est en tant que soi.
Nous voyons que la méprise est le rapport réciproque entre le sujet du signifiant -qui existe dans les prédicats- et le sujet insignifié -qui est celui de tous les prédicats. Entre les deux, bien que toujours érigé du côté du premier, nous pouvons situer l'objet, soit l'objet a insignifiant, comme discontinuité réelle entre les deux sujets, ou bien l'objet signifié, le moi ou le petit autre, comme voile ou discontinuité imaginaire entre les mêmes deux sujets.
11.5. Dernier état de l'être réel chosique par rapport à l'être symbolique langagier, la méprise ferme le cercle de notre cours et nous permet de revenir à notre point de départ. Nous avons maintenant l'impression que la Chose absente dans la parole, ou présente seulement comme l'achose, n'était qu'une présence de la Chose freudienne que le sujet du signifiant méprenait dans sa parole. Grâce à cette méprise, le sujet du signifiant pouvait se prendre pour seulement tel, pour seulement lui, pour un pur existant, un pur être symbolique langagier, un tout Autre de ce qu'il était, en se méprenant comme sujet insignifié, comme être réel chosique, comme le Même de la Chose qu'il était en tant que soi.
Du fait de méprendre la Chose dans la parole, notre sujet du signifiant, qui n'est lui-même que la Chose qui existe dans la signifiance de cette même parole, se méprend lui-même comme Chose ou comme sujet insignifié -ce qui veut dire, au niveau de la parole, qu'il se méprend comme quelque chose d'étranger à la signifiance de la parole, voire l'insignifiance de cet objet a qui tombe de la chaîne signifiante et qui n'est que l'être chosique du sujet dans cette chaîne. De cette manière, en se méprenant comme sujet insignifié, notre sujet peut exister dans cette parole comme un pur sujet du signifiant. Il ne cesse pas pour autant, là où il existe comme être-là, d'être la Chose, mais seulement la Chose qu'il est comme signifiant, là, pour un autre signifiant, là-bas, c'est-à-dire la Chose privilégiée qu'il est en tant que rien.
Si le sujet du signifiant ne méprenait pas, là dans la parole ou dans la chaîne signifiante des prédicats, ce qu'il est ici comme sujet insignifié, alors il n'ex-sisterait plus comme être-là-en-lui, comme sujet du signifiant dans ce que la Chose freudienne parle, par rapport à lui-même, par rapport à son être-ici-pour-soi comme sujet insignifié dont la même Chose freudienne parle. Il n'existerait donc plus dans l'Autre symbolique par rapport au Même réel. Il ne serait plus divisé, par le signifiant, entre son être-ici, ou son être réel chosique, et son être-là, ou son être symbolique langagier.
Si notre sujet du signifiant ne se méprenait pas dans l'achose présente dans la parole, alors cette parole proférée par la Chose freudienne, ce dialogue qui le parle en lui parlant, ne serait plus un dialogue ni une parole, mais le monologue de l'apparole, ce monologue de la Chose avec elle-même, du sujet avec lui-même, ou plutôt du soi avec soi, dans la reconnaissance mutuelle du sujet du signifiant dans le sujet insignifié.
Le monologue de l'apparole, comme échange entre la Chose et sa parole -ou entretien de reconnaissance entre le sujet insignifié et le sujet du signifiant-, implique une adéquation absolue, comme celle de la vérité du mélancolique, entre les pseudo-interlocuteurs en question : entre la parole de la Chose et ce dont la Chose parle quand elle parle d'elle-même, c'est-à-dire entre l'Autre, ou l'Autre du Même, et la Chose, ou l'Autre de l'Autre. Bien entendu, l'Autre, la parole et le sujet du signifiant s'abolissent tous ensemble dans ce monologue. Il ne reste alors que la jouissance d'un exultante sphère, comme Chose non coupée ou sujet non divisé, ainsi que la vérité freudienne, poussée à l'absolu, et l'apparole, voire le silence obstiné du mélancolique.
La parole de la Chose freudienne, si nous l'entendons bien, tombe facilement dans la condition de l'apparole. Et ceci pourquoi ? Tout simplement parce que la Chose, enfermée en soi et qui ne parle en soi que pour soi, n'a forcement rien d'autre qu'elle-même, en tant que soi, à nous dire. Bien entendu, si nous préservons son vide signifiant, nous pourrons le remplir de toutes les choses imaginaires que nous voudrons. Or, ce vide ne serait adéquatement rempli -voire vraiment rempli- que par la Chose insignifié elle-même, d'où il s'ensuit que tout remplissage imaginaire se montrera inadéquat -voire non-vrai, faux et illégitime, pour autant qu'il ne pourra pas satisfaire le critère freudien de vérité comme adaequatio rei et intellectus, adéquation du rei à signifier et de l'intellectus comme vide signifiant. Ainsi, chez Swann, cet objet imaginaire qu'est Odette ne tarda pas à se montrer absolument inadéquat, faux et illégitime, pour remplir ce vide chosique signifiant ouvert par la sonate de Vinteuil, ce vide "réservée à une jouissance qui ne correspondait à aucun objet extérieur"75.
Seulement la Chose insignifiée peut remplir son vide signifiant. Voilà pourquoi, lorsqu'elle nous parle -ou plutôt lorsqu'elle ne cesse pas de nous parler- et que nous osons bien l'entendre, notre Chose freudienne, enfermée en soi, n'a qu'elle-même à nous dire. En effet, il n'y a qu'elle qu'elle puisse nous dire. Ou bien, si vous le préférez, toutes ces choses qui nous entourent et qui ne sont que signes de sa parole, toutes ces choses imaginaires n'ont à nous dire que sa choséité réelle, qui est aussi la nôtre.
La Chose n'a qu'une Chose à nous dire : qu'elle est la Chose qu'elle est. Voici l'identité de la lettre a avec elle-même, a = a, le Loch ist Loch du Freud de 1915. La Chose freudienne qui parle, cette Chose nous le dit clairement. Elle nous dit clairement la seule Chose qu'elle a à nous dire : qu'elle est la Chose qu'elle est. Cette Chose est aussi la seule Chose que nous dit, en dernière analyse, la Chose cartésienne, la "chose qui pense" (res cogitans) ou ce que "je suis"76, quand elle nous dit : "je suis, j'existe" (Ego sum, ego existo), je suis une "chose qui pense", une "chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent"77 (Nempe dubitans, intelligens, affirmans, negans, volens, nolens, imaginans quoque, & sentiens).
La Chose cartésienne qui pense, comme la Chose freudienne qui parle, ces Choses n'ont qu'une Chose à nous dire, à savoir les Choses qu'elles sont, la Chose qu'elles sont, la Chose qui parle ou qui pense, la seule Chose qu'elles nous disent, soit par la parole, soit par la pensée. Voilà exactement ce que nous devons entendre chez Freud aussi bien que chez Descartes. Voilà également ce que doit entendre le pauvre personnage de Moravia, dans ce récit qui n'a autre titre que celui de Une chose est une chose, lorsque dans le cou de sa femme un bouton commença à lui dire la seule chose qu'il avait à lui dire "Je suis un bouton". Puis ce fut le tour des yeux, qui criaient "nous sommes des yeux", et ensuite la "foule vociférante" des autres choses : "Je suis le nez!... Moi, je suis la bouche!"78. Quant à moi, je m'arrête sur cette Chose freudienne, sur cette bouche qui dit si bien sa vérité freudienne, cette "vérité dans la bouche de Freud"79 à laquelle se réfère Lacan, cette vérité dans cette bouche qui ne parle que pour dire qu'elle est une bouche -une bouche qui n'est qu'une bouche, un Loch qui n'est qu'un Loch -un signifiant qui n'est qu'un signifiant comme Chose insignifiée-, en adéquation parfaite avec lui-même, satisfaisant ainsi absolument notre critère freudien de la vérité.
La bouche de sa femme lui informe donc au personnage de Moravia qu'elle est une bouche. Alors ce personnage lui fait une proposition à sa femme, c'est-à-dire à la bouche de la femme : "nous ne parlerons plus". Autrement dit, l'homme ne veut pas là, devant lui, cette Chose freudienne, cette Chose ouverte et parlante, laquelle parle toutefois pour répondre aux oreilles de l'homme : "Je sais, moi, ce que tu désires : tu voudrais que je devienne une chose parmi les choses... Tu voudrais que je sois pareille à ce verre qui est devant nous dans la table"80. J'attire votre attention sur ce verre, sur ce récipient, vase, pot, cruche ou graal, auquel se compare cette femme d'esprit, ou la bouche de cette femme, vous savez bien que c'est égal, Loch ist Loch, ça revient au même -certainement, si le vagin dialoguait, il se serait comparé lui aussi à la même chose.
D'après sa femme, le personnage de Moravia voudrait donc qu'elle soit une Chose, et une Chose précise, un vase. Nous savons qu'elle n'a pas tort. Nous devons être sûrs que cette Chose est ce que l'homme voudrait que sa femme devienne. En effet, ce qui nous intéresse dans la femme, ainsi que dans la Sainte-Vierge -ce "précieux vase de douceur"81- et dans la vie entière -faut-il rappeler nos chevaliers de la Table-Ronde?-, n'est que ce vase, ce qu'il est comme Chose de jouissance, comme Chose axiale et maternelle, avec son vide signifiant comme cause de notre désir et ce qui remplirait ce vide comme objet ultime du même désir.
Après qu'il écoute cette femme qui ne semble pas très attirée par la perspective de devenir une chose telle qu'un vase, le personnage de Moravia sort de chez-lui et rencontre un soldat qui discute avec les choses. "La voix du soldat était humble -note Moravia-, résignée, plate. 'Moi, je suis un soldat', disait-elle. Les choses affirmaient leur identité", celle de a = a, "d'un ton cent fois plus péremptoire : 'Moi, c'est moi. Moi. Il n'y a que moi. Les autres n'existent pas. M'as-tu remarqué?'"82. Paradoxalement, cette Chose cernée de solitude -comme la sphère d'Empédocle-, pour laquelle les autres n'existent pas, prétend toutefois qu'on la remarque. Elle semble ignorer qu'elle n'est qu'en présence d'elle-même, qu'elle ne peut être qu'en présence d'elle-même et de rien d'autre qui puisse la remarquer.
Je vous prie de vous arrêter sur le fait que les choses affirment leur identité d'un ton cent fois plus péremptoire que le soldat. On a même l'impression que celui-ci, dans sa discussion avec les choses, est vaincu par ces choses. Rien d'étonnant à cela. Si chaque chose est une Chose parfaitement chosique, comme celle qui pense chez Descartes, le soldat par contre est une Chose -pour ainsi dire- imparfaitement chosique, comme la Chose freudienne, pour autant qu'elle ne peut aucunement se penser comme la totalité unitaire chosique qu'elle est comme Chose.
Au niveau de sa pensée, aussi bien qu'au niveau de sa parole, notre soldat ne peut aucunement accéder à lui comme totalité unitaire chosique (a = a). Il est un sujet divisé, voire une Chose coupée qui ne peut se rapporter à elle-même que d'une manière indirecte (b ( a), fantasmatique ($ ( a), où -comme le savait déjà Kant et comme le confirme Zizek avec Lacan- "je pense dans la seule mesure où je suis inaccessible à moi-même en tant que chose nouménale qui pense"83. Et ceci pourquoi ? Parce que "je ne suis conscient de moi-même que dans la mesure où je suis hors d'atteinte de moi-même en tant que noyau réel de mon être (moi ou il ou la chose, qui pense)"84.
Par le seul fait d'être pensé, le sujet pensant, ou conscient, n'est plus. Je ne peux atteindre, par la pensée, que ses pensées, ses idées de la Chose qu'il est -que moi est-, mais non pas la Chose, le point chosique -sans yeux comme la sphère du Timée-, opaque et aveugle -ça revient au même-, où je me situe comme sujet. Croire le contraire, en prenant dans le Cogito "les idées des choses pour les choses elles-mêmes", embête naturellement le Bouvard de Flaubert85.
Aussi embêté que Bouvard ou que le soldat ou que n'importe quel autre sujet divisé, même Descartes -pour autant qu'il est divisé de sa Chose qui pense-, le personnage de Moravia se demande finalement si sa femme a raison, si elle est vraiment "une chose parmi d'autre choses"86. Le sujet se demande donc, en mauvais poète courtois, si la Dame dont il est question constitue une Chose freudienne, ouverte et parlante, comme sa bouche, comme le verre, comme le soldat ou comme une trompette puante. Bref, un sujet chosique, un sujet de tous les prédicats.
Comme sujet de tous les prédicats, la Chose freudienne de Moravia, ouverte et parlante, ne parle que d'elle-même. Pire encore, elle ne parle que pour affirmer son identité -à la manière de Descartes : "je parle, donc je suis, je suis je, je suis un je, je suis un je qui parle, je suis ce qui parle, je suis ce je qui parle".
L'affirmation de sa propre identité, d'ailleurs, est le sens le plus profond d'une présence comme celle de la Chose. En étant présente, la Chose nous parle, elle nous parle au moins pour nous dire qu'elle existe -comme la Chose de Caeiro, dont l'unique signification est d'exister. Ainsi, la seule présence d'une Chose est déjà parlante, voire signifiante, pour autant qu'elle affirme, par son existence, l'identité de la Chose qu'elle est. Or, elle ne peut affirmer que ça, précisément ça et rien d'autre, dans une répétition à l'infini de ce qu'elle est -toujours à la même place, du même point de vue et avec la même parole. C'est le cas de ces arbres de Ponge, qui "croient pouvoir dire tout, recouvrir entièrement le monde de paroles variées : ils ne disent que 'les arbres'..., toujours la même feuille, toujours le même mode de dépliement, et la même limite... Tente encore une feuille! -La même! Encore une autre! La même!"87. Ces arbres, comme toute Chose, "ne parviennent jamais qu'à répéter un million de fois la même expression..., la même note, le même mot, la même feuille"88. Ils ne parlent que de ce qu'ils sont. Tout en nous parlant, un arbre ne se divise pas, comme le sujet, par rapport à l'arbre dont il nous parle.
Dans un sujet humain, sa parole -symbolique- n'a rien à voir avec celui qui nous parle -réel- et ce dont il nous parle -imaginaire. Dans un arbre, par contre, la parole est aussi bien l'arbre qui nous parle et l'arbre dont il nous parle. Dans une Chose, la présence réelle est la seule parole, une parole qui ne parle que de cette présence : une feuille, puis la même feuille, et toujours encore la même feuille (a = a = a).
Comme le remarque Merleau-Ponty, "une chose est chose parce que, quoi qu'elle nous dise, elle nous le dit par l'organisation même de ses aspects sensibles", dans "le réel", entendu comme "ce milieu où chaque moment est non seulement inséparable des autres, mais en quelque sorte synonyme des autres, où les 'aspects' se signifient l'un l'autre dans une équivalence absolue ; c'est la plénitude insurpassable"89. C'est la plénitude insurpassable de la Chose qui ne pense pas, qui n'a pas besoin de penser, tout simplement parce qu'elle est remplie d'elle-même, identique à elle-même (a = a), dans une équivalence absolue de ses aspects (a = a = a), dans une synonymie de ses instants (a = a = a = a).
La Chose jouit d'une identité absolue entre ce qu'elle est comme sujet et ce qu'elle est comme objet. Son existence est identique à sa signification -comme dirait Caeiro-, une "signification qui descend dans le monde et se met à exister" -comme dirait Merleau-Ponty90. Elle n'a pas besoin d'un Cogito, elle n'a pas besoin de penser pour être. Elle est d'emblée identique à son moi, et non seulement semblable, comme c'est le cas d'un Descartes ou de n'importe quel soldat italien.
La différence entre la Chose et le sujet humain qu'elle est souvent, c'est la coupure qui la traverse lorsqu'elle est sujet humain, c'est-à-dire sa division, dans la mesure où elle parle, ou -plus précisément- dans la mesure où elle n'est pas ce qu'elle parle (a g b). Une Chose non-parlante, il suffit de la voir pour l'entendre (a = a). Au contraire, pour entendre une Chose parlante, il faut l'entendre, il faut entendre sa parole (b), et non pas seulement la voir ou assister à sa présence -une présence (a) qui ne se révèle à nous, d'ailleurs, qu'au moyen de sa parole. Or, ce que nous aurons alors devant nous, ce ne sera pas la Chose (a), mais autre chose que la Chose (a + b).
Certes, la présence muette d'une chose comporte aussi une parole silencieuse, un énoncé, a + b, sujet + prédicat -"Chose + vase" ou "je suis un vase"-, où la Chose est présente -comme lettre a ou Chose freudienne qui parle au moyen du signe qu'est la chose ou le phénomène en question, a + b, en tant que signifiée par le vide signifiant de la Chose ou du noumène. Or, cette parole du vase n'est pas la sienne, mais celle d'un sujet qui perçoit un vase et qui ajoute une signification de vase (b) à sa seule signification, à sa signification qui descend dans le monde et se met à exister, à son existence de Chose (a).
Remarquez toutefois que la présence de la Chose freudienne dans sa parole, aussi bien que la présence de la Chose muette dans son apparence de vase, n'est toujours qu'en soi et pour soi. La présence de la Chose -comme sujet de l'énonciation- reste derrière la parole -derrière l'énoncé- comme elle reste aussi derrière son silence -derrière son apparence de vase. Même lorsque c'est le soldat qui se présente devant nous, comme un petit autre imaginaire dont la présence affirme qu'il est, "je suis un soldat" (a + b), le soldat existe certainement dans sa parole, il est présent là comme le signifiant "soldat" (b), alors que la Chose ouverte et parlante qu'il est, ce qui est indiqué par le je (a), cette Chose en chair et en os est absente, elle reste quelque part en Italie, très loin de la parole que nous lisons.
Comme la Chose muette est absente dans son apparence, la Chose freudienne, ouverte et parlante, est elle aussi absente dans la parole. Ainsi, paradoxalement, la Chose, comme sujet insignifié de tous les prédicats, est absente, en tant que l'achose (4), dans sa propre parole de Chose freudienne (11.1), comme chaîne des prédicats où existe le sujet du signifiant. De la Chose freudienne qui parle, de cette Chose insignifiée il ne reste, dans la parole, que sa parole, sa parole entourant l'axe -le vortex- de son vide signifiant, qui est celui du vase ou de notre bouche ou manque le sein maternel, ainsi que celui du monde où nous habitons -voire la chaîne signifiante où nous existons. Ce vide est vide, ne l'oublions pas, dans la mesure où l'être réel chosique du sujet manque en lui. Et comment est-ce que cet être peut manquer dans ce vide ? Parce qu'il ignore ce vide. En effet, je vous rappelle que ce vide ne peut se présenter devant le sujet, se présenter suite à la déchirure du voile imaginaire ou de la surface spéculaire -comme vérité absolue ou parfaite adéquation ou complémentarité entre ce qu'il y a ici derrière pour le sujet et ce qu'il y a là devant en lui-, sans aspirer ici l'être-là du sujet, qui manque ici pour lui, et le précipiter -en annulant tout éloignement entre ici et là- en lui, dans un vide signifiant qui n'est plus vide ni signifiant parce qu'il vient de se remplir de la Chose insignifié qu'est devenue toute l'insignifiance de l'objet a -chute dont l'exemple typique est la défenestration du mélancolique.
11.6. Pour ne pas cesser d'exister comme le mélancolique, le sujet doit méprendre le vide signifiant que son être réel remplirait s'il ne le méprenait pas. Ainsi, la Chose pourra être présente en soi et pour soi, et même nous rejoindre dans une expérience de cette présence en tant que soi, tout en étant absente dans le sujet et pour lui. Quant à la place vide dans le sujet et pour lui, quant à cette place qui reste vide comme vide signifiant -par exemple derrière la phrase musicale de Vinteuil- nonobstant la présence en soi et pour soi de la Chose insignifiée, le sujet pourra la voiler ou la remplir de la consistance imaginaire d'un objet sublimé -comme c'est le cas d'Odette chez Swann. En étant mis à la place de la Chose réelle insignifiée, cet objet imaginaire signifié sera élevé par la sublimation à la dignité de la Chose -une sublimation dont la perspicace femme du personnage schizophrénique de Moravia, au contraire d'Odette, ne pouvait pas bénéficier, pour la simple raison qu'il n'y avait là aucune méprise de la Chose ouverte et parlante.
Nous voyons bien que la méprise de la Chose par le sujet, constitue forcement, comme une nécessité de principe, le fondement de la sublimation d'un objet imaginaire. Faute de méprise -ou faute d'inadéquation-, il n'y aura pas dans le sujet et pour lui -dans ses prétendus intellect et réalité- ce vide signifiant, ce gouffre béant qu'est la bouche de la Chose, dans lequel puisse être placé, à manière de signe -pour que la Chose en parle-, cet objet imaginaire signifié ainsi élevé à la dignité de la Chose qu'il voile et masque.
Si l'on juge d'après la nécessité de principe que je viens d'exposer, on aura dans la sublimation un sujet du signifiant, lequel, conformément aux modes propres de la religion ou l'obsession, de l'art ou l'hystérie et de la science ou la paranoïa, méprendra premièrement son vide signifiant, pour mettre ensuite un objet imaginaire signifié à sa place, à la place de la Chose insignifiée, en élevant cet objet à la dignité de la Chose. Pour plus de clarté, maintenant, en récapitulant plusieurs états de la Chose par rapport au symbole, nous pouvons affirmer ceci d'une manière plus précise : le vide signifiant de la Chose insignifiée (10.6) ne sera évité dans la religion et l'obsession, refoulé dans l'art et l'hystérie et forclos dans la science et la paranoïa (8.4), que pour autant que la Chose, qui pâtit d'elle-même en pâtissant du signifiant (8.6) qui l'efface (8.2) ou la meurtrit (8.5), ne peut s'ouvrir en soi et pour soi (11.3) que dans sa méprise par le sujet du signifiant (11.4) dans lequel et pour lequel elle s'ouvre (11.2), tout en étant réduite au rien en tant que lui (6.4) -ainsi qu'absente dans sa parole (3) et perdue.
À juste titre, la méprise apparaît à présent comme la condition sine qua non pas seulement de la sublimation, mais aussi de l'ouverture et la parole de la Chose freudienne. Rien d'étonnant à cela. Notre Chose freudienne, ouverte est parlante exclusivement en soi et pour soi, ne pourra être ainsi ouverte et parlante, et rejoindre le sujet en tant que soi, que dans sa méprise en tant que lui, en lui et pour lui. Ce n'est que grâce à cette méprise -comme évitement ou refoulement ou forclusion- que la bouche de la Chose, la bouche du sujet insignifié, cette bouche peut s'ouvrir, en ouvrant le vide signifiant où résonne sa parole, cette parole de l'inconscient où existe le sujet du signifiant -le sujet hystérique, obsessionnel ou paranoïaque, lequel, tout en habitant dans la bouche de la Chose freudienne, n'est pas vraiment en risque, tel un mélancolique, d'être avalé par le gouffre suprasensible qu'il méprend.
1
Lacan, J. 1960. "Séminaire du 27.01.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 144.2
Proust, M. 1913. "Du côté de chez Swann", in À la recherche du temps perdu, Paris, Laffont, 1987, p. 184.
3
Ibid.
4
Schumann, R. 1850. "Pour la première fois tu m'as fait mal" (Nun hast du mir den ersten Schmerz getan), in L'amour et la vie d'une femme (Frauenliebe und Leben), op. 42, M. Dyer (trad.), Cucuron, Parnassie, 1997.
5
Proust, M. 1913. "Du côté de chez Swann", op. cit., p. 183.
6
Ibid., p. 184.
7
Ibid., pp. 184-185
8
Ibid., p. 190.
9
Ibid., p. 208.
10
Ibid., p. 293.
11
Ibid., p. 205.
12
Ibid., p. 185.
13
Ibid., pp. 184-185
14
Ibid., p. 185.
15
Ibid., p. 205.
16
Ibid., p. 208.
17
Ibid., p. 186.
18
Ibid., p. 208.
19
Ibid., p. 303.
20
Ibid., p. 190.
21
Ibid., p. 190.
22
Ibid., p. 185.
23
Ibid., p. 185.
24
Ibid., p. 185.
25
Ibid., p. 190.
26
Goethe, J. W. 1831, Faust, G. de Nerval (trad.), Paris, Bookking, 1999, pp. 51-52.
27
Proust, M. 1913. "Du côté de chez Swann", op. cit., p. 252.
28
Ibid., p. 292.
29
Ibid., p. 291.
30
Ibid., p. 184.
31
Ibid., p. 205.
32
Ibid., p. 205.
33
Ibid., p. 205.
34
Proust, M. 1913. "Du côté de chez Swann", op. cit., p. 185.
35
Ibid., p. 190.
36
Ibid., p. 185.
37
Ibid., p. 303.
38
Ibid., p. 252.
39
Ibid., p. 205.
40
Ibid., p. 291.
41
Ponge, F. 1942. Le parti pris des choses, Paris, Gallimard, 2003, p. 77.
42
Robert de Boron, 1200, Le roman de l'histoire du Graal, op. cit., vers 2550, p. 52.
43
Malory, T. 1485. Le roman d'Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, op. cit., p. 193.
44
Anonyme, 1250, Le roman de Tristan en prose (version I), Paris, Champion, 1997, I, XII, 29, p. 499.
45
Malory, T. 1485. Le roman d'Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, op. cit., pp. 145-146.
46
Ibid., pp. 144-145.
47
Lacan, J. 1965. "La science et la vérité", in Écrits, op. cit., vol. II, p. 349.
48
Robert de Boron, 1200, Le roman de l'histoire du Graal, op. cit., vers 2711, p. 54.
49
Robert de Boron (attribué), 1250, Merlin et Arthur : le Graal et le royaume, E. Baumgartner (trad.), Paris, Laffont, 1989, p. 407.
50
Lacan, J. 1956. "Séance du 05.12.56", in La relation d'objet, op. cit., p. 48.
51
Lacan, J. 1955. "La chose freudienne ou Sens du retour à Freud en psychanalyse", in Écrits, op. cit., vol. I, pp. 406-408.
52
Ibid., p. 417.
53
Ibid., p. 432.
54
Lacan, J. 1960. "Séminaire du 10.02.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 184.
55
Lacan, J. 1965. "La science et la vérité", in Écrits, op. cit., vol. II, p. 349.
56
Ibid., p. 351.
57
Lacan, J. 1971. "Séminaire du 09.06.71", in D'un discours qui ne serait pas du semblant
58
Anonyme, 1220, La quête du Saint-Graal, op. cit., pp. 239-240.
59
Robert de Boron (attribué), 1250, Merlin et Arthur : le Graal et le royaume, op. cit., p. 406.
60
Anonyme, 1220, La quête du Saint-Graal, op. cit., p. 239.
61
Anonyme, 1200, Première continuation de Perceval, op. cit., vers 7300, p. 483.
62
Ibid., p. 30.
63
Eschenbach, W. 1200. Parzival, op. cit., V, p. 208.
64
Malory, T. 1485. Le Roman d'Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, op. cit., p. 145.
65
Chrétien de Troyes, 1185, "Perceval ou le conte du Graal", op. cit., vers 6424, p 843.
66
Manessier, 1200, "The Third Continuation", in The Continuations of the Old French Perceval of Chrétien de Troyes, op. cit., vers. 42586, p. 341.
67
Anonyme, 1250, Le roman de Tristan en prose (version 2), op. cit., vol. VIII, 15, p. 82. Traduction en français moderne : vol. VIII, 15, p. 19
68
Anonyme, 1220, La quête du Saint-Graal, op. cit., p. 68.
69
Miller, J.-A. 1996. "Le monologue de l'apparole", in La Cause freudienne, 34, Paris, ECF, 10.96, p. 13.
70
Lacan, J. 1955. "La chose freudienne ou Sens du retour à Freud en psychanalyse", op. cit., pp. 406-408.
71
Malory, T. 1485. Le Roman d'Arthur et des chevaliers de la Table Ronde, op. cit., p. 157.
72
Anonyme, 1220, La quête du Saint-Graal, op. cit., p. 227.
73
Ibid., p. 246.
74
Anonyme, 1200, "The second continuation", in The continuations of the old French Perceval of Chrétien de Troyes, op. cit., vers 34599, p. 500.
75
Proust, M. 1913. "Du côté de chez Swann", op. cit., p. 205.
76
Descartes, R. 1639. Méditations métaphysiques, Luynes et Clerselier (trad.), Flammarion, Paris, 1979, I, AT IX 20-34, pp. 70-95, AT IX 62, p. 175.
77
Ibid., II, AT IX 22, pp. 84-87.
78
Moravia, A. 1967. Une chose n'est qu'une chose, S. de Vergennes (trad.), Paris, Flammarion, 1968, p. 181.
79
Lacan, J. 1955. "La chose freudienne ou Sens du retour à Freud en psychanalyse", in Écrits, op. cit., vol. I, pp. 406-408.
80
Moravia, A. 1967. Une chose n'est qu'une chose, op. cit., p. 182.
81
Guillaume de Vinier, 1200, "Virgene, pucel roiauz", in Poèmes d'amour des XII et XIII siècles, op. cit., p. 219.
82
Moravia, A. 1967. Une chose n'est qu'une chose, op. cit., p. 184.
83
Zizek, S. 1994. "Moi, il ou la chose qui pense (première partie)", op. cit., p. 115.
84
Ibid., p. 116.
85
Flaubert, G. 1881. Bouvard et Pécuchet, op. cit., p. 196.
86
Moravia, A. 1967. Une chose n'est qu'une chose, op. cit., p. 185.
87
Ponge, F. 1942. Le parti pris des choses, Paris, Gallimard, 2003, p. 48.
88
Ibid., p. 81.
89
Merleau-Ponty, M. 1945. Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, p. 373.
90
Ibid., p. 369.