ðH geocities.com /davidpavoncuellar/Lust5.HTM geocities.com/davidpavoncuellar/Lust5.HTM .delayed x â¬ÕJ ÿÿÿÿ ÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÿÈ à®£ èK OK text/html P“Xtá èK ÿÿÿÿ b‰.H Wed, 19 Oct 2005 16:25:20 GMT œ Mozilla/4.5 (compatible; HTTrack 3.0x; Windows 98) en, * ݬÕJ èK
LA CHOSE DE FREUD ET LACAN : COURS DE DAVID PAVON CUELLAR A L'UNIVERSITE DE PARIS VIII (2003-2004) http://www.ding.fr.tc
5. La Sainte-Vierge :
L'amour et la Chose maternelle
Dans le roman de Chrétien de Troyes, Perceval ne pose aucune question sur le Saint-Graal. Celui-ci finit par disparaître, de même que le Roi-Pêcheur. La Chose, absente premièrement dans la parole, sera ensuite réduite au rien dans le château du Roi-Pêcheur, ainsi que perdue pour notre chevalier, qui la cherchera inutilement.
Après la mystérieuse perte de la Chose, Perceval vivra des aventures fabuleuses, mais aussi des malheurs incompréhensibles. Finalement, il rencontrera un ermite qui lui expliquera tout ce qui lui sera arrivé: "Frère -dit l'ermite-, ce qui t'a fait grand dommage c'est un pêché dont tu ne sais rien; c'est le chagrin éprouvé par ta mère à cause de toi, quand tu l'as quittée (...) Elle est morte de ce chagrin. Le pêché qui en retombe sur toi a fait que tu n'as pas posé de question sur la Lance ni sur le Graal, tes malheurs en sont la conséquence. (...) C'est le pêché qui t'a tranché la langue"1.
Si Perceval n'arrive pas à résoudre le mystère de Graal, c'est parce qu'il a quitté sa mère, qui est morte de ce chagrin. Il y a donc une certaine correspondance entre la perte du Graal et la perte de la mère. Si le Graal est perdu, c'est parce que la mère est perdue. Cette perte de la mère suscite la perte de Graal en tranchant la langue de Perceval.
Entre la perte de la mère et la perte du Graal, il y a une langue tranchée. Et comment est-ce que la langue est tranché ? N'oublions pas que Perceval ne parla pas de la Chose "car toujours il gardait en mémoire" le conseil de son "noble et sage maître"2, Gornemant de Goort, qui lui avait recommandé un jour: "évitez les bavardages et les racontars (gardez que vous ne soiez trop parlant): quiconque bavarde trop risque de dire quelque chose (tel chose ne die) qu'on lui reprochera comme une vilenie"3.
La langue est tranchée par Gornemant de Goort. Nous voyons qu'une langue tranché est une langue qui n'est pas trop parlante, une langue qui n'est pas trop signifiante.
Une langue tranchée, comme celle de Perceval, est une langue dont l'insignifiance empêche qu'elle puisse signifier la Chose. Une langue tranchée est une langue qui ne dit pas telle chose qu'on reprocherait comme vilenie. Une langue tranchée, une langue insignifiante, ne dit pas telle chose, telle chose qui reste ainsi hors signifié.
Si Perceval ne parle pas du Graal, c'est parce que sa langue est tranchée par Gornemant de Goort. Si la Chose est absente dans sa parole, c'est à cause de cette langue tranchée, parce qu'il n'y a pas ici une parole qui soit trop parlante, qui soit trop signifiante. Si la Chose est perdue, c'est à cause de la coupure de la langue, à cause de l'insignifiance de la parole, que nous avons appelé objet a.
Dans une langue tranchée, dans une parole qui n'est pas trop parlante ou trop signifiante, le Graal manque, telle chose manque, elle reste hors signifié.
Perceval ne parle pas du Graal car sa langue est tranchée. Mais, pourquoi est-elle tranchée? Parce que le chevalier a quitté sa mère.
S'il y a une correspondance entre la perte de la mère et la perte du graal, c'est au moyen de la coupure de la langue du fils. Or, cette coupure de langue, en plus de provoquer la perte du graal, provoque aussi la perte de Perceval, puisque Perceval est perdu, perdu au milieu d'un univers énigmatique où il ne sait pas ce qu'il fait, où il ne sait pas comment faire pour trouver la Chose qu'il a perdu.
Perceval est perdu parce qu'il a perdu sa mère, parce qu'il a perdu sa langue et parce qu'il a perdu le Graal. Perceval est perdu, bref, parce qu'il a perdu la Chose. En effet, les pertes de sa mère, de sa langue et du Graal se nouent d'une manière si étroite, que nous pouvons les considérer comme une même perte, la perte de la Chose.
La perte du fils coïncide avec celle du Graal qui coïncide avec celle de la langue qui coïncide avec celle de la mère. Le fils, le Graal, la langue et la mère sont une même Chose, la Chose perdue, la Chose insignifiée, la lettre a.
Ce que l'hermite lui dit à Perceval c'est : tu es perdu, mon frère, parce que tu as perdu le Graal, et tu as perdu cette Chose qu'est le Graal parce que tu as perdu ta mère. Impossible de distinguer ces trois pertes. Impossible de distinguer, à ce niveau, la mère, le fils est la Chose qu'est le Graal. On peut reconnaître alors que les corps du fils et de la mère sont une même chose, la Chose.
En ce qui concerne la langue du fils, au premier abord il s'agit aussi de la Chose. En effet, la perte de la langue est aussi indissociable de celle de la mère, du Graal et de Perceval. Or, plus précisément, la langue tranchée, le morceau de langue coupée qui tombe de la bouche de Perceval, ce morceau de langue est évidemment -a, l'objet a qui tombe de la chaîne signifiante. Il est donc aussi la Chose, mais seulement dans la mesure où l'objet a est une représentation réelle de la Chose -aussi bien que le Saint-Graal est une représentation réelle de la même Chose.
La langue tranchée n'est pas trop parlante, elle ne parle pas de la Chose, elle ne signifie pas la Chose qui reste hors signifiée. La langue tranchée est donc insignifiante. Elle devient insignifiante par le fait même d'être tranchée ou coupée. Son insignifiance est sa coupure, voire l'objet a, le morceau de langue qui manque. Ce manque inhérent à l'objet a, ce manque d'un morceau de langue, empêche Perceval de parler de la Chose. La Chose est donc perdue, ou insignifiée, par le manque de l'objet a, par la coupure de langue ou l'insignifiance d'une langue qui ne s'avère pas trop parlante. Mais en même temps, ce manque de l'objet a, ou cette coupure de langue du fils, est la conséquence de la perte de sa mère. Il y a donc une double détermination entre l'insignifiance et l'insignifié. Nous ne savons pas encore quel pôle est le plus déterminant.
Quoiqu'il en soit, nous savons déjà que le caractère insignifié de la Chose est corrélatif du caractère insignifiant de l'objet a. La perte de la Chose, de la mère, est ainsi corrélative de la coupure de la langue du fils.
Dans son rapport à la perte de la mère, la coupure de langue du fils, comme absence inhérente à l'objet a, nous fait penser à deux absences simultanées. D'une part, dans la mesure où l'absence de langue se situe dans la bouche du fils, nous pensons au sevrage, à l'absence du sein maternel dans la bouche du fils. D'autre part, dans la mesure où la langue est un membre tranché ou coupé, nous pensons à la castration, à la coupure du phallus.
La langue tranchée de Perceval, nous semble-t-il, constitue une image double de castration et de sevrage ou frustration. La coupure de langue indique la castration, ou le manque de l'objet a comme phallus. L'absence du morceau de langue, dans la bouche de Perceval, indique le sevrage, ou l'absence de l'objet a comme sein maternel. L'insignifiance résultante, dans la parole qui n'est pas trop parlante, est l'insignifiance propre à la parole non-psychotique.
La langue tranchée, ou la parole qui n'est pas trop parlante, est la parole qui ne parle pas de telle Chose à laquelle fait allusion Gornemant de Goort. Dans la perte de langue de Perceval, la perte dans le fils, perte de l'objet a, perte du sein ou du phallus, implique la perte de la Chose, de la mère. Ceci va de soi. La castration et la frustration, le manque du phallus et du sein maternel, est indissociable de la perte de la mère. Dans les deux cas, la perte dans le fils, l'insignifiance de sa parole qui n'est pas trop parlante, comporte la perte du Graal, de la Chose insignifiée, ainsi que la perte du fils, une perte qui permet à celui-ci de vivre toute sorte d'aventures fabuleuses, mais aussi douloureuses. Voici une perte qui permet d'exister, mais qui suscite aussi la douleur d'exister -d'exister, c'est-à-dire de ne pas être, de manquer d'être, de phallus, de sein maternel, de mère. Les malheurs de Perceval sont ainsi les malheurs de tout sujet qui existe, de tout névrosé. C'est au moins le diagnostic de l'hermite, le psychanalyste de Perceval.
5.1. La Chose n'est pas seulement le Christ et son Père, mais aussi la mère, et notamment la Mère du Christ, la Sainte-Vierge, qui monte au cieux comme son Fils, comme le Perceval et comme le Saint-Graal qui le représente, dans la Quête du Saint-Graal4, ainsi que dans la Troisième Continuation de Perceval de Manessier5.
Il y a une certaine confusion, au niveau de la Chose, entre Jésus le Christ, Dieu le Père et la Sainte-Vierge. Dans le Livre des secrets de Jean, du Codex de Berlin, nous trouvons une intéressante allusion à cette confusion entre le Fils, le Père et la Mère. Nous lisons dans ce texte gnostique : "Voici qu'apparut devant moi un enfant qui sous mes yeux prit l'aspect d'un vieillard (...) Y avait-il un être unique dont les multiples formes dans la lumière apparaissaient interchangeables tout en restant une ? On bien y avait-il trois personnes ?". Voilà ce que Jean se demande. Alors une voix lui répond : "Je suis le Père, je suis la Mère, je suis le Fils. Je suis le Toujours étant immaculé, puisque sans mélange"6. Et pourtant, nous pouvons dire qu'il est le mélange du Père, de la Mère et du Fils. Mais non, il ne s'agit d'un mélange. Il s'agit tout simplement de la Chose, toujours la même Chose, sans mélange d'autre chose.
Jean a l'impression de voir un enfant qui prend la forme d'un vieillard, et qui lui dit qu'il était le Père, la Mère et le Fils. Ceci vous rappelle peut-être cette scène du Perlesvaus où le chevalier Gauvain a l'impression de voir sur le Graal, d'abord "la silhouette d'un enfant", et ensuite "un homme cloué sur une croix"7.
Devant Gauvain, l'enfant devient le Christ sur le Saint-Graal qui le représente. Devant Jean, l'enfant devient un vieillard, en lui disant qu'il est le Christ, son Père et la Mère. Il s'agit dans les deux cas, si l'on peut dire, de la même Chose qui est le corps du Christ, ou du Fils, comme représentation réelle de Dieu le Père.
Mais le Christ, le Fils de Dieu le Père, n'est corporel que pour autant qu'il est né d'une mère corporelle, Marie, la Sainte-Vierge.
En quelque sorte, le Christ, en plus d'être son Père, il est sa Mère. Plus précisément, le Fils, en plus d'être divin comme son Père, il est corporel et humain comme sa mère. Encore plus précisément, le Fils, en plus d'être une représentation réelle de cette Chose qui est Père, il est cette Chose corporelle qu'est sa mère. Lorsqu'il s'agit du corps du Christ comme Chose, comme Chose corporelle, il s'agit également du corps de la mère, de Marie, de la Sainte-Vierge. Nous voyons que la Chose est aussi le corps de la mère, de la Sainte-Vierge, et non pas seulement celui du fils, celui du Christ (1.2). Ainsi, le corps du fils, en tant que Chose, ne pourra pas être distingué de celui de la mère (5). Nous arrivons ici à la notion lacanienne de la Chose maternelle, comme "identification" de la Chose à la Mère -où résiderait, d'après Cléro, "l'originalité" de Lacan touchant la Chose8.
Lacan développa la notion de Chose maternelle durant L'éthique, entre décembre de 1959 et janvier de 1960. Dans ce développement, nous pouvons discerner six moments:
a) Premièrement, le 9 décembre 1959, la Chose maternelle est le "premier dehors", le "premier extérieur", autour duquel "s'oriente tout le cheminement du sujet9.
b) Ensuite, le même 9 décembre, la Chose maternelle devient le grand "Autre préhistorique", le grand "Autre inoubliable" 10.
c) Une semaine plus tard, le 16 décembre, il s'agit du désir pour la Chose maternelle, qui "est la fin, le terme, l'abolition de tout le monde de la demande, qui est celui qui structure le plus profondément l'inconscient de l'homme". La Chose maternelle est alors ce que l'homme cherche toujours, et Lacan explique : "C'est dans la mesure même où la fonction du principe du plaisir est de faire que l'homme cherche toujours ce qu'il doit retrouver, mais ce qu'il ne saurait atteindre, c'est là que gît l'essentiel, ce ressort, ce rapport qui s'appelle la loi de l'interdiction de l'inceste" 11. La Chose maternelle est en définitive "l'objet irretrouvable, l'objet impossible à retrouver au niveau du principe de plaisir" 12.
d) Le même 16 décembre, la Chose maternelle est le "Souverain Bien, qui est das Ding, qui est la mère, l'objet de l'inceste, un bien interdit", le seul bien, car "il n'y a pas d'autre bien". De cette manière, le rapport à la Chose maternelle constitue chez Freud le "fondement (...) de la loi morale"13.
e) Le 23 décembre, la Chose maternelle est, pour le fils, la femme de son prochain, la femme de son père, la femme convoitée. Elle s'associe ainsi au "fameux commandement" qui énonce : "Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain, tu ne convoiteras point la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son boeuf". La Chose maternelle est ici "la première chose qui a pu se séparer de tout ce que le sujet a commencé de nommer et d'articuler", elle est ce à quoi "la convoitise même dont il s'agit s'adresse, non pas n'importe quoi que je désire, mais une chose en tant qu'elle est la Chose de mon prochain." 14.
f) Finalement, le 20 janvier 1960, la Chose maternelle est "le corps mythique de la mère", tel qu'il est "mis à la place centrale" dans "l'articulation kleinienne". Sur ce point, Lacan remarque que le fait que la théorie analytique soit, à cette époque, "dominée par l'existence de l'école" de Mélanie Klein, montre à quel point "les analystes sont possédés par ce champ de das Ding, qui répond tellement à la nécessité interne de leur expérience"15.
Voici les six moments dans le développement de la notion lacanienne de la Chose maternelle, depuis son emplacement comme premier extérieur jusqu'à l'indication de sa place centrale et de sa nature mythique dans la théorie kleinienne, en passant par sa caractérisation successive comme ce qui est inoubliable, désiré, cherché, irretrouvable, interdit et convoité.
5.2. La Chose de Perceval n'est pas seulement le Saint-Graal, ou le corps du Christ en tant qu'il est réellement représenté par le Saint-Graal, ou le père du Christ en tant qu'il est réellement représenté par son fils Jésus dans la terre. Non, la Chose n'est pas là seulement le Saint-Graal, le Christ et Dieu le Père, mais aussi la mère, la propre mère de Perceval. Sa mère, ainsi que le corps de cette mère, le premier extérieur de Perceval, la Chose de son père, la Chose inoubliable, désirée, cherchée, irretrouvable, interdite et convoitée.
La mère de Perceval, en tant qu'elle est la Chose perdue, nous ne pouvons pas la distinguer du Graal, mais nous ne pouvons pas la distinguer non plus du Christ et de son père, Dieu le Père. D'abord parce que le graal perdu n'est le Saint-Graal, ou la Chose, que dans la mesure où il représente réellement le Christ qui représente réellement son père. Ensuite parce que l'absence de la mère et du Saint-Graal coïncident, pour notre chevalier, avec l'absence du Christ en lui, voire son indifférence par rapport à la religion.
Dieu le Père, Jésus le Christ comme représentation réelle de son Père, le Saint-Graal comme représentation réelle du Christ et la mère qui donne son lait à Perceval avant son sevrage, ces quatre figures apparaissent comme une même Chose pour le chevalier. Cette confusion entre Dieu le Père, son Fils, le Graal et la mère allaitante me fait penser à un écrit apocryphe chrétien, la plus célèbre des Odes de Salomon: "Une coupe de lait me fut offerte, je la bus en la suavité de douceur du Seigneur. Le Fils est la coupe; l'allaitant, ce fut le Père", avec ses "deux seins"16.
Le Fils est la coupe. Le Christ est le Graal qui le représente réellement. Mais au lieu du sang du Christ, ce qu'il y a dans le Graal c'est du lait, ce lait qui sort des deux seins du Père. Le Père allaitant se confond ici avec la mère allaitante. Les deux sont représentés par le Graal plein de lait, c'est-à-dire par le Fils ou le Christ. Or, dans ce Fils, dans ce Graal plein de lait, remarquez bien que le sein manque. Dans le Graal, qui est le Fils, il y a le lait, mais il n'y a pas le sein.
Du moment où il est identifié au Fils, le Graal plein de lait apparaît comme la bouche du Fils où le sein manque. C'est le morceau de langue qui manque à Perceval. C'est l'objet a ou l'insignifiance de la parole qui n'est pas trop parlante.
Si la parole n'est pas trop parlante c'est parce que le sein manque dans la bouche qui parle. En fait, la parole est ce lieu où elle résonne, elle est une bouche vide où le sein manque. La parole est une bouche qui entoure le vide, elle est le Graal qui entoure le vide, elle est le corps du Fils qui enveloppe le même vide, le même manque-à-être, le manque du sein, le manque du a au milieu de la chaîne signifiante qui s'enroule, b1 + b2 + b3 + bn.
En plus de satisfaire un besoin, à quoi sert dans la bouche, ou dans le Graal qui est le Fils, le lait de la mère ? À quoi sert le lait une fois que le besoin est satisfait, lorsque le sein commence à manquer ? À quoi sert le lait quand le corps maternel manque ? En-deçà de la satisfaction du besoin, ce que le fils demande n'est pas le lait qu'il reçoit, mais l'amour de la mère. À ce niveau, le lait de la mère n'est qu'une preuve d'amour pour le fils.
L'enfant demande l'amour de la mère. Sa demande est une demande d'amour. Et pourquoi demande-t-il cet amour ? Parce qu'il désire en dernière instance la confusion amoureuse avec elle. Il désire donc en dernière instance la Chose, dans la mesure où la Chose désigne cette confusion amoureuse entre la mère et le fils.
Pourquoi la Chose désigne-t-elle la confusion amoureuse entre la mère et le fils ? Parce que la mère, en tant que Chose, pourra seulement être en présence d'elle même. N'oublions pas que la Chose n'est ce qu'elle est, la Chose, que parce qu'elle n'est qu'en présence d'elle même. En conséquence, la Chose maternelle, pour être en présence du fils, devra être lui, elle devra donc se confondre avec lui.
En-deçà du lait qui satisfait son besoin, l'enfant demande la présence de la mère. Là où "le désir s'ébauche", dans "la marge où la demande se déchire du besoin"17, ce que l'enfant demande c'est la présence de la mère. Comme Lacan le note en 1958, dans La signification du phallus, la "demande en soi", qui "porte sur autre chose que sur les satisfaction qu'elle appelle", est "demande d'une présence ou d'une absence"18. Cette demande d'une présence ou d'une absence nous pouvons l'écrire demande de +a ou de -a. Au-delà de cette présence ou absence de a, ce qu'il y a c'est la lettre a, la Chose désirée dont la présence est demandée au moyen de la parole, b1 + b2 + bn.
Après "l'appétit de la satisfaction" et la "demande d'amour", il y a le désir qui "résulte de la soustraction" du besoin de lait à la demande de présence de la mère19. Le désir comporte une demande sans besoin. On voit bien que l'enfant désire sa mère, qu'il désire la Chose maternelle, parce qu'il demande encore sa présence corporelle même lorsqu'il a déjà satisfait son besoin de lait.
Je résume : l'enfant a besoin du lait, il demande donc le lait. Or, le lait qu'il demande, en plus d'être ce qui satisfait son besoin, il est une preuve de l'amour de la mère. En-deçà du lait qui le satisfait, l'enfant demande cette preuve d'amour. Cette preuve est la présence amoureuse du corps de la mère. Or, indépendamment du lait dont il a besoin, l'enfant désire le corps de la mère dont il demande la présence amoureuse. Au-delà de la preuve d'amour qu'il demande, l'enfant désire donc la Chose maternelle.
Il y a donc le désir de la Chose maternelle, ce désir du corps de la mère dont la présence est demandée. Or, cette présence amoureuse est une présence de Chose, c'est-à-dire une présence qui n'est qu'en présence d'elle-même. Le désir de la Chose maternelle, de sa présence, est alors, comme désir d'être en présence d'elle, un désir d'être elle, ou de confusion amoureuse avec elle -c'est-à-dire avec le premier extérieur perçu comme tel par le sujet. C'est peut-être pour cela que la Chose, dans l'Entwurf, est définie comme la confusion, comme la "coïncidence" ou ce qu'il y a "en commun", entre "l'investissement perceptif" et celui "par le désir" -voire "les nouvelles émanant du propre corps"20.
En plus du corps de la mère, la Chose est donc la confusion amoureuse, incestueuse, de ce corps avec celui du fils. Cette confusion est aussi, en tant que Chose, objet ultime de désir. Comme le note Lamboley, "le désir, laissé à sa pente naturelle, vise le retour -impossible- au fusionnel incestueux avec la Chose"21.
Nous avons constaté avant que le corps du fils, en tant que Chose, ne pouvait pas être distingué de celui de la mère. Après cette constatation, nous avons déduit maintenant la même indistinction, mais du côté contraire : la corps de la mère, en tant que Chose, ne pourra pas être distingué de celui du fils. Nous sommes alors en état d'énoncer : puisque les corps du fils et de la mère, l'un et l'autre en tant que Chose, ne pourront pas être distingués (5.1), la Chose sera la confusion de ces corps, une confusion amoureuse.
Voici la Chose comme confusion amoureuse, confusion entre les corps de la mère et du fils, entre le sujet et son objet d'amour. Cette confusion chosique, nous l'appellerons désormais la Chose amoureuse. Il s'agit de la Chose comme amour, d'abord comme amour entre la mère et son fils, ensuite comme amour entre le fils et les substituts de sa mère.
Cette notion de la Chose amoureuse, ou de la Chose en tant qu'amour, fut développée par Lacan entre juin de 1960 et janvier de 1961. Examinons trois moments dans ce développement :
a) Premièrement, le 22 juin 1960, Lacan note que dans "l'acte génital, quelque chose peut-il être atteint par quoi un être pour un autre est à la place de la Chose". Ainsi, dans cet acte, le sujet "peut simuler avec sa chair l'accomplissement de ce qu'il n'est nulle part"22, c'est-à-dire la confusion amoureuse du fils avec sa mère, voire la Chose amoureuse.
b) Ensuite, le 11 janvier 1961, la Chose amoureuse, comme confusion avec la Chose maternelle, se trouve "au centre du monde d'Empédocle", dans "la phase du rassemblement de ce qu'il appelle dans sa métaphysique l'amour, l'amour qui rassemble, qui agglomère, qui assimile, qui agglutine". C'est, chez Freud, Eros, "l'amour comme puissance unifiante pure et simple, à l'attraction sans limites", opposée "à Thanatos"23.
c) Finalement, le 18 janvier 1961, Lacan se réfère au Banquet de Platon : "Ayant introduit (...) la fonction du manque comme constitutive de la relation d'amour, Socrate parlant en son nom s'en tient là. Et c'est poser une question juste que de se demander pourquoi il se substitue l'autorité de Diotime. (
) C'est en raison de la nature de l'affaire, de la Chose, du to pragma dont il s'agit. (
) S'il passe la parole à Diotime, pourquoi ne serait-ce pas parce que, concernant l'amour, les choses ne sauraient aller plus loin avec la méthode proprement socratique»24. L'amour est ici la Chose, ou le pragma, dont Socrate n'en parlera pas. Nous nous rappelons ici de la lettre VII de Platon, où le pragma est ce dont on ne parle pas. Dans le Banquet, Socrate se montre aussi discret, par rapport au pragma, que Platon dans sa lettre VII. Le pragma, la Chose, l'amour, la Chose amoureuse ou la confusion amoureuse avec la mère, c'est une Chose devant laquelle Socrate et Platon restent silencieux.
Voici le développement, chez Lacan, de la notion de la Chose amoureuse, comme pragma, comme confusion amoureuse, comme puissance unifiante simulée par l'acte génital. Nous venons de nous rendre compte qu'à la source de ce développement, en plus de Freud, on trouve le Banquet de Platon et la philosophie du présocratique Empédocle d'Agrigente. En examinant tout de suite cette double source, nous comprendrons mieux ce qu'on est en mesure d'entendre par la Chose amoureuse.
En ce qui concerne Empédocle, l'Amour est ce qui "amène tout à l'unité". Il est ainsi le contraire de la Haine, qui "disloque et dissocie ce que l'Amour a réuni". L'Amour d'Empédocle est une "force intérieure", elle est "la force cachée dans les membres des hommes", par laquelle s'accomplit "l'oeuvre enlaçante du désir"25.
Le philosophe d'Agrigente nous dit que "sous l'action de l'Amour, les éléments s'assemblent en une masse unique"26. Cette masse unique, qui est l'oeuvre enlaçante du désir, constitue la Chose amoureuse ou la confusion amoureuse en tant que Chose désirée. Empédocle nous explique ceci clairement : "les éléments, disjoints, tendent sous l'action de l'Amour à se confondre, pris d'un mutuel désir"27. À cause de pareil désir pour la confusion amoureuse, nous voyons "toutes choses bien enclines à se fondre ensemble, éprouvant une attirance réciproque, car Aphrodite leur verse le désir de ressemblance"28.
Je vous prie de vous arrêter sur ce désir de ressemblance éprouvé par toutes les choses. Il est évidemment un désir de la confusion amoureuse, un désir de la Chose, du pragma ou du Ding freudien, qui est éprouvé par toutes les choses ou par les autres choses, par les choses imaginaires, par les Sachen de Freud. Le désir de la Chose, ou de la confusion amoureuse, est éprouvée par les choses comme un désir de ressemblance. Autrement dit, le désir de l'identité réelle entre a et a, au niveau de la Chose réelle, est éprouvé, au niveau de l'imaginaire, comme un désir de ressemblance ou de similarité imaginaire entre les autres choses, chez Freud, entre a + b1 et a + b2 ; ou bien, chez Lacan, entre le moi et le i(a), ou entre a et a'.
Si nous lisons Empédocle du point de vue lacanien de 1960, nous avons le droit de considérer que la ressemblance est ce qui fonctionne dans l'acte génital. En effet, dans cet acte, la ressemblance, ou la similarité, permettrait la simulation de l'identité réelle ou de la confusion chosique amoureuse entre les corps du fils et de la mère.
Dans la confusion ou l'identité, qui n'est pas seulement une ressemblance ou similarité, les éléments, "sous l'action de l'amour, se fondent en une même entité"29. À l'origine, cette entité se caractérise par sa forme sphérique, elle est "le Sphaïros cerné de solitude", en jouissance de lui-même30. Empédocle souligne que cette entité sphérique "n'a pas de pieds, pas de genoux agiles, ni de sexe velu"31. Elle n'a donc rien à voir avec sa variante dérisoire, qu'Aristophane expose dans le Banquet de Platon. À la différence de celle-ci, la sphère d'Empédocle est "partout identique à elle même" et "partout sans limites"32. Elle est, pour chaque homme, l'origine de son monde, sa confusion originaire avec le corps de sa mère, avec la Chose maternelle, avec le pragma de Platon et des Stoïciens. Cette confusion est partout identique à elle même, a = a = a, et sans limites, sans distinction, sans manque, sans privation, sans frustration, sans castration, sans père.
Chez Platon, la confusion est sans limites parce qu'il n'y a rien qui s'interpose entre le sujet et le pragma, il n'y a pas les mots, ni les définitions des mots, ni les images ni la science. Avant tout ça, la confusion sans limites est notre paradis avant d'être perdu, avant d'avoir mangé le fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. En effet, cette confusion est le paradis avant que Dieu le Père ait mis devant ce paradis des anges avec leurs épées fulgurantes, qui s'interposent entre la Chose maternelle et nous, pour nous défendre d'y entrer, peut-être aussi pour nous castrer avec leurs épées, certainement pour nous éloigner de la confusion sans limites avec la Chose maternelle que nous désirons toujours. Cette confusion interdite est notre paradis, elle est la Chose amoureuse, elle est notre fusion symbiotique avec l'univers entier, avec notre premier extérieur, avec le corps de notre mère.
L'autre source du développement lacanien de la Chose amoureuse est le Banquet de Platon. Plus exactement, c'est le discours de Diotime sur l'amour, tel qu'il fut rapporté par Socrate. Dans ce discours, l'amour dont il s'agit est un désir pour ce qui manque. Dans la mesure où l'identité manque toujours à l'homme, l'amour décrit par Diotime peut correspondre, chez Empédocle, au désir de l'identité réelle entre a et a. Dans le discours de Diotime, de même que dans la philosophie d'Empédocle, ce désir de l'identité, au niveau de la Chose réelle, est éprouvé, au niveau de l'imaginaire et des autres choses, comme un désir de ressemblance ou de similarité.
Diotime explique à Socrate : "Nos connaissances tantôt naissent, tantôt périssent en nous, et nous ne sommes jamais identiques à nous-mêmes à cet égard ; et même chaque connaissance isolée est sujette à ce changement ; car nous n'avons recours à ce qu'on appelle réfléchir", avec b1 + b2 + bn, "que parce que la connaissance", celle de a, "nous échappe. (...) Tout ce qui est mortel se conserve, non point en restant toujours exactement le même", a = a, "comme ce qui est divin, mais en laissant toujours à la place de l'individu qui s'en va et vieillit un jeune qui lui ressemble"33, comme a + b2 ressemble à a + b1.
Nous ne sommes pas immortels comme les dieux, nous ne restons pas comme eux toujours identiques à nous mêmes, mais nous avons des fils qui nous ressemblent. "Avoir des enfants -remarque Freud dans L'interprétation du rêve-, n'est-ce pas pour nous tous l'unique accès à l'immortalité?"34.
Nous ne sommes que des mortels. Nous ne pouvons pas aspirer à l'identité, mais seulement à la ressemblance. Et pourtant, le désir de ressemblance, au niveau de l'imaginaire, manifeste le désir de l'identité, au niveau du réel. Puisque nous ne pouvons pas rester toujours identiques à nous-mêmes, comme les dieux, nous nous résignons au moins à rester semblables à nous-mêmes. La similarité imaginaire, (a + b1) { (a + b2), compense le manque de l'identité réelle, a = a. La similarité inhérente aux autres choses, aux Sachen de Freud, compense l'absence de l'identité propre à la Chose, au Ding. Or, dans le discours de Diotime, on ne désire la ressemblance entre les autres choses que dans la mesure où l'identité de la Chose nous manque. Chez Empédocle, il n'y a notre "désir de ressemblance" que pour autant que nous sommes enclins à nous "fondre ensemble"35. Chez Lacan, il n'y a le désir de l'objet que lorsque celui-ci manque au sujet, lorsqu'il n'y a pas de confusion entre le sujet et l'objet, une confusion que nous désignons ici comme la Chose amoureuse.
Dans le discours de Diotime, la Chose amoureuse constitue l'identité des immortels qui manque aux mortels, l'identité de ce qui reste toujours identique à lui-même, vivant toujours vivant, immortel. C'est l'identité que l'homme ne pourrait atteindre que s'il mange des fruits de l'arbre de la vie, l'arbre interdit du paradis, pour lequel Dieu a mis deux anges afin d'empêcher l'homme d'y accéder : "Voilà que l'homme est devenu comme l'un de nous -s'exclama Dieu-, pour connaître le bien et le mal ! Qu'il n'étende pas maintenant la main, ne cueille aussi de l'arbre de la vie, n'en mange et ne vive pour toujours"36.
Diotime dit sentencieusement : "L'amour est aussi l'amour de l'immortalité"37. Nous, mortels, nous existons et nous aimons, quand nous aimons, l'immortalité de l'être qui nous manque, l'être qui reste toujours identique à lui-même. L'amour est ainsi l'amour de l'identité d'être de l'immortel. Nous aimons cette identité, a = a, parce que, tel que Diotime l'affirme, "nous ne sommes jamais identiques à nous mêmes", mais seulement semblables.
Nous restons semblables à nous-mêmes. Tout en aimant l'identité du réel, nous ne pouvons avoir que la similitude qui la simule dans l'imaginaire, par exemple dans l'acte génital. Dans cet acte, dans l'amour au sens banal, signifié et imaginé, nous n'arrivons à nous confondre avec l'autre que dans l'imaginaire, par une identification entre le moi et le i(a).
Dans la réalité imaginaire, celle de Frege et des psychologues du moi, l'amour ne coïncide jamais avec l'identité réelle de la Chose amoureuse, de la confusion amoureuse entre la mère et le fils. Dans cette réalité, l'amour imaginé et signifié, en effet, ne coïncide jamais avec le pragma, avec la Chose insignifiée et inimaginable, avec le souverain bien de l'inceste -contre ce que pense Bernard Vandermersch, pour qui la Chose apparaît comme ce qui est "signifié comme interdit (inceste) et imaginé comme souverain bien"38.
D'après Diotime (tableau 13), l'Amour au sens banal -c'est-à-dire l'amour imaginé et signifié-, n'est pas le pragma, la Chose, mais "un démon entre les hommes et les dieux"39, ainsi que "le milieu" philosophique "entre la science et l'ignorance"40. Il est aussi, nous le savons déjà, la descendance entre l'immortalité et la mortalité, ou la ressemblance entre l'identité et la différence, ou le semblant d'être entre l'être et l'existence.
Uniquement au-delà de l'amour, au-delà de la réalité imaginaire, au-delà des images de Platon dans la lettre VII, seulement au-delà de tout cela il y a la science et le pragma de Platon, ou bien, chez Diotime, la "science de la beauté absolue" et "le beau tel qu'il est en soi", le "beau lui-même, simple, pur, sans mélange (...), la beauté divine elle-même sous sa forme unique"41, cette forme désigné par la lettre a, cette forme horrible de la Chose amoureuse, cette forme épouvantable de la confusion avec la Chose maternelle.
La Chose amoureuse apparaît comme une beauté horrible, épouvantable. C'est la beauté de notre confusion avec le corps de notre mère, notre premier extérieur, notre souverain bien, inoubliable, toujours convoité, désiré et cherché, mais interdit et irretrouvable. Voici notre paradis perdu. Voici l'identité divine, a = a, simulée par l'acte génital, (a + b1) { (a + b2). Voici l'unité sphérique d'Empédocle, sa Chose "jouissante" ou "exultante"42, cette masse unique, sans limites et partout identique à elle même.
Tableau 13. Le discours de Diotime.
5.3. Soyons précis. Dans le discours de Diotime, l'amour au sens banal, cet amour qui est un démon entre les dieux et les hommes, cet amour n'est pas la Chose amoureuse. Cet amour imaginaire, ce sèmaïnomènon n'est pas le pragma réel de Diotime, qui est également celui de Socrate et Platon.
La Chose amoureuse, le pragma de Diotime, est une Chose divine, elle n'est donc pas simplement quelque chose de démoniaque entre l'humain et le divin. Elle est immortelle et non pas mortelle. Elle est identique, et non pas seulement semblable à elle-même. Elle est la matière de la science, elle n'est pas simplement la philosophie entre la science et l'ignorance.
Dans la perspective de Diotime, la Chose amoureuse n'est pas une chose imaginaire. En conséquence, elle n'est pas belle, comme celle d'Agathon. Elle n'est pas une chose belle, un a + b. Elle n'a pas de beauté, de b, parce qu'elle est la beauté en soi, la beauté comme a. Elle est, cette Chose amoureuse, le "beau lui-même, simple, pur, sans mélange", sans b. Elle est, rappelez-vous, "la beauté divine elle-même sous sa forme unique", celle chosique, sphérique et jouissante de a.
Agathon dit que l'amour est "beau"43 -un "mensonge d'homme", qui donne l'attribut de beauté, à cette Chose jouissante, "en échange du plaisir qu'elle procure"44. Que l'amour est beau, c'est tout ce qu'il peut dire, ce pauvre psychologue qui prend la réalité imaginaire pour du réel. Une fois qu'eut fini son drôle d'éloge de l'amour beau, Socrate fait l'éloge du beau discours d'Agathon. Nous voyons qu'en réalité, Socrate se moque d'Agathon. Il se moque de la beauté de son discours sur l'amour beau, et il affirme : "reconnaissant que je ne saurais rien dire qui approchât de cette beauté, je me serais presque caché de honte si j'avais su où fuir"45. La beauté dont parle Socrate est celle du beau discours d'Agathon sur l'amour beau. Cependant, remarquez bien que cette beauté dont parle Socrate est également celle de l'amour, ou plutôt, la beauté en tant qu'amour, en tant que Chose amoureuse.
Socrate dit : "je ne saurais rien dire qui approchât de cette beauté". Voici la Chose, ici la Chose amoureuse, la Chose comme beauté en soi, la Chose absente dans la parole. Cette Chose, la beauté en soi, cette Chose est absente dans la parole, dans le dire de Socrate, parce qu'elle est le pragma de Platon dans la lettre VII, ce pragma qui se trouve au-delà des mots, au-delà aussi de la définition des mots, et des images et même de la science.
De la beauté en soi, de cette Chose amoureuse, de ce pragma, Socrate et Platon n'ont pas le courage d'en parler. N'oubliez pas que Platon le reconnaît clairement dans sa lettre VII, il reconnaît que "s'il fallait" parler de la Chose, du pragma, c'est lui "qui le ferais le mieux" ; or, si sa parole était "défectueuse", alors il en souffrirait "plus que personne". Si Platon ne parle pas de la Chose, de la "vrai nature de la Chose", du pragma, c'est parce qu'on ne peut pas "exprimer ceci pour le peuple d'une manière suffisante"46. Voici l'insuffisance du langage pour signifier la Chose. Voici l'insignifiance que nous désignons comme "objet a".
De même que Platon, Socrate ne parle pas du pragma, de la Chose amoureuse. Comme Lacan le remarque, Socrate "se substitue l'autorité de Diotime". S'il se substitue cette autorité, "c'est en raison de la nature de l'affaire, de la Chose, du to pragma dont il s'agit" ; parce que "concernant l'amour, les choses ne sauraient aller plus loin avec la méthode proprement socratique"47.
Socrate se reconnaît incapable pour parler du pragma, de la Chose amoureuse. Alors il décide que ce soit Diotime qui en parle. Mais avant, Socrate critique le discours d'Agathon sur l'amour beau.
Après qu'il eut reconnu, en se moquant d'Agathon, qu'il "ne saurait rien dire qui approchât de cette beauté", de la Chose amoureuse, du pragma, Socrate ironise. "Je pensais -dit-il-, dans ma simplicité, qu'il fallait dire la vérité sur la Chose"48 -en français ils traduisent "la vérité sur l'objet", mais dans le texte grec49 nous rencontrons ici le pragma, ce qui n'est pas par hasard.
Socrate pensait qu'il fallait dire la vérité sur le pragma, sur la Chose amoureuse, sur la beauté en soi. Or, Agathon, en affirmant que l'amour est beau, il n'a pas dit la vérité sur le pragma. Socrate le démontre. Nous voulons posséder ce que nous aimons. Si nous aimons quelque chose, nous voulons avoir cette chose. En conséquence, ce que nous aimons doit nous manquer. C'est parce qu'il nous manque que nous l'aimons. Lorsqu'il ne nous manque plus, lorsque nous le possédons, nous ne pouvons plus l'aimer, car aimer c'est vouloir posséder, et nous ne pouvons pas vouloir posséder ce que nous possédons déjà.
L'amour, au sens banal, aime la beauté. Alors il ne pourra pas être beau. S'il était beau il n'aimerait pas la beauté, puisqu'il aurait déjà la beauté, et on aime seulement ce qu'on n'a pas, on l'aime parce qu'on veut l'avoir.
Socrate démontre que l'amour dont parle Agathon, l'amour au sens banal ou l'amour dans l'imaginaire, cet amour n'est pas beau. Il n'est pas beau, pour autant qu'il aime le beau. Le beau devra donc lui manquer, il devra lui manquer pour qu'il l'aime, pour qu'il désire le posséder.
L'amour dans l'imaginaire, l'amour qui n'est pas beau, cet amour qui aime ce qui est beau, cette amour n'est pas la Chose amoureuse, le pragma de Socrate et Platon. Ce pragma n'est pas l'amour, mais ce qui inspire l'amour, à savoir, la beauté. La Chose amoureuse de Socrate et Platon est celle de Diotime. C'est la beauté en soi, la forme pure qu'on aime.
Une chose belle, dans l'imaginaire, n'est pas la beauté chosique, dans le réel. D'après Diotime, cette beauté chosique, ce pragma, cette beauté en soi est une forme pure, une a toute seule. Elle est le pragma, le sujet de tous les prédicats, la beauté de toutes les belles choses qu'on aime, a + b1, a + b2, a + bn.
Ce qu'on aime dans chacune des belles choses qu'on aime, ce qu'on aime dans chaque a + b, c'est la beauté, la lettre a. Ce qu'on aime, ce qu'on désire, ce n'est pas la fraction variable, b1 ou b2, mais la fraction constante, a. Or, lorsqu'on parle de ce qu'on aime, on ne pourra parler qu'au niveau des b. Notre parole sera une chaîne de b : b1, b2, b3. Ce qui décide notre amour, la lettre a, l'objet a, tombera de notre parole, de notre chaîne signifiante. La cause de notre amour, la cause de notre désir, la lettre a, devra nous manquer. Ce sein maternel manquera dans notre bouche, dans notre parole, en nous. C'est parce qu'il manquera en nous que nous pourrons l'aimer.
C'est parce qu'elle nous manquera, cette lettre a, que nous pourrons l'aimer dans chacune des personnes que nous rencontrerons, dans chacune des choses imaginaires que nous aimerons, dans chaque a + b. Cette a, cette chose amoureuse, sera pour Diotime la beauté de chacune des choses que nous aimerons. Nous aimerons ces choses, ou ces personnes, parce qu'elles seront belles. Nous les aimerons par la beauté qu'il y aura en commun entre elles, nous les aimerons par la lettre a qu'il y aura en commun entre a + b1 et a + b2 et a + bn.
Pour Platon, comme pour n'importe quelle autre personne, cette lettre a sera le pragma, ce qu'il y aura en commun dans tout ces images qu'il aimera, l'image de la République (a + b1), celle de l'Atlantide (a + b2) ou celles de l'Académie (a + b3). Comme Lacan nous le fait remarquer, "ce que Platon voit à l'horizon, c'est une cité communautaire, tout à fait révoltante à ses yeux comme aux nôtres (
) La République (
) L'Atlantide (
) L'Académie (
) Ce qu'il veut en tous ces cas, lui Platon, c'est tout de même la Chose, le pragma"50 . C'est -pour ainsi dire- la Chose amoureuse, la confusion avec la mère, dans sa version sociale, communautaire, communiste ou totalitaire.
Indépendamment de ses sublimations mondaines, la beauté de Platon, ce pragma, cette Chose amoureuse, est une forme pure plutôt céleste. Nous savons par le Phèdre que la beauté, comme forme pure, "est une chose de là-bas"51, une "réminiscence des réalités jadis vues par notre âme"52. La beauté est une chose dont on se souvient lorsqu'on voit ici, dans notre monde, une "imitation" qui ressemble à la beauté identique à elle-même53, par exemple celle d'un belle fille, non moins que celle d'un régime totalitaire.
Les personnes ou les choses imaginaires que nous aimons, les a + b, nous les aimons parce que nous les trouvons belles, parce qu'elles ont la forme de a ou la forme de la beauté, parce qu'elles sont donc des bonnes imitations de a, de notre Chose maternelle, amoureuse.
J'aime une fille parce qu'elle me paraît belle. Je l'aime, comme chose imaginaire, comme a + b, parce que je lui reconnaît cette beauté maternelle, cette lettre a, d'ailleurs épouvantable, dont je me souviens. Pour le dire comme le Freud de 1912, la Chose (Ding) comme "esprit", "latente" dans sa "capacité d'être remémorée", sera aussi "présente" comme corps, "donnée au sens et à la conscience", dans une "connaissance" qui est "projetée" par le sujet "dans la réalité externe"54 -par exemple dans la réalité externe d'une fille qui me plaît.
J'aime une fille parce que je lui reconnaît cette horrible forme pure que je remémore, cette affreuse beauté qui fut celle de la Chose maternelle, celle de la Chose amoureuse avant ma frustration et ma castration -avant ma naissance comme sujet du signifiant. J'aime la fille parce qu'elle me paraît belle, parce que sa réalité externe, corporelle, possède cette beauté maternelle qui n'est plus présente en moi qu'en esprit -cette lettre a qui manque dans ma bouche et ma parole, dans la chaîne signifiante où j'existe en tant que sujet, b1 + b2 + bn.
En voyant une belle fille, comme a + b, il y a toujours des fous qui oublient la lettre b. Ils oublient donc ce qu'est la belle fille en tant que signifiée comme telle, comme a + b, par le signifiant, par b. Ils oublient la dénotation. Possédés par ce qui est dénoté, par son souvenir de a, ces fous peuvent croire, en voyant a + b, qu'il s'agit seulement de la lettre a, de l'affreuse beauté incarnée, du pragma, de la Chose maternelle, amoureuse. Ces fous ne regardent qu'une belle fille et ils découvrent déjà, dans cette vulgaire imitation, ils découvrent l'original, c'est-à-dire l'affreuse beauté en soi de la mère. C'est l'hallucination, que nous écrivons (a + b) = a, c'est-à-dire l'imitation qui est égal à l'original.
En faisant la distinction de quatre espèces différentes de manie (lamia) ou folie, Socrate nous explique dans le Phèdre que ce qui lui arrive au fou, comme au philosophe, c'est qu'il "s'applique aux objets", aux choses imaginaires, aux a + b, par le "souvenir" de a, de sa Chose réelle, maternelle, amoureuse. Le fou s'applique aux choses humaines, a + b, en "s'occupant" seulement "de ce qui est divin"55, de la lettre a, de la Chose réelle, pour nous le corps du Christ ou de la Saint-Vierge.
Socrate ajoute : "à la vue de la beauté d'ici bas", le fou "prend des ailes et désire s'envoler, il néglige les choses d'en bas"56. En effet, le fou néglige les choses humaines d'en bas, les Sachvorstellungen, les belles images qui l'entourent. Le fou s'occupe seulement de ce qui est divin, le corps du Christ et de la Sainte Vierge, le corps de sa mère, le pragma, le Ding ou la Dingvorstellung, l'affreuse beauté en soi. Pour s'occuper de ce réel réel, le fou néglige la réalité de Frege et des psychologues du moi.
À la limite, si quelqu'un n'est pas encore fou, il peut toujours s'approcher de la folie quand il se trouve en face d'une certaine beauté presque épouvantable, une certaine beauté si grande qu'elle semble presque maternelle. C'est le moment de la représentation réelle de la Chose. C'est le moment où l'objet a jaillit. C'est le moment de l'angoisse, si bien décrit par Socrate dans le Phèdre : "celui qui s'est empli les yeux des visions de jadis -dit Socrate-, s'il voit un visage d'aspect divin, heureuse imitation de la beauté, ou un corps qui offre quelque trait de la beauté idéale, d'abord il frissonne et quelque chose lui revient de ses angoisses de jadis. Puis, les regards fixés vers ce bel objet, il le vénère à l'égal d'un Dieu et, s'il ne craignait d'avoir l'air complètement fou, il offrirait des sacrifices à son bien-aimé comme à une image sainte"57. Le terme grec pour désigner cette image sainte et précisément celui d'agalma, qui se trouve au centre de la conceptualisation lacanienne de l'objet a.
Qu'est-ce que Socrate nous raconte ? Il nous raconte qu'il y a des corps qui ressemblent trop aux visions de jadis. Je vous prie d'entendre ce "jadis" comme ce qui précède notre expulsion du paradis, notre frustration et castration, voire notre naissance, notre naissance comme sujets, comme sujets du signifiant. En ceci nous sommes d'accord avec Platon : les visions de jadis sont les visions d'avant notre naissance. La seule différence est la manière d'entendre cette naissance du sujet. D'après Platon, c'est une naissance biologique. D'après nous, lacaniens, cette naissance du sujet n'est pas biologique, mais symbolique. Le corps où l'âme s'incarne est celui du signifiant, le corps de l'être symbolique langagier. Ce corps (soma), ce corps semblable à une maladie, cette tombe (sèma) pour l'âme est le corps signifiant du sujet du signifiant -le sèmaïnon des Stoïciens, où nous retrouvons la racine sèma, signe (tableau 14).
Tableau 14. L'affreuse beauté idéale de Platon et le signe des Stoïciens.
Il y a donc, pour le sujet du signifiant, des corps qui ressemblent trop aux visions de jadis, aux visions d'avant sa naissance. Ces corps qui ressemblent trop aux angoissantes visions de jadis, ces corps ressemblent trop au corps de notre mère, à cette Chose hors signifiée. Ces corps ressemblent trop à la Chose maternelle, à cette affreuse beauté idéale. Ils ne sont pas identiques à cette Chose, dans la mesure où nous ne sommes pas des psychotiques, mais ils lui ressemblent trop.
Socrate nous explique qu'en face des corps trop semblables à la Chose maternelle, quelque chose nous revient de nos angoisses de jadis. Nous nous angoissons parce qu'il y a trop de similarité entre ces corps et la Chose, entre les autres choses et la Chose maternelle, entre les Sachvorstellungen et le Ding. Il y a trop de ressemblance, il y a presque l'identité de la psychose, il y a donc de l'angoisse .
Le corps angoissant, qui offre trop de ressemblance avec la Chose, est comparé par Socrate à une agalma. Voici l'objet a qui intervient. Il est ce trop de ressemblance entre la Chose et l'autre chose. Il est un être-en-trop dans l'image de ce que nous aimons. Il est la manifestation, dans le miroir, de ce qui reste pourtant insaisissable au miroir, détaché de nous, castré de notre reflet dans les choses imaginaires que nous aimons. Cette image sainte, cette agalma, cet objet a, ce trop de ressemblance avec le pragma, ceci apparaît dans le miroir de ce que nous aimons. Nous éprouvons alors de l'angoisse.
L'agalma nous la retrouvons où Lacan l'étudie le plus, dans le Banquet, dans le même dialogue où Diotime expose la Chose amoureuse. Dans ce dialogue, Alcibiade fait l'éloge de Socrate en le comparant à un silène, c'est-à-dire un satyre vieux, laid, mais sage et intelligent. Alcibiade explique : "Socrate est tout pareil à ces silènes qu'on voit exposés dans les ateliers..., si on les ouvre en deux, on voit qu'ils contiennent, à l'intérieur, des statues de dieux"58. Statue est la traduction française des agalmata.
Ce terme d'agalma apparaîtra deux fois encore, avec le même sens, dans le discours Alcibiade. Dans l'apparition suivante, Alcibiade rapporte, à propos de Socrate, "qu'il passe toute sa vie à faire le naïf et à plaisanter avec les gens, mais quand il est sérieux et que le silène s'ouvre, je ne sais si quelqu'un a vu les images fascinantes qu'il contient"59. Ces images fascinantes traduisent en français les agalmata. Finalement, Alcibiade assure que "si on observe et pénètre" les discours de Socrate, on découvrira qu'il sont "dans le fond, absolument divins", qu'ils "renferment une foule d'images fascinantes"60, en grec des agalmata.
Dans ce discours d'Alcibiade, les trois mentions de l'agalma nous apprennent beaucoup sur l'objet a, ainsi que sur la distinction entre l'agalma et le pragma, voire entre la Chose insignifiée et l'objet a insignifiant.
La première mention de l'agalma nous apprend que celle-ci n'apparaît que lorsqu'on ouvre en deux le silène. Permettez-moi de comprendre cette ouverture en deux comme la division du sujet ou la coupure en deux de la sphère dérisoire d'Aristophane. Lors de cette coupure ou division, l'agalma apparaît à l'intérieur du corps, âme platonicienne enfermée à l'intérieur du soma, qui est pour elle un sèma, une tombe, la tombe du signifiant. En effet, l'agalma, l'objet a insignifiant, le -a ou le manque-à-être du sujet du signifiant, n'apparaît que lorsqu'on divise le sujet, lorsqu'il cesse d'être, lorsqu'il commence à exister, lorsqu'il peut mourir, lors de sa naissance comme sujet du signifiant ou comme existant mortel, quand le pragma commence à lui manquer. Il s'agit là de la frustration, du manque au niveau réel, le manque imaginaire du sein maternel comme objet réel dans la bouche de l'enfant, dans cette bouche qui s'ouvre en deux, pour exprimer sa demande, lorsque le sein lui manque.
La deuxième apparition de l'agalma nous montre qu'elle ne se voit pas, qu'elle manque dans l'apparence de Socrate, qu'elle reste insaisissable dans le miroir des choses imaginaires qu'il y a devant Alcibiade. Voici l'absence de l'objet a au niveau imaginaire. C'est, après la castration, le manque symbolique du phallus comme objet imaginaire.
La troisième allusion à l'agalma ne la situe pas dans le discours, mais dans le fond d'un discours qui l'enferme comme une tombe ou comme un sèma, dans le fond du soma où du corps signifiant mortel d'où elle est tombée, telle que l'objet a qui tombe sous la chaîne signifiante. Nous avons ici l'absence de l'objet a au niveau symbolique. C'est, dans la privation ou le manque-à-être, le manque réelle de l'être comme objet symbolique.
Alcibiade fait l'éloge de Socrate et nous présente l'agalma ou l'objet a insignifiant. De même, Diotime, dans la bouche de Socrate, avait fait avant l'éloge de l'amour et avait présenté le pragma ou la Chose insignifiée. En comparant les deux discours, nous constatons que le pragma se situe avant la naissance du sujet du signifiant, dans le monde des idées ou des formes pures, alors que l'agalma se situe après, lors de la division du sujet, lorsque l'âme est enfermée dans le corps ou dans le soma, qui est pour elle une tombe, une sèma.
Nous voyons également que dans les deux cas il s'agit de la beauté et du divin, mais que le pragma correspond à la beauté en soi et à la divinité en tant que telle, dans la sphère purement intelligible du noüs, alors que l'agalma correspond à une statue de Dieu et à une représentation de la beauté intérieure, enfermée déjà dans une forme corporelle. Finalement, si dans le pragma il s'agit d'un amour à deux, en dernière instance l'amour entre le fils et sa mère, ou entre l'amour et la beauté en soi ; par contre, dans l'agalma il s'agit d'un amour à trois, en dernière instance l'amour entre la mère, le père et le fils, mais aussi, dans le dialogue, l'amour entre Alcibiade, Socrate et Agathon.
À la fin de son éloge de Socrate, Alcibiade mentionne Agathon, auquel il recommande de "ne pas se laisser duper" par Socrate61. Alors Socrate reprend la parole : "On ne dirait pas que tu as bu, Alcibiade, car tu n'aurais jamais tourné si subtilement autour de ton sujet pour essayer de couvrir le but de ton discours (...), de jeter la brouille entre Agathon et moi, en prétendant que je dois t'aimer et n'aimer que toi, et qu'Agathon doit être aimer de toi, et de toi seul"62.
En voulant jeter la brouille entre Socrate et Agathon, le discours d'Alcibiade, comme la "funeste Discorde" d'Empédocle63, prétend "disloquer" et "dissocier"64 ce que l'amour a réuni. Sous l'effet du discours d'Alcibiade, qui est l'effet de la Discorde inhérente au signifiant, les sujets "se voient divisés"65 -comme les sphères d'Aristophane se voient coupées. Ce qui jaillit, dans cette division, c'est l'agalma, l'objet a.
L'amour d'Alcibiade, celui concernant l'agalma ou l'objet a insignifiant, celui du sujet divisé par le signifiant, sera un amour à trois. Par contre, l'amour de Diotime, celui concernant le pragma ou la Chose insignifiée, sera en dernière instance un amour à un dans le réel, c'est-à-dire la Chose amoureuse d'Empédocle, "le Sphaïros à l'orbe pur, qui, cerné de solitude, exulte"66. Nous savons par le Timée qu'il s'agit là, dans cette "forme sphérique et circulaire", non seulement de l'amour pour Empédocle, mais aussi de la beauté idéale pour Platon, cette beauté idéale qui inspire l'amour de Diotime -à ne pas confondre avec sa variante dérisoire chez Aristophane. En effet, "de toutes les figures", la sphère est "la plus parfaite et la plus complètement semblable à elle même". Pourquoi ? Parce qu'elle est "celle qui comprend en elle-même toutes les figures possibles"67, a qui comprend toutes les a + b, sans aucun reste insaisissable au miroir, sans aucun -a. Elle est donc la beauté idéale de Diotime, le pragma de Platon, la Chose amoureuse, la Chose qui inspire tout amour.
L'amour à un dans le réel, celui incestueux du Sphaïros cerné de solitude, se traduit dans l'imaginaire par un amour à deux. En effet, ici, dans l'imaginaire, l'amour de Diotime devient l'amour romantique à deux, l'amour où les choses se montrent pour Empédocle "bien enclines à se fondre ensemble", car "Aphrodite leur verse le désir de ressemblance"68. Il s'agit de l'amour dans l'imaginaire, entre le moi et son i(a), un amour qui aime ce qu'il n'a pas, simulant ce qu'il n'est pas -ce qu'est l'amour incestueux à un dans le réel de la Chose amoureuse ou de la confusion entre l'amant et l'aimé (tableau 15).
Tableau 15. La Chose amoureuse de Diotime et l'amour à trois d'Alcibiade.
Dans l'amour à trois d'Alcibiade, le symbolique s'en mêle, le père intervient entre la mère et son fils, pour les séparer -pour empêcher que son amour devienne confusionnel, à un, incestueux. Dans cet amour d'Alcibiade opère donc la coupure de la sphère par le Zeus d'Aristophane ou la "funeste Discorde" d'Empédocle -qui éveille le désir, après "déchirer" ou "diviser" ce qui fut "réuni par l'amour". Dans l'amour de Diotime, par contre, le sujet retrouve l'objet ultime de son désir. Il s'agit là d'un amour à un, celui de la Chose amoureuse ou de la Sphère jouissante, cerné de solitude, où tout désir est déjà satisfait. C'est un amour incestueux dans le réel, entre le fils et la Chose maternelle, avant la naissance du sujet -un amour à un simulé plus tard par l'amour romantique à deux, entre le moi et les belles représentations imaginaires de la Chose, les belles imitations de l'affreuse beauté en soi maternelle, telles qu'elles sont signifiées par le signifiant.
Dans l'amour à un, comme Chose amoureuse où tout désir est satisfait, ce qui règne est une "jouissance réelle", "massive" et "structurellement inaccessible" -laquelle est "ce que veut dire" la Chose, d'après J.-A. Miller69. C'est la jouissance totale du pragma, de la totalité de la Chose amoureuse, de la confusion chosique avec la Chose maternelle. Plus tard, dans l'amour à trois, ce qui doit régner n'est plus cette jouissance totale, mais le désir, causé par le retrait du plus-de-jouir -comme ce qui fait défaut dans une jouissance qui n'est donc plus totale. Dans cet amour à trois, le retrait du plus-de-jouir est celui de l'objet partiel comme agalma, qui me manque dans un objet d'amour qui ne m'appartient plus tout à fait, puisque je dois le partager avec un Autre, dans un amour qui devient nécessairement amour à trois.
À l'origine, dans l'amour de Diotime, nous sommes dans la jouissance totale de la Chose amoureuse, à l'intérieur du paradis. C'est, chez Empédocle, "le Sphaïros à l'orbe pur, et qui cerné de solitude, exulte"70, jouit de lui-même. Par contre, dans l'amour d'Alcibiade, nous somme à l'extérieur de ce paradis, où nous ne pouvons pas entrer. C'est notre sort après l'intervention du serpent qui suscite la funeste Discorde d'Empédocle. À propos de ce serpent, n'oubliez pas qu'il est le diable, et que le diable, diabolos en grec, veut dire "qui sépare, qui désunit" -de même que le Père ou le Zeus d'Aristophane qui coupe la sphère.
Voilà, nous existons, nous sommes des sujets divisés par le signifiant, nous sommes désunis par le diable, nous sommes dans cette funeste Discorde. Nous ne pouvons plus entrer au paradis à cause de Dieu le Père, parce qu'il y a cet ange à son service, avec cette épée qui nous empêche d'y entrer. Mais nous voulons y entrer, nous le désirons, parce qu'il y a ce fruit dedans, ce fruit cause de notre désir, mais aussi parce qu'il y a cette épée dehors, cette loi qui nous interdit l'entrée, qui nous interdit l'inceste.
À l'entrée du paradis, l'épée mise par Dieu le Père est cette loi qui interdit notre jouissance et produit notre désir. Cette épée nous prive de l'être immortel du fruit de l'arbre de la vie. Cette épée nous prive de notre être, nous castre du phallus, nous sépare du sein maternel, nous condamne à exister ou à manquer d'être. En effet, en dehors du paradis nous devons exister. Notre être, l'être qui est toujours immortel parce qu'il n'existe pas, cet être nous manque, parce qu'il reste à l'intérieur du paradis, derrière l'épée qui nous a séparé de lui.
Ce qui pendait avant de l'arbre de la science, comme ce qui pend maintenant de l'arbre de la vie, est également l'objet a ou l'agalma d'Alcibiade. Je vous prie de comprendre cette science, la science de l'arbre de la science, nos seulement comme la science de la lettre VII de Platon, cette science qui donne accès au pragma, mais aussi comme la science qui nous éloigne du pragma, la science du bien et du mal, la science de la loi, notamment la loi de l'interdiction de l'inceste.
En mangeant le fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, nous cessons d'être confondus avec la mère. Une épée nous sépare de cette Chose maternelle. Une épée coupe la Chose amoureuse, incestueuse, que nous sommes avec notre mère. C'est la coupure de la sphère par Zeus, la fin de la jouissance, le commencement du désir.
En mangeant du fruit de l'arbre de la vie, en récupérant le sein maternel qui nous manque dans la bouche, nous voici confondus à nouveau avec la Chose maternelle. Le désir est satisfait. Nous pouvons jouir à nouveau des fruits des autres arbres du paradis. Nous sommes à nouveau dans ce paradis. Et nous pouvons rester ici pour toujours, à condition de ne pas manger encore une fois du fruit de l'arbre de la science, ce fruit qui nous fait exister, ce fruit qui nous montre le bien et le mal, ce fruit qui nous fait connaître la loi qui produit notre désir, la loi par laquelle nous serions expulsés encore une fois du paradis.
En mangeant du fruit de l'arbre de la vie, le sujet revient en arrière, et il devient, peut-être pour toujours, identique à lui-même : a = a. Le sujet devient donc immortel, puisque a sera toujours identique à a (a = a = a = a). Il ne pourra pas cesser d'être identique à lui-même par le fait de mourir. C'est le délire d'immortalité dans le syndrome de Cotard. Au lieu de la succession des prédicats ou des instants signifiants, b1 + b2 + b3, il y a la présence du sujet, a = a = a = a, répétée jusqu'à l'éternité, puisqu'il n'y a rien d'autre à exprimer. Notre âme, l'agalma, se libère de la mort. Elle se libère du corps du signifiant, b, qui est une tombe pour elle. Elle se libère du soma qui est un sèma pour elle. Alors l'agalma devient le pragma, -a devient a, l'objet a insignifiant devient la Chose insignifiée, l'amour à trois d'Alcibiade devient l'amour incestueux de Diotime, la funeste Discorde devient l'exultante Sphère d'Empédocle, le désir devient jouissance, l'existence devient l'être, le manque-à-être dans la douleur d'exister devient l'être-en-trop dans la mélancolie ; enfin, la distinction entre le sujet désirant et son objet, ou entre le sujet et ce qui lui manque, devient la confusion de la Chose amoureuse avec elle-même, ou la présence de la Chose qui n'est qu'en présence d'elle même (tableau 16).
Tableau 16. La Chose et l'objet a.
avant l'intervention du père après l'intervention du père inceste castration, privation, frustration
Nous voyons que la Chose et l'objet a s'opposent dans plusieurs niveaux. Et pourtant, remarquez bien que dans un de ces niveaux, il y a un sein maternel qui est une partie du corps total de la mère. Et il y a aussi un fruit de l'arbre de la vie qui est un des fruits des arbres du paradis. Et il y a finalement un amour à trois qui est amour comme l'amour à un, ou bien un être-qui-manque que nous ne pouvons pas distinguer, en tant qu'être, de l'être-en-trop.
Restons pour le moment avec le sein maternel. En effet, il est une partie du corps de la mère. Autrement dit, tout en étant l'opposé de la Chose, comme -a est l'opposé de a, l'objet a, comme objet partiel ou sein maternel, est une partie de la Chose, en tant que corps total de la mère.
En un certain sens, nous pouvons affirmer que le sein maternel est la partie du corps de la mère qui représente réellement la mère pour l'enfant. Si le sein maternel peut représenter réellement ce corps, c'est précisément parce qu'il est une partie de ce corps. N'oublions pas que ce corps, en tant que Chose, ne pourra être réellement représenté que par lui-même. Or, nous devons comprendre que s'il était réellement représenté par lui-même dans sa totalité, alors il ne s'agirait pas d'une représentation réelle, mais d'une simple présentation. Nous voyons alors que la Chose, en sa totalité, ne pourra être réellement représentée que par une partie d'elle-même, c'est-à-dire par l'objet a, lequel est un objet parce qu'il représente la Chose pour un sujet.
En tant qu'objet a, le sein maternel représente réellement le corps de la mère pour l'enfant. Il représente réellement ce corps parce qu'il est ce corps. Il est ce corps pour la bouche de l'enfant. Il est, pour cette bouche, la Chose maternelle, ainsi que la Chose amoureuse, comme confusion entre l'enfant et sa mère. Il est cette Chose amoureuse qui commence à peine à s'objectiver pour le sujet. Il est la confusion avec le sujet qui commence à se distinguer du sujet, à se distinguer comme objet a, comme objet partiel. Un objet qui représente pourtant réellement la Chose totale qui n'est représentable que par elle-même.
Nous allons donc accepter l'objet a comme la représentation réelle de la Chose. En fait, nous allons même considérer que l'objet a insignifiant (4.6), comme le sein maternel, constitue la seule représentation réelle de la Chose insignifiée (4.4), comme confusion amoureuse entre les corps de la mère et du fils (5.2). Et puisque la Chose n'est réellement représentable que par elle-même (1), alors l'objet a, le sein maternel, sera lui-même la Chose (1.4), la confusion entre les corps de la mère et du fils. Ceci dit, l'objet a, en tant que Dingvorstellung ou représentation réelle de la Chose, apparaît donc lui-même comme la présentation réelle de la Chose, ou bien -dans les termes de N. Charraud- comme "la face proprement réelle de la Chose"71.
5.4. L'objet a sera la Chose maternelle, ainsi que la Chose amoureuse. Il sera ces deux Choses, mais seulement de manière partielle. Ainsi, dans la bouche de l'enfant, le sein maternel sera le corps de la mère de manière partielle, car il ne le sera pas dans sa totalité. Le sein, en effet, ne sera qu'une partie du corps. De ce fait, il sera aussi partiellement la confusion entre les corps de l'enfant et de la mère, car il ne confondra pas, avec le corps de l'enfant, tout le corps de la mère, mais seulement une partie de ce corps, le sein.
La sein maternel sera partiellement la Chose amoureuse, ou la confusion entre la mère et l'enfant, pour une seconde raison plus profonde. Tout en représentant réellement la confusion entre le sujet et l'objet, tout en étant partie de cette confusion, l'objet a comportera, en tant qu'objet, une distinction, une première distinction. En effet, la confusion entre le sujet et l'objet, l'objet a ne la représentera pas totalement, mais partiellement, car il sera déjà un objet, un objet différent du sujet, du sujet pour lequel il représentera la confusion entre l'objet et le sujet. Autrement dit, puisque l'objet a est seulement une partie de la confusion, alors il est déjà une distinction dans la confusion, à savoir la distinction d'une partie de la confusion dans la confusion.
L'objet a n'est pas totalement la Chose amoureuse qu'il représente, il n'est pas totalement cette confusion entre le sujet et l'objet, tout simplement parce qu'il est un objet pour un sujet, parce qu'il comporte donc une certaine distinction entre le sujet et l'objet. Paradoxalement, la confusion chosique entre le sujet et l'objet, l'objet a ne peut la représenter réellement pour le sujet qu'en se distinguant de lui. Ainsi, l'objet a ne peut représenter réellement la confusion qu'en comportant réellement la distinction.
Comme Dingvorstellung ou représentation réelle de la Chose amoureuse ou de la confusion entre le sujet et l'objet, notre objet a sera la première distinction dans la confusion. Il sera une sorte de transition entre la confusion et la distinction. Voilà pourquoi l'objet a sera conçu, par Lacan, à partir de l'objet transitionnel de Winnicott72.
De même que l'objet a, l'objet transitionnel surgit dans "l'état intermédiaire entre l'incapacité" et la "capacité" du "petit enfant" à "reconnaître et à accepter la réalité", la réalité imaginaire de Frege et des psychologues du moi. Ainsi, le surgissement de cet objet transitionnel est situé précisément où nous devons situer le surgissement de l'objet a, à savoir "entre le subjectif et ce qui est perçu objectivement", entre "l'illusion" du nourrisson qui pense que le sein de sa mère "est une partie à lui" et le "désillusionnement" du sevrage. En fait, l'objet transitionnel, selon Winnicott, est la réponse à la "frustration" propre du sevrage. En même temps, il "précède l'établissement de l'épreuve de réalité" et la "perception objective"73. En ce sens, de même que l'objet a, cet objet décèle une transition encore plus radicale que celle, envisagée par Winnicott, entre le subjectif et l'objectif. La transition n'est pas exactement entre le subjectif et l'objectif, mais plutôt entre la Chose amoureuse, ou la confusion chosique, et la distinction du sujet et de l'objet.
Comme l'objet transitionnel, nous devons situer l'objet a entre la confusion et la distinction. En effet, nous devons le situer entre la confusion de l'enfant avec sa mère, la confusion inhérente à la Chose amoureuse ou le Sphaïros d'Empédocle, et la distinction du sujet et de l'objet, sous l'effet signifiant de la funeste Discorde (tableau 17). Nous devons donc le situer dans la division, cause de désir chez Empédocle74, ou bien, dans la perspective platonicienne de la lettre VII, dans la science, comme fruit de l'arbre de la science. Il s'agit de ce lieu oublié, ce no man's land, entre la Chose et les images, entre le pragma et le sèmaïnomènon des Stoïciens, entre le Ding et les Sachvorstellungen de Freud. Il apparaît ici, exactement, en tant que représentation réelle de la Chose, comme le Dingvorstellung freudien : Vorstellung, certes, mais indiscernable du Ding75. De cette manière, l'objet a de Lacan, comme celui transitionnel de Winnicott, sera situé entre deux champs, le chosique réel et l'objectif imaginaire, qui furent déjà discernés par Freud, Ferenczi et Bion :
Tableau 17. Entre l'être et l'avoir.
a) Chez Freud, l'objet a sera situé entre la logique de la Chose réelle et celle des autres choses imaginaires, entre la logique de l'être et celle de l'avoir. Rappelons-nous : d'abord "je suis le sein. Plus tard seulement : je l'ai, c'est-à-dire je ne le suis pas"76. Lorsque je suis le sein, il y a une confusion amoureuse entre mon corps et celui de la mère. C'est le moment de la Chose amoureuse. Ensuite, lorsque je ne suis plus le sein, lorsque j'ai le sein, il n'y a plus cette confusion. C'est la frustration, c'est l'expulsion du paradis. Entre les deux, l'objet a est le sein que je suis et que j'ai en même temps. Je le suis parce qu'il est la confusion chosique entre moi et le corps de ma mère. Mais je l'ai, parce qu'il n'est qu'une partie de cette confusion, une partie que j'arrive à distinguer, une partie différente alors de la totalité que je suis en étant confondu avec le corps de ma mère.
b) Chez Ferenczi, l'objet a sera situé entre le "monisme" et le "dualisme", au point où "l'enfant exclut les 'objets' de la masse de ses perceptions, jusqu'alors unitaire, comme formant un monde extérieur", un "perçu objectif" différent du "vécu subjectif"77. Ici, l'objet a représente réellement le monisme dans le dualisme. En effet, l'objet a représente le monisme de la Chose, comme un premier perçu dans le vécu, comme confusion entre le perçu objectif et le vécu subjectif. Or, puisqu'il est déjà, comme angoisse, un premier perçu dans le vécu, il présuppose déjà un objet et un sujet, et par là un certain dualisme.
c) Finalement, chez Bion, l'objet a se situe entre les éléments chosiques bêta et les éléments objectifs alpha, entre la "chose en soi" qui "ne peut pas être perçue comme objective ou subjective", et les "choses pour nous" qui "imprégneraient" tous "les processus mentaux"78. L'objet a est encore une chose fermée en soi, mais il est déjà une chose qui s'est ouverte pour le sujet. Et pourtant, il reste fermé en soi, malgré son ouverture pour le sujet. Pourquoi ? Parce qu'il est l'être du sujet, parce que sa fermeture en soi est une fermeture dans le sujet, pour lequel il est ouvert, ouvert dans les ouvertures de son corps.
Dans ce lieu oublié que nous venons de localiser, l'objet a représente réellement la Chose amoureuse, ainsi que la logique de l'être, le monisme et les éléments alpha. L'objet a représente réellement tout cela, mais seulement en partie, car il n'est pas la présence réelle de la totalité, mais une partie de cette présence, une partie qui représente donc réellement la totalité. Or, la Chose amoureuse, ainsi que la logique de l'être, le monisme et l'élément bêta, ne son plus ce qu'il sont lorsqu'il ne le sont pas totalement, lorsqu'ils ne le sont qu'en partie.
Si on retire une partie à l'être, cette partie n'est plus, car elle se trouve dans un rapport d'avoir à ce qui est. De même, lorsqu'on sépare une partie du monisme, pour le représenter réellement, cette partie commence à comporter un dualisme entre ce qu'elle est et le monisme qu'elle représente. Finalement, la représentation réelle, pour le sujet, d'une chose en soi ou d'un élément bêta, n'est plus tout à fait une chose en soi ou un élément bêta, mais elle commence à devenir déjà une chose pour le sujet ou un élément alpha. Elle commence à devenir ceci, elle commence à devenir un objet imaginaire, mais elle ne l'est pas encore, car elle est présente dans le sujet et non pas seulement pour lui.
Quoiqu'il en soit, l'objet a, même s'il ne tombe pas encore entièrement dans le domaine des éléments alpha, dans le dualisme et dans la logique de l'avoir, il échappe déjà au domaine des éléments bêta, au monisme et à la logique de l'être. C'est pour cela que l'objet a ne peut représenter la Chose que partiellement, et donc en tant qu'absence, pour autant que la Chose n'est présente que comme totalité -comme un "tout cohérent" (als Ding beisammenbleibt)79, dirait Freud en 1895, ou comme un "tout inconnaissable et terrifiant"80, dirait encore F. Peraldi en 1990, pensant peut-être à l'affreuse beauté idéale.
Si uniquement la partie est présente, alors la totalité est absente. Si l'objet a est présent pour un sujet, alors la Chose est absente, absente en soi. Si le sujet a l'objet a, alors il n'est pas cet objet, il n'est pas confondu chosiquement avec lui.
Si l'enfant a le sein dans sa bouche, dans la logique de l'avoir, ceci veut dire que l'enfant n'est pas le sein, dans la logique de l'être. Avoir le sein, comme élément alpha, veut dire ne pas être le sein, comme élément bêta. La présence du sein, dans la logique dualiste de l'avoir, est son absence, dans la logique moniste de l'être. Entre les deux logiques, la présence de l'objet a, comme représentation réelle de la mère pour l'enfant, est la présence de sa propre absence. Pourquoi ? Parce qu'une représentation réelle comporte la présence de ce qu'elle représente. Or, l'objet a, comme partie de la totalité chosique, ne peut rendre présente la totalité sans la rendre absente. En conséquence, l'objet a ne peut être ce qu'il est, partie de la totalité, qu'en n'étant pas ce qu'il est, représentation réelle de la totalité, c'est-à-dire présence de la totalité. Autrement dit, afin d'être ce qu'il est, afin d'être une représentation réelle de la totalité chosique, l'objet a doit être une partie de cette totalité. Néanmoins, en étant seulement une partie de cette totalité, l'objet a n'est plus ce qu'il est, car il ne rend plus présente la totalité. Or, le propre de la représentation réelle c'est de rendre présente ce qu'elle représente. La présence de l'objet a comporte donc son absence, ainsi que son absence comporte sa présence.
En tant que partie de la totalité, l'objet a sera la totalité absente. En tant que sein maternel présent, l'objet a sera le corps maternel total absent, la Chose maternelle absente. En tant que sein maternel dans la bouche de l'enfant, l'objet a, comme représentation réelle de la mère pour l'enfant, supposera une mère et un enfant. Il sera donc ce qui manque à l'enfant pour se confondre avec sa mère. Il sera également ce qui manque à la parole pour que la Chose puisse être présente dans la parole, confondue avec elle, confondue avec le sujet qui parle. De cette manière, l'objet a sera équivalent à la confusion absente, c'est-à-dire à la Chose amoureuse absente. Comme insignifiance (4.5) ou comme ce qui manque dans la parole pour représenter la Chose qui n'est réellement représentable que par elle-même (1), l'objet a, comme le sein maternel (5.3), sera le corps de la mère absent dans la bouche, ou la Chose absente dans la parole (3), c'est-à-dire la Chose en tant que l'achose (4.7), en tant qu'absente.
5.5. En étant seulement une partie de la totalité, l'objet a constitue l'absence de la totalité qu'il représente réellement. En étant une partie de la Chose amoureuse, l'objet a équivaut à la Chose absente, dans la mesure où la Chose n'est Chose qu'en étant une totalité. Or, l'objet a qui la représente réellement, n'est qu'une partie de cette totalité. En conséquence, la Chose totale est absente dans l'objet a qui la représente réellement. Mais il n'en reste pas moins que l'objet a est une partie de la Chose. L'objet a, en représentant réellement la Chose, comporte la présence de la Chose. Ainsi donc, si la totalité de la Chose manque, ce qui représente réellement cette totalité devra manquer aussi. Voilà pourquoi l'objet a manque toujours. Voilà pourquoi le manque est inhérent à l'objet a.
Nous pouvons dire que l'objet a est le manque de la Chose, il est la partie qui manque pour que la totalité qu'il représente réellement puisse être. Comme partie séparé de la totalité, séparé de la totalité pour la représenter réellement, l'objet a constitue le manque de ce qui permettrait la présence totale de la Chose.
L'objet a est le manque de cette forme dans l'image, le manque de cette forme qui permettrai à l'image de montrer la Chose. Il est aussi le manque de cette signifiance dans la parole, le manque de cette signifiance qui permettrait à la parole de signifier la Chose. Il est ainsi le manque du sein maternel dans la bouche du sujet, le manque de la partie du corps de la mère qui permettrait au sujet d'être un avec le corps de la mère. Bien entendu, cette partie qui manque à l'être de l'enfant est simultanément présente, comme avoir, dans la bouche de l'enfant. Cette partie est présente, mais seulement comme avoir, comme manque-à-être, comme manque de la confusion de la mère avec l'enfant, dans la mesure où elle représente réellement la mère pour l'enfant, l'enfant qui n'est donc pas la mère.
En représentant pour l'enfant la Chose amoureuse, le sein est donc le manque de la Chose amoureuse, ou de la confusion amoureuse entre l'enfant et sa Chose maternelle. Il est, comme partie de la totalité, la totalité absente. Il est, en définitive, la Chose absente.
L'objet a absent est la Chose absente. Ce que nous écrivons -a est exactement la lettre a lorsqu'elle est absente. Cette absence de l'agalma, cause de désir, est en effet l'absence du pragma, dont la présence serait cause de jouissance.
Nous savons déjà que l'insignifiance de la parole, que nous appelons objet a ou cause du désir, implique le caractère hors signifié de la Chose de jouissance. Ainsi, l'absence inhérente à l'objet a indique l'absence de la Chose jouissante sphérique, l'absence de la Chose amoureuse, l'absence de la confusion incestueuse entre la mère et son fils, cette absence qui est cause du désir. Voilà pourquoi nous désignons l'objet a comme cause du désir. Nous le désignons ainsi parce que son absence, l'absence inhérente à sa présence, est celle de ce qui doit être absent pour réveiller tous les désirs.
Comme cause de désir, l'insignifiance de la parole ou l'absence inhérente à l'objet a (4.5), en tant qu'absence de la seule représentation réelle de la Chose insignifiée (5.3), est équivalente à l'absence de la présence réelle de la Chose (1.1), voire la distinction ou l'absence de la confusion amoureuse entre les corps de la mère et du fils (5.2).
5.6. Cause de désir, l'absence inhérente à l'objet a, comme absence de la Chose ou distinction entre les corps de la mère et du fils (5.5), on l'appellera castration, privation ou frustration. En effet, pour le sujet, l'agalma est d'abord, réellement, le sein qui lui échappe de façon imaginaire dans la frustration du sevrage ; elle est ensuite, de manière imaginaire, le phallus qui tombe symboliquement de lui après sa castration ; elle est finalement, au niveau symbolique, l'être qui lui manque réellement, l'être dont il est privé, dans la mesure où il existe81.
L'objet a insignifiant surgit avec la naissance du sujet frustré, castré et privé, c'est-à-dire le sujet du signifiant. L'objet a est ce qui tombe, -a, dès le premier enchaînement signifiant, b1 + b2. Il représente ainsi réellement, comme présence d'une absence, la Chose qui est absente dans cette chaîne. Insistons que l'absence de l'objet a est celle de la Chose.
Bien entendu, l'objet a, à la différence de la Chose, est un reste. Il est tout ce qui reste de la Chose après sa perte. Il est tout ce qui reste de la Chose amoureuse, ou de la confusion entre la mère et son enfant, après leur séparation. Il est tout ce qui reste de la Chose hors signifié après la naissance du sujet du signifiant. Il est tout ce qui reste de la Chose maternelle. Il est tout ce qui reste, en effet, mais tout ce qui reste n'est qu'une absence, et cette absence est l'absence de la Chose, du pragma, de la mère et son affreuse beauté idéale.
Avant la naissance du sujet du signifiant, avant le début de son existence où l'être lui manque, avant ce moment, son être disposait de la Chose maternelle, en étant confondu avec elle dans la Chose amoureuse, dans cet être réel chosique, dans cette Sphère jouissante et cerné de solitude d'Empédocle. Après la naissance du sujet du signifiant, celui-ci ne dispose plus de l'être, l'être lui manque, sa confusion avec la Chose maternelle lui manque.
Le sujet qui existe est séparé de son être, il existe par cette séparation, par cette division, la division du sujet, la division provoquée par le diable qui désunit, par la haine d'Empédocle, par cette Loi de la Haine qui prive de l'être, castre le phallus et frustre par l'absence du sein maternel. Par cette Loi, le sujet qui existe ne dispose plus de la totalité du corps de la mère, il ne dispose plus de la Chose amoureuse ou de la confusion avec ce corps. Le sujet ne dispose plus de cette totalité chosique, mais seulement d'un objet partiel, l'objet a, l'agalma, lequel, par surcroît, lui manque -pour autant qu'il doit manquer pour rester partiel, parce que le sujet constitue la partie qui lui manque pour devenir la totalité chosique.
L'objet a manque. Il est l'être du sujet, l'être qui lui manque au sujet qui existe, l'être qui lui manque pour être, pour se confondre avec son être dans la totalité chosique de l'être en soi. L'objet a est précisément la partie qui manque au sujet pour qu'il puisse se confondre avec la mère. Il est cette partie de la totalité chosique dont le sujet sera privé. Il est donc objectivement le sujet, il est objectivement l'être du sujet qui manque dans la Chose amoureuse, ou plutôt la privation de cet être du sujet dans l'être en soi de la Chose amoureuse absente. Car le sujet, comme l'indique Lacan en 1962, il "est d'abord objectivement cette privation dans la Chose", cette rupture ou ouverture de la Sphère d'Empédocle, à partir de laquelle le sujet "vient se constituer comme désir"82. En effet, le sujet désire parce que son être est un manque-à-être, une béance dans l'être en soi. Il désire parce qu'il est d'abord objectivement cette privation d'être dans l'être de la Chose amoureuse, cette privation de son être, cette cause de son désir.
Le sujet ne désire qu'après la coupure de la sphère chosique et jouissante. Après cette coupure de la Chose amoureuse, nous ne sommes plus dans la topologie de la sphère, mais dans celle de la coupure. Au lieu de la sphère, nous avons toute la topologie lacanienne des sphères coupés ou trouées, à savoir les tores, les cross-caps et la bouteille de Klein. Avant cette topologie multiple, il n'y a que celle de la sphère. Comme Lacan l'établit en 1962, "la topologie de la sphère traditionnellement paraît dominer toute l'élaboration de la pensée concernant son rapport à la Chose"83.
Il faut insister qu'il ne s'agit pas là de la sphère dérisoire d'Aristophane, cette sphère déjà coupée, cette sphère -si l'on peut dire- trop coupée, avec ses "quatre oreilles et ses deux organes de la génération"84. Non, il ne s'agit pas de cette sphère, mais de celle d'Empédocle ou celle du Timée, celle parfaite et jouissante à propos de laquelle Lacan nous explique dans le séminaire sur Le transfert : "elle a tout ce qu'elle faut à l'intérieur d'elle même, et surtout elle n'a pas besoin d'oeil ni d'oreille", comme celle d'Aristophane, "puisqu'elle est par définition l'enveloppe de tout ce qui peut être vivant"85. Et pourtant, cette sphère parfaite et jouissante devra souffrir la même coupure que celle d'Aristophane. D'après Lacan, cette coupure, en tant que "division de l'être primitif tout rond, de la sphère dérisoire de l'image aristophanesque", évoque la "Spaltung", la "refente subjective", la division du sujet, voire la division du sujet de tous les prédicats, cette sphère coupé ou divisée par le signifiant. Si nous croyons Lacan, c'est en raison de cette coupure que Socrate ne parle pas de la Chose, mais "s'efface" et "fait à sa place parler une femme", Diotime, "pourquoi pas la femme qui est en lui"86 -nous pensons là, immédiatement, à l'agalma qui cause le désir d'Aristophane, c'est-à-dire l'objet a, cette présence comme absence du pragma qui ne peut concerner qu'une femme comme Diotime, cette présence comme absence de la Chose maternelle.
5.7. À l'intérieur du paradis, règnent l'être et le monisme, la jouissance et la psychose, la Chose amoureuse, l'amour à un de Diotime et d'Empédocle. À l'extérieur, règnent l'avoir et le dualisme, le désir et la névrose, les sujets et les objets, les amours à deux de Diotime et à trois d'Alcibiade. Entre l'intérieur et l'extérieur, se dresse l'épée de l'ange, la science du bien et du mal, notre loi d'interdiction de l'inceste, la frustration, la castration et la privation.
Après la castration, la frustration et la privation, lorsque nous sommes à l'extérieur du paradis, nous ne pouvons que simuler avec notre chair, dans l'acte génital, l'accomplissement de ce qu'il n'est nulle part à l'extérieur du paradis -ce qui n'est qu'à l'intérieur du paradis.
À l'extérieur du paradis, pour notre désir, il n'y a que la représentation imaginaire de ce qu'il y a à l'intérieur. Et ce qu'il y a à l'intérieur c'est d'abord le pragma, la Chose amoureuse ou la confusion incestueuse avec la mère, mais c'est aussi l'agalma, l'objet a, le fruit de l'arbre de la vie, le fruit de l'immortalité. En dehors du paradis, pour nous les mortels, ce fruit est absent. Son absence atteste notre existence mortelle. Nous existons par son absence, qui est le manque de notre être. Cette absence propre de l'agalma est celle du pragma, de la Chose amoureuse. Elle est ainsi l'absence de la confusion incestueuse avec le corps mythique de la mère, voire l'absence de la Chose maternelle ; cette absence qui devient pour nous, à l'extérieur du paradis, l'absence du premier extérieur, inoubliable, désiré, cherché, irretrouvable, interdit et convoité.
À l'extérieur du paradis nous sommes perdus parce que la Chose maternelle, à l'intérieur du paradis, est perdue pour nous. C'est ainsi que Perceval doit se perdre suite à la perte de sa mère, qui est aussi la perte du Saint-Graal, celui-ci en tant que représentation réelle de la Chose, du corps du Christ, du corps humain ou marial ou maternel du Christ, aussi bien que de la Chose amoureuse ou de la confusion de Perceval avec sa Chose maternelle.
L'absence inhérente à l'objet a, comme celle inhérente au Saint-Graal, est l'absence de notre confusion avec la Chose maternelle. L'objet a témoigne de cette absence. Il représente la Chose, mais seulement la Chose en tant qu'absente, en tant que l'achose.
En dehors du paradis, la représentation réelle de la Chose absente est logiquement une absence, un manque, notre manque-à-être, notre manque du phallus et du sein maternel. Quant à son représentant symbolique, c'est l'épée de l'ange à l'entrée du paradis. C'est aussi l'épée de Gornemant de Goort pour Perceval. Pour nous, derrière toutes les images ou éléments alpha qui nous entourent, le paradis est symboliquement cette épée. Cette épée, derrière toutes nos représentations imaginaires, cette angoissante épée représente symboliquement, comme un souvenir ou une menace, la Chose amoureuse absente, la Chose qu'elle a coupé en deux.
Pour la représenter symboliquement, l'épée a coupé en deux la Chose amoureuse. Ainsi faisant, l'épée signifiante a détruit ce qu'elle voulait représenter. Une fois que la totalité unitaire est coupée par l'épée, soit par le signifiant ou par la barre de signification, ce que nous avons c'est le dualisme dans toutes ces formes : le vécu subjectif et le perçu objectif de Ferenczi, un sujet et un objet, un enfant et un sein maternel, ou bien l'enfant et son phallus, voire le sujet qui existe et son être qui lui manque, en dernière instance l'enfant et la mère, le phallus de la mère et le corps castré de la mère, l'objet a et le grand Autre maternel.
Indissociable du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, l'épée à l'entrée du paradis correspond au symbole comme meurtre de la Chose. Plus exactement -ce qui revient au même-, cette épée correspond à l'absence inhérente à la présence de l'objet a, dans la mesure où elle assure l'absence du fruit de l'arbre de la vie. Elle correspond ainsi à la frustration, la privation et la castration, c'est-à-dire l'expulsion du paradis, la coupure de la sphère d'Empédocle par le Zeus d'Aristophane, la rupture de la confusion avec la mère ou l'absence de la Chose amoureuse. Nous décrivons ainsi l'avènement du signifiant, qui entraîne l'avènement de ce qui est signifié, à savoir, les éléments alpha de Bion, dans le dualisme de Ferenczi et en fonction d'une logique de l'avoir chez Freud.
À la suite de l'avènement du signifiant, le temps passe. Après que nous ayons mangé du fruit de l'arbre de la loi ou de la science du bien et du mal, après "l'introjection" de cette loi, qui est la "relation au symbolique", l'introjection fait "trou" au "coeur de notre être"87, nous cessons d'être, nous commençons donc à exister, le temps commence à passer pour nous. Bref, nous devenons des mortels, nous devenons des sujets de la chaîne signifiante, b1 + b2 + bn. Nous sommes alors en dehors du paradis. Il y a une succession des signifiants, il y a une succession des instants, il y a le temps, il y a le rapprochement à la mort, il n'y a plus tout l'éternité comprise dans la lettre a, il n'y a plus toutes les figures comprises dans la sphère du Timée de Platon ou dans le monisme de Ferenczi. Il n'y a qu'une succession de figures dans le perçu objectif de Ferenczi : a + b1, a + b2, a + bn. Il n'y a qu'une succession de signifiants déterminant les figures, celles-ci comme ce qui est signifié par le signifiant, par les signifiants, par la succession des lettres b, des signifiants ou des instants dans le vécu subjectif de Ferenczi. Il n'y a que ces instants. Il n'y a que des prédicats. La lettre a nous manque. Le sujet de tous les prédicats nous manque.
En dehors du paradis, il y a une succession des instants, une succession métonymique de signifiants dans la ligne du temps, dans la chaîne signifiante : b1 + b2 + bn. Cette succession des instants ou des signifiants est une succession de prédicats. L'être du sujet, la lettre a, est le sujet de tous ces prédicats, de tous ces signifiants, de tous ces instants. En effet, chaque instant, comme un prédicat, affirme quelque chose du sujet, de l'être du sujet, de la lettre a qui tombe de la ligne du temps, de la chaîne signifiante. Chaque instant, chaque prédicat, parle du sujet sans arriver à l'épuiser. Voici la parole qui parle de la Chose sans arriver à parler de la Chose, qui reste hors signifié. Voici la parole qui ne parle que de l'achose qui manque en tant que Chose, c'est-à-dire de l'objet a qui tombe de la chaîne signifiante, comme Chose absente, comme -a.
Soit dit en passant que le temps passe parce que nous sommes des mortels, parce que nous avons mangé du fruit vénéneux de la loi, de l'arbre de la science du bien et du mal, mais aussi parce que nous n'avons pas mangé le fruit de l'arbre de la vie, qui donne l'immortalité. Si nous avions mangé de ce fruit, si le sein maternel était maintenant dans notre bouche, alors il y aurait la lettre a dans la chaîne des b. Notre parole ne serait plus insignifiante. La Chose ne resterait plus insignifiée. Avec la présence du sujet, on aurait dit tout ce qu'on avait à dire sur le sujet, sur nous, sur la Chose. Avec la présence du sujet, il n'y aurait plus aucun besoin des prédicats, il n'y aurait plus rien à dire, on aurait dit tout, on aurait dit la Chose, il ne s'agirait alors que de la répéter jusqu'à l'éternité, a = a = a = a..., dans une parole psychotique. Nous aurions manger le fruit de la vie, de l'immortalité. Nous aurions mangé notre être, le sein maternel. Notre bouche serait pleine. Il suffirait de prononcer un mot pour dire tout, pour dire la Chose, l'être du sujet, "la personne de moi-même"88. Il y aurait le sujet, l'être du sujet, la lettre a. Il n'y aurait donc plus aucun besoin d'accumuler des prédicats, des lettres b. Il n'y aurait plus aucun besoin des signifiants et des instants, il n'y aurait plus besoin du temps. Nous serions fixés dans l'être, dans l'éternité, en dehors de l'existence. Nous serions immortels. Voilà, encore une fois, le délire d'immortalité dans le syndrome de Cotard.
En dehors du paradis, où le temps passe, l'absence de ce qu'il y a dedans, l'absence de la Chose amoureuse, l'absence inhérente à l'objet a, cette angoissante absence est voilé par sa représentation imaginaire. L'absence dans la chaîne signifiante de mon être insignifiant est voilée par mon avoir signifié. Il s'agit d'une représentation de l'être qui voile notre manque-à-être. Plus exactement, il s'agit d'une représentation de l'être qui voile notre être-qui-manque -pour autant que notre n'est présent, n'est le nôtre, qu'en manquant. C'est une belle image pour notre désir, pour notre désir causé par l'affreuse beauté idéale absente que l'image voile, cette beauté réelle dont l'absence voilée, voilée par les belles choses qui nous entourent, nous l'appelons objet a.
La beauté, non pas l'affreuse beauté idéale de Platon, mais la beauté des belles choses qui nous entourent, cette beauté signifiée voile le hors signifié, elle voile la Chose absente, l'affreuse beauté idéale absente pour le sujet. Vers la fin du séminaire sur L'éthique, Lacan soutient que "la vraie barrière qui arrête le sujet devant le champ innommable du désir radical pour autant qu'il est le champ de la destruction absolue, de la destruction au-delà de la putréfaction, c'est à proprement parler le phénomène esthétique, pour autant qu'il est identifiable à l'expérience du beau le beau dans son rayonnement éclatant, ce beau dont on a dit qu'il est la splendeur du vrai". Et il ajoute : "c'est évidemment parce que le vrai n'est pas bien joli à voir que le beau en est, sinon la splendeur, tout au moins la couverture"89 . L'année suivante, dans son séminaire sur Le transfert, Lacan revient sur la même idée, considérant "la beauté en tant qu'elle orne ou, plutôt, qu'elle a pour fonction de constituer le dernier barrage avant l'accès à la Chose dernière, à la Chose mortelle»90, voire l'affreuse beauté idéale de Platon. Devant cette affreuse beauté, ce qui la voile, dira finalement Lacan six mois plus tard, c'est "la beauté érigée, telle qu'elle se projette à la limite pour nous empêcher d'aller plus loin au cur de la Chose"91 .
La représentation imaginaire, si belle et sublime soit-elle, ne cesse d'être le voile de la beauté idéale, un voile qui couvre cet affreuse beauté idéale de la Chose, une surface spéculaire qui recouvre toute l'extension de l'être réel chosique, nous présentant en échange les belles figures imaginaires de ce que nous sommes et de notre monde. Cette représentation imaginaire n'est qu'un miroir, un miroir qui nous retourne l'image de notre moi dans les objets que nous aimons. Il s'agit du moi reflété dans l'i(a) que le moi reflète. Il s'agit de l'avoir de Freud, du perçu objectif de Ferenczi, des éléments alpha de Bion. Il s'agit des choses que nous désirons, les choses que nous aimons et avec lesquelles nous nous identifions dans l'imaginaire, afin de simuler la Chose amoureuse, afin de simuler ce que nous désirons, la beauté idéale, cet amour à un de Diotime et du Sphaïros d'Empédocle. Il s'agit, dans cette pitoyable simulation, de ce qui est signifié, a + b, comme objet aimé et désiré dans l'amour romantique à deux. Or, il s'agit aussi de la représentation imaginaire de l'objet a, le -a insignifiant, la cause de notre désir dans l'amour à trois d'Alcibiade. Ainsi donc, ce qui est signifié (4.3), le moi ou l'objet i(a), sera la représentation imaginaire, pour le désir, de l'objet a insignifiant (4.6), cause du désir, ou de la représentation réelle de la Chose insignifiée (5.3), celle-ci en tant que l'achose (5.4), en tant que distinction ou absence de la confusion amoureuse entre la mère et le fils (5.5), entre l'Autre et son objet, entre le sujet et l'objet a. Il n'en reste pas moins que cette représentation imaginaire de l'objet a n'est ce qu'elle est, un objet de notre désir, que parce qu'elle est signifiée d'une certaine manière par notre place, comme signifiant, dans une structure signifiante -laquelle, à son tour, n'est ce qu'elle est qu'en vertu de sa particulière insignifiance, que nous avons désignée comme objet a, cause du désir. 2
Ibid., vers 3244, p.766. 3
Ibid., vers 1648, p. 726. 4
Anonyme, 1220, La quête du Saint-Graal, E. Baumgartner (traduction en français moderne), H. Champion, Paris, 1983, p. 246. 5
Manessier, 1250, "The third continuation", in The Continuations of the Old French Perceval of Chretien de Troyes", The American Philosophical Society, Philadelphia, 1983, vers 42617, p. 342. 6
Anonyme, "Livre des secrets de Jean", in Codex de Berlin, M. Tardieu (trad.), Cerf, Paris, 1984, 4-5, p. 85. 7
Anonyme, "Perlesvaus", Op. cit., p. 193. 8
Cléro, J.-P. 2002. "La Chose", op. cit., p. 18. 9
Lacan, J. 1959. "Séminaire du 09.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 68. 10
Ibid., p. 69. 11
Lacan, J. 1959. "Séminaire du 16.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., pp. 82-83 12
Ibid., p. 85. 13
Ibid., p. 85. 14
Lacan, J. 1959. "Séminaire du 23.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., p. 100 15
Lacan, J. 1960. "Séminaire du 20.01.60", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., p. 127. 16
Anonyme, 430-500, "Odes de Salomon", M.-J. Pierre (trad.), in Écrits apocryphes chrétiens, F. Bovon et P. Geoltrain (dir.), Gallimard, Pléiade, Paris, 1997, 19, 1-3, p. 709. 17
Lacan, J. 1960. "Subversion du sujet et dialectique du désir dans l'inconscient freudien", in Écrits, Op. cit., vol. II, p. 294. 18
Lacan, J. 1958. "La signification du phallus", in Écrits, Op. cit., vol. II, p. 169. 19
Ibid. 20
Freud, S. 1895. "Entwurf einer Psychologie", op. cit., p. 423, 473. Traduction française : "Esquisse d'une psychologie scientifique", op. cit., pp. 345-346, 392. 21
Lamboley, R. 1995. "Le champ de la Chose selon Heidegger et Lacan", in Cahier, N°5, Quimper, ACF-Val de Loire et Bretagne, 1995, p. 93. 22
Lacan, J. 1960. "Séminaire du 22.06.60", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., p. 347. 23
Lacan, J. 1961. "Séminaire du 11.01.61", in Le transfert, Paris, Seuil, 1991, pp. 112-116 24
Lacan, J. 1961. "Séminaire du 18.01.61", in Le transfert, Op. cit., pp. 141-144. 25
Empédocle, "De la nature", in Trois présocratiques, Y. Battistini (trad.), Paris, Gallimard, 1968, 17, p. 157. 26
Ibid., 20, p. 160. 27
Ibid., 21, p. 160. 28
Ibid., 22, p. 161. 29
Ibid., 26, p. 163. 30
Ibid., 27, p. 163. 31
Ibid., 29, p. 164. 32
Ibid., 28, p. 164. 33
Platon, "Le Banquet", in Le Banquet, Phèdre, E. Chambry (trad.), Paris, Garnier-Flammarion, 1964, XXVI, p. 69. 34
Freud, S. 1900. "L'interprétation du rêve", in Oeuvres complètes, J. Altounian , P. Cotet, R. Lainé, A. Rauzy, F. Robert (trads.), Paris, PUF, 2003, p. 538. 35
Empédocle, "De la nature", op. cit., 22, p. 161. 36
Genèse, 3.22. 37
Platon, "Le Banquet", op. cit., XXV, p. 68. 38
Vandermersch, B. 2003. "La Chose", in R. Chemama et B. Vandermersch (coord.), Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Larousse, 2003, p. 54. 39
Platon, "Le Banquet", op. cit., XXII, p. 63. 40
Ibid., XXII, p. 64. 41
Ibid., XXIX, p. 73. 42
Empédocle, "De la nature", op. cit., 27, p. 163. 43
Platon, "Le Banquet", op. cit., XIX, p. 57. 44
Pessoa, F. 1925. Poèmes de Alberto Caeiro, op. cit., XXVI, p. 45. 45
Platon, "Le Banquet", op. cit., XX, p. 58. 46
Platon, "Lettre VII aux parents et amis de Dion: bon succès", in Lettres, Les Belles Lettres, Paris, 1977, 341d. 47
Lacan, J. 1961. "Séminaire du 18.01.61", in Le transfert, Op. cit., pp. 141-144. 48
Platon, "Le Banquet", Op. cit., XX, p. 58. 49
Texte grec de "Le Banquet" inclus dans Oeuvres complètes, Paris, Les belles lettres, 198e, p. 46. 50
Lacan, J. 1960. "Séminaire du 21.12.60", in Le transfert, Op. cit., pp. 101-106. 51
Platon, "Phèdre", in Oeuvres complètes, P. Vicaire (trad), Paris, Belles Lettres, 1985, vol. IV, 250a, p. 42. 52
Ibid., 249c, p. 41. 53
Ibid., 251a, p. 44. 54
Freud, S. 1912. "Totem et Tabou", op. cit., pp. 304-305. 55
Platon, "Phèdre", op. cit., 245d, p. 31. 56
Ibid. 57
Ibid., 251a, p. 44. 58
Platon, "Le Banquet", in Oeuvres complètes, P. Vicaire (trad.), Paris, Les belles lettres, 215b, p. 78. 59
Ibid., 216e, p. 80. 60
Ibid., 221e, p. 89. 61
Platon, "Le Banquet", in Le Banquet, Phèdre, E. Chambry (trad.), Paris, Garnier-Flammarion, 1964, XXXVII, p. 84. 62
Ibid., XXXVIII, p. 84. 63
Empédocle, "De la nature", Op. cit., 20, p. 160. 64
Ibid., 21, p. 160. 65
Ibid. 26, p. 163. 66
Ibid., 27, p. 163. 67
Platon, "Timée", in Oeuvres complètes, vol. X, Paris, Les belles lettres, 1985, 33b, p. 146. 68
Empédocle, "De la nature", Op. cit., 22, p. 161. 69
Miller, J.-A. 1999. "Les six paradigmes de la jouissance", in La Cause freudienne, N°43, Paris, ECF, 10.1999, pp. 12-13. 70
Empédocle, "De la nature", op. cit., 27, p. 163. 71
Charraud, N. 1988. "Topologie de das Ding", in L'enfant et le semblant, Analytica, N°56, Paris, Navarin, 1988, p. 25 72
Lacan, J. 1969. "L'acte psychanalytique", in Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 379. 74
Empédocle, "De la nature", Op. cit., 21-22, pp. 160-161. 75
Freud, S. 1900. L'interprétation des rêves, op. cit., p. 257. 76
Freud, S. 1938. "Résultats, idées, problèmes", in Résultats, idées, problèmes, Paris, PUF, 1985, vol. II, p. 287. 77
Ferenczi, S. 1909. "Transfert et introjection", in Oeuvres complètes, J. Dupont (trad.), Paris, Payot, vol. I, p. 101. 78
Bion, W. R. 1962. Aux sources de l'expérience, F. Robert (trad.), Paris, PUF, 1991, pp. 24-71. 79
Freud, S. 1895. "Entwurf einer Psychologie", op. cit., p. 426. Traduction française : "Esquisse d'une psychologie scientifique", op. cit., p. 348. 80
Peraldi, F. 1990. "Chose", in Les notions philosophiques, op. cit., p. 320. 81
Lacan, J. 1956-1957. La relation d'objet. Paris, Seuil, 1994. 82
Lacan, J. 1962. "Séminaire du 14.03.62", in L'identification. 83
Lacan, J. 1962. "Séminaire du 21.03.62", in L'identification. 84
Platon, "Le Banquet", in Oeuvres complètes, P. Vicaire (trad.), Paris, Les belles lettres, 190a, p. 30. 85
Lacan, J. 1961. "Séminaire du 11.01.61", in Le transfert, Op. cit., pp. 112-116. 86
Lacan, J. 1961. "Séminaire du 18.01.61", in Le transfert, Op. cit., pp. 146-147. 87
Lacan, J. 1960. "Remarque sur le rapport de Daniel Lagache", in Écrits, Op. cit., vol. II, p. 132. 88
Leuret, F. 1834. Fragments psychologiques sur la folie, Paris, Crochard, 1834, p. 121. 89
Lacan, J. 1960. "Séminaire du 04.05.60", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., p. 256. 90
Lacan, J. 1960. "Séminaire du 16.11.60", in Le transfert, Op. cit., 1991, p. 15. 91
Lacan, J. 1961. "Séminaire du 17.05.61", in Le transfert, Op. cit., pp. 366-367.
Les dieux
L'amour : un démon
Les hommes
La science
La philosophie
L'ignorance
Le beau en soi, la Chose maternelle, la confusion amoureuse entre les corps de la mère et du fils
L'acte génital comme simulation de la confusion amoureuse entre les corps de la mère et du fils
La parole
Être, identité, immortalité
Semblant d'être, ressemblance, descendance
Existence, différence, mortalité
Corps de l'être réel chosique
Corps imaginaires
Corps de l'être symbolique langagier
Affreuse beauté idéale, forme pure, visions de jadis, d'avant la naissance du sujet du signifiant
Objets beaux, imitations de l'affreuse beauté idéale, corps qui ressemblent aux visions de jadis, visages d'aspect divin
Sujet du signifiant
Pragma, âme du sujet
Sèmaïnomènon, image, corps de l'objet
Sèmaïnon ou signifiant, mot, corps (soma) du sujet, une tombe (sèma) pour son âme
L'amour de Diotime dans le réel, l'amour incestueux à un, la confusion chosique entre le fils et la mère, la Chose amoureuse
L'amour de Diotime dans l'imaginaire, l'amour romantique à deux, la simulation de l'amour incestueux à un, elle n'est possible que grâce à l'intervention du père
L'amour d'Alcibiade dans le symbolique, l'amour à trois, l'intervention du père pour empêcher la confusion chosique entre le fils et la mère
Le pragma (a), l'amour d'Empédocle, le Sphaïros cerné de solitude, la forme parfaite du Timée, la beauté idéale de Diotime
Représentation imaginaire du pragma, habillement de l'agalma (a + b)
Le signifiant (b), ou la funeste Discorde d'Empédocle, et l'agalma (-a)
Chose insignifiée
objet a insignifiant
corps maternel (totalité)
sein maternel (objet partiel)
pragma
agalma
amour "à un" de Diotime
amour "à trois" d'Alcibiade
être-en-trop (a),
être-qui-manque (-a),
confusion
distinction
exultante Sphère, Chose amoureuse
funeste Discorde, haine
paradis :
expulsion du paradis :
les fruits des arbres du paradis, cause de jouissance
le fruit de l'arbre de la vie, cause de désir, après l'expulsion du paradis, après avoir mangé le fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, le fruit cause de discorde, le fruit qui nous fait connaître la loi, la loi qui motive notre désir
Logique de l'être
être-avoir
Logique de l'avoir (Freud, 1938)
Monisme
monisme-dualisme
Dualisme (Ferenczi, 1909)
Élément bêta
bêta-alpha
Éléments alpha (Bion, 1962)
Unité du Sphaïros, cause de jouissance
Division, cause de désir
Multiplicité, effet de la funeste Discorde (Empédocle)
La Chose amoureuse, confusion entre le sujet et l'objet
Le pragma
L'objet a de Lacan, l'objet transitionnel de Winnicott
La science, le fruit de l'arbre de la science, l'agalma
Les autres choses, les objets imaginaires
Le sujet
L'image, la définition, le signifié, le sèmaïnomènon
Le signifiant, le mot, le sèmaïnon
1
Chrétien de Troyes, Perceval, Op. cit., vers 6392, p. 843. Winnicott, D. W. 1951. "Objets transitionnels et phénomènes transitionnels", in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, pp. 170-181. Voir aussi: 1971. Jeu et realité: l'espace potentiel, Paris, Gallimard, 1971, pp. 8-24.