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LA CHOSE DE FREUD ET LACAN : COURS DE DAVID PAVON CUELLAR A L'UNIVERSITE DE PARIS VIII (2003-2004) http://www.ding.fr.tc


Au moment où il se jette par la fenêtre, le mélancolique est avalé par la bouche de la Chose freudienne, par ce vide signifiant de l'inconscient, par ce lieu où résonne le discours de l'Autre, par ce gouffre suprasensible qu'il méprend. La Chose peut alors se remplir de ce qui lui manque et se fermer à nouveau en soi. Le vase désirant, parlant et signifiant, redevient l'exultante sphère d'Empédocle ou du Timée, la sphère cernée de solitude, silencieuse, qui a tout ce qu'elle lui faut à l'intérieur d'elle même.

La Chose freudienne qui parle d'elle-même au personnage de Moravia, cette Chose qui est toujours ce qu'elle est et rien d'autre (a=a), cette Chose devrait se taire une fois qu'elle remplit sa bouche de la charogne du mélancolique. Elle devrait se taire, et pourtant ça lui arrive de parler. C'est le cas, dans Les choses parlent de João Barreira, de cette "figure en pierre, surgissant du feuillage d'un chapiteau"1, sous les pieds de son propre sculpteur, qui vient de se pendre au milieu de son oeuvre.

La Chose de Barreira parle donc au cadavre de son créateur, elle lui dit "ses mots de mélancolie", qui n'ont rien à voir avec les mots des Choses de Moravia : "Mort immobile, entends ce que te dit la matière immobile, la matière brute qu'à travers le frémissement de tes mains passa de sa nature brute aux apparences de la vie"2. Ce passage, qui est celui hégélien et heideggerien de la fermeture à l'ouverture de la Chose freudienne, se montre là sous l'angle imaginaire, comme passage de l'obscurité réelle à la lumière imaginaire -de l'être-en-soi de la Chose à son être-pour-un-autre.

L'ouverture de la Chose fermée en soi, son ouverture à la lumière spéculaire de l'imaginaire, commence par les temps où la figure qui parle était "roche arrachée de l'obscurité inerte de la montagne natale". C'est là où elle se "refléta dans le regard" de son créateur, où elle se vit tout de suite comme elle devient plus tard, en s'apercevant que le "clair miroir dans le visage" de son sculpteur (claro espelho da tua face) était un "très délicat receptacle qui acceuillait l'essence des choses" (delicadissimo receptaculo que recolhia a essencia das coisas).

À partir de la reconnaissance spéculaire entre la créature et son créateur, comme expression -et en même temps recouvrement imaginaire- de la véritable adéquation entre la parole de la Chose suprasensible et celle de la Chose inconsciente, nous arrivons, derrière le miroir, à la particularité mélancolique de cet artiste qui ne peut "identifier la ligne de la beauté" qu'à la "courbe des sphères"3. Ici, dans cette forme topologique de la mélancolie, la pensée de notre sculpteur, "devant la dure pierre" (rocha dura) -cette même "dure pierre" que nous retrouvons chez Walter Benjamin comme une "allusion au concept en réalité théologique du mélancolique"4- était "portée vers l'absolu, essayant de se fixer dans une expression d'éternité"5.

Mélancolie, suicide, sphère, absolu, éternité... Je ne puis résister ici d'évoquer le syndrome de Cotard propre à la mélancolie, et particulièrement le délire d'immortalité propre à ce syndrome, ainsi que les planètes de Lacan, ces planètes "qui ne parlent pas" parce "qu'ils n'ont pas de bouche" -comme les "très vieilles filles" qui souffrent du syndrome de Cotard, identifiées à "une image où manquent toute béance, toute aspiration, tout vide du désir, à savoir ce qui proprement constitue la propriété de l'orifice buccal"6. Je ne puis résister là d'évoquer ceci, d'autant plus que l'artiste dont il s'agit, Filippo Calendario, sculpta précisément "la formation des planètes"7 là où il se suicida. Quant au syndrome de Cotard, il y a une raison encore plus forte, et vraiment surprenante, pour l'évoquer ici. Je vous la découvre : João Barreira, l'auteur de ce livre intitulé Les Choses parlent (As coisas falam), où une Chose parle de la sphère et de l'éternité à son créateur qui vient de se suicider, ce portugais qui fut médecin et historien et critique d'art, ami de Zola et d'Edmond de Goncourt, mais aussi disciple de Charcot, ce médecin fit sa thèse sur le syndrome de Cotard, en 1892. Cette thèse qui fut jadis citée par Séglas, cette thèse qui est aujourd'hui inconnue en France, inconnue apparemment par tous les spécialistes du syndrome de Cotard, me semble un des travaux les plus intéressants à propos de ce syndrome mélancolique.

La thèse de Barreira, à laquelle m'a conduit Séglas, cette thèse je viens de la découvrir, il y a deux semaines, dans un hôpital de Porto. En la lisant, j'ai été frappé surtout par sa référence, pour expliquer le délire mélancolique, aux "idées élémentaires, inconscientes ou réflexives"8, comme des "explications inconscientes" dont le résultat est le délire, des explications qui "mutuellement se méconnaissent" (mutuamente se desconhecerem), mais qui peuvent également se "systématiser" par des "liens inexplicables9. Je vous prie de bien vouloir voir ici, dans cette intuition de Barreira, l'inconscient comme discours de l'Autre, c'est-à-dire la parole qui sort de la seule bouche du mélancolique, la bouche de la Chose freudienne, la bouche qui parle de la sphère et de l'éternité à la charogne qu'est Filippo Calendario, la bouche par laquelle est avalé ce mélancolique lors de son suicide, le suicide qui remplit cette bouche qui se fermera pour toujours, qui ne parlera plus "ses mots de mélancolie", puisqu'elle ne sera plus, dans la mesure où les planètes, à la différence de la femme su personnage de Moravia, n'ont pas de bouche.

Et pourtant, chez Barreira, la Chose créée parle à son créateur. À un moment donnée elle lui dit : "dans le morceau d'argile que tu pétrissait..., tu voyais l'univers concentré..., l'âme consubstantiée" (no pedaço de barro que amassabas..., vias concentrado o universo..., consubstanciada a alma)10. Voici le surgissement, par la sublimation, d'une représentation imaginaire élevée à la dignité de la représentation réelle -soit une Sachvorstellung élevée à la dignité d'une Dingvorstellung. Remarquez bien que dans cette représentation réelle opère la consubstantiation, voire la transsubstantiation eucharistique par laquelle se présente la Chose représentée, voire le corps du Christ, ou bien, chez Barreira, cette Chose qu'est l'univers de Pessoa.

Le personnage de Barreira crée l'univers, la Chose qu'est l'univers de Pessoa, à partir d'un morceau d'argile. Ensuite, ce morceau d'argile commence à lui parler. Et il continue à lui parler même après sa mort. En ceci, l'expérience du personnage de Barreira est semblable à celle de notre Dieu, le suprême potier qui "forma l'homme de la poussière de la terre"11, et qui doit supporter, même après sa mort -lorsqu'il n'y a plus d'Autre puisqu'il n'y a plus d'Autre de l'Autre-, notre parole, celle de la Chose freudienne, celle du pot qu'est l'univers humain.

À propos du pot et du potier suprême qu'est notre Dieu, permettez-moi de vous rappeler quelques témoignages -au moins les plus importants que nous rencontrons dans la Bible.

Il y a d'abord l'établissement de la métaphore du pot humain et du potier divin, ainsi que le constat du pouvoir du potier, son pouvoir de façonner le pot à sa guise, mais son pouvoir aussi de le briser quand il veut. Ainsi, dans L'Ecclésiastique nous lisons : "Comme l'argile dans la main du potier, qui la façonne selon son bon plaisir, ainsi les hommes dans la main de leur Créateur qui les rétribue selon sa justice"12. Dans le même sens, chez Jérémie, Yahvé assure que nous sommes dans ses mains "comme l'argile dans la main du potier"13, et qu'il peut nous briser "comme on brise un vase de potier, qu'on ne réparera plus"14.

Une fois établi, chez Isaïe, que "nous sommes l'argile" et que Yahvé "est notre potier"15, il faut mettre au point le rapport entre l'argile et le potier. Il faut, notamment, que l'argile se conforme à la circonstance de n'être que de l'argile dans les mains du potier : "Le potier est-il comme de l'argile ? Une oeuvre peut-elle dire de son ouvrier : 'je ne suis pas son oeuvre' ? Et un pot dire de son potier : 'Il est stupide' ?"16. Et Isaïe insiste : "Discute-t-elle avec celui qui l'a façonnée, la jarre prise entre les jarres de terre ? L'argile dit-elle à celui qui la façonne : 'Que fais-tu ?'"17. En conformité avec Isaïe, Paul s'exclame, dans l'Épître aux Romains : "O homme ! Vraiment, qui es-tu pour disputer avec Dieu ? L'oeuvre va-t-elle dire à celui qui l'a modelée : pourquoi m'as-tu faite ainsi ? Le potier n'est-il pas maître de son argile pour fabriquer de la même pâte un vase de luxe ou un vase ordinaire ?"18.

Le potier peut façonner son pot selon sa propre volonté, sans que le pot ait le droit de protester. Ceci posé, Paul commence à expliquer : "Si Dieu, voulant manifester sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté avec beaucoup de longanimité des vases de colère tout prêts pour la perdition, dans le dessein de manifester la richesse de sa gloire envers des vases de miséricorde qu'il a d'avance préparés pour la gloire, envers nous qu'il a d'avance préparés pour la gloire, envers nous qu'il a appelés non seulement d'entre les Juifs mais aussi d'entre les païens..."19. L'explication de Paul reste ici en suspens.

On aurait l'impression, en lisant Paul, que tout dépend de la volonté du potier, à laquelle doit se soumettre absolument le pot. Nous croyons confirmer ceci dans la Deuxième Épître à Timothée, où Paul écrit : "Dans une grande maison, il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent ; il en est aussi de bois et d'argile. Les uns sont réservés aux usages nobles, les autres aux usages vulgaires". Tout semble donc dépendre du potier, du matériel qu'il utilise pour façonner chaque pot. Or, dans le paragraphe suivant nous lisons, avec étonnement : "Si quelqu'un se préserve des fautes dont je parle, il sera un vase noble, sanctifié, utile au Maître, propre à toute oeuvre bonne"20. En plus de la volonté de notre potier, il y a donc aussi notre volonté de pot, notre libre arbitre, le choix de notre matière. Il ne faut pas oublier que nous sommes l'argile et que Dieu ne fait que nous façonner. Et pourtant, c'est lui aussi qui a créé l'argile, ex nihilo, et c'est lui aussi qui fait le choix de l'argile qu'il utilise pour chaque pot.

Si nous nous arrêtons sur notre dernière objection, laquelle semble irréfutable, toute la responsabilité de nos actes retombe irrémédiablement sur Dieu. En étant celui qui a créé l'argile et qui a fait son choix de l'argile pour chaque pot qu'il a lui-même façonné, on ne voit pas où peut résider le libre arbitre de la Chose que nous sommes. On ne voit pas non plus quel peut être le sens de l'éthique des créatures. Sans aucun libre arbitre, il n'y a aucune place pour l'éthique -même pas pour une éthique de la psychanalyse.

Pour accepter la possibilité de notre libre arbitre, et pour justifier du même coup l'existence d'une éthique des créatures, il faut concevoir le travail du potier comme métaphore d'une logique signifiante, au niveau de l'inconscient, en dehors de la conscience, dans l'éternité de Dieu, indépendamment du temps et de l'espace -indépendamment donc, pour le dire à la manière kantienne, des formes pures a priori de l'intuition sensible. Pour concevoir de cette manière le travail du potier, il suffit de nous laisser convaincre par ce qu'Origène peut nous dire à ce propos.

Notre dernière objection au libre arbitre attribuait trois fonctions au potier : la création de l'argile, le choix de l'argile pour chaque pot et le façonnement de chaque pot. Pour défendre le libre arbitre, Origène commence par supprimer les deux premières fonctions. Comment le fait-il ? En partant du principe que "toutes les âmes raisonnables ont une seule nature, de même que le potier a à sa disposition une seule pâte"21. Si l'argile est toujours la même, sa création et son choix ne sont plus des facteurs vraiment importants pour la discussion du libre arbitre. Il reste pourtant le façonnement de chaque pot. C'est là où Origène renverse le problème en sortant du temps et de l'espace. Pour cela, il considère les "mérites" -les mérites de ce qui est déjà créé- comme des "causes antécédentes" de sa création : "puisque unique est la nature des créatures raisonnables, c'est d'elle que Dieu, d'après les causes antécédentes que sont les mérites, a façonné et créé, comme le potier à partir d'une unique pâte, les uns pour l'honneur et les autres pour le déshonneur"22.

C'est Dieu qui façonne les pots, certes, mais il ne les façonner que d'après ses mérites ultérieurs, c'est-à-dire d'après ce qu'il seront une fois qu'ils seront façonnés. Pour éclairer cette logique, il convient d'utiliser le temps de l'inconscient, le futur antérieur. Nous dirons alors que l'origine de la créature aura obéit à son destin, au même destin qui aura été déterminé par l'origine, un destin qui aura dépendu toutefois entièrement du libre arbitre de la créature. Par ce libre arbitre, la créature aura précipité un destin qui aura déterminé, avant qu'elle soit la créature qu'elle aura été, son façonnement par le créateur. Voici à peu près comment comprendra Origène l'épître de Paul à Timothée : "Si quelqu'un se purifie, il devient un vase honorable, mais s'il néglige de se nettoyer de ses impuretés, il devient un vase de déshonneur... La cause des actes ne peut aucunement être rapportée au créateur..., c'est selon ses mérites que chacun est fait par Dieu un vase d'honneur ou de déshonneur"23. Évidemment, pour contester cette idée, nous pourrions toujours demander à Origène : mais comment peut avoir déjà des mérites un vase qui n'existe pas encore, un vase qui n'a pas encore été façonné ? Un Origène freudien pourrait nous répondre : dans l'éternité de Dieu, qui est celle intemporelle de votre inconscient, le vase -en tant que Chose signifiante- aura forcement déjà existé, il aura forcement déjà été façonné, au moment où il aura été créé et façonné d'après ses mérites, c'est-à-dire d'après la manière dont il aura existé, d'après la manière dont il aura été façonné. Autrement dit, les mérites sont inhérents au vase, ils sont déjà là, en lui, dès le début. De manière analogue, l'histoire du sujet insignifié en tant que signifiant, cette histoire est déjà là, en lui, dès l'origine. Suivant cette histoire, le sujet accomplira librement son destin. Son éthique sera précisément celle qui lui permettra d'aller ainsi, librement, guidé par son désir, là où il doit aller, de son origine à son destin, de son destin encore inaccompli à son destin déjà accompli -de l'oracle jusqu'à la fin de la trajectoire tragique.

Pour développer logiquement son explication du libre arbitre, Origène distingue "deux natures" dans l'homme. L'une "invisible", "incorporelle" et "raisonnable", ainsi que "douée de libre arbitre". L'autre, "visible", "corporelle" et "façonnée" par Dieu, lequel "peut la transmuer et la transformer en n'importe quelle forme ou apparence, selon ce que demandent les mérites des choses (rerum merita)"24.

La distinction d'Origène n'est pas sans rapport avec notre distinction entre le sujet chosique, le sujet insignifié de tous les prédicats, et son moi objectif, ou l'objet signifié par les prédicats -c'est-à-dire entre la Chose, en tant que chose-en-soi, et une chose, en tant que chose-pour-nous. C'est ainsi que la distinction d'Origène réapparaît, chez Kant, comme une distinction, au sein du sujet, entre "liberté et nature", entre "cause intelligible et cause sensible", entre "noumène et phénomène" : entre le sujet comme noumène, "affranchi de toute influence de la sensibilité et de toute détermination par des phénomènes", voire "indépendant et libre de toute nécessité naturelle", et le moi ou le sujet comme phénomène, comme "partie du monde sensible", soumis "à toutes les lois de la détermination opérée par la liaison causale"25.

Soit dans la version d'Origène ou dans celle de Kant, la distinction entre la volonté de l'homme et la volonté de Dieu, cette distinction peut se comprendre, dans notre version lacanienne, comme une distinction entre la Chose libre insignifiée, signifiante et déterminante, du côté du sujet, et l'objet non-libre, signifié et déterminé, du côté du moi du sujet (tableau 37). Nous retournons ainsi à la distinction entre le symbolique actif, exprimé par la terminaison du gérondif ou du participe présent, et l'imaginaire passif, tel qu'il se manifeste dans la terminaison du participe passé. En considérant cette distinction, nous pourrons comprendre, dans une relecture d'Origène, que d'un côté, comme objet façonné ou déterminé par le potier -en participe passé-, le pot -comme signifié- n'est certainement pas libre, mais que d'un autre côté, comme Chose méritant ou déterminant son façonnement -en participe présent-, le même pot -comme signifiant- ne peut manquer aucunement de libre arbitre.

Tableau 37. La Chose libre.

Objet non-libre, signifié Chose libre, insignifiée, signifiante
Volonté de Dieu Volonté de l'homme
Imaginaire passif, déterminé Symbolique actif, déterminant
Pot : objet façonné par le potier Pot : Chose méritant son façonnement
Phénomène, cause sensible, nature Noumène, cause intelligible, liberté

La simultanéité, dans un même sujet, entre son libre arbitre déterminant -signifiant- et la nature déterminée -signifiée- ou la volonté de Dieu -ou de l'Autre-, cette simultanéité ne va pas de soi. Elle est discutable, même absurde, au moins illogique. Au premier abord, le sens commun la rejette. En outre, puisqu'elle implique la division du sujet, elle est repoussante, difficilement acceptable. Rien d'étonnant alors qu'elle ait été si souvent contestée, aussi bien par les partisans du libre arbitre que par ses adversaires -souvent partisans de l'omnipotence divine.

Dans la célèbre querelle entre Erasme et Luther à propos du libre arbitre, le premier défendait la simultanéité du libre arbitre et de la volonté de Dieu dans un même sujet, alors que le second la contestait, en arguant de "la toute-puissance et la prescience de Dieu", lesquelles "aboliraient", à ses yeux, "le dogme du libre arbitre"26. Là, chez Luther, la nature déterminée ou signifiée, en tant que volonté diabolique et non pas seulement en tant que volonté divine, l'emporte sur le libre arbitre déterminant ou signifiant. Dans l'optique luthérienne, en effet, les hommes sont "portés vers le mal"27, car ils ne sont "que chair"28, ils sont "aveuglés et endurcis par la chair", ils "ne peuvent rien savoir et rien penser en dehors de la chair", comme quoi "leur libre arbitre ne peut leur servir qu'à pêcher"29.

Luther arrive trop loin dans son opposition au libre arbitre. En considérant les sujets comme des simples instruments, il affirme que "la faute réside" dans ces instruments, "à qui Dieu ne permet de rester oisifs, de sorte que le mal arrive par l'impulsion de Dieu" -pour autant que "la nature ne permet pas" au sujet "de demeurer en repos, mais il doit vouloir, désirer et agir conformément à sa nature mauvaise"30. Le sujet n'est plus ici divisé entre sa liberté humaine et la volonté divine, mais il est tout à fait possédé par sa nature humaine. Il ne peut rien contre elle. Ce n'est même pas son destin inévitable, mais sa condition invariable. Toute éthique semble inutile.

Avec des idées comme celles que nous venons de mentionner, Luther, en 1525 -dans son Du Serf Arbitre-, veut répondre à Erasme, lequel, en 1524 -dans son Du Libre Arbitre-, l'avait critiqué, en désapprouvant "ceux qui veulent tout attribuer à la pure nécessité"31. Sa critique, Erasme la fonde sur la métaphore du potier. En se référant à un passage de la seconde épître de Paul à Timothée, que nous avons déjà cité -"si quelqu'un se préserve de ces fautes, il sera un vase noble"-, Erasme se demande : "comment pourrait-il se purifier, celui qui ne fait rien du tout?"32. Après cette remarque, Erasme mène jusqu'à ses dernières conséquences la négation du libre arbitre : "Si l'homme est pour Dieu dans la situation de l'argile entre les mains du potier, quelle que soit la manière dont le vase est modelé, on l'imputera seulement au potier, surtout s'il a la capacité de créer et de doser à sa guise la glaise elle-même". De cette manière, "le vase, pour n'avoir rien mérité puisqu'il n'est pas autonome, est jeté au feu éternel". Contre cette idée, Erasme suit le même raisonnement d'Origène : "notre potier fait bien un vase dégradant, mais en vertu des mérites antérieurs, comme il a rejeté certains juifs à cause de leur incrédulité, de même qu'il a fait des païens un vase honorable à cause de leur foi"33.

Devant le raisonnement d'Erasme, la réplique de Luther allègue l'épître de Paul aux Romains pour argumenter que les "comparaisons" des hommes à l'argile et de Dieu au potier "n'auraient aucun sens et seraient faites en vain, si elles ne signifiaient que notre liberté n'existe pas", que "nous ne pouvons rien, même quand nous paraissons faire le bien"34.

Du point de vue luthérien, le sujet, comme Chose créée d'une certaine manière par Dieu, ne peut rien contre sa condition, contre la manière dont il a été créée. Le sujet ne peut rien, il n'est pas libre, il n'est qu'une Chose créée, tel un pot qui sort des mains du potier. Dans son Éthique, Lacan nous découvre ce qui est ici en jeu : contre la position d'Erasme, selon laquelle "les oeuvres, les bonnes oeuvres, n'étaient pas rien..., et la tradition des philosophes, celle du Souverain Bien, n'était pas à jeter aux orties", Luther accentue "le caractère radicalement mauvais du rapport que l'homme entretient avec l'homme", et il situe dans ce rapport "ce qui est au coeur de son destin" d'homme, "cette Ding, cette causa..., la causa pathomenon"35.

La Chose luthérienne, la causa pathomenon qu'est au coeur du destin subjectif, le sujet de tous les prédicats où existe le sujet du signifiant, cette Chose mauvaise, bien qu'elle ne puisse rien contre sa condition, elle peut quand même, à l'instar de la Chose freudienne, parler pour témoigner de cette condition. Elle dit qu'elle ne peut rien, qu'elle n'est pas libre, qu'elle est irrémédiablement portée vers le mal, que sa liberté ne peut lui servir qu'à pêcher, qu'elle est aveuglée et endurcie par la chair. Ce que la Chose luthérienne dit, en somme, c'est qu'elle n'est pas seulement signifiante, qu'elle n'est pas un vide signifiant, qu'elle n'est pas vraiment un vase vide, mais un vase plein, plein de mal, plein de chair -plein de la chair mauvaise qui s'est précipité comme insignifiance dans son intérieur. Notez bien que ce discours de la Chose luthérienne, qui ne laisse aucune place pour une véritable éthique -fondé sur la signifiance ou la liberté du sujet-, est très semblable à celui du mélancolique -lequel se précipite aussi à l'intérieur du vide signifiant, pour le remplir de sa chair, de son mal, de son insignifiance. C'est d'ailleurs le discours d'un homme, Luther, qui se décrivait lui-même comme un mélancolique, "né sous l'influence de Saturne" et "assailli de tristesse, de désespoir et d'autres peines du coeur".

À l'opposé de la Chose mélancolique luthérienne, il y a la conception éthique ou perverse -nous expliquerons aujourd'hui pourquoi perverse- d'Origène, d'Erasme et de Kant. C'est la conception d'un sujet divisé entre la volonté divine et son libre arbitre, entre nature et liberté, entre la causa pathomenon de Lacan et la causa noumenon de Kant, entre sensibilité et intelligibilité, entre l'objet non-libre, signifié et déterminé, du côté du moi du sujet, et la Chose libre insignifiée, signifiante et déterminante, du côté du sujet. Ici, dans la conception éthique ou perverse, le vide chosique signifiant du vase est préservé, il n'est pas rempli, d'une manière mélancolique, par l'insignifiance qu'est la chair mauvaise chez Luther. Il n'en reste pas moins que dans cette conception, aussi bien que dans celle du mélancolique, il y a pour le sujet une certaine présence ou proximité de la Chose en tant que Chose, en tant que vide chosique : une proximité ou présence relative qui contraste avec l'éloignement ou l'absence aussi relative que nous avons repéré dans la paranoïa, l'hystérie et la névrose obsessionnelle. À titre seulement indicatif, sans que l'indication n'ait aucune valeur théorique explicative, il est possible quand même affirmer que la Chose, ouverte pour le sujet, ne sera jamais aussi proche de lui, ou aussi relativement présente pour soi, que dans la perversion et la mélancolie.

Un pervers est presque aussi près de la Chose qu'un mélancolique. De même que dans la mélancolie, dans la perversion le sujet ne craint pas de jouer le rôle du soi de la Chose -de la Chose présente en soi, pour soi et en tant que soi. Or, à la différence du mélancolique, lequel joue le rôle de soi dans l'en soi de la Chose, en remplissant -en tant qu'objet a- l'ouverture chosique -l'Autre désirant-, le pervers joue plutôt ce même rôle dans le pour soi, en laissant vide l'ouverture à laquelle il s'identifie -celle de l'Autre-, l'ouverture que le mélancolique remplit.

À la différence de la mélancolie, où la chair mauvaise du sujet bourre d'emblée toute ouverture de la Chose, dans la perversion l'ouverture chosique reste vide, elle reste signifiante, elle est un vase qui peut alors se remplir de n'importe quoi, du bien aussi bien que du mal. C'est le sujet libre qui décide, à chaque moment, de quoi la remplir. Ce sujet peut donc tout -et non pas rien, comme le mélancolique. Néanmoins, le sujet pervers continue, en même temps, à ne rien pouvoir, dans la mesure où le vase ne peut se remplir que de ce dont il peut se remplir -ce dont la plénitude aura été son destin dès l'origine. En fait, le vase n'est signifiant que dans un sens particulier, il est déjà fait pour un certain usage noble ou vulgaire -selon Paul-, il est déjà façonné d'une certaine manière, d'après ses mérites -selon Origène. Sans être plein, il n'est pas tout à fait vide. Il n'est certainement pas rempli d'une matière réelle, comme la charogne du mélancolique, mais il est toutefois rempli d'une certaine forme symbolique, d'une certaine signifiance, par exemple celle du fantasme pervers, celle de l'impératif catégorique kantien ou celle du mérite chez Origène et Erasme.

Dans la tradition qui va de Paul jusqu'à Kant et Sade en passant par Origène et Erasme, le vide chosique signifiant, tout en étant reconnu, il est en même temps dénié, sans être pour autant rempli. Le vase reste vide, son vide est reconnu, mais non pas accepté. C'est exactement la position de la Mme. de Saint-Ange de Sade, lorsque Eugènie lui demande "ce que signifie matrice". Elle répond : "c'est une espèce de vase, ressemblant à une bouteille, dont le col embrasse le membre de l'homme"36. Dans le vase et la bouteille, le vide est certes reconnu. Cependant, au niveau du col, ce vide n'est pas accepté : il est rempli d'une certaine forme symbolique, celle du membre de l'homme -ou plus précisément celle fantasmatique, en tant que formule signifiante, d'être ce qui embrasse le membre de l'homme.

Eugènie demande "ce que signifie matrice". On voit bien ce que la matrice, comme signifiant, signifie pour Mme. de Saint Ange. Elle signifie le membre de l'homme. Son col embrasse ce membre. Mme. De Saint-Ange ne dit pas que le col de la matrice peut embrasser le col de l'homme, ou qu'il arrive souvent que le col de la matrice embrasse le col de l'homme. Elle dit tout simplement : le col embrasse le membre de l'homme, comme s'il l'embrassait toujours, ou bien comme s'il était fait pour l'embrasser, ou même comme si le bouchon faisait partie de la bouteille, c'est-à-dire comme si Eugènie n'était pas castré. En quelque sorte, la castration de la jeune vierge est dénié, elle n'est pas admise, bien qu'elle soit reconnue dans la description de sa matrice comme une espèce de vase ressemblant à une bouteille.

Comme le pot d'Origène et d'Erasme, le pot d'Eugènie est déjà façonné d'une certaine manière, d'après son mérite -celui d'embrasser le membre de l'homme. Comme le pot de Paul, celui de la jeune fille est déjà fait pour un certain usage -toujours celui d'embrasser le membre de l'homme.

Bien qu'il soit encore vide de toute matière réelle, le vide chosique d'Eugènie, "le chose de cette gentille tourterelle"37 -comme l'appelle Augustin-, est déjà rempli d'une certaine forme signifiante. Certes, Eugènie est encore vierge. Néanmoins, son graal ou son chose -comme l'appelle Augustin- aura déjà signifié -comme le dit Sade-, a priori -comme dirait Kant-, son usage et son mérite -comme diraient Paul, Origène et Erasme. En effet, la matrice de la vierge aura déjà signifié, a priori, l'usage et le mérite d'embrasser le membre de l'homme. Notez que l'utilisation du futur antérieur est très importante ici. Elle indique a priori le destin signifiant, a posteriori, du pot d'Eugènie, lequel aura été, dès l'origine, ce que le potier aura façonné d'après son usage et son mérite.

Même si le chose de la gentille tourterelle ne signifie que son usage et son mérite, celui d'embrasser le membre de l'homme, il ne faut pas oublier qu'Eugènie ne demande ce que signifie cette matrice qu'au moment où Dolmancé recommande à Mme. de Saint Ange d'introduire sa langue dans la matrice de la jeune vierge. Remarquez bien que cette même langue qui doit s'introduire dans la matrice, comme si elle était le membre de l'homme, est celle qui dit ce que signifie cette matrice, l'usage et le mérite d'embrasser le membre de l'homme. Il y a peut-être ici, au niveau du contenu insignifiant -le sein ou le phallus-, une certaine assimilation entre la langue et le membre de l'homme -qui nous rappelle celle entre la castration et la langue tranchée de Perceval. Il y a peut-être aussi, au niveau du contenant signifiant -le pot ou le vase ou le graal-, une autre assimilation entre la bouche et la matrice ou le chose -les deux signifiant ce qu'elles doivent signifier. Ce qui est certain c'est que cette bouche-matrice, qui est celle d'Eugènie aussi bien que celle de Mme. de Saint-Ange, n'avale pas le pervers -comme s'il était un mélancolique, une langue ou le membre de l'homme. La bouche-matrice n'avale personne, elle reste vide et affamée. Elle reste aussi ouverte, mais ce n'est pas afin de parler.

12.1. La Chose freudienne, vide et toujours affamée, ouverte et souvent parlante, avalera le mélancolique et parlera l'hystérique, l'obsessionnel et le paranoïaque. Il y a lieu de se demander maintenant qu'est ce qui peut se passer, dans cette bouche, avec un pervers.

J'énoncerai d'emblée mon hypothèse, avant de la justifier : le vide signifiant de la Chose insignifiée (8.6), ce vide qui ne peut s'ouvrir en soi et pour soi (9.3) que dans sa méprise par le sujet du signifiant (9.4) dans lequel et pour lequel il s'ouvre (9.2), sera dénié dans la perversion, ainsi que dans une certaine éthique, où le sujet divisé, tout en étant identifié à l'Autre du vide signifiant, se rapporte à l'objet insignifiant qu'il est pour soi, cet objet qui remplirait le vide signifiant de la Chose en soi, du sujet ou de l'Autre, si la perversion ne conservait pas un rapport seulement fantasmatique ($(a) entre le vide en soi ($) et l'objet (a) pour soi.

Nous avons trois idées à justifier. Premièrement, le déni du vide chosique signifiant dans la perversion et dans une certaine éthique. Deuxièmement, la division du sujet et son identification à l'Autre du vide chosique signifiant. Troisièmement, le rapport seulement fantasmatique entre le sujet en question, comme vide en soi, et son être, ou la présence pour soi de son objet a. Nous allons donc procéder, tout de suite, à la justification de ces trois idées :

a) Déni. Vous connaissez tous la place du déni (Verleugnung) dans la théorie freudienne des perversions et particulièrement du fétichisme. Devant la menace de sa propre castration, le garçon dénie la castration de la femme -à l'instar de Sade, qui dénie l'absence de membre de l'homme dans le col de la matrice d'Eugènie. En déniant la castration de la femme, le garçon déni donc le vide chosique de la femme, qui est celui de sa mère, celui que lui-même, comme phallus imaginaire, vient remplir en tant qu'objet du désir de l'Autre réel qu'est la Chose maternelle. Dans son déni, le garçon, en effet, se refuse "à prendre connaissance de ce fait de sa perception, à savoir que la femme ne possède pas de pénis. Non, ce ne peut être vrai, car si la femme se trouve être castrée, sa propre possession d'un pénis est menacée"38 -et donc, symboliquement, son propre être est en danger. Nous avons, par exemple, ce patient onaniste de Freud : "s'il n'a pas dû reconnaître que la femme avait perdu son pénis, la menace qui lui a été faite a perdu de sa crédibilité, et il n'a pas alors eu besoin de craindre pour son pénis, il a pu poursuivre tranquillement sa masturbation"39 -sans craindre la castration, sans craindre une Loi qui n'est alors que celle qui proclame le libre arbitre et le droit à la jouissance, même la jouissance de l'idiot, voire cette Loi universelle d'après laquelle aucun sujet ne pourra être affecté de castration, c'est-à-dire, au niveau symbolique, aucun sujet ne pourra être privé de son être. Pour distinguer se déni de la forclusion psychotique, Freud souligne que "le petit garçon n'a pas simplement contredit sa perception, halluciné un pénis là où l'on ne pouvait en voir, il a uniquement procédé à un déplacement de valeur, transféré la signification du pénis à une autre partie du corps"40 -mécanisme qui fonde toute perversion. Bref, "la perception est restée et une action très énergique a été entreprise pour maintenir son déni"41. Tout particulièrement, le phallus de la femme, qui n'est pas perçu là où il devrait être -là où il n'y a que le vide chosique dénié-, devra devenir ailleurs une autre chose qu'on puisse percevoir -avec laquelle sera confirmé le caractère universelle de cette Loi qui proclame le droit à la jouissance, cette Loi d'après laquelle aucun sujet pourra être privé de son être. Ce mécanisme est notamment visible dans le fétichisme, où "le fétiche est un substitut du pénis..., non le substitut de n'importe quel pénis, mais d'un pénis déterminé..., le phallus de la femme (de la mère) auquel a cru le petit garçon et auquel il ne veut pas renoncer"42 -auquel il ne veut pas renoncer pour ne pas renoncer à son propre être que ce phallus imaginaire représente. Il faut insister sur le fait que le sujet déni la castration de la femme, voire le vide chosique signifiant, pour ne pas risquer d'être lui-même castré, mais aussi pour ne pas renoncer à son être -à ce qui manque dans le vide chosique signifiant-, tel qu'il est représenté par le phallus imaginaire de sa mère. Il faut souligner aussi que par son déni, le sujet agit conformément à la loi kantienne fondamentale de la raison pratique. En effet, il "agit de telle sorte que la maxime de sa volonté", celle d'après laquelle il veut jouir sans pour autant être castré ni privé de son être, "peut en même temps toujours valoir comme principe d'une législation universelle"43, d'après lequel aucun sujet, même pas les femmes, ne peut être castré ni privé de son être -et donc lui-même, en tant que sujet, il ne risque pas non plus d'être castré ni privé de son être. En quelque sorte, le déni lui-même, comme négation de toute particularité -voire toute condition de sexuation-, occupe la place de la Loi universelle qui proclame le droit à la jouissance : aucun sujet ne peut être castré ni privé de son être. Cet impératif catégorique, tel qu'il opère dans le déni du particulier -comme impératif de réalisation universelle de ce qui puisse convenir au désir singulier-, constitue le principe de la perversion, ainsi que le principe d'une certaine éthique -une éthique kantienne que nous pouvons tenir, à juste titre, pour la formulation éthique la plus influente de notre civilisation.

b) Division et identification. Dénier le vide chosique signifiant comporte la division du sujet. D'un côté, celui intelligible de son libre arbitre, il dénie ce vide, il se rapporte au phallus maternel qu'il a placé ailleurs -par exemple dans un fétiche- et "sa pulsion peut conserver sa satisfaction". D'un autre côté, celui sensible de la nature ou la volonté de Dieu, il perçoit le vide, qui n'est pas forclos, et par rapport à lui, à sa "réalité, le "respect dû lui est payé". Ces deux "réactions au conflit, réactions opposées, se maintiennent comme noyau d'un clivage du moi"44. Ainsi, la "croyance au phallus de la mère", l'enfant "l'a conservé, mais également abandonnée, dans le conflit entre le poids de la perception non souhaitée et la force du contre-souhait"45. Il y a donc une division, dans le sujet pervers, entre son acceptation et son déni du vide signifiant -entre nature et liberté, entre sensibilité et intelligibilité, entre phénomène et noumène, entre la volonté de Dieu et la volonté du sujet. Pour autant que le pervers accepte le vide signifiant, qui est le sien aussi bien que celui de sa mère, il s'assume privé d'être réel chosique -en tant que sujet du signifiant-, il reconnaît la volonté du potier et l'être symbolique langagier -l'Autre de la parole de la Chose freudienne- et il peut ex-sister -par rapport à lui-même- dans la chaîne signifiante des prédicats -de la parole qui le parle. Or, dans la mesure où il déni le vide signifiant, il ne s'assume pas privé d'être, il ne reconnaît que l'être réel chosique et il ne peut qu'être encore, paradoxalement en raison de son libre arbitre, l'objet désiré par l'Autre réel. Le pervers est ainsi divisé entre l'Autre de son existence, en acceptant le vide signifiant, et l'objet a de son être, en déniant le même vide. Il s'identifie en même temps, de telle sorte, au vide et à ce qui remplit le vide. Cependant, en étant sujet -et c'est là que réside le paradoxe-, il ne peut se faire passer par objet qu'en trompant, ce qu'il ne peut faire qu'en tant que sujet -en faisant usage de son libre arbitre. Il y a là, comme le note Lacan, une "foncière ambiguïté du sujet et de l'objet", pour autant qu'en tant "qu'il se fait objet pour tromper, l'enfant se trouve engagé vis-à-vis de l'Autre dans une position où la relation subjective est toute entière constituée"46. Le pervers est ainsi divisé entre lui comme Autre et lui comme objet a de l'Autre. De cette double nature du sujet divisé rend compte le concept "d'objet trompeur", objet comme l'objet -comme pot soumis à la volonté du potier-, certes, mais trompeur comme l'Autre -libre comme le potier. Lacan explique ce clivage : "pour satisfaire ce qui ne peut être satisfait, à savoir le désir de la mère qui, dans son fondement, est inassouvissable, l'enfant, par quelque voie qu'il le fasse, s'engage dans la voie de se faire lui-même objet trompeur"47. L'enfant, comme objet, trompe donc le désir de sa mère. Il s'agit de lui donner ce qu'il n'est pas, ce qu'elle n'a pas, le phallus, "cet objet dont elle manque, et dont il manque toujours lui-même"48. Dans un double jeu qui révèle sa division, notre objet trompeur, en tant que trompeur, accepte le vide signifiant qu'il déni, en tant qu'objet. Pour le dire avec les termes de Freud, le pervers n'est trompeur, comme Autre, que dans la mesure où il réagit contre la "perception non souhaitée", celle du vide chosique signifiant, en le déniant, ce qui n'est possible qu'en donnant ou en se donnant, par "la force du contre-souhait"49, comme ce qui rempli ce vide signifiant. Ce qui remplit ce vide, nous le savons déjà, est le phallus maternel dont le pervers -pour ne pas se priver de son être- déni le manque -en déniant le vide signifiant. Pour dénier ce manque, le pervers, objet trompeur de la mère -qui veut la tromper en lui faisant croire qu'elle ne manque pas du phallus imaginaire qu'il est comme objet-, peut donc avoir recours au fétichisme, en trouvant le phallus quelque part, mais aussi, par exemple, au masochisme, en étant lui-même l'objet, au sadisme, en réduisant son partenaire à cet objet, au travestisme, où le "fétiche est porté par un sujet" qui "s'identifie à une femme qui a un phallus caché", ou à l'homosexualité masculine, ou le sujet trouve le phallus en question "chez un autre". Dans tous ces cas, nous voyons bien que dans les perversions, indépendamment de l'importance de "l'identification à la mère et l'identification à l'objet", voire l'identification de l'objet trompeur à l'objet ou à l'Autre trompeur, "l'essentiel, c'est le rapport au phallus"50.

c) Fantasme. D'un point de vue psychanalytique, il y a un lien entre la perversion et la morale, un lien profond, longuement étudié par Lacan, mais qui ne passa pas tout à fait inaperçu pour Freud. À ce propos, il suffit d'évoquer la référence de Freud, dans Le problème économique du masochisme, à l'impératif catégorique de Kant. Celui-ci, assimilé au sur-moi, est considéré comme un "héritier direct du complexe d'Oedipe"51 -aussi direct, d'ailleurs, que le déni de la castration. En tant que sur-moi, il peut s'associer à une "surmorale" où on découvre le "sadisme accru du sur-moi auquel le moi se soumet", ce qui ne doit pas se confondre avec le "masochisme moral, propre du moi", comme une morale "à nouveau sexualisé" qui peut "réclamer punition" du sur-moi52. Et pourtant, ici nous ne pouvons pas résister à la tentation d'admettre que tout moi est masochiste, en un certain degré, ainsi que tout sur-moi est sadique, aussi en un certain degré. Or, si nous généralisons le masochisme du moi, son masochisme moral, nous devrons également généraliser la "sexualisation" de la morale à laquelle se réfère Freud. Nous pourrons alors accepter la sexualisation de cette Loi morale universelle, en tant que déni, que nous avons formulé par l'énoncé : aucun sujet ne peut être castré ni privé de son être. En proclamant le droit à la jouissance, cet énoncé, qui ne constitue qu'un déni, voire un mécanisme de défense contre cette représentation inacceptable qu'est la castration, serait lui-même sexualisé, ou "érotisé"53 -si vous le préférez, pour conserver l'expression reconnue et discutée par Lacan. Dans cet énoncé érotisé, je vous prie de bien comprendre que ce qui est érotisée n'est que l'énoncé, un énoncé objectivé par son érotisation, ainsi qu'universel et desubjectivé dans son objectivation, et par là impersonnel et purement connotatif -non-dénotatif-, c'est-à-dire indépendant de n'importe quelle consistance objective hors de lui-même. Pour mettre en relief ces caractères de l'énoncé érotisé, nous pouvons le formuler autrement : "on n'est pas castré" ; ou bien, à la manière de Sade : "On a le droit de jouir...". Ainsi formulé, il ne peut que nous rappeler un autre énoncé aussi érotisé et objectivé -ou desubjectivé ou impersonnel- que celui-ci, lequel vous connaissez trop bien : "on bat un enfant". Nous pouvons apprécier clairement dans ces trois cas, dans ces trois énoncés objectivés, les caractères fondamentaux de tout fantasme, "qui n'a réalité que de discours et n'attend rien de nos pouvoirs, mais qui nous demande, lui, de nous mettre en règle avec nos désirs"54. Dans les trois énoncés, nous vérifions au moins l'exactitude de cette assertion lacanienne selon laquelle il y aurait, dans le fantasme pervers, "une réduction symbolique qui a progressivement éliminé toute la structure subjective de la situation pour n'en laisser subsister qu'un résidu entièrement desubjectivé", celui du fantasme, "ce que l'on peut appeler les signifiants à l'état pur", qui se "maintiennent sans la relation intersubjective, vidés de leur sujet"55. Voilà ce dont il s'agit dans le droit à la jouissance dans ses différentes formulations, par exemple celle selon laquelle "tous les hommes ont un droit de jouissance égal sur toutes les femmes, il n'est donc aucun homme", et nous pensons ici instantanément au père, "qui, d'après les lois de la nature, puisse s'ériger sur une femme un droit unique et personnel"56. C'est le même cas de la Loi universelle kantienne qui déni la castration du fils ou de la mère -voire la coupure de la sphère ou le vide chosique signifiant. Remarquez bien que cette Loi peut dénier ce qu'elle dénie, en fin de compte le manque signifiant de l'objet dernier de désir qu'est la Chose amoureuse insignifiée comme confusion entre l'enfant-phallus et sa mère, seulement dans la mesure où elle-même, la Loi, est érotisée et objectivée. Autrement dit, la Loi, comme objet, sera mise à la place de l'objet qui manque -soit la Chose totale, la lettre a, ou bien le phallus, comme objet partiel, lequel n'est partiel que dans la mesure où il manque, en tant que -a. En quelque sorte, la perversion, aussi bien que l'éthique kantienne, élève le signifiant, ou le représentant symbolique de la Chose, à la dignité de la Chose elle-même, en quoi elle se distingue de la sublimation, où nous assistons à une élévation de l'objet, comme représentation imaginaire de la Chose, à la même dignité de la Chose.

À mon sens, la Loi universelle du déni pervers ou éthique, cette Loi n'est objectivée que pour autant qu'elle est chosifié. Elle est chosifiée, en effet, parce qu'elle est mise à la place de la Chose, dans le vide signifiant qu'elle remplit en le remplissant de sa même signifiance, en le remplissant de ces "cailloux du signifiant" -dont parle Lacan dans un autre contexte- qui "surgissent pour combler le trou et le vide"57. Dans cette place du trou et du vide, la Loi, dans son caractère a priori et universel -hors contexte-, comme signifiant absolu et isolé de tout contexte signifiant -signifiant à l'état pur-, s'incarne comme Chose insignifiée. D'après Juranville, il y aurait là, dans cette incarnation chosique de la Loi, un "passage de la Chose à la Loi", où "la réalité qui commande se substitut à cette réalité muette qu'est la Chose"58. Or, la Chose dont il s'agit, la Chose freudienne, n'est certainement pas une réalité muette. Quant au passage de la Chose à la Loi, ce n'est pas un passage de la Chose à la non-Chose, mais de la Chose à la Chose en tant que Loi -à la Chose insignifiée en tant que signifiance absolue, isolée, incarnée, qui dénie son propre vide signifiant.

Comme déni pervers ou éthique du vide signifiant, la Loi constitue le signifiant vide, léger, inconsistant, qui devient, en tant que signifiance isolé et absolue -sans contexte- et par son incarnation dans le sujet divisé du signifiant, ce qu'elle est en tant que chair neutre -et non pas mauvaise comme celle mélancolique de Luther-, en tant que sujet insignifié, à savoir la Chose insignifiée, dense, consistante -qui ne peut alors que dénier en tant que telle son propre vide signifiant. Ainsi, la Loi permet au sujet du signifiant de rejoindre la Chose insignifiée, de la rejoindre sans méprise, de la rejoindre tout en ayant prise sur elle.

Grâce à la Loi chosifiée, qui semble mériter la dignité de Chose à laquelle elle est élevée, le sujet du signifiant, tout en restant sujet divisé du signifiant, n'est apparemment plus obligé à méprendre tout à fait la Chose qu'il est comme sujet insignifié. Au moins, il peut avoir une expérience fantasmatique de la Chose insignifiée dans son propre vide signifiant, dans l'expérience de cette Loi qui se retourne sur elle-même, c'est-à-dire sur lui-même, pour dénier le vide en question -le vide signifiant de lui-même, d'elle-même, de cette Loi isolée, absolue, qui n'est qu'en présence d'elle-même, comme signifiance insignifiée à l'état pur. Pour se convaincre de tout cela, il suffit d'évoquer l'explicitation kantienne de cette Loi.

12.2 Afin d'appréhender, chez Kant, en quoi consiste exactement la Loi qui déni le vide signifiant, commençons par nous rappeler que la présence en soi de la Chose, comme noumène ou chose en soi, est corrélative, dans la raison théorique ou non-pratique kantienne, de son absence pour le sujet, de son absence dans sa représentation imaginaire, celle-ci comme phénomène ou chose pour nous. Rappelons-nous aussi que dans son Analytique transcendantale, Kant défend une conception seulement négative des noumènes, dans laquelle il accepte la pensée d'une chose tout en faisant abstraction de son "intuition sensible"59. Ceci le mène à refuser le sens positif de "la distinction des objets en phénomènes et noumènes et du monde en monde des sens et monde de l'entendement", en même temps qu'il reconnaît "la distinction des concepts en sensibles et intellectuels", sans pour autant "assigner aucun objet", voire aucune "valeur objective"60, aux concepts intellectuels. Ces concepts ne correspondraient alors à aucun objet, mais à une chose qui ne serait pas objet d'intuition sensible, mais la Chose signifiante, la Chose absente dans sa représentation imaginaire. Plus précisément, il y aurait par rapport à cette Chose un entendement sans sensibilité, ou un "concept sans intuition", alors que dans l'objet imaginaire il faut le concept et l'intuition, dans la mesure où "ce n'est qu'en s'unissant que l'entendement et la sensibilité peuvent déterminer en nous des objets"61.

Par l'union entre l'entendement et la sensibilité, union entre a et b (a + b), il y aura quelque chose d'objective, pour le sujet, où se noueront les catégories -dont s'occupe l'analytique des concepts- et le temps et l'espace -dont s'occupe l'esthétique transcendantale. Le caractère signifiant des catégories va de soi. Quant aux a priori de l'intuition sensible, le temps et l'espace, il ne faut pas oublier que "l'esthétique transcendantale", chez Lacan, "est à refaire pour le temps où la linguistique a introduit dans la science son statut incontestable : avec la structure définie par l'articulation signifiante comme telle"62. D'un point de vue lacanien, l'entendement et la sensibilité, les deux, aussi bien l'un que l'autre, apparaissent donc comme signifiants. Ils sont, a + b ou S1 + S2, "signifiants du pacte qu'ils constituent comme signifié"63, comme phénomène, comme Sachvorstellung, comme représentation imaginaire de la Chose.

Par rapport à l'entendement et la sensibilité, il y aura chez Kant trois combinaisons possibles (tableau 38). Si nous percevons quelque chose "par l'entendement et par la sensibilité" (a + b), nous aurons "un objet", un phénomène, une chose pour nous, voire -de notre point de vue- une représentation imaginaire. S'il n'y a qu'entendement sans aucune sensibilité, alors il ne s'agira que d'un "concept sans intuition" (b - a), par exemple celui de notre Chose, en tant que noumène ou chose en soi. Au contraire, s'il n'y a que de la sensibilité, sans aucun entendement, ce sera une "intuition sans concept"64 (a - b), voire un indice, un signal, comme l'objet a -comme "objet d'une intuition sensible en général" ou "objet transcendantal"65.

Tableau 38. Combinaisons de l'entendement et la sensibilité chez Kant.

Intuition sans concept Objet Concept sans intuition
Sensibilité sans entendement

a - b

Sensibilité et entendement

a + b

Entendement sans sensibilité

b - a

Objet a comme objet transcendantal (objet d'une intuition sensible en général)

Phénomène

Noumène

Ce qu'il importe bien de noter, dans ces combinaisons, c'est que notre objet a, comme -a, se retrouve dans le réel, comme intuition sans concept, alors que son contraire, la Chose, comme lettre a, se retrouve dans le symbolique, en tant que concept sans intuition. Évidemment, du moment où la Chose n'est insignifiée que parce qu'elle est signifiante, la lettre a, ainsi que sa notation comme -a, doivent se récrire comme lettre b et -b. Plus précisément, la Chose, comme signifiance (b) insignifiée (-a), doit s'écrire b - a, alors que l'objet a, comme insignifiance (-b) de l'objet transcendantal (a), doit s'écrire a - b. En réalité, la lettre a n'est plus ici vraiment discernable de la lettre b. Nous comprenons alors que dès l'origine, il s'agissait dans les deux cas de signifiants, le premier à la place du sujet et le second à la place du prédicat. La copule a + b, comme S1 + S2, n'est alors que la combinaison de ces deux signifiants -combinaison de laquelle surgit tout effet de signification au niveau du signifié66. Quant à a - b ou b - a, ce ne seront que les deux faces, insignifiante et signifiante, de l'isolation d'un signifiant, S1, par rapport au suivant, S2. Autrement dit, l'isolation du signifiant S1 sera entendue, soit -au niveau de l'entendement- comme isolation d'un concept, celui du signifiant qu'est la Chose, ou bien -au niveau de la sensibilité- comme isolation d'une intuition, celle de l'insignifiance qu'est l'objet a comme objet transcendantal.

Si je m'arrête sur les combinaisons de l'entendement et la sensibilité, et si je propose même une traduction lacanienne de ces combinaisons kantiennes, c'est pour éclairer le fondement, dans la raison pure théorique, de la Loi signifiante -éthique ou perverse- qui déni le vide signifiant dans la raison pure pratique. Concrètement, ils nous aident à comprendre deux faits. D'abord, qu'un signifiant, ou un concept sans intuition, puisse remplir à lui-seul, pour autant qu'il correspond à la Chose insignifiée, son propre vide chosique signifiant. Ensuite, que le signifiant, en tant que signifiant, ne puisse remplir ce vide que par une signifiance, comme celle du déni que nous détectons dans la Loi signifiante de la raison pratique. De ce fait, nous devons admettre que dans la perversion et dans une certaine éthique, le déni du vide signifiant, ce déni sous une forme purement signifiante, suprasensible ou insignifiée, peut à lui seul remplir ce vide, afin de le dénier (12.1), dans la mesure où il correspond à la signifiance insignifiée de la Chose (8.6).

12.3. Le fait que la Chose de la raison pure théorique de Kant n'est aucunement concevable, de manière positive (a + b), comme un objet -où se réunissent l'entendement et la sensibilité-, mais seulement de manière négative, comme un concept -fruit de l'entendement sans la sensibilité-, ne va pas nous empêcher maintenant de le concevoir de manière positive, comme une Loi, dans la raison pure pratique.

Dans le passage de la raison théorique ou spéculative à la raison pratique, il convient de distinguer quatre temps -que nous pouvons facilement dégager dans les Fondements de la métaphysique des moeurs67 :

a) Dans ce qui fut le point de départ de notre cours, "il faut reconnaître et supposer derrière les phénomènes", derrière les objets imaginaires, "quelque chose d'autre encore qui n'est pas un phénomène", à savoir la Chose, le noumène ou la chose en soi, dont les objets imaginaires sont les représentations imaginaires.

b) Dans un temps qui correspond aux premières séances de notre cours, il faut admettre que la Chose, "puisqu'elle ne peut jamais nous être connue si ce n'est par la manière dont elle nous affecte", moyennant ses représentations imaginaires, "nous ne pouvons jamais approcher d'elle davantage et savoir ce qu'elle est en elle-même". Là il faut admettre également que "même l'homme, d'après la connaissance qu'il a de lui par le sens intime", en tant que moi -lui-aussi comme objet imaginaire ou représentation imaginaire de la Chose-, "ne peut se flatter de se connaître lui-même tel qu'il est en soi", comme sujet chosique.

c) Dans une idée qui a été invariablement présente dans notre cours, il faut considérer la division du sujet : "pour ce qui a rapport à la simple perception et à la capacité de recevoir les sensations, il doit se regarder comme faisant partie du monde sensible", comme un phénomène ou comme la représentation imaginaire qu'est son moi, "tandis que pour ce qui en lui peut être activité pure, il doit se considérer comme faisant partie du monde intelligible", comme un noumène, comme un sujet chosique.

d) Finalement, où nous sommes maintenant, il faut se rendre compte que "l'homme, comme faisant partie du monde intelligible, ne peut concevoir la causalité de sa volonté propre que sous l'idée de la liberté", celle-ci entendue comme "indépendance à l'égard des causes déterminantes du monde sensible". Or, "à l'idée de liberté est insolublement lié le concept d'autonomie, à celui-ci le principe universel de la moralité".

Le sujet devient chosique lorsqu'il agit de manière morale, autonome, libre, en obéissant la Loi morale dictée par la raison pratique. Alors, dans son action, il peut faire l'expérience de la Chose en soi qu'il devient lui-même comme volonté pure inconditionnée, comme pur désir ou volonté signifiante, comme liberté, comme Loi élevée dignement à la dignité d'une Chose qui n'est réellement présente pour le sujet, comme noumène, que dans la mesure où elle est lui-même -dans la mesure où elle est présente pour soi.

Dans la tradition où Kant se situe, l'expérience de la Chose est une expérience morale subjective. Pour faire l'expérience de la Chose, il faut agir moralement. En quelque sorte, c'est l'immoralité ce qui aveugle un sujet et lui empêche de voir la Chose -ou bien, pour le dire à la manière d'un saint homme que Lancelot rencontre dans la forêt, ce sont les "ténèbres du péché" qui empêchent le chevalier de trouver le Graal, le mettant dans une situation où "si le Saint-Graal apparaissait devant lui, il ne le verrez pas mieux qu'un aveugle"68 (se li Saint Graaus venoit devant vous, je ne quit pas que vous le pëussiés veoir ne plus que un avules).

C'est donc l'immoralité qui sépare le sujet de la Chose, en lui empêchant de faire l'expérience, dans sa propre action morale subjective, de la Chose, du noumène. On peut alors concevoir le noumène, pourvu que notre conduite soit morale -dans le sens d'être soumise à une certaine raison pratique.

N'oubliez pas que la raison théorique ou spéculative de Kant autorise déjà la conception des noumènes, à condition que ce soit une conception négative (-), non-objective (-a), comme concept sans intuition (b - a). Ainsi pourra-t-elle accepter le concept de liberté. En fait, elle mettra même "en sûreté contre toute objection la supposition que la liberté, considérée négativement, est tout à fait compatible avec les principes et les limites de la raison pure théorique". À partir de ce concept négatif de la liberté, comme un simple signifiant insignifié, la raison pratique kantienne peut naturellement "annoncer un monde purement intelligible, le déterminer même positivement et nous faire connaître quelque chose, à savoir une loi"69.

Chez Kant, la Loi morale est positivement la Chose, inaccessible autrement, donc inaccessible pour celui qui ne soumet pas son action à cette Chose signifiante qu'est la loi morale -semblable, dans son triple caractère moral, chosique et signifiant, au Saint-Graal que "langue de pêcheur de pourrait raconter ni yeux de mortels ne pourront voir" (que langue de pecheor de porrait raconter ne iex mortex nel porroient veoir)70. Par cette Loi de la raison pratique de Kant, le sujet fait l'expérience, dans sa propre sensibilité, de la Chose qui n'est qu'un concept de l'entendement et qui ne pouvait pas être, dans la raison théorique, un objet de l'intuition sensible. En effet, une Loi morale -affirme Kant- "doit procurer au monde sensible, en tant que nature sensible..., la forme d'un monde intelligible, c'est-à-dire d'une nature suprasensible". Ce concept de nature est ici de la plus grande importance, dans la mesure où la nature, "dans le sens le plus général", est pour Kant "l'existence des choses sous des lois"71. Il doit y avoir donc un accord entre la nature, comme existence des choses sous des lois, et l'éthique, laquelle, dans son expérience de la Chose -lorsque l'homme joue le rôle de potier-, procure des lois morales à la nature -en permettant à l'homme de façonner lui-même le pot.

Dans le rapport direct à la Chose de la perversion, aussi bien que dans celui de l'éthique, on peut aussi invoquer la conformité avec la nature -celle-ci entendue à la manière kantienne, comme existence des choses sous des lois. Dans sa Philosophie dans le boudoir, Sade, pour défendre ses idées, ne cesse pas d'avoir recours à l'argument des lois de la nature. Or, à la différence de l'éthique de Kant, le système pervers de Sade n'aspire pas à procurer des lois morales à la nature -comme un législateur kantien-, mais tout simplement -dans une soumise identification au potier- à exécuter les lois perverses de la nature -comme un modeste légiste. Ainsi, "en foutant", on "accomplit" une "loi de la nature"72. Même lorsqu'il s'agit de "la destruction", celle-ci est déjà "une des lois de la nature, comme la création"73. Aussi, en étant fouetté par Mme. de Saint-Ange, Dolmancé déclare : "Me voilà dans la loi de la nature"74. Quant à l'obligation qu'a l'homme de ne pas "s'ériger sur une femme un droit unique et personnel", c'est également "une loi de la nature"75. Et de même l'égoïsme, puisque c'est "la nature, notre mère à tous" -la Mère comme causa pathomenon-, qui "ne nous parle que de nous, rien n'est égoïste comme sa voix, et ce que nous y reconnaissons de plus clair est l'immuable et saint conseil qu'elle nous donne de nous délecter, n'importe au dépens de qui"76. C'est donc l'homme qui suit le conseil de la nature et qui obéit ses lois, ses lois perverses, sans prétendre lui imposer, comme Kant, aucune loi morale.

Quant à Kant, pour justifier qu'on puisse procurer des lois à la nature, il doit distinguer deux "natures" des "êtres raisonnables" : d'une part, la "nature sensible" -proche de celle visible et corporelle telle qu'elle est façonnée par le potier d'Origène-, comme "existence de ces êtres sous des lois conditionnées empiriquement, donc une hétéronomie pour la raison", alors que d'autre part, la "nature suprasensible" -proche de celle invisible et raisonnable qui est douée de libre arbitre chez Origène-, comme "existence sous des lois indépendantes de toute condition empirique, relevant par suite de l'autonomie de la raison pure", en tant que "raison pure pratique", telle qu'elle s'exprime dans la loi morale77.

En s'éloignant encore une fois de Kant, Sade ne distingue pas les lois conditionnées -dans la nature sensible- et inconditionnées empiriquement -dans la nature suprasensible. Il distingue, certes, des lois humaines et des lois de la nature, mais en subordonnant les premières au secondes. Ainsi, en constatant que "rien n'est égoïste comme la nature", il s'exclame : "soyons-le donc aussi, si nous voulons accomplir ses lois"78. Dans le même sens, lorsqu'il affirme que "nous sommes nés pour foutre" et que "nous accomplissons les lois de la nature en foutant", il ajoute que "toute loi humaine qui contrarierait celles de la nature ne serait faite que pour le mépris"79. Finalement, pour justifier que "les crimes sont impossibles à l'homme", il allègue que "la nature, en inculquant aux hommes l'irrésistible désir d'en commettre, sut prudemment éloigner d'eux les actions qui pouvaient déranger ses lois"80.

Il y a aussi, chez Sade, l'idéal kantien de l'autonomie de la volonté. Ses lois perverses, même en étant des lois de la nature, doivent être indépendantes de toute condition empirique. En elles réside également la liberté de l'homme, sa liberté comme être de la nature, sa liberté avec la nature ou en tant que nature individuelle. Cette liberté naturelle sadienne, comme autonomie de la volonté individuelle, comporte l'obéissance à certains principes singuliers indépendamment de toute condition empirique, indépendamment de toute circonstance particulière. C'est une telle obéissance à un principe singulier, celui de ne pénétrer que par l'anus, qui empêche Dolmancé, en raison de l'autonomie de sa volonté individuelle, de dépuceler Eugènie, suscitant le commentaire de Mme. de Saint-Ange : "refuser un pucelage, aussi frais, aussi joli que celui-là, voilà ce qui s'appelle tenir un peu trop à ses principes"81.

Peut-être la loi sadienne où nous constatons le mieux l'autonomie de la volonté, comme indépendance à l'égard de toute condition empirique, c'est le droit à la jouissance. Paradoxalement, le sujet doit "tout sacrifier"82 à ce droit, lequel "est indépendant des effets produits par la jouissance"83. L'exercice individuel du droit à la jouissance devient même une obligation sociale, celle d'accomplir une loi en toute circonstance, toujours indépendamment de toute condition empirique. Ainsi, les "putains", sont des "heureuses et respectables créatures que l'opinion flétrit, mais que la volupté couronne, et qui, bien plus nécessaires à la société que les prudes, ont le courage de sacrifier, pour la servir, la considération que cette société ose leur enlever injustement"84. Si les putains sont respectables, c'est dans la mesure où en exerçant le droit à la jouissance, en accomplissant cette obligation sociale, elles obéissent en toute circonstance une loi de sa volonté autonome, à laquelle elles sacrifient la condition empirique de la considération sociale.

De même que l'autonomie sadienne, l'autonomie kantienne de la volonté, comme "principe suprême de la moralité", est la "propriété qu'à la volonté d'être à elle-même sa loi". Or, chez Kant, la volonté n'est elle-même sa loi qu'au moment où "les maximes de son choix sont comprises en même temps comme lois universelles". En ceci, l'autonomie de la volonté se différencie de son hétéronomie, où la volonté "cherche la loi qui doit la déterminer dans la propriété de quelqu'un de ses objets"85.

Quant à Sade, il nous semble, au premier abord, qu'il repousse la soumission de la volonté à toute loi universelle. Il déclare, de manière explicite, que "ce serait une absurdité palpable que de vouloir prescrire des lois universelles". Il compare cette absurdité à celle "d'un général d'armée qui voudrait que tous ses soldats fussent vêtus d'un habit fait sur la même mesure"86. Dans la ligne de ce raisonnement, et pour expliquer la "nécessité d'anéantir la peine de mort", il souligne "l'injustice" de "frapper de la loi celui auquel il est impossible de se plier à la loi"87. Toujours dans le même esprit, Sade estime que "les lois, bonnes pour la société, sont très mauvaises pour l'individu qui la compose"88.

Lorsque nous lisons plus attentivement les réflexions de Sade, notre première impression s'évanouit, et nous comprenons que toute son opposition aux lois universelles n'a pour objet que la déduction d'une seule maxime de la volonté qui peut devenir loi universelle, en s'accordant parfaitement avec l'impératif catégorique de Kant. En effet, la maxime de la volonté déduite par Sade, qui est celle de la jouissance individuelle -comme "passion qui subordonne à elle toutes les autres" et "qui les réunit en même temps"89-, ne contredit en rien le principe suprême kantien de la moralité, comme autonomie de la volonté dont la maxime est comprise comme loi universelle.

La maxime de la jouissance individuelle, comme obligation et droit à la jouissance, devient chez Sade une loi universelle qui déplace toutes les autres lois, même celle -qui la contredirait normalement chez Kant- de faire mal à notre semblable ou de nuire à sa jouissance. Cette limitation au droit à la jouissance n'est plus valable dès lors que la jouissance individuelle, égoïste et sans égard au semblable, est celle dont le droit devient une loi universelle. À ce propos, le raisonnement de Sade est indiscutable : "Pour que ce qui sert l'un en nuisant à l'autre fût un crime, il faudrait démontrer que l'être lésé est plus précieux à la nature que l'être servi, or tous les individus étant égaux aux yeux de la nature, cette prédilection est impossible..., il n'y a aucune comparaison entre ce qu'éprouvent les autres et ce que nous ressentons..., ne naissons-nous pas tous isolés ?"90.

Curieusement, c'est précisément l'universalité de l'isolement individuel qui garantit la possibilité universelle de l'autonomie de la volonté sadienne, son autonomie dans l'exercice de ce droit à la jouissance, bien compris alors comme loi universelle -indépendamment de toute condition empirique objective et de toute circonstance particulière, donc indépendamment de toutes ces lois particulières qui déterminent la volonté hétéronome, comme celles réfutées par Mme. de Saint et Dolmancé : la pitié, la charité, la bienfaisance ou l'interdit de l'adultère, de la destruction et de l'inceste.

Dans une perspective lacanienne, les lois particulières repoussées par Sade, ces lois que le sujet cherchera dans ses objets, ces lois qui détermineront sa volonté en tant qu'hétéronome, ces lois seront celles du "principe de plaisir". À ce titre, elles seront "les lois du bien qui est le Wohl", terme kantien que Lacan traduit par "bien-être"91. Il s'agit, par exemple, du bien-être d'habiter dans une société, peut-être comme la notre, où les lois de la pitié, la charité et la bienfaisance sont respectées, aussi respectées que les interdits de l'adultère, de la destruction et particulièrement de l'inceste. Lacan décrit ce bien-être, ce Wohl, comme le "confort du sujet pour autant que, s'il se réfère à das Ding, comme à son horizon, fonctionne pour lui le principe de plaisir, qui donne la loi où se résout une tension liée" aux "les leurres réussis"92. Naturellement, dans la mesure où elle est conditionnée empiriquement, dans une hétéronomie de la volonté du sujet, cette loi du principe du plaisir "soumettrait le sujet", ou plutôt son moi, "au même enchaînement phénoménal qui détermine ses objets"93.

Au delà du principe de plaisir, il y a le "droit à la jouissance", que "s'il était reconnu", reconnu ici, il "reléguerait dans une ère dès lors périmée, la domination du principe du plaisir"94. Au delà de ce principe, là où on jouit du droit à la jouissance, là où ce droit est sanctionné par la Loi morale, aux antipodes de la loi du Wohl kantien, au-delà donc des objets imaginaires dans l'hétéronomie de la volonté, là, "à l'horizon, se dessine le Gute, das Ding"95, la Chose de jouissance, le "Souverain Bien", le bien qui est "l'objet de la loi morale", l'objet ultime de désir, c'est-à-dire "le Bien", qui "s'oppose" comme tel "à quelque que ce soit des biens incertains" que "les objets imaginaires puissent apporter"96. Là, d'après Lacan, la Chose, "das Ding", en tant que das Gute, en tant que Souverain Bien, n'est rien d'autre que la Chose maternelle, soit "l'objet de l'inceste, un bien interdit", et Lacan insiste qu'il "n'y a pas d'autre bien", ce qui constitue, comme causa pathomenon, "le fondement, renversé chez Freud, de la loi morale"97. D'ailleurs, dans cette Loi morale renversée, la Chose en question "se présente" déjà, "au niveau de l'expérience inconsciente, comme ce qui déjà fait la loi", une loi "de caprice, d'arbitraire, d'oracle aussi, une loi de signes où le sujet n'est garanti par rien" 98. C'est en définitive ce qui s'exprime dans l'impression de caprice et d'arbitraire qui nous donne toute loi universelle, où cette universalité indique la portée de la loi au niveau de l'univers chosique de Pessoa, au niveau donc du Gute, celui-ci -je cite Serge Cottet- comme "objet très problématique d'une volonté universelle où le bonheur de l'Autre, voire de l'humanité, est intéressé"99.

Récapitulons (tableau 39). À l'horizon, au-delà du principe de plaisir, dans la nature suprasensible ou insignifiée (12.2), dans le droit pervers à la jouissance ainsi que dans le champ de la Loi morale kantienne comme autonomie de notre volonté (12.1), nous avons le Souverain Bien, le Gute, en tant que Chose maternelle (5.1), en tant que Ding, Chose de jouissance ou objet dernier de notre désir (8.6). En deçà de cet horizon, dans la nature sensible, soumise au principe de plaisir, nous avons le bien comme confort ou bien-être, le Wohl, au niveau des autres choses, des Sachen, ou plus précisément des Sachvorstellungen (4.4), des représentation imaginaires de la Chose, en tant que des objets imaginaires désirés (5.7).

Tableau 39. Wohl et Gute.

Bien Wohl, bien incertain Gute, Souverain Bien
Volonté Hétéronomie Autonomie
Loi Principe du plaisir Loi morale qui sanctionne le droit à la jouissance, au-delà du principe de plaisir
Nature Sensible Suprasensible
Objet Sachvorstellungen, objets imaginaires désirés Ding, objet ultime de désir

Soit dit en passant que l'objet de l'inceste fut déjà ouvertement reconnu, par Sade, comme Gute ou Souverain Bien. Dans sa Philosophie dans le boudoir, en effet, après avoir noté que "la jouissance des objets qui nous appartiennent nous semble toujours plus délicieuse", Sade estime que "l'inceste devrait être la loi de tout gouvernement dont la fraternité fait la base", tout en jugeant comme "un abominable préjugé" celui "qui paraît faire un crime à un homme d'estimer plus pour sa jouissance l'objet dont le sentiment de la nature le rapproche davantage"100. En tant que loi de tout gouvernement dont la fraternité fait la base, l'inceste ou la Chose amoureuse, ainsi que l'objet de l'inceste ou la Chose maternelle, apparaissent chez Sade comme ce qu'ils sont dans la psychanalyse, comme cette "causa pathomenon" qui -selon François Regnault- "donne à proprement parler le champ freudien"101.

12.4. En plus de nous aider à distinguer la Chose comme Gute et sa représentation imaginaire comme Wohl, les deux situations que nous venons de décrire, celle de l'hétéronomie de la volonté dans la nature sensible et celle de l'autonomie de la volonté dans la nature suprasensible, nous aident à distinguer les deux faces -extérieure et intérieure ou intime- de l'extimité de la même Chose comme Gute -voire les deux extrêmes du mouvement de notre cours depuis la perte et la recherche de la Chose perdue dans l'objectivité du monde extérieur, ou dans le Wohl qu'est sa représentation imaginaire soumise au principe de plaisir, jusqu'à ses retrouvailles dans la confusion intime avec le sujet, comme avec son représentant symbolique dans un au-delà du principe de plaisir. Or, après la perte initiale de la Chose insignifiée dans l'objet imaginaire, après cette perte dans la sensibilité et l'hétéronomie de la volonté propre à la reconnaissance de la castration, après cela, maintenant, dans ces retrouvailles -à la fin de notre cours- de la Chose signifiante en tant que sujet, soit dans l'autonomie de sa volonté qui s'exprime comme déni pervers, l'objet réel de la Loi morale révèle toute l'inaccessibilité de l'objet a insignifiant, comme quoi cette Loi montre qu'elle ne "représente le désir" que dans la mesure où "ce n'est plus le sujet, mais l'objet qui fait défaut"102.

Dans le cas de l'hétéronomie de la volonté, la Chose est le sujet -de tous les prédicats- qui fait défaut au sujet -du signifiant-, en se trouvant en-dehors de lui, au-delà des objets imaginaires signifiés, du côté d'un objet chosique -l'objet a insignifiant-, de telle sorte que nous avons "des lois d'une nature à laquelle la volonté est soumise", avec "des objets" -des objets transcendantaux ou des objets a- qui "doivent être les causes des représentations déterminant la volonté" -voire des causes du désir, en tant qu'objets a. Au contraire, dans le cas de l'autonomie de la volonté, où c'est l'objet qui fait défaut, la Chose est trop près, en deçà du sujet du signifiant, du côté d'un sujet réel chosique -le sujet insignifié-, avec "la nature" qui est "soumise à sa volonté", avec "la volonté" du sujet, d'un sujet transcendantal, "qui doit être la cause des objets, en sorte que la causalité de la volonté a son principe de détermination uniquement dans la faculté de la raison pure, qui par suite peut être appelée aussi une raison pure pratique"103. La version ouvertement perverse de ce deuxième cas, nous la discernons clairement, avec Lacan, dans l'expérience sadienne, où "l'impensable de la Chose-en-soi..., descendu de son inaccessibilité, est dévoilé comme Être-là, Dasein, de l'agent du tourment"104.

L'être-là dévoilé dans l'expérience sadienne, je vous prie de bien vouloir l'accepter comme notre être-là hégélien, pour lequel se dévoile pour-soi, comme un être-autre derrière le voile de son être-pour-un-autre, son propre être en tant qu'être-en-soi de la Chose, dans un dévoilement qui est celui du sujet de tous les prédicats, lorsqu'il se révèle à l'Autre, voire à l'existence de ce même sujet -pour autant que celui-ci existe dans la chaîne signifiante des prédicats. Bien entendu, pareille dévoilement de l'être-en-soi de la Chose, pareille dévoilement comme être-là du sujet, n'est pas total dans la perversion, pour autant que l'être du sujet existe toujours , dans l'Autre, identifié à l'Autre et non pas confondu avec le Même -comme dans la mélancolie. Dans la perversion, le dévoilement de la Chose est partiel, il y a une certaine choséité qui doit rester voilée -ou bien, comme dirait Dolmancé, "il est des certaines choses qui demandent absolument des voiles"105. Il n'y a donc pas une abolition de l'objet imaginaire qui voile normalement la Chose réelle. Néanmoins, cet objet ne représente plus tout à fait la Chose qu'il voile. Il n'est plus vraiment élevé, par la sublimation, à la dignité de la Chose. Il n'est pas en état de tromper ou confondre, par cette élévation, une volonté perverse -laquelle, en vertu de son autonomie, ne se laisserait pas déterminer par un objet imaginaire.

C'est du caractère autonome ou hétéronome de la volonté, que dépend, vraisemblablement, ce qui devra être élevé à la dignité de la Chose : soit dans l'hétéronomie de la volonté, par la sublimation, l'objet signifié, comme représentation imaginaire ; soit dans l'autonomie de la volonté, par la perversion, le signifiant qui représente symboliquement le sujet insignifié. Or, de même que nous avons affirmé avant que toute représentation imaginaire doit être sublimée en une certaine mesure, afin d'être acceptée comme une représentation de la Chose -du Gute qu'est das Ding- et non pas seulement comme la Sachvorstellung qu'elle est -en tant que Wohl ou représentation de l'autre chose qu'est die Sache-, nous pouvons soutenir maintenant que tout représentant de la Chose doit être perverti en une certaine mesure, afin d'être accepté comme un représentant de la Chose -de das Ding- et non pas seulement de la représentation imaginaire de l'autre chose -la Sachvorstellung- qu'il représente -en tant que Vorstellungrepräsentanz (tableau 40).

Tableau 40. De la perte théorique de la Chose dans l'objet à sa confusion pratique avec le sujet.

Chose Du côté de l'objet, un objet réel chosique, insignifiant, comme objet transcendantal Du côté du sujet, un sujet réel chosique, insignifié, comme sujet transcendantal
Extimité de la Chose Aspect extérieur Aspect intérieur ou intime
Lacan Perte et recherche de la Chose dans l'objet signifié Retrouvailles de la Chose dans sa confusion avec le sujet du signifiant
Raison kantienne Raison pure théorique ou spéculative Raison pure pratique
Volonté Hétéronomie Autonomie
Elévation à la dignité du Souverain Bien qu'est la Chose Sublimation : élévation d'un objet signifié, représentation imaginaire de la Chose Perversion : élévation d'un signifiant du sujet, représentant symbolique de la Chose

Nous arrivons ici, chez Kant, au sujet toujours perverti en un certain degré, voire le sujet toujours divisé par le signifiant, comme "chose dans l'ordre des phénomènes, soumise à certaines lois dont il est indépendant comme chose ou être en soi"106. Ce disant, Kant conçoit un sujet divisé entre le Wohl et le Gute, entre le principe de plaisir et l'au-delà du principe de plaisir, entre le phénomène qu'il est pour lui comme pour un autre est le noumène de son existence d'être là en soi, entre la représentation imaginaire et le représentant symbolique de la Chose, ce qui implique encore une division entre "ses actions physiquement conditionnées en tant que phénomènes" et "la causalité de ses actions comme physiquement inconditionnée"107.

Au fond des divisions que nous venons de mentionner, qui sont toujours la même division du sujet, il ne faut pas oublier le fondement, "la bipolarité dont s'instaure la Loi morale", qui "n'est rien d'autre que cette refonte du sujet de toute intervention du signifiant", refonte entre le "sujet de l'énoncé", au "creux" que la "jouissance fore au lieu de l'Autre", et le "sujet de l'énonciation", comme "l'Autre en tant que libre", avec son "droit à la jouissance"108. Refonte donc du sujet du signifiant entre lui et l'Autre qu'il est par rapport à lui-même, entre son étant insignifiant et la signifiance de son existence, entre son être réel chosique et son être symbolique langagier.

Bien entendu, nous pouvons continuer à explorer les différentes expressions de la même division du sujet, division entre la cause de son désir et son propre désir comme désir d'un Autre, entre la cause de son désir -comme plus-de-jouir qui manque- et la Chose de sa jouissance -comme désir ou objet ultime de Désir-, entre l'objet insaisissable de la Loi (l'objet a) et le sujet (le sujet barré $) du fantasme ($(a), entre son étant insignifiant et son être signifiant et donc insignifié, entre l'objet chosique et le sujet chosique, mais aussi -dans le même sens bien qu'à un autre niveau encore plus profond-, entre avoir et être, entre ne pas être (-w) le phallus imaginaire de la mère et être (F) symboliquement -comme signifiant phallique- ce phallus, entre ne pas l'être et l'être, entre la castration et le déni pervers de la castration.

Enfin, si nous nous situons dans le déni pervers de la castration, nous retrouvons la même division du sujet, à l'état pur, comme division entre le vide chosique signifiant et le signifiant élevé à la dignité de la Chose insignifiée, entre grand A barré et S -dans le mathème S de grand A barré-, entre la reconnaissance -pour soi- et le déni -en soi- de la castration de la mère -la reconnaissance comme ce qui est physiquement conditionné, dans l'ordre des phénomènes et des lois de l'intuition sensible, et le déni comme ce qui est physiquement inconditionné, au niveau d'une volonté soumise à sa propre Loi morale comme noumène (tableau 41).

Tableau 41. Division lacanienne du sujet kantien.

Fantasme ($(a) Objet du fantasme (a) Sujet du fantasme ($)
Le voile imaginaire Phénomène qu'il est pour lui comme pour-un-autre (moi signifié) Noumène de son existence d'être-là en soi (sujet insignifié du signifiant)
Derrière le voile Plus-de-jouir, cause du désir, étant insignifiant Désir, Chose de jouissance, être signifiant et insignifié
To be or not to be Ne pas être le phallus imaginaire

( -w )

Être symboliquement (signifiant phallique) le phallus imaginaire

( F )

Division Intuition soumise au lois de la sensibilité : reconnaissance (physiquement conditionnée) de la castration Volonté soumise à sa propre loi morale : déni (physiquement inconditionné) de la castration

Dans la division du pervers, de même que dans l'éthique de Kant, le déni inconditionné de la castration, propre de la raison pure pratique, remplit en quelque sorte le vide chosique signifiant -à la place du Gute ou du noumène inaccessible qu'est la Chose maternelle insignifiée- laissé par la reconnaissance conditionnée, propre de la raison pure théorique, de cette même castration -comme coupure de la Chose amoureuse. En effet, Kant lui-même se réfère à la "place laissée vide" par la raison théorique, celle de "l'intelligible" du noumène, à laquelle la raison pratique "transporte l'inconditionné", en "remplissant cette place vide par la Loi morale"109.

En remplissant par la Loi morale le vide chosique signifiant, Kant "ne place dans la raison pure (appelée en conséquence pratique) que le principe déterminant de la causalité de l'homme comme être sensible". Cette causalité, comme causa noumenon -ou pathomenon chez Lacan-, "acquiert une signification par la Loi morale, quoique seulement pour l'usage pratique"110. En fait, en remplissant le vide chosique signifiant du noumène -cette place de l'Autre laissée vide par la raison pure théorique-, la Loi morale, telle qu'elle est formulée par la raison pure pratique, devient causa noumenon, elle est ainsi élevée -en tant que Loi chosifiée- à la dignité du noumène ou du Gute qu'est la Chose maternelle -ou au moins à celle d'être une cause de noumènes.

Comment est-ce qu'une Loi peut être élevée, de manière relativement légitime, à la dignité du Gute, du Souverain Bien qu'est la Chose ? Voici l'affaire dont traite la critique de la raison pure pratique, dont le but est de fonder une métaphysique des moeurs, voire une métaphysique de la morale et de la perversion.

En m'inspirant d'une conversation que j'ai eu récemment, à Porto, avec le philosophe Adélio Melo, je ne puis me résister ici d'improviser quelques extrapolations : la critique de la raison pratique apparaîtrait en effet comme une critique de la morale et de la perversion, ainsi que les critiques de la raison pure et de la faculté de juger correspondraient, à juste titre, la première à une critique de la paranoïa, de l'obsession et de la sublimation scientifique et religieuse, alors que la deuxième à une critique de l'hystérie et la sublimation artistique.

Dans la critique de la raison pratique, nous apprendrons notamment qu'il n'y a que la locution signifiante à l'état pur -telle une Loi universelle qui dénie le vide chosique dans l'éthique ou la perversion (12.1)-, et non pas l'objet comme entité signifiée (7.1), qui puisse être dignement élevée à la dignité d'un Chose, comme Souverain Bien (12.3), qui ne reste insignifiée que pour autant qu'elle est signifiante (8.6). Si nous pouvons apprendre cela, dans la critique de la raison pratique de Kant, c'est parce que nous sommes en mesure de comprendre, avec Lacan, que "ce soit comme trame signifiante pure, comme maxime universelle, comme la chose la plus dépouillée de relations à l'individu, que doivent se présenter les termes de das Ding" -dans le "le point de mire, de visée, de convergence, selon laquelle se présentera", chez Kant, "une action que nous qualifierons de morale."111 .

En tant que purement signifiante, une Loi morale universelle est digne d'être élevée à la dignité de la Chose. En outre, pour pouvoir être dignement élevée à cette dignité, la Loi morale ou perverse devra d'abord, logiquement, être formulée par un impératif catégorique, qui "représente une action comme nécessaire pour elle-même et sans rapport à un autre but", et non pas par un impératif hypothétique, qui "représente la nécessité pratique d'une action possible, considérée comme moyen d'arriver à quelque autre chose que l'on veut"112. Ainsi, l'action impliquée dans la Loi chosifiée, comme réalisation de cette Loi, n'est pas seulement "conforme au devoir", mais elle est "accomplie par devoir"113. Par là, elle "tire sa valeur morale non pas du but qui doit être atteint par elle, mais de la maxime d'après laquelle elle s'est décidée". Autrement dit, "l'action est produite" indépendamment du principe de plaisir, "sans égard à aucun des objets de la faculté de désirer"114, sans égard à aucun objet imaginaire, à aucun Wohl, à aucune des représentations imaginaires de la Chose (a + b), mais seulement en fonction de la Loi morale ou perverse qui sanctionne le droit à la jouissance, en fonction de ce représentant symbolique élevé à la dignité de la Chose de jouissance, de la Chose signifiante (b - a), du Gute, du Souverain Bien, comme objet ultime du désir.

À la différence du bien incertain qu'est le Wohl de l'objet désiré, pour lequel je n'ai que de "l'inclination", pour la Loi chosifiée, telle qu'elle est élevée -par la perversion ou par une certaine éthique- à la dignité de la Chose comme Gute ou objet ultime de désir -au-delà du principe de plaisir-, j'ai une attitude que le philosophe de Königsberg n'hésitera pas à designer comme "respect"115. Ainsi, une Loi selon laquelle aucun sujet ne peut être castré ni privé de son être, une Loi pareille ne peut qu'inspirer du respect au pervers. À cette Loi universelle qu'il respecte autant, à cette Loi qui institue le droit universel à la jouissance, à cette Loi déduite à partir de la maxime de la non-castration de sa mère, le pervers subordonnera toutes ses inclinations, sans égard à aucun objet imaginaire -allant jusqu'à la destruction absolue, sadique ou masochiste, du moi ou de l'i(a). Ainsi, quand Eugènie lui demande "de quel oeuil il voit l'objet qu'il sert ses plaisirs", Dolmancé peut lui répondre : "comme absolument nul, ma chère"116.

Dans l'autonomie éthique ou perverse de la volonté, l'objet doit être absolument nul. Ce qui n'est d'ailleurs pas étonnant, si nous considérons que cet objet ne fait à peine que voiler de sa consistance imaginaire le vide signifiant de la Chose freudienne, cette bouche ouverte et parlante que le pervers, comme Kant, veut impérativement remplir, pour sa jouissance, de ce qui doit la remplir, à savoir un mot, le signifiant toujours manquant, ce signifiant phallique qui ne remplit toutefois sa fonction que de manière symbolique -et non pas de manière réelle, comme dans la mélancolie, que nous examinerons tout de suite.

12.5. Si nous sommes dans la bonne route, le vide signifiant de la Chose insignifiée sera dénié par le pervers, tout comme il est forclos par le paranoïaque, évité ou déplacé par l'obsessionnel et refoulé par l'hystérique. Pour compléter ces différentes sortes de rapport entre le sujet et le vide chosique signifiant, je voudrais, avant de finir, m'occuper du mélancolique, dont le rapport à la Chose fut déjà, dans notre cours, l'objet de nombreuses références.

Pour commencer, pensons à un mélancolique, n'importe lequel, par exemple Anfortas, le Roi-Pêcheur de Wolfram von Eschenbach. Cet Anfortas est un homme "qu'accablait la tristesse"117 et "en qui toute joie était morte"118. En bon mélancolique, il "suppliait souvent les chevaliers de le laisser mourir ; et il eût bientôt succombé si l'on n'avait fréquemment apporté devant lui le Graal, dont il éprouvait alors la vertu secrète"119. Je vous rappelle que chez Chrétien de Troyes, nous savons déjà que "c'est d'une seule hostie, apportée dans le Graal", que le mélancolique en question -ici le père du Roi-Pêcheur- "se soutient et réconforte, tant le Graal est sainte chose (tant sainte chose est li Graax)"120. Grâce à cette sainte Chose, le mélancolique peut survivre, bien qu'il veuille mourir pour finir avec son tourment. À propos de ce tourment, nous ne savons presque rien. Il est appelé, alternativement, douleur, souffrance, maladie... Nous savons seulement qu'il est inhérent à l'existence. Nous pouvons en conclure que c'est une douleur d'exister, une souffrance d'être vivant, une maladie que nous n'hésitons pas à considérer comme de la mélancolie.

Anfortas espère guérir. Mais pour lui, guérir veut dire mourir. Il n'y a que la mort qui puisse mettre fin à sa douleur d'exister. Il n'y a que la mort qui puisse lui permettre de cesser d'exister dans le temps, cesser d'être-là dans la chaîne signifiante des instants, b1 + b2 + bn, et se fondre enfin avec son être-autre, avec le Saint-Graal, dans l'être-ici, dans la signifiance chosique réellement représentée par le Saint-Graal. C'est peut-être de ce fait que pour le Roi-Pêcheur, la seule manière de guérir, la seule manière donc de mourir, est de révéler enfin le secret de son tourment et du Saint-Graal, d'éclaircir donc le mystère du Saint-Graal, c'est-à-dire de prononcer le sujet, a, de tous les prédicats, b1 + b2 + bn, ce qui n'est possible -nous le savons déjà- qu'en arrêtant l'enchaînement signifiant des instants ou des prédicats -ou cette quête du Graal qui n'a plus raison d'être- pour se laisser tomber dans le vide chosique signifiant et intemporel de la lettre a -dans la signifiance pure de la Chose.

Je suis déjà en état d'avancer ma conjecture : le mélancolique lui-même, en s'incorporant au vide chosique signifiant -ou en se laissant incorporer par ce vide-, le comblera de ce qu'il est, en tant que sujet insignifié de tous les prédicats -de tous les prédicats où il existe comme être-là, comme être-là suspendu à une corde métonymique, suspendu là en-dessus de son être-ici-en-soi, au moins avant de se laisser tomber, avant donc de se précipiter dans le vide signifiant où il manquait avant de le remplir.

Par rapport au vide signifiant de la Chose, au lieu du refoulement hystérique, du déplacement obsessionnel, de la forclusion paranoïaque (7.2) et du déni pervers (12.1), ce qu'il y a dans la mélancolie c'est une incorporation du sujet par le vide. En quelque sorte, le mélancolique, en arrêtant le temps d'exister, se laisse assimiler, avec sa mort -qui commence toujours avant sa mort effective-, par le centre du vortex de la Chose axiale, par ce vide où il se précipite, au lieu de le contourner -suivant l'escalier en colimaçon du temps ou de la chaîne signifiante des instants. Ce qui arrive dans le suicide soudain ou progressif du mélancolique est précisément, selon ma conjecture, l'incorporation, au vide chosique, de la Chose qui manque dans ce vide. Puisque ce qui manque cesse de manquer, puisque ce qu'indique -a -l'objet a qui se laisse tomber au milieu du colimaçon- devient la lettre a -une fois qu'il est tombé-, nous avons le droit de dire qu'il s'agit d'un remplissage réel et absolument légitime -et non pas symbolique et relativement légitime comme dans la perversion.

Dans le remplissage réel du vide chosique par le mélancolique, nous constatons, entre le sujet et la Chose, une proximité, une intimité, voire une confusion, un rapprochement sans éloignement, qui n'a lieu que dans la mélancolie, qui n'a lieu même pas dans la perversion, où tout rapprochement n'est que fantasmatique. Certes, il y a des cas de perversion, comme celui de Sade, où le rapprochement cesse d'être seulement fantasmatique. Alors, comme le remarque Lacan, dans un réel "voisinage de la Chose, ce qui s'éprouve, passées certaines limites, n'a rien à faire avec ce dont le désir se supporte dans le fantasme qui justement se constitue de ces limites"121. Et pourtant, même au-delà des limites dans lesquels se constitue le fantasme, même dans ce voisinage réel de la Chose, un pervers, même un pervers tel que Sade, ne rencontre jamais -comme nous le fait remarquer Lacan- "son prochain", il ne se trouve jamais "assez voisin de sa propre méchanceté"122, il n'est donc jamais, à proprement parler, dans un rapprochement sans éloignement par rapport à la Chose -il n'avance donc jamais, si je puis dire, aussi près de la Chose que le mélancolique.

Dans le comble du rapprochement sans éloignement entre le sujet et la Chose, il y a lors du suicide mélancolique, au moment du comblement de l'être réel chosique -qui n'est tel qu'une fois comblé-, un remplissage du vide signifiant -de l'être symbolique langagier qui n'est tel que lorsqu'il est encore vide- par l'objet insignifiant et dans la Chose insignifiée, un remplissage par la personne propre du mélancolique -par son être, lettre a, qui cesse de manquer en cessant d'être l'étant, indiqué -a, qu'est l'objet a.

Dans le suicide mélancolique, le sujet est "entraîné dans le suicide", entraîné à l'intérieur du vide chosique, par la "chute" de l'objet a123. Cette chute aura lieu précisément au moment, bien décrit par Freud, où cet objet a, comme unbewußte Dingvorstellung ou représentation réelle inconsciente de la Chose, est "délaissé (verlassen) par la libido"124. Si un tel délaissement peut comporter le suicide, c'est pour autant que la représentation délaissée est une Dingvorstellung -réelle- et non pas une Sachvorstellung -imaginaire. Autrement dit, ce qui est délaissé dans la mélancolie est l'objet a, le propre être réel du sujet -à la différence du deuil normal, où ce qui est délaissé n'est qu'un objet imaginaire narcissique, le i(a), l'être apparent du sujet. Par ce délaissement, l'être du sujet rejoint la Chose, remplissant le vide chosique. Cet aboutissement de la mélancolie dans la Chose a fasciné plusieurs auteurs, notamment Julia Kristeva et Jacques Hassoun.

Pour Hassoun, la Chose, comme "part obscène jusqu'à la fascination d'une mère non symbolisée", suscite la mélancolie comme "un deuil interminable, sans fond ni limite"125. Quant à Kristeva -qui peut compenser toute son incompréhension de Lacan par de très belles intuitions-, le mélancolique est en deuil de la Chose, d'une Chose entendue comme "le réel rebelle à la signification, le pôle d'attrait et de répulsion, demeure de la sexualité de laquelle se détachera l'objet de désir"126 -c'est-à-dire, pour nous, la partie de la totalité chosique désirée, sa partie ou son indice comme cause du désir, comme objet a. Opposée à cet "objet de désir", qui assure une "métonymie du plaisir", la Chose de Kristeva, comme "Chose érotique", devrait "interrompre la métonymie désirante", s'opposant ainsi "à l'élaboration intrapsychique de la perte"127. Au lieu de la perte, il y aurait dans la mélancolie "les délices des retrouvailles qu'une rêverie régressive se promet à travers les noces du suicide". Or, ceci équivaut aussi à une rencontre avec "mon ennemi, mon repoussoir, le pôle délicieux de ma haine", pour autant que "la Chose c'est le vase qui contient mes déjections..., un déchet avec lequel, dans la tristesse, je me confonds"128. Je voudrais bien faire ici une distinction, assez arbitraire d'ailleurs, entre le Ding ou la Chose, comme vase qui contient les déjections du mélancolique, et la Dingvorstellung ou la représentation réelle de la Chose, l'objet a, comme déchet avec lequel se confond le mélancolique -entraîné par lui dans sa chute, quand il se jette, par la fenêtre, à l'intérieur du vase qu'il remplit.

Comme déchet, ennemi, repoussoir et pôle de la haine, la Chose de Kristeva nous rappelle celle du Freud de 1925, laquelle, en étant "mauvaise" ou "nuisible" , elle était "crachée" par la pulsion orale, elle était ainsi "exclue du moi", du moi-plaisir originel, qui "jette de lui tout le mauvais", jusqu'au point où "le mauvais" devient "identique" à "ce qui se trouve à l'extérieur", comme "étranger au moi"129. Le délaissement de l'objet par le travail mélancolique doit obéir à cette opération -pourvu que le sujet, le mauvais sujet mélancolique, ne se jette pas lui-même, en étant confondu avec son être insignifiant, à l'intérieur de ce vase qui se trouve à l'extérieur, derrière la fenêtre.

Comme le remarque J. Hassoun, "le vide auquel est confronté le mélancolique", ce vide où il se jette, "désigne la place de la Chose qui vient ici relayer l'objet"130. Dans le suicide mélancolique, ce vide, l'abîme derrière la fenêtre, comme le trou au milieu de vase, peut se remplir, enfin, de sa propre matière chosique -du sujet du signifiant, comme lettre b, confondu avec l'objet a, comme -a, dans la Chose, ou la lettre a. Le suicide serait ainsi logiquement chez Hegel, comme le remarque Slavoj Zizek, "un acte parfaitement réussi (un acte qui correspond à sa notion)", en tant "qu'auto-objectivation accomplie, transformation du sujet en Chose"131.

Par le suicide, le vase retourne à sa condition de sphère. L'abîme derrière la fenêtre, l'abîme pour soi -pour le mélancolique-, se referme en soi -dans le mélancolique qui se jette par la fenêtre. De ce fait, le néant et l'étant, ou le néant qui se néantisait pour devenir étant, redevient enfin l'être, l'être réel chosique, en tant que totalité unitaire et consistante. Le monde ouvert, infini, propre de la métaphysique, cède sa place à l'être, à la totalité de l'ontologie. En ceci, la mélancolie serait comparable à une certaine philosophie, de même que la perversion était comparable à une certaine éthique, et de même aussi qu'il y avait lieu de comparer l'hystérie et l'art, l'obsession et la religion ou la paranoïa et la science (tableau 42).

Tableau 42. Esquisse de psychopathologie chosique.

Structure Comparaison Devant le vide chosique Manifestation de la Chose
Mélancolie Philosophie Incorporation (Einverleibung) et confusion Chose maternelle, amoureuse, totale, unitaire, sphérique, en tant que Même
Perversion Éthique Déni (Verleugnung) et division Chose freudienne, ouverte et parlante, comme récipient, comme signifiant insignifié
Paranoïa Science Forclusion (Verwerfung) et incroyance Chose comme Autre de l'Autre
Obsession Religion

Déplacement (Verschiebung) et évitement Chose en passion, effacée, meurtrie, perdue et cherchée, lointaine et rapprochée
Hystérie Art Refoulement (Verdrängung) et entourage Chose axiale, absente dans la parole, comme le rien qu'est le sujet du signifiant

Le mélancolique est celui qui arrive le plus loin dans la direction de la Chose. Il est le seul qui reste en présence d'elle, jusqu'au point de se confondre comme objet a avec elle, avec elle qui peut satisfaire ainsi tout son désir, avec elle qui peut remplir son vide signifiant et désirant, avec elle qui n'est plus alors cet Autre qui manque de l'objet a, mais la Chose maternelle, amoureuse, totale, unitaire, sphérique, en tant que Même absolu.

12.6. Nous pouvons introduire déjà une comparaison différentielle assez claire, bien que tout à fait provisoire, entre la Chose du mélancolique et celle du pervers, du paranoïaque, de l'obsessionnel et de l'hystérique :

a) Le pervers s'arrête, divisé, devant le vide signifiant où se jette le mélancolique. D'une part, théoriquement, il reconnaît, dans l'Autre, ce vide extérieur qui résulte de la castration -voire le manque dans l'Autre barré. Mais d'autre part, pratiquement, il le déni en lui, en le comblant symboliquement -et non réellement comme le mélancolique- d'une Loi signifiante dignement élevée à la dignité d'une Chose qui ne reste insignifié que par son caractère signifiant. À partir de cette situation -qu'on peut indiquer par le mathème de S de grand A barré-, le pervers, en s'identifiant à l'Autre qui fut barré, se divise dans son fantasme, et là, comme le mélancolique, il peut jouir en lui-même directement de la Chose, bien que de manière seulement fantasmatique. En effet, cette Chose, la Chose freudienne, ouverte et parlante, constitue en fin de compte, dans l'accomplissement de sa parole qui devient Loi, ce dont jouit le pervers, identifié à l'Autre -et non au Même comme le mélancolique-, dans son rapport fantasmatique -et non confusionnel comme celui du mélancolique- avec son objet a -comme objet insaisissable de la Loi-, avec ce plus-de-jouir qui, au moins dans le scénario de jouissance du fantasme -et en obéissance de la Loi qui sanctionne le droit à la jouissance-, ne lui sera pas soustrait pour devenir la cause de son désir. Ainsi, pour le pervers, de même que pour le mélancolique d'avant ou d'après son suicide -et non au moment si particulier du suicide-, la Chose de jouissance, à mon sens, l'emporte sur la Chose en tant qu'objet ultime de désir.

b) Le paranoïaque devient, lui-même, ce dont jouit l'Autre auquel s'identifie le pervers. Dans la mesure où il devient cet objet insignifiant, le paranoïaque est dans une situation analogue à celle du mélancolique -lequel, d'un certain point de vue freudien, est aussi l'objet de la jouissance sadique de son Autre surmoïque. Néanmoins, le paranoïaque ne partage pas la jouissance de l'Autre -comme le mélancolique et le pervers-, il n'est pas identifié à l'Autre, il ne se précipite pas non plus dans le vide pour se confondre avec l'Autre dans le Même -comme fait le mélancolique-, mais il échappe de l'Autre, il reste donc la cause du désir de cet Autre, puisqu'il ne se laisse pas satisfaire ce désir. Le paranoïaque reste donc insignifiant -sans devenir jamais la signifiance insignifiée que deviennent le mélancolique et le pervers. D'ailleurs, le paranoïaque ne reconnaît pas, ne croit pas au caractère signifiant du vide, au vide signifiant dans le sujet, ce vide reconnu par le pervers et où se jette le mélancolique. Pour le paranoïaque, ce vide, en tant que signifiant, n'est pas. Ce vide est forclos dans le symbolique, en tant que vide signifiant de l'Autre symbolique -de l'Autre qu'est le sujet pour lui-même-, pour faire retour dans le réel, en tant que vide désirant de l'Autre réel -ou de la Chose en tant qu'Autre de l'Autre.

c) Quant à l'obsessionnel, il fera tout pour ne pas se confondre, comme le paranoïaque ou le mélancolique, avec l'objet insignifiant que tout de même il est. Pour s'occulter cette identité, l'obsessionnel cherche à s'identifier à l'Autre, comme le pervers. Or, l'Autre auquel il s'identifie n'est pas celui jouissant, il n'est pas celui qui jouit de son objet -comme l'Autre désirant du paranoïaque ou comme celui auquel s'identifie le pervers qui jouit de sa relation fantasmatique avec l'objet dont il déni le manque. L'Autre auquel cherche à s'identifier l'obsessionnel, l'Autre le moins réel qu'on puisse concevoir, est celui qui ne désire pas, qui ne jouit pas non plus. Il est tout simplement l'Autre symbolique, en tant que lieu signifiant qui manque d'un objet insignifiant, un objet insignifiant qui doit manquer dans un lieu signifiant, lequel, toutefois, ne doit pas se révéler comme vide -afin de ne pas révéler la nature de l'objet comme cause du désir. Au contraire du paranoïaque, lequel ne croit pas à la signifiance d'un vide qui ne reconnaît que dans son caractère désirant, l'obsessionnel ne reconnaît pas le caractère désirant de ce même vide qu'il ne reconnaît qu'en tant que signifiant. Nonobstant cette différence, dans les deux cas, le vide, soit par son caractère désirant ou signifiant, est refusé, voire forclos ou évité -et non reconnu comme dans la perversion. Certes, l'obsessionnel cherche à remplir ce vide, comme le pervers, de sa propre signifiance vide. Mais si le pervers réussit dans cette entreprise, grâce à la reconnaissance du vide et à l'assomption de sa division subjective, l'obsessionnel par contre doit échouer, pour la simple raison qu'il se refuse à reconnaître son vide signifiant, voire sa division par l'effet du signifiant -ou sa division par l'effet de la castration en raison de laquelle s'ouvre ce vide signifiant. En évitant ce vide où se jette le mélancolique, ce vide qu'il n'arrive jamais à remplir -à défaut de sa reconnaissance-, notre obsessionnel tente de retrouver la Chose consistante dans le signifiant qui l'efface, il efface alors le signifiant qui l'efface et il n'arrive qu'à un autre signifiant qui l'efface aussi. Ainsi de suite, dans une chaîne signifiante de plus en plus serrée, la Chose qui est censée remplir son propre vide reste ainsi toujours vide, toujours en passion d'elle-même comme signifiant, toujours effacée par elle-même, toujours meurtrie, perdue et cherchée en vain, puisque l'obsessionnel se résiste à la reconnaître de la seule manière où elle peut la reconnaître, en reconnaissant son vide, son vide désirant, et en se reconnaissant lui-même, au niveau de son étant, comme ce qui manque toujours et comme ce qui remplit ce vide. Du même coup, l'obsessionnel s'interdit la jouissance aussi bien que le désir -en s'interdisant tout rapport, même celui du désir, à son propre étant, au plus-de-jouir qui lui fut enlevé et qui est la cause du désir. Ce plus-de-jouir, cette cause de son désir, n'a d'autre valeur pour l'obsessionnel que celle de son insignifiance. Quant à la Chose, elle n'a d'autre valeur que celle de sa propre signifiance insignifiée. Dans cette situation, la Chose ne cesse d'être approchée, en tant que signifiante, en tant que sujet insignifié de tous les prédicats, mais tout en étant invariablement éloignée, en tant que vide, en tant qu'objet ultime de désir ou Chose de jouissance.

d) En rapprochant, comme l'obsessionnel, justement la même Chose qu'elle éloigne, l'hystérique n'évite pas toutefois le vide chosique signifiant où se jette le mélancolique, elle ne l'évite pas, mais elle ne le remplit pas non plus. Dans la méprise permanente de l'objet ultime de son désir, elle fait le tour de son vide, elle tourne autour de lui. Ainsi entouré, le vide apparaît chosifié, comme la Chose aérienne ou comme la Chose axiale, absente dans cette parole, sa propre parole de Chose freudienne, qui fait son propre tour dans la chaîne signifiante -où elle existe en tant que sujet. En quelque sorte, cette parole, cette chaîne signifiante des prédicats, fait le tour du rien qu'est la Chose comme sujet de tous les prédicats -un sujet qui ne peut exister, comme signifiant pour un autre signifiant, qu'en étant-là, dans la chaîne signifiante des prédicats, ex-sistant par rapport à ce qu'il est, au rien qu'il est, à son utérus que son existence hystérique entoure. Le vide qui est ainsi entouré, ce vide signifiant -comme celui du pervers et de l'obsessionnel- aussi bien que désirant -comme celui du paranoïaque-, ce vide apparaît, en étant refoulé, comme l'inconscient du sujet du signifiant qu'est l'hystérique insatisfaite, avec son désir éternel et son irréductible défaut de jouissance -avec son inconscient en tant que lieu de l'Autre, lieu vide où se trouve en manquant son être de sujet, l'objet a, comme la cause toujours effective de son désir et le plus-de-jouir qui lui fait toujours défaut.

À l'opposé de l'hystérie, où opère dans le vide signifiant la fonction de manque de l'objet a insignifiant comme cause du désir, dans la mélancolie nous assistons au remplissage, par le mélancolique même, de ce vide signifiant et à la résultante neutralisation de la fonction du manque. D'où il s'ensuit, logiquement, que la jouissance totale -sans le défaut du plus-de-jouir- l'emporte sur le désir -qui s'évapore, faute d'une cause effective.

Avant de conclure, j'attire votre attention sur le fait que le vide signifiant où se jette le mélancolique, ce vide est encore, avant d'être comblé, celui de la Chose freudienne, ouverte et parlante. En effet, jusqu'au moment qui précède le suicide ou les crises mélancoliques les plus graves -par exemple celles où se développe le syndrome de Cotard-, derrière la fenêtre il y a toujours encore une bouche ouverte, celle du lieu de l'Autre, du monde ou de la Chose freudienne -le sujet de tous les prédicats- qui parle d'elle-même en parlant du sujet du signifiant -qui existe dans la chaîne des prédicats de cette parole, en tant que discours de l'Autre, de l'Autre qu'il est pour lui-même, dans l'extériorité de son inconscient. Comme quoi ce n'est que dans les situation extrêmes que le vide signifiant signifiera enfin, lorsque l'être du mélancolique le remplira, ce qu'il eu toujours à signifier, dans l'adéquation absolue de la vérité freudienne -l'adéquation entre le vide et ce qui le remplit, entre l'intellect dehors et ce qui le remplit dedans, entre l'Autre et l'objet a, entre l'extériorité de l'inconscient et l'intériorité du réel, entre l'existence et l'existant, entre le Saint-Graal et le sang du Christ.

Dans l'adéquation absolue entre le dehors et le dedans, lorsque la mélancolie sera menée jusqu'à ses dernières conséquences, il n'y aura pas d'Autre, mais un Même absolu, celui de l'être, de l'être réel chosique. Il n'y aura pas d'être symbolique langagier, pas de vide signifiant, pas de lieu de l'Autre, pas de monde, pas d'espace. Il n'y aura pas de discours de l'Autre, pas d'enchaînement signifiant entre les instants, pas d'existence, pas de temps. Il n'y aura pas non plus division et manque de la totalité dans la partie, mais la totalité unitaire, indivisible, de la Chose amoureuse. Il n'y aura enfin aucun éloignement dans le rapprochement, aucune ouverture pour soi dans la présence en soi, mais seulement de la fermeture en soi, dans un rapprochement sans éloignement. Ainsi, le vide signifiant de la Chose insignifiée (8.6) sera comblé dans la mélancolie, ainsi que dans une certaine philosophie, où le sujet non-divisé en soi, en étant indiscernable de l'objet insignifiant qu'il devrait être pour soi, cesse d'exister lorsqu'il se précipite par le suicide ou par l'ontologie dans le vide qui l'incorpore, cette place de l'Autre qui devient la place du Même lorsqu'elle cesse d'être ouverte pour soi (9.3), en reprenant dans une confusion chosique, dans un rapprochement sans éloignement (8.5), l'être du sujet, qui était pour soi, et en se fermant sur lui ou en soi -dans la mesure où l'être du sujet ne pourra plus ex-sister par rapport à elle.


1 Barreira, J. 1933. As coisas falam, Lisboa, Spleen et ideal, 1933, p. 62.

2 Ibid., p. 63.

3 Ibid., p. 67.

4 Benjamin, W. 1928. Ursprung des deutschen Trauerspiels. Frankfurt-und-Main, Suhrkamp, 1974. Traduction française: Origine du drame baroque allemand. S. Muller (trad.), Flamarion, Paris, 1985, p. 166.

5 Barreira, J. 1933. As coisas falam, op. cit.., p. 68.

6 Lacan, J. 1955. "Séance du 25.05.55", in Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1978, pp. 326-327.

7 Barreira, J. 1933. As coisas falam, op. cit., p. 51.

8 Barreira, J. 1892. O delirio de negações, Porto, Typographia occidental, 1892, p. 18.

9 Ibid., p. 20.

10 Barreira, J. 1933. As coisas falam, op. cit., p. 69.

11 Genèse, 2, 7.

12 Ecclésiastique, 33, 13.

13 Jérémie, 18, 6.

14 Jérémie, 19, 10.

15 Isaïe, 64, 7.

16 Isaïe, 29, 16.

17 Isaïe, 45, 9.

18 Paul, Épître aux Romains, 9, 20-22.

19 Paul, Épître aux Romains, 9, 22-23.

20 Paul, Deuxième Épître à Timothée, 2, 20-21.

21 Origène, Traité des principes, H. Crouzel et M. Simonetti (trad.), Paris, Cerf, 1980, III, I, 22, p. 139.

22 Ibid., III, I, 22, 139-140.

23 Ibid., III, I, 21, p. 135.

24 Ibid. III, 6, 6, p. 251.

25 Kant, E. 1781. Critique de la raison pure, op. cit., II, II, II, 9, pp. 398-399.

26 Luther, M. 1525. "Du Serf Arbitre", in Oeuvres, vol. V, Genève, Labor et Fides, 1958, p. 150.

27 Ibid., p. 169.

28 Ibid., p. 176.

29 Ibid., p. 168.

30 Ibid., p. 140.

31 Erasme, 1524, "Le libre arbitre", in Éloge de la folie, Adages, Collogues, Réflexions, A. Godin (trad.), Paris, Laffont, 1992, p. 730.

32 Ibid., p. 729.

33 Ibid., p. 740.

34 Luther, M. 1525. "Du Serf Arbitre", op. cit., p. 151.

35 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 13.01.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 116.

36 Sade, 1795, "La philosophie dans le boudoir", in Oeuvres complètes, vol. III, Paris, Pauvert, 1992, p. 402.

37 Ibid., p. 485.

38 Freud, S. 1927. "Fétichisme", in Oeuvres complètes, vol. XVIII, R. Lainé (trad.), Paris, PUF, 1994, p. 126.

39 Freud, S. 1938. "Le clivage du moi dans le processus de défense", in Résultats, idées, problèmes, vol. II, R. Lewinter et J.-B. Pontalis (trad.), Paris, PUF, 1985, p. 285.

40 Ibid., p. 286.

41 Freud, S. 1927. "Fétichisme", op. cit., p. 127.

42 Ibid., p. 126.

43 Kant, E. 1788. Critique de la raison pratique, J. Gibelin (trad.), Paris, Vrin, 1965, I, I, I, 7, p. 44.

44 Freud, S. 1938. "Le clivage du moi dans le processus de défense", op. cit., p. 284.

45 Freud, S. 1927. "Fétichisme", op. cit., p. 127.

46 Lacan, J. 1957. "Séminaire du 27.02.57", in Le désir et son interprétation, op. cit., p. 190.

47 Ibid., pp. 193-194.

48 Ibid., p. 193.

49 Freud, S. 1927. "Fétichisme", op. cit., p. 127.

50 Lacan, J. 1957. "Séminaire du 27.02.57", in Le désir et son interprétation, op. cit., p. 193.

51 Freud, S. 1924. "Le problème économique du masochisme", in Oeuvres complètes, vol. XVII, A. Bourguignon et C. V. Petersdorff (trads.), Paris, PUF, 1992, p. 19.

52 Ibid., p. 21.

53 Lacan, J. 1957. "Séminaire du 16.01.57", in Le désir et son interprétation, op. cit., p. 113.

54 Lacan, J. 1962. "Kant avec Sade", in Écrits, op. cit., vol. II, p. 258.

55 Lacan, J. 1957. "Séminaire du 16.01.57", in Le désir et son interprétation, op. cit., p. 119.

56 Sade, 1795, "La philosophie dans le boudoir", op. cit., p. 515.

57 Lacan, J. 1957. "Séance du 15.05.57", in La relation d'objet, op. cit., p. 330.

58 Juranville, A. 1984. Lacan et la philosophie, op. cit., p. 219.

59 Kant, E. 1781. Critique de la raison pure, op. cit., I, II, III, pp. 226-228.

60 Ibid., I, II, III, p. 229.

61 Ibid., I, II, III, pp. 230-231.

62 Lacan, J. 1958. "Remarque sur le rapport de Daniel Lagache", op. cit., p. 126.

63 Lacan, J. 1956. "Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, in Écrits, vol. I, op. cit., p. 270

64 Kant, E. 1781. Critique de la raison pure, op. cit., I, II, III, p. 231.

65 Ibid., I, II, III, p. 227.

66 Lacan, J. 1975. "Séminaire du 18.11.75", in Le sinthome.

67 Kant, E. 1785. Fondements de la métaphysique des moeurs, V. Delbos (trad.), Paris, Le livre de poche, 1993, II, pp. 135-136.

68 Anonyme, 1250, Le roman de Tristan en prose (version 2), op. cit., vol. VIII, 74, p. 145. Traduction en français moderne : vol. VIII, 74, p. 65.

69 Kant, E. 1788. Critique de la raison pratique, op. cit., I, I, I, p. 56.

70 Anonyme, 1250, Le roman de Tristan en prose (version I), op. cit., I, XII, 29, p. 499.

71 Kant, E. 1788. Critique de la raison pratique, op. cit., I, I, I, p. 57.

72 Sade, 1795, "La philosophie dans le boudoir", op. cit., p. 422.

73 Ibid., p. 470.

74 Ibid., p. 475.

75 Ibid., p. 515.

76 Ibid., p. 449.

77 Kant, E. 1788. Critique de la raison pratique, op. cit., I, I, I, p. 57.

78 Sade, 1795, "La philosophie dans le boudoir", op. cit., p. 481.

79 Ibid., p. 422.

80 Ibid., p. 555.

81 Ibid., p. 486.

82 Ibid., p. 201.

83 Ibid., p. 515.

84 Ibid., p. 404.

85 Kant, E. 1785. Fondements de la métaphysique des moeurs, op. cit., p. 121.

86 Sade, 1795, "La philosophie dans le boudoir", op. cit., p. 504.

87 Ibid., p. 505

88 Ibid., p. 482.

89 Ibid., p. 541.

90 Ibid., p. 478.

91 Lacan, J. 1962. "Kant avec Sade", in Écrits, op. cit., vol. II, p. 244.

92 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 23.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 88.

93 Lacan, J. 1962. "Kant avec Sade", in Écrits, op. cit., vol. II, p. 244.

94 Ibid., p. 264.

95 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 23.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 88.

96 Lacan, J. 1962. "Kant avec Sade", in Écrits, op. cit., vol. II, p. 244.

97 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 09.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 85.

98 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 23.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., pp. 88-89.

99 Cottet, S. 1988. "Le sujet est heureux", in Actes de l'École de la Cause freudienne, Paris, ECF, 05.1988, p. 21.

100 Sade, 1795, "La philosophie dans le boudoir", op. cit., p. 520.

101 Regnault, F. 1990. "Ex nihilo", op. cit., p. 11.

102 Lacan, J. 1962. "Kant avec Sade", op. cit., vol. II, p. 259.

103 Kant, E. 1788. Critique de la raison pratique, op. cit., I, I, I, p. 58.

104 Lacan, J. 1962. "Kant avec Sade", op. cit., vol. II, p. 250.

105 Sade, 1795, "La philosophie dans le boudoir", op. cit., p. 544.

106 Kant, E. 1785. Fondements de la métaphysique des moeurs, op. cit.., II, p. 142.

107 Kant, E. 1788. Critique de la raison pratique, op. cit., I, I, I, p. 62.

108 Lacan, J. 1962. "Kant avec Sade", op. cit., vol. II, p. 249.

109 Kant, E. 1788. Critique de la raison pratique, op. cit., I, I, I, pp. 62-63.

110 Ibid., I, I, I, p. 63.

111 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 09.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 68.

112 Kant, E. 1785. Fondements de la métaphysique des moeurs, op. cit.., II, p. 85.

113 Ibid., I, pp. 57-66.

114 Ibid., I, p. 66.

115 Ibid., I, pp. 66-67.

116 Sade, 1795, "La philosophie dans le boudoir", op. cit., p. 540.

117 Wolfram von Eschenbach, 1200, Parzival, op. cit., V, p. 197.

118 Ibid., V, p. 207.

119 Ibid., XVI, p. 306.

120 Chrétien de Troyes, 1185, "Perceval ou le conte du Graal", op. cit., vers 6424, p. 843.

121 Lacan, J. 1962. "Kant avec Sade", op. cit., vol. II, p. 265.

122 Ibid., p. 268.

123 Lacan, J. 1963. "Séminaire du 03.07.63", in L'angoisse, pp. 397-398.

124 Freud, S. 1915. Freud, S. 1915. "Trauer und Melancholie", op. cit., p. 443. Traduction : "Deuil et Mélancolie", op. cit., p. 275.

125 Hassoun, J. 1995. La cruauté mélancolique, Paris, Flammarion, 1997, p. 52.

126 Kristeva, J. 1987. Soleil noir, dépression et mélancolie. Paris, Gallimard, 1987, p. 22.

127 Ibid., p. 23.

128 Ibid., p. 25.

129 Freud, S. 1925. "Die Verneinung", op. cit., p. 13. Traduction : "La négation", op. cit., p. 168.

130 Hassoun, J. 1995. La cruauté mélancolique, op. cit., p. 60.

131 Zizek, S. 1995. "Moi, il ou chose qui pense (deuxième partie)", op. cit., p. 119.