Hgeocities.com/davidpavoncuellar/Lust6.HTMgeocities.com/davidpavoncuellar/Lust6.HTM.delayedxJணOKtext/htmlpXtb.HWed, 19 Oct 2005 16:25:45 GMTMozilla/4.5 (compatible; HTTrack 3.0x; Windows 98)en, *J Corps

LA CHOSE DE FREUD ET LACAN : COURS DE DAVID PAVON CUELLAR A L'UNIVERSITE DE PARIS VIII (2003-2004) http://www.ding.fr.tc


6. Le Saint-Chose :

La perte de la Chose dans l'objet

et sa réduction au rien en tant que sujet

La dernière Chose que nous avons étudiée chez Lacan, pendant les trois derniers cours, a été celle que nous avons désignée comme la Chose amoureuse. Pour l'aborder, nous avons eu recours principalement à Empédocle et Platon. J'espère que toutes nos réflexions à propos de cette Chose, à propos de sa forme sphérique et son lien à l'affreuse beauté idéale, ne vous ont pas fait oublier qu'elle n'est pas seulement ce qui inspire l'amour, mais qu'elle est aussi l'amour en tant que tel, sa matière, sa substance, sa réalisation concrète comme confusion amoureuse entre l'amant et l'aimé. En effet, la Chose amoureuse est l'amour comme Chose, l'amour comme pragma, l'amour de forme sphérique, lequel n'est pas beau, mais affreux, même en étant la beauté en soi, la beauté de la confusion incestueuse avec la Chose maternelle.

La Chose amoureuse, le pragma en tant qu'amour, constitue peut-être la plus célèbre des manifestations populaires de notre Chose. Dans le dernier film de Woody Allen, par exemple, il y a une référence explicite à cette Chose, pendant une conversation, à Central Park, du professeur avec son jeune ami. À un moment donné, le personnage interprété par Woody Allen parle à propos du "thing, the real thing", pour désigner l'amour.

Le thing anglais, qui a le même origine étymologique que le Ding allemand, sert souvent à désigner la Chose amoureuse. Pendant que je préparait ce cours chez moi, trois minutes me suffirent pour aller à ma petite bibliothèque, ouvrir un livre presque au hasard et vous trouver un exemple de ce thing. Il s'agit du poème Lovers, d'Edward Thomas, dans lequel, devant deux amants qui sortent d'un bois, un homme remarque, judicieusement, que "there are more things than one a man might turn into a wood for"1. Le mot thing apparaît deux fois encore dans ce poème, avec à peu près le même sens. Et puisque je ne peux pas arrêter la lecture de ce poète que j'aime autant, dans la même page, mais dans le poème suivant, je trouve une locution dont le caractère poétique est intraduisible en français : "an empty thingless name"2, un nom vide, sans chose. Voici une belle manière d'exprimer, avec la parole, cette absence de la Chose dans la parole.

De même que le thing anglais, votre chose française pourra également désigner la Chose amoureuse, et d'une manière qui mérite bien toute notre attention. Pour vous le démontrer, je vous raconterai maintenant une histoire que j'ai découverte, il y a un mois, dans le Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux de Merceron3.

L'opulente cité gallo-romaine de Lugdunum, l'actuelle Lyon, avait abrité un culte du dieu Priape. Vous connaissez peut-être ce dieu. Selon ma Mythologie Grecque et Romaine de Jean Humbert, ouvrage scolaire du XIXème siècle "autorisé par l'Université et couronné par la société pour l'instruction élémentaire", ce Priape était "dieu de l'horticulture et de la fructification (...), armé d'une baguette pour écarter des jardins les oiseaux qui les dévastent, ou d'une massue pour donner la chasse aux voleurs"4. De même que l'ange avec son épée à l'entrée du paradis, ce dieu Priape, avec sa massue ou sa baguette, avait donc pour fonction de surveiller des jardins. Ce que mon vieux ouvrage scolaire ne dit pas, mais que vous savez certainement, c'est que Priape était aussi le dieu romain de la fertilité, de la procréation et la maternité, ainsi que de l'amour charnel. Il était donc le dieu de notre Chose amoureuse. Je vous rappelle qu'en français, le dieu Priape vous a donné les termes "priapisme", qui désigne une érection persistante du membre masculin, ainsi que "priapée", qui sert à décrire un spectacle obscène.

Je continue avec mon histoire... La cité gallo-romaine de Lugdunum abritait donc un culte de la divinité de notre Chose amoureuse. Ce culte de Priape ce confondait avec celui d'un autre dieu, Foutinus, version lyonnaise du dieu romain Faunus ou Faustinus, c'est-à-dire un faune, comme le silène qui porte dedans l'agalma, ce faune auquel Socrate est comparé par Alcibiade dans le Banquet.

Nous avons donc, à Lugdunum, une divinité qui mélange Priape et Foutinus. C'est la divinité de notre pragma, de notre Chose amoureuse. Permettez-moi de délirer un peu et de vous informer que cette divinité, en tant que faune, enferme peut-être une certaine agalma, notre objet a. En outre, comme Priape, elle surveille peut-être l'entrée du jardin où se trouve notre fruit de l'arbre de la vie, encore une fois, pour nous, l'agalma, l'objet a.

Je cesse de délirer et je continue avec mon histoire, laquelle devient ici encore plus délirante que mes interprétations les plus délirantes... Le premier évêque de Lyon ou Lugdunum s'appelait Pothin, en latin Pothinus. Il fut victime des persécutions de Marc Aurèle en 177. Cet évêque Pothinus devient Saint Pothin. Il est un Saint. Or, à Lugdunum, son culte finit par se confondre avec le culte de la divinité Priape-Foutinus. Saint Pothin devient Saint-Foutin, le Saint chrétien de l'amour charnel et de la procréation. Merceron5 nous explique, à ce propos, que "le rapport entre le nom Foutin et le domaine de la sexualité et de la fertilité s'établit par l'intermédiaire" d'un verbe latin, le verbe "future", qui veut dire "avoir des rapports avec une femme", et qui donna en français, depuis le XIIIème siècle, le verbe "foutre", faire, mais aussi avoir des rapports sexuels et plus précisément éjaculer le sperme.

Notre Chose amoureuse a donc un dieu, le dieu gallo-romain Foutinus, et un saint chrétien, le célèbre Saint-Foutin. Mais l'histoire ne finit pas là.

Saint-Foutin, entendez-moi bien, Saint-Foutin deviendra un autre saint : Saint-Chose. En 1587, René Fame écrivit sur un monastère de femmes, en Périgueux, Dordogne : "Les femmes ont honte de le nommer et l'appellent Saint-Chose... Quand elles ne peuvent pas avoir d'enfant, elles se vouent à ce saint Foutin et lui offrent pour leur voeux des offrandes faites en la forme de membres honteux tant des hommes que des femmes. Outre cela, elles mettent les chandelles qu'elles lui offrent sur le membre honteux de ce tant vénérable saint, lequel membre et d'un grand demi-pied de grandeur". Plus tard, en 1599, Philippe Marnix de Sainte-Aldegonde s'exclamait : "O combien de femmelettes brehaignes (stériles) sont devenus des joyeuses mères de beaux enfants pour s'estre vouées à Saint Faustin en Périgueux, que les femmes du païs appellent Sainct Chose"6.

Déjà en en 1496, dans le Mystère de Saint Martin d'Andrieu de la Vigne, le doyen de Tours dénonçait le caractère douteux de Saint-Chose, ainsi que l'attitude de ceux qui profitaient de l'ignorance des croyants : "En ce lieu gist Monsieur Sainct Chose. Et dela, Sainct je ne sçay qui. On ne sect (sait) de quoy ne de qui, bien souvent sont les sépultures ; mais qu'argent et or manque à cuy (quelqu'un), ce son tresbonnes adventures (affaires)"7.

Pour finir mon histoire, toujours avec Merceron, sachez qu'en 1820, dans L'erotica verba de De L'Aulnaye, nous trouvons le suivante définition italianisante de la Chose : "Chose (le), il cazzo, o la natura delle done. Choser, far l'atto"8. Sachez aussi que la Chose est encore utilisé en français, selon mon Robert, comme un euphémisme de la sexualité. Ainsi, au Québec, d'après L. Proteau, lorsqu'on affirme que "les enfants doivent connaître la chose", on veut affirmer qu'ils "doivent connaître le sexe"9. Sachez, finalement, que Furetière, en disant beaucoup plus de ce qu'il croit dire, définit la Chose comme "ce qui n'a point de nom, ce qu'on ignore, ce dont on ne se souvient pas ou qu'on s'abstient de dire par pudeur..., comme un enfant qui n'est pas baptisé"10. N'est-ce pas, cette définition de Furetière, une excellente définition intuitive de la Chose amoureuse, comme confusion incestueuse du fils avec la mère ? Ce qu'est l'enfant avant son baptême, voire ce qu'est le sujet du signifiant avant sa naissance, mais aussi ce qu'on s'abstient de dire par pudeur, ce dont on ne se souvient plus.

Voilà tout ce que j'avais à vous dire à propos de la Chose amoureuse désignée par le terme français "chose". Néanmoins, ils nous restent encore les mots qui se dérivent à partir de ce terme de Chose. Il y a notamment, en vieux français, deux expressions sur lesquelles je voudrais m'arrêter un instant. La première est celle de "choser", laquelle voulait dire dans le XVIème siècle, d'après le Dictionnaire du moyen français de Greimas et Keane, "faire l'amour"11, mais aussi tourmenter, blâmer, injurier, accuser. Dans un autre dictionnaire, celui de l'ancienne langue française de Godefroy, on trouve un sympathique exemple de cette expression, extrait de la Farce de Jolyet, de 1587 : "au moins ne peult on que baiser l'une foys, l'autre (foys) choser"12. La deuxième expression qui nous intéresse est apparemment plus ancienne que celle de choser. Il s'agit de "faire la chosette", qui voulait dire aussi, dans le moyen-âge, "faire l'amour"13. Cette expression de "faire la chosette" vous rappelle peut-être une autre, celle de "faire la causette", qui n'a pas encore disparut. L'origine étymologique des deux expressions est exactement le même : du latin "causa" on arrive à "cause" et "chose", ensuite à "causer" et "choser" et finalement à "faire la causette" et "faire la chosette".

On distinguera désormais (tableau 18), ici dans notre cours, faire la causette, ou représenter la Chose amoureuse dans le symbolique, et faire la chosette, ou représenter la Chose amoureuse dans l'imaginaire, c'est-à-dire -d'après Lacan- simuler dans l'acte génital cette Chose amoureuse qui n'est nulle part. On aura ainsi, par rapport à l'amour et au désir, d'abord la Chose amoureuse de jouissance, ensuite la chosette -ou la représentation imaginaire de la Chose-, après la causette -ou le représentant symbolique de la Chose- et finalement la cause du désir -ou la représentation réelle de la Chose, voire l'objet a.

Tableau 18. Faire la chosette et la causette.

Chose amoureuse de jouissance Représentation réelle : Objet a comme cause de désir Représentation imaginaire : faire la chosette Représentant symbolique : faire la causette
a -a (a + b1) + (a + b2)... + (a + bn) (b1 + b2... + bn) -a

Nous voyons que la Chose française, comme le Thing anglais, peuvent servir tous les deux à désigner l'amour. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que l'amour peut mériter, à lui seul, le nom de Chose, c'est-à-dire -encore une fois d'après mon Robert- "le terme le plus général par lequel on désigne tout ce qui existe". Évidemment, n'importe quelle autre chose peut accepter le même nom de Chose. Une table, un livre, le bois, toutes ces choses on peut les appeler des "choses". Or, aucune de ces choses pourra être distinguée, par le nom de chose, des autres choses. On ne parle pas de la Chose lorsqu'on veut distinguer la table des autres choses. Par contre, on pourra parler de l'amour comme de la Chose, afin de le distinguer, comme tel, des autres choses. Il doit y avoir alors quelque chose, dans l'amour, qui le distingue des autres choses et qui peut le faire désigner, comme Chose, tout ce qui est, toutes les autres choses.

Je résume. D'une part, en français, comme en anglais, notre Chose amoureuse aura été distinguée, de manière explicite, par les termes Thing ou Chose, qui désignent tout ce qui est. D'une autre part, il y a eu en France un saint de la Chose amoureuse, un saint qui se réfère explicitement à cette Chose, le Saint-Chose, qui dérive de Saint-Foutin, lequel, à son tour, dérive du dieu gallo-romain Foutinus, fusion de Faunus et Priape.

Bien entendu, maintenant, pour nous et entre nous, le Saint-Chose n'est pas la Chose amoureuse, mais seulement une représentation de cette Chose. Il est d'abord, entre nous, pendant que nous faisons la causette, un représentant symbolique dans son nom de "Saint-Chose", comme signifiant, comme euphémisme de Saint-Foutin. Mais le Saint-Chose pourra être aussi, pour nous, dans l'imaginaire, le fait de faire la chosette, ou bien une autre représentation imaginaire de la Chose amoureuse, par exemple dans cette figure de Dordogne, cette figure déterminée par le symbolique ou signifiée par le signifiant, avec ses offrandes phalliques et son membre honteux d'un grand demi-pied de grandeur. Nous voyons bien là, au moins, que le Saint-Chose, tout en ayant le phallus, ne dissimule pas le phallus qu'il est, le phallus imaginaire de celles qui l'invoquent. Le Saint-Chose ne se dissimule pas, il s'exhibe tel qu'il est, tel qu'il se confond, dans la Chose amoureuse, avec la Chose maternelle -raison pour laquelle il peut être un dieu masculin de la fertilité féminine, un Saint-Chose (et non pas une Sainte-Chose), un andro-gyne, un Jésus-Marie (le Jesús-María si commun dans les pays hispaniques), un dieu-mère, un peu comme le Dieu chrétien avec ses deux seins pour allaiter l'esprit, que nous trouvâmes avant dans les Odes de Salomon, ou bien comme cette "matrice du tout..., Mère-Père, homme primordial", que nous trouvons maintenant dans le Livre des Secrets, de Jean, inclus dans le Codex de Berlin14.

Au premier abord, le Saint-Chose, comme n'importe quelle autre chose, n'est pas pour nous et entre nous la Chose, mais autre chose que la Chose. En effet, à première vue le Saint-Chose ne représente pas la Chose de manière réelle, mais seulement de manière symbolique ou imaginaire, seulement comme causette ou comme chosette. Cependant, le Saint-Chose, comme le Saint-Graal, cherche à représenter réellement la Chose, et dans une certaine mesure il y arrive, et c'est pour cela qu'il nous intéresse autant. D'ailleurs, le Saint-Graal fut appelé souvent "Saint-Chose" ou "Sainte-Chose". Rien de surprenant. Il s'agit, dans les deux cas, des tentatives assez réussies de représentation réelle de la Chose. Mais, qu'est-ce que ça veut dire, exactement, que le Saint-Chose représente réellement la Chose ? Ça veut dire qu'il ne la représente pas seulement, de manière symbolique et imaginaire, par son absence réelle, mais aussi par sa présence réelle, dans la mesure ou la représentation réelle présente réellement ce qu'elle représente. Or, de quelle manière pourrait le Saint-Chose présenter la Chose qu'il représente ? Essayons de comprendre ceci.

Nous savons déjà que la Chose est invariablement absente pour nous, dans ces représentations imaginaires, et entre nous ou en tant que nous, dans ces représentants symboliques. La Chose est donc absente dans la causette, dans la parole ou dans la chaîne des signifiants, en tant que nous ou entre nous, en tant que vécu subjectif de Ferenczi, de même qu'elle est absente dans la chosette, dans ce qui est signifié pour nous par ces signifiants, en tant que perçu objectif. Or, malgré cette absence en nous que nous avons appelé objet a, la Chose, comme Chose amoureuse, reste présente en tant que telle, en soi et pour soi, dans le monisme de Ferenczi, dans la logique de l'être de Freud et dans les éléments bêta de Bion.

Même si la Chose est absente en nous, perdue pour nous et réduite au rien en tant que nous, elle est présente en tant que telle, en soi et pour soi. Autrement dit, même si la Chose est absente dans le dualisme, soit comme représentation imaginaire perçue objectivement ou bien comme représentant symbolique vécu subjectivement, elle est pourtant présente dans le monisme, comme Chose amoureuse.

L'importance d'une chose comme le Saint-Chose est de nous rappeler cette Chose qu'est la confusion incestueuse avec la mère. Le Saint-Chose nous rappelle la Chose amoureuse par son nom, celui de Chose, et par son caractère, nettement sexuel et amoureux, mais aussi maternel, en rapport à la procréation et la fertilité -et en outre confusionnel, en tant que dieu masculin de la fertilité féminine, comme Saint-Chose ou andro-gyne, voire le phallus imaginaire qu'est la femme pour l'homme aussi bien que l'enfant pour la mère. D'une manière plus abstraite, le Saint-Chose évoque la Chose amoureuse en nous rappelons trois aspects de l'amour en tant que Chose. En premier lieu, que l'amour est une Chose, une Chose indépendante de ce que nous éprouvons, de ce que nous vivons et percevons comme sujets individuels. En deuxième lieu, que l'amour est la Chose, indéfinie et en général, comme s'il était la choséité de toutes les choses. En troisième lieu, que l'amour est présent en soi et pour soi, en présence de lui-même, comme la Chose amoureuse originaire.

Le Saint-Chose nous rappelle que la Chose amoureuse est subsistante, qu'elle est toujours présente en soi et pour soi, malgré son absence pour nous et en nous ou entre nous, malgré son absence dans les autres choses, malgré son absence dans ses représentations imaginaires ou dans ses représentants symboliques; bref, malgré l'absence universelle du rapport sexuel, l'absence du rapport sexuel, aussi bien lorsque nous faisons la causette que lorsque nous faisons la chosette.

En évoquant la présence réelle de l'amour en tant que Chose, le Saint-Chose accomplit en un certain sens la représentation réelle de la Chose amoureuse. Il accomplit cette représentation à la manière platonicienne de la Beauté idéale ou de la Chose de Furetière, par le souvenir, mais aussi à la manière chrétienne du Saint-Graal, par la foi -indispensable pour se représenter ce qui est fermé en soi et pour soi, faute de révélation.

Par la foi, le Saint-Chose et le Saint-Graal s'approchent des représentations réelles de la Chose. Ils deviennent alors quelque chose de comparable à l'objet a, au phallus. En étant sublimés par la foi, ils se phallicisent. Ainsi, le Saint-Graal, nous pouvons le concevoir, avec Lacan, comme le "pénis en creux ou la coupe", c'est-à-dire comme "une des formes sous lesquelles peut se présenter le signifiant phallus" -par exemple, dans un cas de Bouvet, ce "bidet" que Lacan n'hésite pas à comparer avec le Graal15. Quant au Saint-Chose, n'oubliez pas son aspect dans le monastère de Périgueux, avec son phallus gigantesque et les offrandes qu'il recevait, faites en la forme de membres honteux masculins et féminins.

Dans la renaissance, le terme de "chose" indiquait "les parties sexuelles de la femme"16. Aujourd'hui encore, l'utilisation du terme "chose", au sens de membre viril, est attestée dans la région des Deux-Sèvres17. En Angleterre, Shakespeare employait "thing" pour désigner le phallus. Dans le glossaire du Complete Oxford Shakespeare, le "thing" est défini comme "sexual organ"18. Dans le Roi Lear, le fou qui accompagne le roi profère les mots suivants, à propos de Goneril : "Celle qui, vierge en ce moment, rit en me voyant partir, ne sera par vierge longtemps, à moins que la chose (the thing) ne soit coupée court"19. Voici la coupure de la Chose, la castration par laquelle surgit le phallus, notre Saint-Chose. Il semblerait que le fou se moque ici du roi, lequel venait d'exprimer ces voeux par rapport à sa fille Goneril : "Écoute, nature, écoute ! Dessèche en elle les organes de la génération, et que jamais de son corps dégradé il ne naisse un enfant qui l'honore"20. Pour sa fille, le père veut qu'elle ne devienne pas mère. Son voeu est donc le voeu contraire des pieuses femmes célibataires, insatisfaites ou stériles qui, dans la même époque, récitent leurs prières au saint de la sexualité et de la fertilité, au Saint-Chose en Dordogne. En ce qui concerne le fou, il prédit que Goneril pourra satisfaire son désir, qui est le même désir des femmes de Dordogne, si la Chose amoureuse n'est pas coupée tout court, si la castration n'a pas lieu.

Couper la Chose amoureuse, castrer la mère de son phallus imaginaire : voilà ce à quoi fait référence le fou, voici la volonté du roi Lear, du Père, de tout Père en tant que Père.

6.1. Comme objet a, le Saint-Chose pourra être acceptée comme la représentation réelle de la Chose qui manque dans ses représentations imaginaires, comme celle su moi ou de l'autre, et dans ses représentants symboliques, comme celle du sujet. Comme objet a insaisissable au miroir, le Saint-Chose de Dordogne, en tant que Saint de la fertilité et de la sexualité, pourra être accepté comme ce qui manque au moi de celle qui l'invoque. Le Saint-Chose pourra donc être accepté comme l'homme ou comme l'enfant, comme l'homme qui manque à la relation sexuelle avec la femme ou comme l'enfant qui manque à la mère stérile pour devenir la Chose amoureuse. Comme homme qui manque ou comme enfant qui manque, le Saint-Chose, comme saint de la sexualité et de la fertilité, incarne peut-être le phallus imaginaire qui manque au moi de la pieuse castrée qui dépose ses offrandes au vénérable Saint, sous la forme de membres honteux. Il incarne peut-être aussi, au niveau symbolique, l'être de femme qui lui manque dans le signifiant, dans son existence de sujet féminin insatisfait, célibataire ou stérile.

Voilà ce que l'objet a veut dire par rapport à la Chose. Il représente réellement, comme cause de désir, la Chose de jouissance qui manque à la pauvre femme qui fait la causette et qui fait aussi -dans le meilleur des cas- une drôle de chosette -invariablement une drôle de chosette, puisqu'il n'y a pas de rapport sexuel.

Tel qu'il est incarné dans le Saint-Chose, l'objet a est la représentation réelle de cette Chose qui manque dans les images et dans les symboles de notre monde, ces images et symboles auxquels nous nous identifions. Ainsi donc, en tant qu'il est insaisissable au miroir, l'objet a représente réellement la Chose absente dans sa représentation imaginaire (2.6). En tant qu'il tombe de la chaîne signifiante, le même objet a représente réellement la Chose absente dans son représentant symbolique (3.4).

Une remarque s'impose. Si nous prenons le fait de représenter au sens le plus strict, comme "rendre présent", alors il n'y aura qu'une véritable représentation de la Chose, celle réelle, par le Saint-Chose ou l'objet a. La Chose en tant que Chose, en tant que Ding, restera irreprésentable dans l'imaginaire et dans le symbolique, dans la chosette et dans la causette. (tableau 19). Quant à la représentation imaginaire, comme Sachvorstellung, ou comme l'ensemble du Sachvorstellung et du Wortvorstellung, elle ne représente pas le Ding, mais la Sache et le Wort. En ce qui concerne le représentant symbolique, le Wort ou le Vorstellungrepräsentanz, il n'est pas un Dingrepräsentanz, mais précisément un Vorstellungrepräsentanz, un représentant de la Vorstellung, de la représentation, de la représentation imaginaire, ainsi que le Wort qui est représenté par la Wortvorstellung.

Tableau 19. La Chose irreprésentable dans l'imaginaire et dans le symbolique.

La Chose (Ding) irreprésentable dans l'imaginaire et dans le symbolique

Représentation de chose et non pas de la Chose (Sachvorstellung et non pas Dingvorstellung) + représentation de mot (Wortvorstellung) Le mot (Wort) ou le représentant symbolique de la représentation imaginaire et non pas de la Chose

(Vorstellungrepräsentanz et non pas Dingrepräsentanz)

L'insignifié Image de l'insignifié + signifié par le signifiant :

Le signifiant
a a + b b

Permettez-moi une tautologie : seulement la représentation réelle, celle par le Saint-Chose ou l'objet a, représente réellement la Chose. Or, elle ne représente que la Chose absente. Soit dans l'imaginaire ou dans le symbolique, l'objet a, -a, représente réellement la Chose absente, la lettre a lorsqu'elle est absente. En la représentant réellement, l'objet a présente la Chose, puisqu'il est sa représentation réelle, qui présente ce qu'elle représente.

Comme le sein maternel qui présente le corps de la mère, l'objet a présente la Chose, mais seulement une partie de la Chose. En conséquence, la Chose que l'objet a présente sera une Chose absente, dans la mesure où elle ne pourra être présente que totalement, comme totalité, pour être encore la Chose qu'elle est.

Comme objet partiel, l'objet a représente réellement la Chose, la Chose absente, en étant une partie de la Chose totale. Malgré l'absence de l'entité totale dans l'entité partielle, il doit y avoir un rapport d'identité entre la Chose et l'objet a. Il doit y avoir cette identité, pour que l'objet a puisse être en effet une partie de la Chose. Évidemment, ce rapport d'identité n'a rien à voir avec le rapport de similarité qu'il y a entre la Chose et sa représentation imaginaire, comme il n'a rien à voir non plus avec le rapport de différence qu'il y a entre la Chose et son représentant symbolique.

6.2. La Chose amoureuse de jouissance, nous pouvons nous la représenter de trois manières différentes : réellement, comme cause de désir, par l'objet a ; de manière imaginaire, en faisant la chosette, par l'amour à deux, entre le moi et son petit autre dans le miroir ; symboliquement, en faisant la causette, par le sujet du signifiant, ainsi que par l'amour d'Alcibiade, l'amour a trois. La seule représentation réelle de la Chose est celle qui rend présente la Chose, la représentation réelle par l'objet a. Quant aux deux autres manières de représenter la Chose, elles ne sont par réelles, mais non-réelles. Une est seulement imaginaire, l'autre est seulement symbolique.

Ces trois manières de représenter la Chose, que nous avons distingués depuis le début de notre cours, correspondent aux trois sortes de représentation distingués dans le système logique de Peirce. Dès le début de ses réflexions à propos du fait de représenter, dans ses Principles of Philosophy, lorsqu'il exemplifie ce qu'il entend par représentation, ce philosophe américain distingue déjà trois sortes de représentation : d'abord "un mot", qui "représente une chose pour la conception dans l'esprit de celui qui l'entend", ensuite un "portrait", qui représente ce dont il est le portrait pour la "conception de la reconnaissance", et finalement "une girouette", qui "représente la direction du vent pour la conception de celui qui la comprend"21.

Voilà des exemples éloquents des trois manières de représenter la Chose : le représentant symbolique, comme un mot pour l'esprit, la représentation imaginaire, comme un portrait pour la reconnaissance, pour la reconnaissance de la ressemblance, et la représentation réelle, comme une girouette pour la compréhension, une girouette qui présente ce qu'elle représente, dans la mesure où elle présente réellement la direction du vent, elle est cette direction du vent, elle est même ce vent, ce vent qui la bouge. En ceci, la girouette nous rappelle le Saint-Chose qui présente réellement, en tant que Chose, la Chose qu'il représente.

Comme le Saint-Chose, comme l'objet a, la girouette est un signal de la Chose, ici de la direction du vent. En quelque sorte, elle est indissociable de cette direction du vent. Elle est, si j'ose dire, une partie de cette direction du vent, la partie qui représente réellement la direction du vent pour un homme -de même que le sein maternel est la partie du corps de la mère qui représente réellement ce corps pour l'enfant.

Le mouvement de la girouette est celui du vent. Nous pouvons même affirmer qu'elle est, la girouette, une partie du vent, cette partie qui se manifeste dans son mouvement. Elle est cette partie qui à une valeur de signal. En tant que telle, en tant que signal, la girouette peut provoquer de l'angoisse, de même que l'objet a. Elle peut même devenir l'objet le plus angoissant de notre entourage, comme je pus le constater lorsque j'habitais à la campagne.

Après les exemples du portrait, du nom et de la girouette, Peirce définit, de la façon la plus juste, les trois sortes de représentation22 :

a) Les "symboles", nos représentants symboliques de la Chose, dont le fondement de son rapport à ce qu'ils représentent est "un caractère attribué" (an imputed character), c'est-à-dire conventionnel et arbitraire.

b) Les icônes ou "ressemblants" (likenesses), nos représentations imaginaires de la Chose, dont le rapport à ce qu'ils représentent n'est qu'un "communauté d'une certaine qualité" (community in some quality), c'est-à-dire une ressemblance ou similitude purement formelle.

c) Les "indices" (index), nos représentations réelles de la Chose, dont le rapport à ce qu'ils représentent consiste dans une "correspondance de fait" (correspondence in fact), c'est-à-dire une certaine identité matérielle et formelle.

L'indice, l'icône et le symbole, tels que Peirce les définit, peuvent nous servir à comprendre mieux les rapports qui sous-tendent à nos représentations réelle, imaginaire et symbolique de la Chose. En effet, ces rapports, l'identité, la similarité et la différence, trouvent chez Peirce une certaine clarification, bien qu'au prix d'une simplification dont la théorie lacanienne a pourtant, quelques fois, plus besoin de ce qu'elle imagine (tableau 20) :

Tableau 20. Peirce.

Représentation réelle :

indice

Représentation imaginaire :

icône

Représentant symbolique :

symbole

Identité avec la Chose :

correspondance de fait

Similarité avec la Chose :

qualité en commun

Différence avec la Chose :

caractère attribué

Girouette comme représentation du vent Portrait comme représentation d'une personne Mot comme représentant de la chose qu'il désigne

a) Entre la Chose et son indice ou sa représentation réelle, sa Dingvorstellung, nous découvrons, comme clarification de l'identité, une correspondance de fait. Voici le rapport entre la direction du vent et la girouette, entre la Chose de jouissance et la cause du désir, entre la Chose et l'objet a, entre la Chose et le Saint-Chose, entre a et -a, entre le pragma et l'agalma.

b) Entre la Chose et son icône ou sa représentation imaginaire, nous découvrons, comme clarification de la ressemblance formelle, une qualité en commun. Voici le rapport entre la personne et son portrait, entre le sujet et son moi ou son image dans le miroir, entre la lettre a et le calcul a + b, entre le réel et la réalité de Frege ou des psychologues du moi, entre la Chose et la chosette, entre le pragma et l'image ou le sèmaïnomènon des Stoïciens.

c) Entre la Chose et son symbole ou son représentant symbolique, nous découvrons, comme clarification de la différence et de la convention arbitraire, un caractère attribué. Voici le seul rapport entre la Chose et le mot qui la désigne, entre la Chose et la causette, entre la lettre a et la lettre b, entre le pragma et le sèmaïnon des Stoïciens.

De tous ces rapports, celui qui nous intéresse le plus est l'identité ou la correspondance de fait entre la Chose et l'objet a. Remarquez-bien que cette correspondance de fait, tout en comportant une identité, implique aussi une valeur négative que nous indiquons, dans -a, par le signe de soustraction avant la lettre a.

Prenons l'exemple de la girouette, celle-ci comme objet a, le vent comme la Chose. Pour que l'exemple soit plus parlant, je vous prie de concevoir le vent à la manière du vent psychotrophe d'Hésiode, ce vent qui féconde les humains, cette "vapeur fécondante" qui fait les semailles d'âmes, en "couvrant les champs des heureux de ce monde"23. Le vent vous apparaîtra ainsi, clairement, comme la Chose maternelle et amoureuse.

Pour représenter réellement le vent psychotrophe d'Hésiode, la girouette de Peirce doit être elle-même la présence de ce vent qui provoque son mouvement. Elle est, en effet, cette présence. Le mouvement de la girouette ne représente pas seulement le mouvement du vent, mais il est le mouvement de ce vent, il y a donc une correspondance de fait entre la girouette et le vent. De manière analogue, il y a une correspondance de fait entre la présence du sein maternel et celle du corps de la mère ou de la Chose maternelle, voire celle de la Chose amoureuse.

Si à un moment donné il y a la présence du sein dans la bouche de l'enfant, alors il y a la présence de la Chose maternelle, du corps de la mère, ainsi que la présence corrélative de la Chose amoureuse, de la confusion entre les corps de l'enfant et de sa mère. De même, si à un moment donné il y a un mouvement de la girouette, alors il y a le mouvement du vent.

Le mouvement de la girouette est le mouvement du vent, comme la présence du sein est la présence du corps maternel. Or, le mouvement de la girouette n'est pas le mouvement de tout le vent, comme la présence du sein maternel n'est pas la présence de tout le corps maternel.

Pour discerner le mouvement de la girouette comme représentation réelle du mouvement du vent, il faut la distinguer, la détacher d'un vent qui est peut-être psychotrophe, mais qui n'est certainement pas métallique. Ainsi, l'enfant, pour discerner la présence du sein comme représentation réelle du corps de la mère, il doit le distinguer, le détacher de ce corps de la mère, de cette Chose maternelle qui est confondue avec lui dans la Chose amoureuse. Avec ce détachement, que nous appelons frustration du sevrage, le sein maternel, comme objet partiel, n'est plus la totalité chosique, a, mais la non totalité, -a. En se détachant de la totalité, l'objet partiel comporte un manque dans cette totalité, laquelle n'est donc plus ce qu'elle est, elle n'est plus cet être chosique total qui doit rester, comme nous lisons dans le Livre des secrets, de Jean, "invariablement tout entier", "ne souffrant d'aucun manque", et "indistinct, parce que personne le précède pour lui imposer une distinction"24 -voire la distinction entre le sujet et l'objet, entre l'enfant et le sein maternel. Ainsi, comme indistinction et plénitude, la Chose amoureuse désigne la confusion incestueuse entre la mère et l'enfant. Si rien ne la précède pour lui imposer une distinction, il y aura pourtant quelqu'un qui vient après pour imposer cette distinction, pour couper la sphère, à savoir le grand Autre, le père, Dieu le Père dans la Genèse, le Zeus d'Aristophane, le Gornemant de Goort qui tranche la langue de Perceval.

En étant distingué de l'indistinction chosique -ou tranché comme la langue de Perceval-, le sein maternel n'est plus l'être de l'enfant, celui de la Chose amoureuse, mais son avoir -ce qu'il a, ce qu'il n'est plus. Ainsi, le sein devient ce qui manque dans l'être de l'enfant, ce qui deviendra symboliquement sa privation d'être -après la castration, par l'épée du Père ou de Gornemant de Goort, de ce qu'il est pour la mère comme phallus imaginaire.

En étant distingué de l'indistinction, le sein maternel manque dans l'être de l'enfant. Et pourtant, tout en manquant, il sera toujours, pour l'enfant, un indice de la Chose qui manque, en tant qu'objet a -de même que le vent, qui manque comme girouette dans l'espace occupé par la girouette, laquelle reste pourtant une représentation réelle du vent.

La girouette de Peirce qui se détache du vent psychotrophe d'Hésiode, pour pouvoir le représenter réellement, cette girouette n'est plus du vent, mais du métal où il n'y a plus de place pour le vent. De manière analogue, le sein maternel qui se détache du corps chosique de la Mère, pour le représenter réellement, ce sein maternel n'est plus chosique ni corporel, il n'est plus a, mais il est -a, il devient un vide, un rien incorporel, celui qui remplit la bouche de l'enfant qui parle, qui demande la présence de la Chose qui manque.

La lettre a devient -a. La présence de la Chose dans sa représentation réelle, le sein maternel qui remplit la bouche, devient l'absence de la Chose dans son représentant symbolique, dans la parole qui remplit la même bouche. De manière analogue, la présence réelle du corps du Christ qui remplit le Saint-Graal, cette présence devient l'absence de la Chose dans son représentant symbolique, dans le vin ou la hostie qui remplit n'importe qu'elle graal. Le lait ou le sang manquent dans le vin. Quant à la chair, comme sein ou comme phallus, elle est normalement absente dans le pain -même s'il est toujours possible que la présence réelle jaillisse là encore une fois, comme dans le cas de Bouvet, auquel se réfère Lacan, où la hostie montre sa "présence réelle" sous forme "d'organes génitaux"25.

Puisque l'objet se détache de la Chose amoureuse, comme objet pour un sujet, il n'y a donc plus cette Chose, comme confusion entre le sujet et l'objet. Puisque la représentation réelle comporte la présence de ce qui est représenté (1.1), alors la Chose représentée réellement par l'objet a (5.3) ne sera plus exactement la Chose, mais l'absence de la Chose totale dans l'objet partiel, qui ne pourra la présenter qu'en partie. Or, puisque l'objet a n'est présent qu'en présentant la présence de la Chose qu'il représente, et puisqu'il ne peut la présenter qu'en présentant son absence, alors il faut reconnaître qu'il ne pourra pas être présent sans devoir être en même temps absent -absent comme ce qui est insaisissable au miroir, absent comme ce qui tombe de la chaîne signifiante (6.1). Autrement dit, puisque l'objet a ne présente qu'une partie de la Chose amoureuse, et puisque celle-ci n'est ce qu'elle est qu'en l'étant dans sa totalité, alors l'objet a ne présente pas la Chose, mais son absence. La présence de l'objet a est donc une absence, l'absence de la Chose amoureuse.

La présence de l'objet a ne présente que l'absence de la Chose dans la chosette ou dans la causette, l'absence de la lettre a, ce que nous désignons par -a. Ainsi, en Dordogne, la présence du Saint-Chose ne présente pas vraiment, pour la pieuse castrée, la Chose amoureuse, mais le manque de cette Chose, voire la partie qui manque à la totalité chosique pour être la totalité qu'elle devrait être pour être. Le Saint-Chose ne présente pas la confusion chosique entre la mère et l'enfant, il ne présente pas la lettre a, mais -a, c'est-à-dire ce qui manque à cette confusion, voire le membre honteux, le phallus imaginaire, -w. En effet, le Saint-Chose, ainsi que l'existence d'un tel Saint-Chose, ne révèle pas la fertilité ou la sexualité, mais plutôt le manque de cette fertilité dans la chosette et le manque de cette sexualité dans la causette. Le Saint-Chose révèle ainsi la castration des pieuses castrées qui l'invoquent, leur manque du père et du fils, leur manque d'être symbolique, leur manque de phallus imaginaire.

6.3. N'oublions pas que la représentation réelle de la Chose est la représentation dans un sujet confondu avec la Chose, en lui en tant que Chose, pour autant que la Chose, qui n'est qu'en présence d'elle même, ne peut donc se présenter qu'en se confondant avec celui en présence duquel elle se présente.

La représentation réelle de la Chose, du pragma, est une présence de la Chose dans le sujet, comme l'agalma dans le silène, dans le sujet qui est Socrate, en se confondant avec lui. Ainsi, la représentation réelle, en étant dans le sujet, n'est pas une présence pour lui, comme celle de la représentation imaginaire, de l'élément alpha de Bion ou du perçu objectif de Ferenczi. Elle n'est pas non plus une présence en tant que lui, en tant que lui comme sujet du signifiant, comme celle du représentant symbolique ou du vécu subjectif de Ferenczi.

La représentation réelle de la Chose, comme objet a, est une présence dans le sujet, c'est la présence de l'agalma à l'intérieur de Socrate, dans le sujet où l'objet a constitue l'être. En conséquence, le manque-à-être ou l'absence inhérente à l'objet a, en tant qu'absence de la Chose, est une absence dans le sujet, en lui, où la Chose se représente réellement, où le pragma se représente réellement par l'agalma. Ceci est naturel, si nous considérons que l'objet a est l'être du sujet qui manque au sujet qui existe, au sujet qui existe dans la chaîne signifiante.

L'absence du pragma est une absence de l'agalma dans le sujet. L'absence de la Chose, comme absence inhérente à l'objet a, est une absence dans le sujet, en lui, en nous. Elle n'est donc pas seulement l'absence de la Chose pour nous, dans ses représentations imaginaires, ou en tant que nous, dans ses représentants symboliques.

Nous voyons maintenant que l'absence de la Chose se situe aussi dans le sujet, lorsqu'il s'agit de l'agalma ou l'objet a. L'absence de la Chose n'est donc pas seulement pour le sujet, comme lorsqu'il s'agit des représentations imaginaires comme le moi du sujet, ou en tant que sujet, en tant que sujet du signifiant, comme lorsqu'il s'agit des représentants symboliques (tableau 21). Nous arrivons là au doute radical du sophiste Gorgias26. D'abord, la Chose, la lettre a, est absente dans -a, dans le sujet, dans sa représentation réelle ou dans sa propre présence de Chose ; en conséquence la Chose est totalement absente, elle n'existe pas. Ensuite, même si la Chose existait, on ne pourrait pas la connaître, on connaîtrait seulement une autre chose, a + b, la représentation imaginaire de la Chose, dans laquelle la Chose serait absente pour le sujet. Enfin, même si la Chose était présente pour nous dans sa représentation imaginaire, même si on pouvait connaître la Chose, a, dans a + b, on ne pourrait pas l'exprimer, elle serait donc absente dans son représentant symbolique, la lettre b, en tant que nous.

Tableau 21. L'absence de la Chose.

Absence au niveau de sa représentation réelle :

l'objet a

Absence au niveau de sa représentation imaginaire :

le moi du sujet

Absence au niveau de son représentant symbolique :

le sujet du signifiant

Absence dans le sujet :

non-existence

Absence pour le sujet :

non-connaissance

Absence en tant que sujet :

non-expression

Nous constatons que l'absence de la Chose est totale, qu'elle est l'absence totale du sujet de tous les prédicats, l'absence du sujet même dans le sujet. En effet, la Chose est absente dans le sujet par l'absence inhérente à la présence de sa représentation réelle (6.2), ainsi qu'elle est absente pour le sujet dans sa représentation imaginaire et en tant que sujet dans son représentant symbolique (6.1).

Que le vent soit absent dans Les travaux et les jours d'Hésiode ou dans une peinture de William Turner, ceci va de soi. Mais qu'il soit absent dans une girouette qui tourne, ceci ne va pas de soi. Que la Chose de jouissance soit absente lorsqu'on aime et lorsqu'on parle, dans la chosette et dans la causette, ceci est compréhensible. En effet, c'est compréhensible que la Chose soit absente pour nous dans sa représentation imaginaire et en tant que nous dans son représentant symbolique. Or, qu'elle soit en outre absente dans la cause de notre désir, qu'elle soit absente dans sa représentation réelle, qui n'est telle que parce qu'elle présente la jouissance qu'elle représente pour le désir, ceci est, pour le moins, inadmissible.

Pour comprendre que la Chose soit absente dans sa représentation réelle, je vous prie de ne pas oublier que la Chose, notamment la Chose amoureuse, n'est ce qu'elle est qu'en l'étant dans sa totalité. Ceci peut s'appliquer à tout l'être réel chosique : il n'est ce qu'il est qu'en l'étant dans sa totalité. Si on enlevait une partie, afin de représenter réellement la totalité, celle-ci ne serait plus la totalité, car une partie lui manquerait. Conséquemment, l'être réel chosique ne serait pas non plus ce qu'il est, puisqu'il est ce qu'il est seulement dans sa totalité.

Comme l'être de Parménide, l'être réel chosique de Lacan est "total, unique, inébranlable et complet"27. Il ne pourra donc pas être représenté réellement par un étant comme le Saint-Chose ou comme l'objet a. S'il était réellement représentable par cet étant, l'être réel chosique ne serait plus alors total, mais partiel comme l'objet qui le représente, puisque cet objet se détacherait de la totalité qui deviendrait ainsi partielle comme ce qui se détache d'elle. L'être réel chosique ne serait plus unique, puisqu'il y aurait un autre, le Saint-Chose, l'objet a, identique à lui, dans la mesure où la représentation réelle doit être identique à ce qu'elle représente. Enfin, en étant réellement représenté par l'objet a, l'être réel chosique s'ébranlerait en perdant sa complétude. Ce serait la coupure de la sphère d'Empédocle par le Zeus d'Aristophane. C'est exactement ce qui arrive lorsque l'absence comme présence de l'objet a surgit, lorsque la tranchante girouette jaillit comme une incision dans le corps de vent qu'elle représente.

Dans une autre traduction de Parménide, nous lisons que l'être, ici l'être réel chosique, est "entier en son corps continu"28. Or, s'il était réellement représenté par l'objet a, si ce Saint-Chose se détachait de lui, alors il ne serait plus entier en son corps continu, car il serait divisé, il deviendrait discontinu, il y aurait en lui une division, une discontinuité, celle de l'objet a.

Lorsque l'objet a se détache ou se divise de l'être réel chosique, celui-ci cesse d'être l'être réel chosique, car l'être réel chosique est -comme nous l'apprend Parménide- "indivisible, puisqu'il est tout entier identique à lui-même"29.

Comme sujet de tout les prédicats, l'être réel chosique, indivisible, cesse d'être ce qu'il est quand il est divisé, quand le sujet qu'il est se divise, quand nous avons le sujet divisé de Lacan, quand nous avons la différence de la lettre b au sein de l'identité de la lettre a, au moment du surgissement de l'objet a. Ce sujet divisé par le signifiant, par la lettre b, n'est plus confondu avec son objet. Plus exactement, il n'est plus confondu comme Chose amoureuse avec la Chose maternelle. Il devient le sujet du signifiant, un sujet qui se fait place entre les prédicats, un sujet divisé par les prédicats, lequel n'a plus rien à voir avec le sujet indivisible de tous les prédicats. L'étant de ce sujet divisé, indiqué ici par -a ou objet a, est ainsi l'inverse du sujet indivisible comme être réel chosique, que nous désignons par la lettre a. Le Saint-Chose est ainsi l'inverse de la Chose. L'agalma est l'inverse du pragma.

6.4. D'un certain point de vue, le vent psychotrophe d'Hésiode, si en effet il existait, il manquerait dans la girouette de Peirce qu'il ferait tourner, ainsi que dans une peinture de ce vent qui aurait été faite par William Turner ou dans la parole d'Hésiode à propos de ce même vent. De ce point de vue, la Chose de jouissance manque dans la cause du désir, dans la chosette et dans la causette. De ce même point de vue, qui est celui de Gorgias, nous avons d'abord un manque de l'être réel chosique dans le non-être, ou un manque de la lettre a dans -a, ainsi qu'un manque de l'être et du non-être, un manque de a et de -a. Ceci implique, d'après notre sophiste, que l'être réel chosique n'est pas, que "c'est le néant qui est, car si n'existent ni l'être, ni le non-être, ni les deux ensemble, aucune solution de rechange n'est concevable, et rien n'existe"30. Ensuite, l'être réel chosique manque dans l'imaginaire, dans la mesure où il est "inconnaissable", puisque "si nos connaissances n'existent pas comme êtres, l'être échappe à la connaissance"31. Finalement, l'être réel chosique manque dans notre parole, pour autant que "ce n'est pas les êtres que nous communiquons à l'interlocuteur, mais un discours qui diffère des substances"32.

Nous pouvons affirmer (tableau 22) que la Chose de jouissance, ou l'être réel chosique, manque dans la cause du désir en raison de la frustration, alors qu'il manque dans la chosette en raison de la castration et dans la causette en raison de la privation. En effet, la représentation réelle de la Chose, ou l'objet a, est absent comme sein maternel dans la frustration du sevrage, au niveau réel de la cause du désir, alors qu'il est absent comme phallus imaginaire dans la castration, au niveau imaginaire de la chosette, et comme être symbolique dans la privation, au niveau symbolique de la causette ou de l'être symbolique langagier. C'est toujours la même absence de la Chose, le même objet a, soit qu'il manque en tant que tel, dans la Chose ou comme partie de la totalité, ou bien qu'il soit insaisissable au miroir, ou bien qu'il tombe de la chaîne signifiante. C'est toujours le même objet a, absent dans la Chose, perdu dans l'objet avec lequel on fait la chosette ou réduit au rien dans le sujet du signifiant ou de la causette.

Tableau 22. Gorgias et l'absence de la Chose de jouissance.

Absence de la Chose de jouissance dans la cause du désir, en raison de la

frustration : manque de la Chose en elle même

Absence de la Chose de jouissance dans la chosette, en raison de la castration : perte de la Chose dans l'objet Absence de la Chose de jouissance dans la causette, en raison de la privation : réduction de la Chose au rien dans le sujet
Objet a comme sein réel ou comme absence de la Chose inexistante Objet a comme phallus imaginaire ou comme absence de la Chose inconnaissable Objet a comme être symbolique ou comme absence de la Chose incommunicable

Lors de la frustration, la castration et la privation, lors de la division du sujet par le signifiant, lors de la coupure de la sphère, lorsque l'objet a se détache de la Chose, nous assistons à la perte de cette Chose dans l'objet, ainsi qu'à sa réduction au rien dans le sujet. Si la Chose est désormais hors signifié et absente dans la parole -en tant qu'objet a insignifiant-, si elle reste inconnaissable et incommunicable, c'est précisément parce qu'elle a été ainsi perdue dans l'objet signifié, ou dans ce qui est connaissable, et réduite au rien dans le sujet du signifiant, ou dans ce qui est communicable.

Traitons premièrement la réduction au rien de la Chose dans le sujet. Pour cela, je vous prie de vous rappelez, d'abord, que la Chose constitue le sujet de tous les prédicats, la lettre a de b1 + b2 + bn, c'est-à-dire la fraction constante et invariable de tous nos jugements. Elle est, la Chose, ce dont on parle toujours. Ce qui est dénoté par toutes les locutions signifiantes de notre parole. Ceci vous le savez déjà.

Notre causette dénote la Chose. Or, la Chose est absente dans cette causette. L'être réel chosique, pour le dire à la manière gnostique du Livre des secrets, de Jean, est "inexprimable parce que personne ne le saisit pour l'exprimer, est innommable parce que personne ne le précède pour le nommer"33.

La Chose, inexprimable, est absente dans la parole. Le sujet, innommable, manque dans les prédicats. Les prédicats, b1 + b2 + bn, n'épuisent jamais le sujet, la lettre a. Il y a toujours un reste, -a, l'objet a. Ce "reste mnésique de Chose"34 -comme l'appelle Freud en 1923- échappe au prédicats. Il est ce que Freud, déjà en 1895, décrit par son insignifiance, comme "reliquat (Reste) échappant au jugement (Beurteilung entziehen)"35. Ici je reste satisfait avec la traduction de Berman. Le mot de "reliquat", pour désigner l'objet a, me fait penser à celui de "relique" -dont Hegel aura au moment opportun quelque chose à nous dire-, avec lequel il partage le même origine étymologique. Je vous rappelle, à l'aide du Robert, qu'une relique est "le fragment du corps d'un saint", ou bien "un objet auquel on attache moralement le plus grand prix comme à un vestige ou un témoin d'un passé cher". Dans ces deux sens, l'objet a, comme indice de Peirce, comme reste et partie de la totalité, comme agalma par rapport au pragma, n'est-il pas une relique de ce passé cher où nous étions confondus avec la Chose maternelle dans la Chose amoureuse ? Cet objet a, comme sein maternel absent dans notre bouche, dans notre parole, n'est-il pas donc une relique, en tant que fragment du corps de la mère, de la Chose maternelle ?

Quoiqu'il en soit, pour qu'il puisse y avoir une chaîne de signifiants, il doit y avoir toujours un reste, un reliquat, une relique. Les signifiants ne doivent pas épuiser la Chose, ils ne doivent pas conduire à ce qu'ils dénotent.

Une chaîne de signifiants ne même jamais à la Chose, une chaîne de prédicats ne mène jamais au sujet, sauf lorsqu'elle s'épuise, lorsqu'elle avance alors à rebours, en se bouclant sur elle-même, en se repliant sur soi, en retournant jusqu'au point de départ, jusqu'au sujet inexprimable. J'ai trouvé un exemple de cet épuisement dans un écrit apocryphe chrétien, les Actes de Jean, ou on assiste au renversement sur le sujet, sur la Chose ou la lettre a, de la chaîne résignée des prédicats, b1 + b2 + bn : "lui le compatissant, le miséricordieux, le saint, le pur, l'immaculé, l'immatériel, le seul, l'un, l'immuable, le vrai, lui le sans ruse, lui le sans colère, lui le Dieu, Jésus-Christ, qui est au-dessus et au-delà de toutes les dénominations que l'on puisse énoncer ou concevoir !"36. En effet, la Chose, le corps du Christ, est au-dessus et au-delà de toutes les dénominations que l'on puisse d'une part énoncer comme des prédicats signifiants, b1 + b2 + bn, et d'autre part concevoir comme des images signifiées, (a + b1) + (a + b2) + (a + bn).

Même si on ne dispose pas de dénominations pour l'énoncer ou la concevoir, la Chose constitue quand même le sujet de tous les prédicats du sujet. En conséquence, la Chose est l'être réel du sujet, dans la mesure où l'être réel du sujet constitue le sujet de tous ses jugements, de tous les prédicats qui le parlent, dans la mesure où tous ces prédicats énoncent quelque chose à propos de lui.

Une fois que nous avons reconnu que la Chose constitue l'être du sujet, dire alors que la Chose est réduite au rien dans le sujet, revient à dire que l'être du sujet est réduit au rien en lui-même. Ceci revient à dire, également, que le sujet n'est que la Chose en tant que rien, voire la Chose en tant qu'objet a, ou la lettre a en tant que -a. En effet, la Chose réduite au rien dans le sujet n'est que l'absence de la Chose dans le sujet, c'est-à-dire l'absence de la Chose dans sa représentation réelle dans le sujet, que nous appelons objet a.

Le sujet du signifiant, le sujet qui existe dans le signifiant qui le représente auprès d'un autre signifiant, ce sujet n'est que la Chose en tant que rien, la lettre a en tant que -a, la Chose en tant qu'objet a. Le sujet n'est ainsi que la Chose en tant que rien, car le signifiant où il existe à chaque moment, le signifiant qui est censé de représenter symboliquement son être, ce signifiant ne représente rien de son être. Plus exactement, le signifiant représente l'être du sujet en tant que rien. Le signifiant signifie l'être du sujet comme rien. Et ceci pourquoi ? Tout simplement parce que l'être du sujet, qui est la Chose, reste hors-signifié. Ainsi donc, le signifiant qui représente symboliquement l'être du sujet, ce signifiant ne peut le représenter, ne peut le signifier, qu'en tant que rien, en tant que la Chose qu'il est comme rien.

Nous arrivons ici à une idée centrale dans la réflexion lacanienne sur la Chose, exprimée pendant le séminaire sur L'identification, en 1962 : "Si le signifiant se définit comme représentant le sujet auprès d'un autre signifiant -dit-il-, et si ceci signifie quelque chose, c'est parce que le signifiant signifie auprès de l'autre signifiant cette Chose privilégiée qu'est le sujet en tant que rien"37.

Voici comment nous comprenons exactement l'état de la Chose en question : si la Chose est absente en tant que sujet dans son représentant symbolique (6.3), c'est parce que celui-ci, comme signifiant, ne signifie auprès d'autre signifiant que la Chose qu'est le sujet en tant que rien -en tant que la présence en lui de cet objet a qui tombe de la chaîne signifiante (6.1), cet objet a dont la présence est une absence (6.2). En peu de mots : le signifiant censé de représenter symboliquement l'être réel chosique du sujet, ce signifiant ne représente rien de réel. Il ne représente qu'une représentation imaginaire, comme Vorstellungrepräsentanz. Ce que le signifiant doit signifier, qui est la Chose, ceci reste hors signifié. Le signifiant ne peut signifier alors, de la Chose ou de l'être du sujet, que rien.

Bien entendu, le sujet cherche à exprimer ce qu'il est, le sujet de tout ces prédicats, son être réel chosique. Dès le début, en faisant la causette, le sujet grammatical cherche à s'exprimer. Or, pour se trouver, pour trouver ce qu'il cherche, il ne peut qu'avancer dans la chaîne signifiante des prédicats où il existe, dans la chaîne des lettres b, s'éloignant chaque fois plus de lui-même, du sujet, de a. Ce qui est d'ailleurs inévitable, pour autant que les instants qui passent, implacables, sont les b qui se succèdent, b1 + b2 + bn, chaque fois plus loin de la confusion avec la mère, de la Chose amoureuse -en s'éloignant d'elle le long de la parole, de la causette par laquelle notre sujet ne cesse pas d'être parlé.

Nous avons ici le Perceval de Chrétien de Troyes, cet étourdit qui sort du Château du Saint-Graal pour chercher le Saint-Graal, et s'interne dans le bois, dans la direction opposée du Saint-Graal, en suivant dans un chemin les traces des chevaux, en suivant dans une chaîne signifiante la trace des prédicats, b1 + b2 + bn, en s'éloignant chaque fois plus du sujet ou de la Chose. De trace en trace, de déplacement en déplacement, de métonymie en métonymie, Perceval ne cesse de s'éloigner de la Chose réduite au rien par le vide symbolique du château d'où il vient de sortir. Ce château vide, ne serait-il pas la métaphore de ce qu'est le sujet du signifiant en tant que rien, en tant que métaphore, lui-même, de ce rien qui éveille le désir que le constitue comme sujet ? Quoiqu'il en soi, Perceval sort de ce vide, il sort de son être en tant que rien, il sort en quête de son être, et il s'interne dans le bois, il avance dans la chaîne signifiante où il existe, dans la direction opposée de ce qu'il veut trouver.

Lacan pourrait dire, à propos de l'étourderie de Perceval : "pour trouver la Chose, le sujet s'engage d'abord dans la direction opposée ; il n'y a pas moyen d'articuler ces premiers pas du sujet, sinon par un rien dont il est important de vous le faire sentir dans cette dimension même à la fois métaphorique et métonymique du premier jeu signifiant"38. Ce rien, qui est le -a de l'objet a, n'est rien d'autre que l'être qui manque au sujet, le phallus qu'il n'est pas, -w, le Saint-Chose. En tant que tel, ce rien est l'objet du désir de sa mère, qui devient ensuite Nom-du-Père, comme métaphore de ce désir. C'est la "métaphore paternelle" de Lacan, comme "substitution du père en tant que symbole, ou signifiant, à la place de la mère"39. Après cette substitution, il ne reste que le château vide du Roi-Pêcheur, l'être comme manque-à-être, duquel échappe Perceval pour trouver son être. Et pour le trouver, pour trouver le Saint-Graal ou la cause de son désir, Perceval, en faisant la causette, échappe dans la direction contraire de son être, de métonymie en métonymie, de trace en trace de son être, de signifiant en signifiant, en suivant la chaîne signifiante où il existe.

Les traces que Perceval suit, les traces faites par l'être qui manque, sont les signifiants laissés par la lettre a, mais où la lettre a manque toujours, en tant qu'insignifiante, en tant que -a. Nous saurons plus tard par l'ermite, par le psychanalyste de Perceval, que si la lettre a manquait toujours dans ces traces, c'était parce que Perceval avait perdu sa mère. Je vous rappelle que cette perte se traduit, chez Perceval, par une "langue tranchée"40, tranchée par l'épée de Gornemant de Goort. En raison de cette langue tranchée, en tant que sevrage ou réduction au rien de la Chose dans le sujet du signifiant, Perceval doit passer sa vie à faire la causette, à suivre les traces de la chaîne signifiante où il existe, à travers ce monde objectif où la Chose est à jamais perdue.

6.5. À partir de la réduction au rien de la Chose dans le sujet, nous sommes arrivés, enfin, à la perte de la Chose dans l'objet. En employant les termes des gnostiques, à partir de la Chose "indistincte", "innommable" et "inexprimable", parce que "personne ne la précède" pour la distinguer, l'exprimer ou la nommer, nous sommes arrivés à la Chose invisible, "invisible" tout simplement "parce que personne ne la voit"41. La trajectoire est logique : du sujet comme rien, comme personne, comme celui qui n'existe pas encore lorsque il y a déjà son être de Chose, au sujet aveugle qui existe, mais qui ne voit pas la Chose dans les objets, où elle est perdue pour lui.

Dans la réalité, le sens est évidemment l'inverse. Le sujet doit premièrement exister pour se rendre compte ensuite qu'il manque d'être. La frustration doit précéder la privation, moyennant la castration. Ainsi, la perte de la mère est à l'origine du rien dans les traces suivies par Perceval. Elle est aussi à l'origine du même rien dans le château du Roi-Pêcheur. En définitive, la perte de la mère, la perte de la Chose maternelle et la rupture de la Chose amoureuse ou de la confusion chosique avec la mère, se trouve à l'origine de l'objet a, comme réduction de la Chose au rien qu'est le sujet du signifiant.

Si Perceval est perdu, c'est parce qu'il a perdu sa mère. Si Perceval ne trouve pas ce qu'il cherche, si dans chaque trace qu'il suit il n'y a que le vide laissé par l'être qu'il veut trouver, c'est par cette perte qui est au point de départ de son chemin. Si la succession des métonymies ne conduisent Perceval nulle part, c'est par la perte essentielle qu'il y a au point même où commence le chemin de Perceval, soit la perte de la mère dans l'objet a, dans le sein maternel, dans le Saint-Graal perdu qui la représente réellement. Il s'agit de la perte de la Chose dans l'objet, dans le sein maternel, dans le Graal rempli de lait -cette coupe des Odes de Salomon-, ce Graal perdu et jamais retrouvé par le Perceval qui suit, guidé par son désir, les traces métonymiques de ce qu'il a perdu. Comme l'explique Lacan, "cette dimension de perte essentielle à la métonymie, perte de la Chose dans l'objet, c'est là le vrai sens de cette thématique de l'objet en tant que perdu et jamais retrouvé, le même qui est au fond du discours freudien et sans cesse répété"42. C'est dans notre exemple la perte de la mère de Perceval dans sa représentation réelle, dans le Graal perdu et jamais retrouvé.

Nous pouvons maintenant expliquer l'absence de la Chose maternelle dans le monde imaginaire où s'interne Perceval. Si la Chose est perdue dans ce monde, c'est parce qu'elle est perdue dans sa représentation réelle, dans l'objet a qui devient donc insaisissable au miroir, l'objet a dont l'absence dans ce monde soutient la présence de tous les objets de ce monde. Si la Chose est absente pour le sujet dans sa représentation imaginaire (6.3), c'est en raison de sa perte dans l'objet, en raison donc de l'absence inhérente à sa représentation réelle dans la représentation imaginaire qu'elle soutient -en tant qu'objet a insaisissable au miroir (6.1), objet a dont la présence est une absence (6.2).

Dans sa quête du Graal, dans sa quête de la représentation réelle de la Chose, Perceval aura toutes sortes d'aventures dignes d'être vécues. Dans ces aventures, s'il ne retrouvera pas ce qu'il cherche, il rencontrera pourtant toute sorte d'objets qui lui feront même oublier, apparemment, ce qu'il cherche. Ces objets, ces autres choses qui ne sont pas la Chose, ne seront pour notre chevalier que des représentations imaginaires de la Chose. Il ne s'agira que des chosettes pour oublier la Chose. Ces chosettes, ces autres choses, appartiendront au monde imaginaire qui voile la seule Chose que Perceval cherche à retrouver, "la Chose comme voilée", nous dit Lacan, laquelle "de sa nature, elle est, dans les retrouvailles de l'objet, représentée par autre chose"43.

La Chose réelle est représentée par autre chose, par l'objet imaginaire. Celui-ci voile ce qu'il représente, il recouvre ce qu'il représente, il recouvre la Chose. Évidemment, ce recouvrement représentatif imaginaire n'est pas total. De même que l'objet a, tout objet imaginaire est un objet partiel, non pas comme partie de la totalité chosique, mais comme recouvrement-représentatif partiel de la totalité chosique. Ce qui ne tombe pas sous ce recouvrement-représentatif, ceci n'est pas pour le sujet, dans la mesure où être pour le sujet veut dire être représenté dans l'imaginaire pour le sujet. Cette situation doit se comprendre dans le sens le plus général, comme le comprend, par exemple, le philosophe portugais Adelio Melo, quand il affirme que "n'importe quelle objectivation recouvre partiellement ce qu'on peut désigner comme être-en-tant-qu'être (ser-como-ser) des 'choses' (das 'coisas')". Et ceci partiellement, voire sélectivement, en fonction d'un "champ transcendantal signe-logique ('signo-lógico')"44, c'est-à-dire -pour nous- en fonction de la manière dont la représentation imaginaire, a + b, est signifiée par le signifiant, par b. Voilà ce que Lacan veut dire lorsqu'il parle de cette "profonde subjectivation du monde extérieur", par laquelle "quelque chose trie, tamise, de telle sorte que la réalité n'est aperçue par l'homme, du moins à l'état naturel, spontané, que sous une forme profondément choisie". Ainsi, Lacan peut conclure que "l'homme n'a affaire qu'à des morceaux choisis de réalité"45.

6.6. Malgré tout ce que je viens d'affirmer, j'essayerai maintenant de vous démontrer que même si l'homme n'a affaire qu'à des morceaux choisis de réalité, il y a toujours un réel, quelque part. Même si l'objet a, en tant que partie de la totalité, ne représente réellement que l'absence de l'être réel chosique total, cet être réel chosique ne cesse pas pour autant d'être présent dans sa totalité. Même s'il est absent dans toutes ses représentations, soit les représentations réelles, les imaginaires ou les symboliques, ce qui est représenté est présent.

L'être réel chosique doit être présent. En proclamant ceci, nous prenons le parti de la Chose, du corps, du pragma, de l'être. Nous prenons ce parti avec Lacan, Damascius, Platon, Parménide et les autres adorateurs de Saint-Chose.

Malgré le sophiste Gorgias, l'être réel chosique, même inexistant, inconnaissable et incommunicable, n'est pas dépourvu d'être.

Malgré les structuralistes français, l'être réel chosique doit subsister en plus de son vide occupé par le grand Autre de l'être symbolique langagier. Malgré Frege et les psychologues du moi autrichiens et américains, le réel dénoté doit subsister en plus de la réalité imaginaire de la dénotation.

Malgré notre existence comme sujets du signifiant, la Chose de jouissance est présente. Elle est présente, en effet, même si elle est absente dans la cause de notre désir, même si elle est absente dans nos toujours décevantes chosettes et dans nos encore plus décevantes causettes.

Le vent psychotrophe d'Hésiode, implacable, doit continuer à souffler, malgré les girouettes de Peirce qui puissent le refréner, malgré la résistance des moulins, malgré le courage de Don Quijote. Le vent doit continuer à souffler. Nous ne pouvons pas le maîtriser. Comme on dirait en vieux français, "on ne peut girouetter la conduite de cet univers au vent de l'aventure"46. C'est exactement cela ce que soutient Socrate, contre Protagoras, dans le Cratyle : "il est clair que les choses (pragmata) ont par elles-mêmes un certain être permanent, qui n'est ni relatif à nous ni dépendant de nous. Elles ne se laissent pas entraîner ça et là au gré de notre imagination ; mais elles existent par elles-mêmes, selon leur être propre et conformément à leur nature"47. En effet, le pragma, l'être permanent, ne se laisse pas entraîner ça et là au gré de notre imagination, tel qu'une chose imaginaire qu'on a, qu'on possède.

Chez Freud, en 1938, la logique de l'être ne pourra pas cesser de fonctionner pendant le fonctionnement de la logique de l'avoir. Chez Ferenczi, le monisme primitif ne pourra pas disparaître sous l'empire du dualisme entre le perçu objectif et le vécu subjectif. Chez Bion, les élément bêta de pourront pas disparaître derrière les éléments alpha, malgré la fonction alpha, malgré la résistance des barrières de contact, malgré les barrages pour refréner la quantité, dans le Freud de 1895.

Selon Parménide, reconnaître tout cela "c'est le chemin de la certitude, la Vérité l'accompagne"48. En effet, l'être réel chosique, de même que l'être de Parménide, est "impérissable".

Nous pouvons nous demander, avec le philosophe d'Élée, "Comment un jour l'être pourrait-il périr ?"49. En effet, comment l'être réel chosique pourrait-il périr ? Si l'être périssait, l'être cesserait d'être, il ne serait donc plus identique à lui même. Or, nous savons déjà que pour être ce qu'il est, il doit rester identique à lui-même. Il doit être donc immortel, dans la mesure où pour rester identique à lui-même, il doit rester toujours identique à lui-même : a = a = a. Cette identité de la Chose avec elle-même la situe hors le temps, hors l'existence du sujet, hors la succession des instants dans la chaîne signifiante.

Pour être ce qu'elle est, la Chose doit être impérissable. Or, pour être impérissable, elle ne doit pas exister, puisque tout ce qui existe risque de périr. Sur ce point, je me rappelle d'un cas présenté par le docteur Revault d'Allonnes, dans les Annales médico-psychologiques de 1923. La malade se décrit comme "une chose qui n'est même pas une chose", une "chose en contrefaçon", "privée de vie", donc "impérissable"50 ; bref, "une chose qui ne périra pas, et qui s'agite, sans exister"51. Comme la malade l'explique, si elle n'existe pas, ce n'est que parce qu'elle "n'est jamais née"52. En effet, la malade sait très bien ce qu'elle dit. N'oubliez pas que pour nous, la seule naissance est celle du sujet du signifiant, la naissance du sujet divisé, non-chosique, donc mortel. Si la malade est impérissable, c'est parce qu'elle est, parce qu'elle est comme la lettre a, parce qu'elle n'existe pas dans la chaîne signifiante où les instants se succèdent : b1 + b2 + bn. Et si elle n'existe pas, c'est parce qu'elle n'est jamais née, parce qu'elle n'est jamais née comme sujet du signifiant, parce qu'elle habite encore dans le royaume platonicien de l'affreuse beauté idéale d'avant notre naissance. La substance qui la constitue n'est donc pas une substance périssable comme celle du signifiant, mais la "substance impérissable"53 de la lettre a, cette substance "d'une dureté qui n'a plus rien d'humain"54 -comme eût dit une autre malade étudiée par les psychiatres Laignel-Lavastine, Mignot et Maurice, en 1941.

La lettre a, la Chose amoureuse d'avant notre naissance, notre confusion avec la Chose maternelle, cet être réel chosique doit être impérissable. Même après le surgissement de l'objet a, l'être réel chosique continue à être, parce qu'il est impérissable. Même après la division du sujet, le sujet indivisible, comme Chose amoureuse, reste le sujet de tous les prédicats, la fraction constante de tous les jugements -comme dirait Freud en 1895.

L'être réel chosique est l'Un constant, cette lettre a sans laquelle il n'y aurait aucune pluralité, b1 + b2 + bn. Il y a un sujet, un seul, et tous les prédicats énoncent quelque chose sur ce sujet. Il y a un être, un seul, et tout ce qui est participe de cet être. L'être réel chosique, en tant qu'il est l'unité de la pluralité, reste l'être de tout ce qui est, dans la mesure où tout ce qui est participe de l'Un. Tout ce qui est, toutes les choses qui sont, a + b1, a + b2, a + bn, participent de la Chose, de l'Un, de la lettre a. Même l'objet a, comme absence de l'Un ou de la Chose, comme partie de la totalité ou non-totalité, comme -a, même lui participe de a, comme l'agalma participe du pragma, comme le non-un participe du Un, ou comme la partie participe de la totalité, même si la totalité ne participe pas de la partie, même si l'un ne participe pas du non-un. Tel que l'observe Damascius : "le non-un se distingue de l'un, en ce qu'il devient non-un, mais l'un ne se distingue pas du non-un, puisqu'il est ce qui rend même le non-un, malgré son écart, un cependant"55. Voici, encore une fois, l'asymétrie de Pseudo-Denys l'Aréopagite, qui nous permet de distinguer logiquement "l'Être des êtres" et "les êtres"56, le vent psychotrophe d'Hésiode et les girouettes de Peirce, la Chose et l'objet a de Lacan, la Chose de notre jouissance et la cause de notre désir, la Chose et le Saint-Chose, la présence réelle et la représentation réelle, la totalité et la partie, l'Un et le non-un, le a et le -a.

Si l'Un ou l'unité de l'être réel chosique n'était pas, si le Ding n'était pas, rien d'autre pourrait être. Voici la dernière conclusion consistante à laquelle peut arriver le Parménide de Platon : "si nous disions que rien n'est, si l'Un n'est pas, nous parlerions juste"57. Or, nous voyons bien, autour de nous, qu'il y a plein des choses qui sont, plein de Sachen. L'Un ou l'unité de l'être réel chosique devra donc être. Notre confusion incestueuse avec notre mère, qui fut un jour, devra donc être encore maintenant. Si par hasard elle n'était plus, alors aucun étant ne pourrait être, tous les prédicats manqueraient de sujet, toutes les choses resterait sans choséité, tout ce qui est symbolique ou imaginaire resterait sans le réel que le symbolique symbolise et l'imaginaire imagine.

Permettez-moi un truisme borroméen : il faut un réel pour que l'imaginaire soit l'imaginaire et pour que le symbolique soit le symbolique. S'il n'y avait pas encore, en plus de l'imaginaire et du symbolique, un réel, alors l'imaginaire et le symbolique seraient eux-mêmes le réel. Ils ne seraient donc pas l'imaginaire et le symbolique, il ne seraient donc pas ce qu'ils sont, ce qui est contradictoire.

Pour qu'il y ait les chosettes et les causettes, il faut qu'il y ait la Chose. Pour que la dénotation imaginaire puisse être et avoir un sens symbolique, il faut qu'il y ait un réel dénoté. Pour que la réalité de Frege et des psychologues du moi puisse être, il faut le réel de Lacan. Pour que l'objet puisse être, il faut la Chose dans l'objet. Pour que ce qui est puisse être, il faut de l'être. Or, cet être -Lacan l'énonce clairement- "ne s'affirme d'abord que de la marque du 1"58. En effet, pour que les étants pluriels puissent être, il faut d'abord l'Un de l'être, son unité dans la pluralité. Dès l'origine, cet être unitaire, qui est pour nous la présence de l'être réel chosique -avant même le trait unaire qui le représente réellement-, est commun à tout ce qui est. Rien ne peut échapper à la totalité de son unité. Comme l'affirme Damascius : "tout ce qui échappe à l'Un de quelque façon que ce soit, cela n'est rien"59.

Dans la psychanalyse, l'être unitaire et total auquel rien n'échappe, cet être réel chosique, représenté par le trait unaire, ne peut être autre que la confusion amoureuse entre la mère et son enfant. Cette confusion englobe, comme unité et comme totalité, la pluralité de tout ce qui puisse être ou exister plus tard pour l'enfant, en lui et en tant que lui. Pour que tout cela puisse être, il faut que l'être persiste, que sa totalité unitaire subsiste.

L'Un de la confusion entre la mère et l'enfant, cet Un ne précède pas seulement la distinction entre les objets et entre le sujet et ses objets. L'Un de la Chose amoureuse n'est pas seulement avant la pluralité des autres choses. L'être réel chosique, un et unitaire, n'est pas seulement ce qu'il y a pour l'enfant antérieurement à la diversité du monde adulte. L'unité incestueuse n'est pas seulement derrière notre division névrotique. Elle n'est pas seulement la puissance absente, comme cause de notre désir ou comme absence de l'objet ultime de notre désir, mais elle subsiste dans notre jouissance, laquelle témoigne de la subsistance de l'Un chosique, soit en tant que totalité qui englobe toutes les parties, soit comme indistinction qui suffit à la distinction entre les choses qui nous entourent. On se contentera de citer Damascius : "L'Un sera réellement tout antérieurement à tout, non de manière imparfaite, comme en puissance, ni même selon la cause, mais il sera tout selon la subsistance, à savoir celle qui est indifférenciée, celle qui est sursimplifié au-dessus de tout, étant par sa propre simplicité toutes les choses qui ont procédé selon la distinction"60.

La Chose incestueuse, cette sphère jouissante d'Empédocle, subsiste, comme ce qui est représenté dans toutes nos représentations. Cette Chose amoureuse, cette confusion entre le sujet et l'objet, embrasse tout dans sa jouissance : la cause de notre désir, la chosette et la causette. Nous pouvons réduire l'univers entier, pour chacun de nous, à cette Chose, à une simple Chose, à la Chose. En fait, la seule manière d'accepter que l'existence de l'univers entier puisse être conçue par chacun de nous, la seule manière d'accepter que l'univers puisse être dénoté par une dénotation, qu'il puisse être représenté par une représentation, nous oblige à "réduire l'univers à la catégorie de Chose", comme l'a bien remarqué, en philosophe, le poète Fernando Pessoa, dans ses Méditations métaphysiques61.

En étant conçu comme Chose, l'univers entier ne cesse pas pour autant d'être la totalité unitaire qui cous comprend, qui nous dissout dans cette consistance de Chose qui subsiste dans tout ce qui est. Bien entendu, en comportant la dissolution du sujet, cette totalité unitaire, bien que subsistante, ne pourra être perçue par le sujet que dans certains états exceptionnels, voire pathologiques. C'est le cas du délire d'énormité dans ses manifestations les plus extrêmes, telles qu'elles furent décrites par Cotard, dans la séance du 26 mars 1888 de la Société médico-psychologique : "Une démonopathe immortelle s'imagine que sa tête a pris des proportions tellement monstrueuses qu'elle franchit les murs de la maison de santé et va jusque dans le village démolir, comme un bélier, les murs de l'église. Quelquefois, le corps n'a plus de limites, il s'étend à l'infini et se fusionne avec l'univers. Ces malades, qui n'étaient rien, en arrivent à être tout"62. Dans ce tout, il n'y a plus de sujet réduit au rien, il n'y a plus de perte de Chose dans l'objet, il n'y a que la Chose amoureuse en tant que tout, en tant que confusion chosique entre le sujet et l'objet, le premier objet, le objet qui n'est donc pas encore un objet, mais la Chose, la Chose maternelle.

N'oublions pas que dans la confusion chosique de la Chose amoureuse, c'est la Chose maternelle qui devient la totalité unitaire de l'univers. Le fond subsistant de tout ce qui nous est extérieur, de tout ce que nous percevons en dehors de nous, n'est que ce premier extérieur lacanien qu'est la Chose maternelle. À l'horizon, derrière tous les objets qui nous entourent, il y a la Chose maternelle qui n'arrive à se manifester que dans des états pathologiques, notamment dans la mélancolie. Vous avez, par exemple, cette célèbre vision du poète mélancolique Gérard de Nerval, dans laquelle, une "dame" qu'il suivait, "développant sa taille élancée..., se mit à grandir..., de telle sorte que peu à peu le jardin prenait sa forme, et les parterres et les arbres devenaient les rosaces et les festons de ses vêtements ; tandis que sa figure et ses bras imprimaient leurs contours aux nuages pourprés du ciel". Et Nerval ajoute : "Je la perdais ainsi de vue a mesure qu'elle se transfigurait, car elle semblait s'évanouir dans sa propre grandeur"63. Or, après quelques pages, nous saurons que cette "dame" qui s'évanouit dans sa propre grandeur, cette dame qui devient tout était la propre mère de Nerval, aussi bien que la déesse Isis et notre Sainte-Vierge, "la même que sous toutes les formes" Nerval "a toujours aimé"64. Ici, dans cette forme qu'on aime sous toutes les formes, nous retrouvons la forme pure platonicienne de l'affreuse beauté idéale, cette "beauté éternelle" de laquelle "participent", selon Diotime, "toutes les autres belles choses" qu'on aime65. Je vous rappelle ici que dans la mythologie égyptienne, l'incarnation de cette beauté éternelle, la déesse Isis, la "Mère éternelle" de Nerval, est la femme de son propre enfant, Osiris, dans une relation incestueuse qui reproduit celle du poète avec sa Chose maternelle.

En tant que Chose maternelle confondue de manière incestueuse avec le sujet qui n'est pas encore un sujet, la Chose amoureuse, comme un univers consistant, constitue l'être chosique total et unitaire qui embrasse le sujet et l'objet, celui qui connaît et celui qui est connu. Dans la philosophie de Damascius, "à celui qui est capable de connaître, l'Un coexiste comme un capable de connaître, et encore il se présente comme un connaissable, non parce qu'il est chacun des deux, mais parce qu'il est l'ensemble des deux au-dessus de chacun des deux, car il est tout, non à partir de la distinction, mais antérieurement à la distinction"66. Ainsi, dans la Chose amoureuse, "la connaissance est dissoute par l'Un dans l'inconnaissance..., puisque la connaissance a besoin de distinction..., et en s'approchant de l'Un, la distinction se replie dans une union, de sorte que la connaissance aussi s'écoule dans une inconnaissance"67. Voilà pourquoi la Chose reste hors signifié, incommunicable, inconnaissable, irreprésentable. Non parce qu'elle soit rien, comme le croit Gorgias, mais parce qu'elle est tout. Ainsi donc, puisqu'elle est tout, pour la signifier il faudrait la soumettre à un distinction, la distinction entre le signifiant et le signifié. Or, la Chose amoureuse est la pure indistinction. Elle est la totalité, mais aussi l'unité. Elle ne peut donc pas être divisé sans cesser d'être ce qu'elle est, sans devenir le rien de Gorgias, qui est le rien de l'objet a, cette chose privilégiée qu'est le sujet en tant que rien.

Le rien de l'objet a, qui n'est que le rien auquel nous voyons se réduire la Chose dans le sujet, constitue la marque de la division du sujet, c'est-à-dire de la division entre le sujet et l'objet, voire la coupure de cette entité unitaire qu'est la sphère d'Empédocle. Lorsque l'objet a n'est plus réduit au rien dans le sujet, lorsque il n'est plus présent comme absence, alors il y a cet état psychotique de confusion incestueuse ou la Chose amoureuse, dans lequel nous voyons se manifester cette totalité unitaire qui subsiste imperceptible dans tout de qui nous entoure. Dans ces manifestations hallucinatoires ou délirantes de la totalité unitaire de la Chose, nous voyons comment l'objet a cesse d'être réduit au rien dans le sujet. Nous voyons comment il retourne au sujet, par exemple dans un cas de Maurice Macario, que vous trouvez dans son essai sur la Démonomanie, de 1843. Il s'agit de Anne C., une démonomaniaque de "figure toujours riante". Macario nous explique que "les démons entrent dans son corps par la bouche et par l'anus", et alors la malade se confond avec le monde, elle est "le tonnerre" et elle "parcourt l'espace pendant les orages"68. Voilà que l'objet a ne lui manque plus. Il n'est plus cette absence dans le sujet. Il s'est réintroduit à nouveau dans le sujet par les ouvertures de son corps, par sa bouche, par son anus, et alors notre malade devient encore une fois ce qu'il y a en dehors d'elle, l'univers, la totalité unitaire de la Chose amoureuse -qui n'est donc plus, comme objet a ou -a, ce qui est réduit au rien dans le sujet.

Lorsque l'objet a retourne au sujet, lorsqu'il cesse d'être présent comme absence de la Chose, celle-ci, qui est toujours subsistante, cesse d'être absente dans le perçu objectif et dans le vécu subjectif de Ferenczi, elle cesse d'être cet objet a insaisissable au miroir et qui tombe de la chaîne signifiante, elle cesse d'être perdue dans l'objet et réduite au rien dans le sujet, elle cesse d'être la Saint-Graal perdu au sein de son propre mystère et réduit au rien dans le château du Roi-Pêcheur. Ce château n'est plus vide. Le Saint-Graal n'est plus vide. Le sujet ne manque plus d'être. Le sujet n'est plus séparé de l'objet. Le mystère du Saint-Graal est résolu. Nous arrivons à l'ascension de Perceval dans la troisième continuation de Manessier69. Notre chevalier est emporté au ciel, de même que le Saint-Graal, la Sainte-Vierge, le Christ et cette malade de Macario qui parcourt l'espace pendant les orages. Perceval se confond avec tout ce qu'il n'est pas : avec le Christ, avec la Sainte-Vierge, avec le Saint-Graal, avec le ciel. La malade de Macario se confond avec le tonnerre qu'elle entend. Tout finit par se dissoudre dans le ciel, dans l'air, dans le vent psychotrophe d'Hésiode. C'est la confusion chosique entre le sujet et l'objet. C'est la fin du dualisme apparent et le moment du monisme subsistant.

Telle qu'elle se manifeste dans le délire d'énormité, ainsi que dans certains délires mélancoliques, mégalomaniaques et paraphréniques, la Chose amoureuse constitue le monisme subsistant derrière toute apparence dualiste. Elle est la totalité unitaire où finissent par de dissoudre toutes les parties, toutes les divisions, toutes les distinctions, tous les coupures de la sphère, tous les manques. De même que dans l'univers de la physique cartésienne, il n'y a pas de manque dans cette totalité unitaire, il n'y a pas de manque en elle, rien lui fait le manque inhérent à l'objet a, puisqu'elle comprend ce manque, elle se referme sur lui et elle le dissout dans sa plénitude consistante.

Si nous pouvons élever la Chose à la totalité unitaire, et si nous pouvons réduire corrélativement -avec Pessoa- le tout de l'univers à une Chose, c'est parce que cet univers nous apparaît plein, toujours plein de lui-même, sans aucun manque, sans aucun vide. Cet univers ressemble ainsi à celui conçu par Hermès Trismegiste, où "il n'y a de vide d'aucune sorte", où "il n'y a pas de lieu vide", ou "on ne voit pas", en conséquence, "ce que peut être le lieu en soi"70. Mais, ces lieux où nous sommes à chaque moment, ne sont-ils pas des lieux vides que nous occupons ? Cette salle de l'université, n'était-elle pas vide à deux heures du matin ? Le château du Roi-Pêcheur, n'est-il pas vide lorsque Perceval se réveille le matin, le lendemain de l'apparition du Saint-Graal ? Le Saint-Graal, enfin, comme représentation réelle de la Chose, n'est-il pas lui aussi vide ? C'est exactement ce qu'Asclépios demande à Hermès : "N'y a-t-il certains objets vides, ô Trismegiste, comme une jarre, un pot..., et tous autres objets semblables ?" Et Hermès lui répond : "Fi! Quelle immense erreur, Asclépios, ce qui est plutôt absolument plein et rempli, le tenir pour vide... Ces choses donc que, toi, tu dis être vides..., du fait même de leur réalité, elles sont pleines d'air ou de souffle"71. Voici l'air ou le souffle, voici la Chose que la girouette de Peirce représente réellement, voici l'air où finissent par se dissoudre Perceval et la malade de Macario, ainsi que le Christ, la Sainte-Vierge, le Saint-Graal et cette dame de Nerval qui se confond avec les nuages, cette dame qu'est sa mère, ainsi que la Sainte-Vierge et la déesse Isis. Voici la seule Chose qu'en fin de compte le Saint-Graal représente réellement. L'air ou le souffle, qui nous démontre que la Chose constitue la totalité unitaire de l'univers. L'air ou le souffle, qui nous démontre que tout est chosique, tout, même le plus immatériel. L'air ou le souffle, qui nous démontre ceci en remplissant tout, en ne laissant pas de lieu vide, en ne laissant aucun lieu en soi disponible pour nous.

Puisqu'il n'y a pas de lieu vide, il n'y a donc pas de place pour ce lieu en soi qu'est le lieu de l'Autre, le seul lieu où nous habitons. Il n'y a que du Même, toujours plein de lui-même. Il n'y a que la totalité de l'être réel chosique, "remplie d'être"72 -comme nous dit Parménide. Il n'y a aucune place, dans cet univers chosique subsistant, pour l'être symbolique langagier, pour le sujet divisé, pour son manque-à-être -dans la chaîne signifiante où il existe.

Voilà notre être réel chosique subsistant, notre Chose amoureuse, la lettre a, l'être de Parménide : un être plein, entier, complet, total, unitaire, unique, inébranlable et impérissable. Même s'il est absent comme tel en nous, pour nous et en tant que nous, il est présent, en tant que tel, en soi et pour soi. Il est ainsi en-deça et en-avant de toute connaissance qu'il englobe. Ou bien, pour emprunter les mots de Damascius, l'être réel chosique, total et unitaire, "tout en étant inconnaissable, est cependant en gestation du connaissable"73.

Le vent psychotrophe ou l'air et le souffle d'Hermès, tout en étant absent dans la matière métallique de la girouette de Peirce, dans Les travaux et les jours d'Hésiode et dans les peintures de William Turner, il est présent en soi, en lui-même, en gestation de tout ce qui le représente -de même que la Chose maternelle qui est en gestation non pas seulement du sujet, mais aussi du monde objectif du sujet. Comme être réel chosique, la Chose de jouissance, tout en étant absente dans la cause du désir, dans la causette et dans la chosette, elle est pourtant présente en soi, en elle-même, en éveillant ainsi le désir et en suscitant la causette et la chosette. Or, en plus de cette présence kantienne en soi, il y a la présence hégélienne pour soi. Ainsi, la Chose amoureuse, tout en étant absente dans son représentant symbolique, ainsi que dans ses représentations réelles et imaginaires, elle est pourtant présente, en-deça et en-avant de toute représentation, elle est présente en tant que telle, en présence d'elle-même, en elle-même et pour elle-même. En effet, même si la Chose est perdue dans l'objet (6.5) et réduite au rien en tant que sujet (6.4), même si elle ne peut être réellement représentée que par une absence (6.2) dans des représentations qui ne sont que symboliques ou imaginaires (6.1), même si elle est absente dans le sujet, pour lui et en tant que lui (6.3), elle reste pourtant présente en tant que telle, en soi et pour soi (6).

Cet être réel chosique, absent dans le sujet, pour lui et en tant que lui, mais présent en tant que tel, en soi et pour soi, doit être ainsi un être absolument transcendant, absolument indépendant de la volonté du sujet, de son intelligence, de sa perception et de sa parole. Il doit être, cet être maternel et incestueux, avant le sujet qui existe. Il ne peut nécessairement être saisi, parce que ceci impliquerait être précédé par le sujet qui le saisit -comme l'imaginaire est précédé par le symbolique. Ceci impliquerait aussi être créé par le même sujet -comme le signifié est créé par le signifiant. Tout cela nous fait penser encore une fois au Dieu gnostique, par exemple dans le passage suivant de la Sagesse de Jésus : cet être "n'a pas de nom car quiconque a un nom est la créature d'un autre... Il n'a pas de forme humaine car quiconque a un forme humaine est la créature d'un autre. Il a un aspect qui lui est propre, non comme ce que vous avez vu ou perçu, mais un aspect d'un genre autre, qui transcende toute chose..., lequel quand il regarde de tout côté de voit que lui même par lui-même... Inaccessible... Insaisissable... Intelligible, il s'intellige lui même"74. Voici la Chose amoureuse, la sphère d'Empédocle cernée de solitude, absente en nous, pour nous et en tant que nous, mais présente avant nous, présente en tant que telle, en soi et pour soi.


1 Thomas, E. 1917. "Lovers", in There was a time, Londres, Orion-Phoenix, 1996, p. 36.

2 Thomas, E. 1917. "The word", in There was a time, Op. cit., p. 36.

3 Merceron, J.-E. 2002. Dictionnaire de saints imaginaires et facétieux, Paris, Seuil, 2002.

4 Humbert, J. 1874. Mythologie grecque et romaine, Paris, Ernest Thorin, 1874, p. 68.

5 Merceron, J.-E. 2002. Dictionnaire de saints imaginaires et facétieux, Op. cit., p. 218.

6 Cité par Merceron, J.-E., Op. cit., p. 189.

7 Ibid., p. 187.

8 Ibid.., p. 189.

9 Proteau, L. 1991. Le français populaire au Québec et au Canada, Boucherville, Proteau, 1991, p. 815.

10 Furetière, A. 1690. Dictionnaire universel, SNL-Robert, Paris, 1978, vol. I.

11 Greimas, A.-J. et Keane, T. M. 1992. Dictionnaire du moyen français, Paris, Larrousse, 1992, p. 115.

12 Godefroy, F. 1883. Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous les dialectes du IX au XV siècle, New-York, Kraus reprint, 1961, vol. II.

13 Greimas, A.-J. 1974. Dictionnaire de l'ancien français, Paris, Larrousse, 1994, p. 106. Aussi : Godefroy, F. 1883.Op. Cit.

14 "Livre de secrets, de Jean", in Codex de Berlin, M. Tardieu (trad.), Paris, Éditions du Cerf, 1984, 13, p. 93.

15 Lacan, J. 1958. "Séance du 11.06.58", in Les formations de l'inconscient, op. cit., p. 443.

16 Greimas, A.-J. et Keane, T.-M. 1992. Dictionnaire du moyen français, Op. cit., p. 115.

17 Merceron, J.-E. 2002. Dictionnaire de saints imaginaires et facétieux, Op. cit., p. 188.

18 The Complete Oxford Shakespeare, Oxford University Press, Oxford, 1993, p. 1431.

19 Shakespeare, W. 1606. Le Roi Lear, F.-V. Hugo (trad.), Paris, Flammarion, 1964, p. 162.

20 Ibid., p. 158.

21 Peirce, C. S. 1903. "Principles of Philosophy", in Collected Papers, Harvard University Press, Cambridge, 1974, 1.552, p. 292.

22 Ibid., 1.558, p. 295.

23 Hésiode, Les travaux et les jours, P. Mazon (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1964, 548-550, p. 106.

24 "Livre des secrets, de Jean", Op. cit., 7, p. 87.

25 Lacan, J. 1961. "Séance du 26.04.61", in Le transfert, op. cit., p. 303

26 Gorgias, -441, "Du non-être ou de la nature", in Les sophistes, fragments et témoignages, J.-P. Dumont (trad.), Paris, 1969, pp.71-76.

27 Parménide, -450, "Poème", in Les deux chemins de Parménide, N.-L. Cordero (trad.), Paris, Vrin, 1984, 7, p. 38.

28 Parménide, -450, "Poème", in Trois présocratiques, Y. Battistini (trad.), Paris, Gallimard, 1968, 7, p. 113.

29 Ibid., 10, p. 114.

30 Gorgias, -441, "Du non-être ou de la nature", Op. cit., pp. 73-74.

31 Ibid., p. 74.

32 Ibid., pp. 75-76.

33 "Livre des secrets, de Jean", Op. cit., 7, p. 87.

34 Freud, S. 1922. "Le moi et le ça", op. cit., p. 265.

35 Freud, S. 1895. "Entwurf einer Psychologie", Op. cit., p. 492. Traduction française: "Esquisse d'une psychologie scientifique", Op. cit., p. 350.

36 "Actes de Jean", 100-200, E. Junod et J.-D. Kaestli (trad.), in Écrits apocryphes chrétiens, Op. cit., 107, p. 1033.

37 Lacan, J. 1962. "Séminaire du 21.03.62", in L'identification.

38 Lacan, J. 1962. "Séminaire du 28.03.62", in L'identification.

39 Lacan, J. 1958. "Séance du 22.01.58", in Les formations de l'inconscient, op. cit., p. 180.

40 Chrétien de Troyes, 1185, "Perceval ou le conte du Graal", Op. cit., 6412, p. 843.

41 "Livre des secrets, de Jean", Op. cit., 7, p. 87.

42 Lacan, J. 1962. "Séminaire du 14.03.62", in L'identification.

43 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 27.01.60", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., p. 143.

44 Melo, A. 2000. Categorias e objectos, inquérito semiótico-trascendental. Lisboa, Estudos gerais - Casa de Moeda, 2000, 8, p. 157.

45 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 09.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., p. 59.

46 "Les apresdinees de Sr de Cholieres", 1587, cité par Godefroy, F. 1883. Dictionnaire de l'ancienne langue frannçaise et de tous les dialectes du IX au XV siècle, Op. cit., p. 281.

47 Platon, "Cratyle", in oeuvres complètes, L. Méridier (trad.), Paris, Belles Lettres, 1989, 386e, p. 54.

48 Parménide, -450, "Poème", Op. cit., 4, p. 112.

49 Ibid., 9, p. 114.

50 Revault d'Allones, 1923, "Une forme à éclipses du délire des négations", in Annales médico-psychologiques, Paris, Masson, 1923, I, pp. 138-139.

51 Ibid., p. 150.

52 Ibid., p. 149.

53 Laignel-Lavastine, M. ; Mignot, M. et Maurice, H. 1941. "Délire de négation récidivant avec idées d'immortalité", in Annales médico-psychologiques, Cahors, Coueslant, 1941, I, p. 282, 284.

54 Ibid., p. 281.

55 Damascius, 530, Traité des premiers principes, J. Combès (trad.), Les belles lettres, Paris, 1986, 18, p. 76.

56 Pseudo-Denys l'Aréopagite, "Les noms divins", Op. cit., V, 4, p. 130.

57 Platon, "Parménide", in Théétète, Parménide, E. Chambry (trad.), Paris, Flammarion, 1967, 166b-c, p. 304.

58 Lacan, J. 1970. "Séance du 20.05.70", in L'envers de la psychanalyse, op. cit., p. 183.

59 Damascius, 530, Traité des premiers principes, Op. cit., 15, pp. 73-74.

60 Ibid., 21, p. 80.

61 Pessoa, F. 1907. "Meditações metafísicas", in A procura da verdade oculta : textos filosóficos e esotéricos, Mem-Martins, Europa-América, 1986, p. 87.

62 Cotard, 1888, "De délire d'énormité", in Annales médico-psychologiques, Paris, Masson, 1888, 7, p. 468.

63 Nerval, G. 1855. Aurélia, Paris, Le livre de poche, 1999, p. 38.

64 Ibid., p. 72.

65 Platon, Le Banquet, Op. Cit., 211, pp. 72-73.

66 Damascius, 530, Traité des premiers principes, Op. cit., 21, p. 79.

67 Ibid., 24, p. 84.

68 Macario, M. 1843. "Sur la démonomanie", in Annales médico-psychologiques, Paris, Fortin-Masson, 1843, I, p. 458.

69 Manessier, 1250, "The third continuation", Op. cit., vers 42625, p. 342.

70 Hermès Trismégiste, "Asclépius", in Corpus Hermeticum, A.-J. Festugière (trad.), Paris, Les belles lettres, 1954, vol. II, 33-34, pp. 342-344

71 Hermès Trismégiste, "Traité II", in Corpus Hermeticum, Op. cit., vol. I, 10, p. 36.

72 Parménide, -450, "Poème", Op. cit., 10, p. 114.

73 Damascius, 530, Traité des premiers principes, Op. cit., 28, p. 88.

74 "Sagesse de Jésus", in Codex de Berlin, Op. cit., 3, p. 171.