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LA CHOSE DE FREUD ET LACAN : COURS DE DAVID PAVON CUELLAR A L'UNIVERSITE DE PARIS VIII (2003-2004) http://www.ding.fr.tc
7. La Dame
L'objet élevé à la dignité de la Chose
Il n'y a pas seulement le Saint-Graal pour les chevaliers, mais aussi leur Dame (du latin domina, maîtresse). Pour Lancelot, il y a la célèbre Guenièvre, qui lui fait oublier sa quête du Saint-Graal. Pour Tristan, il y a Iseut, mais -à l'inverse de Lancelot- "par la grande queste du Saint Graal perdi il Madame Yseut, et li rois March le recouvra"1. Pour Perceval, enfin, il y a Blanchefleur, dont l'importance, à partir d'un certain moment, devient capitale pour le développement du roman de Chrétien de Troyes.
Lorsqu'il s'occupe du rapport entre Blanchefleur et le mythe du Graal, et après nous rappeler que "le sentiment courant identifie le roman au récit de l'amour", Mèla reconnaît que "le glissement provoqué dans le mythe tient peut-être tout entier à ce qu'il soit désormais réservé à la problématique amoureuse, c'est-à-dire à l'abord incertain de l'autre sexuel, de précipiter toutes les questions"2. Dans ce glissement où se précipitent toutes les questions, dans ce glissement qui ne nous intéresse maintenant que pour autant que nous le retrouvons aussi à l'extérieur du roman de Chrétien de Troyes, nous allons montrer aujourd'hui comment l'abord incertain de l'autre sexuel donnera lieu à sa sublimation.
Par la sublimation, le petit autre imaginaire devient le grand Autre réel qu'est la Dame aux yeux de son chevalier. Autrement dit, l'objet sublimé qu'est la Dame, cet objet, par le fait même de sa sublimation, le chevalier le prend pour la Chose.
Nous pouvons avancer déjà, comme une règle générale, que l'objet qu'il sublime, le sujet le prend pour la Chose. Ainsi, Perceval élève Blanchefleur à la dignité de cette Chose qui est réellement représentée par le Saint-Graal. Ceci peut expliquer, d'ailleurs, que dans le roman de Chrétien, à partir d'un certain moment, toutes les questions, concernant le mystère du Saint-Graal, soient précipités par la problématique relative à l'abord de l'autre sexuel qu'est Blanchefleur.
En étant sublimée, la Dame qu'est Blanchefleur peut occuper, à un moment donné, la place laissée vide par la Chose que le Saint-Graal représentait réellement. Ainsi, le mystère du Saint-Graal, devient effectivement, dans cette problématique de l'abord de l'autre sexuel, le mystère de l'amour courtois.
Le Saint-Graal devient Dame prise pour le Saint-Graal. La représentation réelle, qui comporte la présence de ce qu'elle représente, devient représentation imaginaire sublimée, donc prise pour une représentation réelle. Pendant cette transition entre le Saint-Graal et la Dame, il y a des moments où ces deux représentations de la Chose arrivent à se confondre. C'est ainsi que, quand le roi Pellés lui demande ce qu'il pense du Saint-Graal apporté par sa fille (qu'il li samble del riche vessel que le damoisele aporta), Lancelot répond, tout simplement, qu'il lui semble qu'il n'a "jamais vu de demoiselle si belle", mais que quant à une Dame il ne dirait pas la même chose (il me samble, fet il, que de Damoisele ne vi je onques si bele, de Dame ne di je mie)3. Cette Dame est Guenièvre, prise pour le Saint-Graal, jusqu'au point de se substituer à lui.
Dans les mythes et légendes du Saint-Graal, la transition entre celui-ci et la Dame ne cesse pas de se manifester. Le Perceval de Wolfram von Eschenbach a "la pensée toute occupée" de la Dame qui porte le Graal4. Dans le Lancelot il y a cette demoiselle dont la beauté "émerveille Gauvain plus encore que celle du vase, car jamais Gauvain n'a vu de demoiselle dont la beauté soit comparable à la sienne ; il se perd dans une contemplation si profonde qu'il est indifférent à tout le reste"5. Le Saint-Graal est assimilé à ce reste. En tant que reste -identité qui est conforme avec son destin d'objet a ou de représentation réelle de la Chose-, il tombe de la chaîne signifiante, il tombe avec toute l'insignifiance de son mystère -qui doit céder sa place au mystère de l'amour courtois.
Le mystère du Saint-Graal cède sa place au mystère de l'amour courtois. Celui-ci, en effet, constitue lui aussi un mystère. En raison de son rapport à la Chose, il n'y a aucune doute que l'amour courtois, pour être vraiment courtois, doit demeurer un mystère. Comme chanterait le poète courtois Henri de Meissen, mieux connu comme Frauenlob, "l'amour doit demeurer mystère, rendant d'amour mesure entière"6.
Dans le mystère de l'amour courtois, qui ne cesse pas de nourrir le mystère de l'amour dans notre civilisation, le sujet ne peut avoir de rapport vraiment amoureux à son petit autre du miroir, à cet objet narcissique et imaginaire, qu'en le prenant pour du réel, pour le réel de la Chose. Dans cette méprise, ce que le petit autre puisse devenir pour le sujet nous permettra de comprendre ce qu'est la Chose aux yeux du sujet. Plus précisément, nous essayerons d'éclaircir qu'est-ce que la Chose pour le sujet, ou quels sont pour lui ses attributs chosiques, en partant de ce qu'il attribue à l'objet pour l'élever à la dignité de la Chose.
7.1. Chez Lacan, la sublimation est ce qui élève un objet imaginaire, i(a), voire a + b, à la dignité de la Chose réelle, de la lettre a. Cela veut dire, en effet, comme l'établit B. Vandermersch, que "l'objet élu de nos pulsions quitte son caractère spontanément narcissique pour tenir lieu de la Chose"7. En tenant lieu de cette Chose absente pour le sujet, et en "entraînant" celui-ci vers une "satisfaction non sexuelle" et "globale" proche d'un "vide infini" et d'une "jouissance sans limites" -dirait Nasio8-, l'objet narcissique et imaginaire, le i(a) présent pour le sujet, pour son désir et pour la satisfaction de ses pulsions, acquiert pour lui, grâce à la sublimation, le statut ou la situation de fait de la Chose absente qu'il représente -de cet objet ultime de son désir autour duquel tourne tout le mouvement pulsionnel. De cette manière, la sublimation élève un objet i(a) signifié ou présent pour le désir du sujet (5.7), un objet imaginaire où la Chose réelle est perdue (6.5), à la dignité de cette Chose absente ou insignifiée (4.4) que l'objet signifié représente de manière imaginaire pour le sujet (6.3). Avec cette définition de la sublimation, je reste fidèle au célèbre passage de L'éthique de Lacan, lequel mérite d'être cité dans sa totalité : "L'objet -pour autant qu'il spécifie les directions, les points d'attrait de l'homme dans son ouvert, dans son monde, pour autant que l'intéresse l'objet en tant qu'il est plus ou moins son image, son reflet- cet objet, précisément, n'est pas la Chose, pour autant qu'elle est au coeur de l'économie libidinale. Et la formule la plus générale que je vous donne de la sublimation est celle-ci -elle élève un objet (...) à la dignité de la Chose"9.
Proche de l'hallucination, la sublimation élève une représentation imaginaire à la dignité de la Chose qu'elle représente. Elle élève, par exemple, une image miraculeuse de la Sainte-Vierge à la dignité de la Sainte-Vierge.
Même si je regrette de m'éloigner maintenant du Moyen-Âge, je ne peux m'empêcher d'évoquer ici le moment, dans l'Aurélia de Gérard de Nerval, où "quelque chose lui dit" à Gérard que "la Vierge est morte"10, justement lorsqu'il se trouve devant une sculpture de la Sainte-Vierge en marbre blanc et avec les yeux fermés, que vous pouvez encore voir dans l'église parisienne de Notre-Dame-de-Lorette. La représentation imaginaire de la Vierge, une représentation blanche et aux yeux fermés, est élevée à la dignité de la Vierge. Nerval se dit alors que la Vierge est morte. Or, cette Vierge qui le "fait penser à sa mère"11, cette Vierge est "l'éternelle Isis, la mère et l'épouse sacrée"12, elle est "la même que sa mère, la même aussi que sous toutes les formes il a toujours aimé"13. En tant qu'Isis, en tant que mère et épouse sacrée de Nerval, celui-ci comme Osiris, la Sainte-Vierge est la Chose maternelle qui se confond avec son fils dans la totalité incestueuse unitaire de l'univers, celui-ci comme Chose amoureuse. Elle ne pourra donc pas mourir sans susciter la fin du monde et de l'univers. C'est effectivement ce qui arriva lorsque Nerval sortit de l'église de Notre-Dame-de-Lorette et se dirigea vers la Seine, afin de se suicider. Il vit là comment "les étoiles venaient de s'éteindre". Il crut que "les temps étaient accomplis et que nous touchions la fin du monde annoncée dans l'Apocalypse". Il put alors voir, dans un ciel désert, le "soleil noir" de la mélancolie14.
Isis, la mère et l'épouse sacrée de Nerval, qui est également sa mère, Aurélia et la Sainte-Vierge, est assimilée à la femme aimée par Nerval, une femme aussi exceptionnelle que n'importe qu'elle autre femme, laquelle est désignée comme Dame. Elle est cette Dame que vous connaissez déjà, celle qui "s'évanouit dans sa propre grandeur"15, en se confondant avec la terre et le ciel.
Comme la sculpture en marbre de Notre-Dame-de-Lorette, la Dame de Nerval, en tant qu'objet imaginaire, est élevée à la dignité de la mère et de la Sainte-Vierge, elle est élevée ainsi à la dignité de la Chose maternelle et amoureuse. Elle apparaît alors comme un objet sublimé, c'est-à-dire comme un objet élevé à la dignité de la Chose.
De même que chez Nerval, dans la Moyen Âge, ce qu'on désignait comme la Dame, ainsi que les images miraculeuses de la Sainte-Vierge -dont Hegel nous parlera le prochain cours-, furent toutes les deux honorées par la même sublimation. Puisque la Dame et l'image de la Sainte-Vierge furent ainsi élevées en même temps, et par la même sublimation, à la même dignité de la Chose, je pense qu'il n'est pas inopportun d'enrichir avec la sublimation de l'image de la Sainte-Vierge la théorie lacanienne de la sublimation de la Dame, telle qu'elle fut élaborée dans le séminaire sur l'Éthique, à partir de l'amour courtois pour la Dame des troubadours et des trouvères.
Si nous concevons l'amour courtois à la lumière de la Dame du Ciel, nous comprendrons mieux le rapport entre l'objet imaginaire sublimé, ou la Dame du Monde, et la Chose maternelle, la Dame du Ciel ou la mère de Dieu. En quelque sorte, la Dame du Monde, comme objet ou représentation imaginaire, elle est toujours une image de la Dame du Ciel, de la Sainte-Vierge, celle-ci comme Chose maternelle et amoureuse -"idéal de la Femme transportée dans le ciel, car sorti de ses entrailles l'Homme exalte son amour et n'aspire qu'à reposer sur son coeur"16, et se dissoudre, bien évidemment, dans la confusion incestueuse. Élever une Dame du Monde à la dignité de la Chose n'est rien d'autre que l'élever à la dignité de cette Sainte-Vierge -de la même façon qu'une image de la Sainte-Vierge est élevée à la dignité de la Sainte-Vierge.
Les troubadours et les trouvères du Moyen Âge chantaient donc aussi bien à leur Dame qu'à l'image de la Sainte-Vierge, c'est-à-dire la Dame du Ciel, Notre-Dame, qui n'est en définitive que "la meilleure Dame"17, la "merveilleuse Dame surnaturelle"18, comme elle fut appelée alors, au XIIIème siècle, par le trouvère Thibaud de Champagne -lequel, pas par hasard, en plus d'élever des représentations imaginaires, des Dames et des images de la Sainte-Vierge, à la dignité de la Chose, il partit en croisade pour récupérer le Saint-Sépulcre, ce représentant symbolique qu'il avait aussi élevé à la dignité de la Chose.
7.2. Dans l'Éthique de Lacan, il faut relever quelques étapes dans la conception de la Chose que nous désignerons désormais comme Chose courtoise :
a) Le 20 janvier 1960, la Chose courtoise est celle à la "dignité" ou à la "fonction" de laquelle on a "promu" ou "élevé", par la sublimation, un objet dont le "registre" est "imaginaire" et dont les "fondements" sont "narcissiques". Par cette sublimation, qui "apporte à la pulsion une satisfaction différente de son but", la Chose courtoise "n'est pas glissée dans, mais cerné par le réseau des Ziele", des buts de la pulsion19. Maintenant, grâce à la notion d'objet a, nous pourrions dire que celui-ci, comme -a, ne glisse plus dans la structure signifiante, en tant que réseau des buts pulsionnels, mais qu'il est cerné ou encerclé par cette structure, comme lettre a, comme Chose.
b) Le 27 janvier 1960, la Chose courtoise, "impossible de nous l'imaginer"20 ou réellement irreprésentable pour nous dans l'imaginaire, sera pourtant, en vertu de la sublimation de l'objet, celle "représentée" dans l'imaginaire par cet objet, "qui est appelé en l'occasion la Dame"21 -cette Dame qui mérite un amour qu'on désigne en allemand par le terme de Minne, lequel ne doit pas être confondu avec celui de Liebe22. L'objet sublimé, l'objet du Minne ou de l'amour courtois, sera donc la seule représentation imaginaire de la Chose en tant que Ding -et non pas en tant que Sache. Il y aurait ainsi une différence radicale entre l'objet sublimé du Minne, comme représentation du Ding -à rapprocher de la Dingvorstellung freudienne- ou de la Chose courtoise, et les autres objets imaginaires non-sublimés, comme représentation de la Sache, comme Sachvorstellungen.
c) Le 3 février 1960, la Chose courtoise est celle représentée par la Dame dans un amour courtois qui est décrit comme "forme exemplaire" ou "paradigmatique" de la "sublimation" -forme dont les "retentissements éthiques sont encore sensibles dans les rapports entre les sexes"23.
d) Le 10 février 1960, la Chose courtoise est celle qui ne peut être représentée par un objet imaginaire féminin, dans le "miroir" du "narcissisme"24, qu'en posant la "privation" et "l'inaccessibilité" de cet objet, en "présupposant une barrière qui l'entoure et l'isole", en le "présentant avec des caractères dépersonnalisés", "vidé de toute substance réelle", comme objet "affolant", "cruel" et "inhumain" -traits dans lesquels s'exprimerait, "à la place" de la Chose courtoise, "quelque malaise dans la culture"25. L'objet sublimé pourra donc représenter la Chose en devenant inaccessible comme le pragma platonicien, en étant isolé comme la sphère d'Empédocle cerné de solitude, en restant absent dans la parole, perdu dans l'objet et réduit au rien dans le sujet. Nous pourrions dire que la Chose cesse d'être insaisissable au miroir, insaisissable comme objet a, lorsque le miroir devient lui-même insaisissable pour le sujet. Celui-ci, en s'imposant la privation d'un objet imaginaire, élève celui-ci à la dignité de la Chose dont il est privé.
e) Le 9 mars 1960, la Chose courtoise est celle qui se "dévoile" comme "vide cruel", comme cloaque, au coeur d'une Dame qui se trouve simultanément "dans la position de l'Autre et de l'objet", dans la position du vide symbolique et de surface imaginaire qui recouvre ce vide, comme "trompette puante" -pour reprendre, avec Lacan, l'expression d'Arnaud Daniel26. En même temps que cette Chose courtoise, comme vide cruel, se dévoile pour les troubadours et les trouvères, l'autre vide cruel, le Saint-Sépulcre, se dévoile pour les croisés. Il s'agit, évidemment, d'un même vide et d'un même dévoilement.
f) Le 4 mai 1960, la Chose courtoise est celle à la place de laquelle les "êtres vivants" ne seront pas "dans leur réalité charnelle et historique", mais dans leur "être de raison, de signifiant" -comme "ce vide" qu'il y a "dans le cloaque" de la Dame d'Arnaud Daniel27. Autrement dit, à la place de l'être réel chosique, dans ce vide laissé par son absence -que nous désignons comme objet a-, il n'y a pas le réel qui remplit ce vide ou l'imaginaire qui le recouvre, mais seulement le vide lui-même, le vide comme être symbolique langagier, voire le lieu de l'Autre.
Cette élaboration lacanienne de la Chose courtoise me semble assez logique : elle part de sa représentation imaginaire et narcissique, dans l'objet sublimé, pour aboutir à sa représentation réelle, comme vide, comme -a, comme absence de la Chose au coeur de l'Autre -ce qui se manifeste comme absence de l'achose dans la parole-, au coeur de l'être de raison, de signifiant, c'est-à-dire l'être symbolique langagier. Entre ces deux extrêmes, entre l'imaginaire pris pour du réel et le vide réel, nous voyons se succéder : d'abord la Dame sublimée par l'amour courtois qu'on appelle Minne, après cet amour comme forme exemplaire d'élévation de la représentation imaginaire à la dignité du réel chosique représenté, ensuite cette élévation déterminant l'inaccessibilité et la privation de l'imaginaire -comme s'il s'agissait du réel- et finalement la déchirure du voile imaginaire sublimé, prétendument réel et consistant derrière son apparence, voire le dévoilement du vide, du -a, l'intérieur vide de la trompette puante d'Arnaud Daniel, la cloaque de la Dame dans sa nudité, l'insignifiance du signifiant, la représentation réelle de la Chose, l'objet a, ce réel réel derrière la réalité imaginaire sublimée de Frege et des psychologues du moi, derrière la sublimation de l'objet comme dénotation de la Chose courtoise.
En tant que rapport entre le sujet, à l'occasion le poète courtois, et sa Chose, ici la Chose courtoise, la sublimation, tel qu'elle se manifeste ici dans l'amour courtois, constitue un lien en commun où peuvent se résoudre les tensions que nous venons de rencontrer à l'intérieur de la conception lacanienne de la Chose courtoise. Pour expliciter ce lien en commun, nous pouvons conclure, à guise de synthèse des éléments qui s'opposent dans la conception de la Chose courtoise, en énonçant que : forme exemplaire de la sublimation (7.1), l'amour courtois -comme Minne-, à distinguer de l'amour non courtois -comme Liebe-, entoure et cerne, par le réseau signifiant des buts pulsionnels, un vide chosique à la place duquel sera mise une Dame, laquelle, comme objet imaginaire, ne pourra être élevée à la dignité de la Chose insignifiée (4.4), dont elle occupe la place, qu'en cessant d'être signifiée, en étant vidée ou dépersonnalisée, comme être de raison et signifiant, et en devenant inaccessible pour le sujet qui se prive d'elle.
Remarquez bien que le poète courtois ne pourra prendre l'objet imaginaire pour la Chose courtoise qu'en vidant et dépersonnalisant cet objet signifié, afin de le faire devenir -je pèse mes mots- seulement signifiant. En effet, il faut que la Dame ne soit que signifiante, et non pas signifiée, pour qu'elle puisse être élevée à la dignité de la Chose insignifiée. En attirant votre attention sur cette condition de signifiance de ce qui est sublimé, je ne fait que signaler un fait sur lequel j'aurais l'occasion de revenir en détail, à savoir le caractère signifiant de la Chose insignifiée.
7.3. Avec F. Peraldi, nous pouvons "retrouver" dans la sublimation, toujours comme élévation d'un objet à la dignité de la Chose, "la présence silencieuse et le pouvoir d'engendrement de la pensée"28. Nous examinerons plus tard, en effet, comment la sublimation peut engendrer la Chose -en tant qu'oeuvre d'art, scientifique ou religieuse. Pour le moment, constatons seulement que dans la poésie courtoise, en plus de nous donner la Chose sous forme de poésie, la sublimation nous la donne -et je pèse mes mots- sous forme de femme. Comme dirait Juranville, "la Chose, lieu d'une mythique jouissance absolue", va "prendre par la jouissance dégagée dans la sublimation une réalité, celle de la femme"29. Sublimée, cette femme, la Dame, devient ainsi la "douce chose" (doussa res)30 -comme l'appelle Bertran d'Alamanon- qu'est la Chose courtoise.
En tant qu'objet imaginaire, la Dame est élevée par la sublimation à la dignité d'une Chose réelle, comme Ding, laquelle, autrement, resterait irreprésentable par un objet imaginaire qui ne représenterait, comme Sachvorstellung, que la Sache, et non pas le Ding. Par conséquent, les attributs exceptionnels de l'objet, par lesquels s'opère son élévation à la dignité de la Chose courtoise, doivent forcément correspondre aux caractères hypothétiques de cette Chose. Avec cette certitude, je tenterai maintenant de déduire quelques-uns de ces caractères. Ceci me permettra de vous démontrer qu'à la dignité de la Chose furent élevées aussi les images miraculeuses de la Sainte-Vierge et non pas seulement ces Dames qui ne sont en fin de compte qu'une sorte assez particulière d'images de la Sainte-Vierge -celle-ci en tant que Chose et plus précisément Chose maternelle et amoureuse, "Chose hors-monde, dans l'éclat illusoire de sa jouissance absolue et de sa suffisance impossible"31, comme dirait Juranville.
Voici donc quelques caractères hypothétiques de la Chose courtoise, tels qu'ils manifestent certains états de la Chose en général et tels que je les ai discernés dans des chansons des trouvères et troubadours français, allemands, occitans, portugais et galiciens :
a) L'absence dans la parole. Le poète courtois n'arrive pas souvent à parler de sa Chose courtoise. Reinmar de Haguenau déplore que "la parole ne peut épuiser" la "louange" de sa Dame (Dîn lop mit rede nieman vol enden kan)32. En présence d'elle, si grande est la "joie" du même Reinmar, qu'en plus de ne pas pouvoir faire sa louange au moyen de sa parole, il ne peut même pas avoir recours à cette parole33. Raimbaut d'Orange assure qu'il "sait bien parler d'amour au profit des autres amants", mais qu'au sien, il ne sait "plus dire un seul mot (non sai ren dire ni comtar)"34. La Chose courtoise est donc absente dans sa parole, de même que le Saint-Graal dans la parole de Perceval, pendant son entretien avec le Roi-Pêcheur. Cette assimilation, par son absence dans la parole, entre la Chose courtoise et la Chose qu'est le Saint-Graal, fut déjà soulignée, dans le Moyen Âge, par le troubadour Rigaut de Barbezieux : "Comme jadis Perceval (...) fut si fort émerveillé qu'il ne sut pas demander à quoi servaient la lance et le Graal, je demeure interdit, mieux-que-Dame, devant votre beauté (...), je veux vous prier, je ne puis : je rêve"35. Il rêve. Il doit rêver. Il ne peut que rêver pour satisfaire son désir. Or, en rêvant, il ne prononce aucune parole, sa langue reste paralysée. Quant à sa chanson, comme autant d'autres chansons courtoises, il ne s'agit peut-être plus exactement d'une langue qui chante, mais de lalangue, cette langue jouissante à l'état originel chosique, une proto-langue dans laquelle traînerait encore un sein maternel indiscernable des mots qui remplissent la bouche du troubadour... Et pourtant, devant la Dame, la langue de Rigaut reste aussi paralysée que celle de Perceval, lequel ne parla pas de la Chose, rappelez-vous, parce que Gornemant de Goort lui avait dit, en lui "tranchant sa langue", que "quiconque trop parliers, tel chose ne dit, qu'on lui reprochera comme vilenie". Ici comme ailleurs, nous constatons que l'absence de telle Chose dans la parole fut souvent attribué aux mésaventures de la langue. Si celle de Perceval fut alors tranchée par l'épée de Gornemand, celle du trouvère Adam de la Halle fut apparemment liée : "Quand je vous vois, je suis muet et je sens ma force défaillir, et j'ai la langue liée, comme si j'étais l'objet d'un enchantement"36. L'objet d'un enchantement : probablement celui du désir de l'Autre maternel, un vide auquel manque cet objet qu'est Adam, ce phallus imaginaire, pour devenir la Chose amoureuse qu'est la confusion entre le sujet et l'objet
b) La beauté en soi. D'après le châtelain de Coucy, si la Chose courtoise est absente dans la parole, c'est à cause de sa beauté : "Sa beauté m'emplit d'un tel émoi, en sa présence, que je reste incapable de parler"37. Thibaut de Champagne explique de la même façon l'absence de la Chose courtoise dans sa parole : "Votre grande beauté éteint tout autre sentiment en moi, au point que je suis incapable de vous dire mon désir"38. Ce silence pourrait être expliqué par l'effet général de la beauté de la Chose courtoise sur les facultés rationnelles de l'homme. Pour confirmer cette idée, nous disposons du témoignage de Guilhem de Cabestany, qui nous informe que la "beauté" de sa Dame lui a "ravi la raison"39. Mais ce n'est pas tout. En plus d'imposer le silence et ravir ainsi la raison, la beauté de la Chose courtoise "peut déplaire" Walther de la Vogelweide40. Elle peut même aveugler Thibaut de Champagne : "Votre beauté fait en moi une telle blessure que je ne reçois même pas l'aide de mes yeux pour regarder l'objet de mon désir"41. Cette affreuse beauté de la Chose courtoise est aveuglante, d'après le même Thibaut de Champagne, parce qu'elle est une "beauté... sans limite... absolue"42. En fait, le même Thibaut nous dit que la Chose courtoise est "celle où réside la beauté"43. De même que la Sphère du Timée de Platon, la Chose courtoise est la beauté en soi, la beauté au-delà de toutes les belles images, la beauté parfaite, dans laquelle rien ne manque, tel que Guy d'Ussel doit le suggérer : "Dame, je sais certainement que je ne puis élire au monde une autre Dame où rien ne manque, ou en esprit ne formerais plus belle, mais vous passez toute image idéale (vos passatz sobre tot pensament)"44. La beauté en soi de la Chose courtoise dépasse tout image idéale parce qu'elle n'est pas simplement une image objectivée de la beauté, une représentation imaginaire de la Chose ou une beauté pour nous, mais la présence de la Chose, de cette Chose à la dignité de laquelle est élevée la Dame, la Chose en tant que telle, c'est-à-dire la beauté en soi. Conséquemment, par sa propre nature, la Chose courtoise doit être, comme le postule Conon de Béthune, "plus belle qu'une image"45, plus belle qu'un objet imaginaire, narcissique, présent pour nous, reflété dans notre miroir du monde. Ainsi, la Sainte-Vierge, comme Chose maternelle, doit être plus belle que ses images miraculeuses, plus belle que toutes ses représentations imaginaires, plus belle que tout objet désiré. Rien de surprenant, alors, que "la beauté resplendissante" de cette Chose courtoise qu'est la Sainte-Vierge puisse "éclairer le monde entier"46 et faire apparaître toutes les images, comme le célèbre Thibaud de Champagne. Avec Adam de la Halle, "on doit s'étonner que certains, qui sont très éloquents envers la chair humaine fardée, pensent absolument et si follement à elle, qu'ils ne pensent pas à la Sainte-Vierge, Dame qui est plus belle que cent"47. En effet, la Sainte-Vierge, comme le soutient Don Dinis, "vaut mieux que toutes en ce monde", et "Dieu ne lui a pas fait mince cadeau, interdisant qu'aucune soit pareille"48. En reprenant la célèbre allégorie de Guillaume de Lorris, dans son Roman de la Rose, nous pouvons être sûrs qu'il n'y a, dans le verger d'Amour, de Rose aussi belle que la Sainte-Vierge. Au moins, comme le remarque Walther de la Vogelweide, la "Vierge", à la différence des Dames de ce monde, est une "rose exempte d'épines"49. Si grande et si parfaite est la beauté sans épines, cette beauté pure et céleste, la beauté en soi, la beauté idéale platonique de la Sainte-Vierge, comme Chose courtoise, que la beauté d'aucun objet féminin de ce monde peut l'égaler. Guillaume de Vinier l'affirme de manière concluante, en nous rappelant notre Saint-Graal : "Très précieux vase de douceur, plein de toutes grâces (...), vous avez atteint, Dame, une telle perfection que nulle ne peut vous égaler (...), la meilleure et l'incomparable"50. Un vase remplit de grâces imaginaires, mais une fois dévoilé, dans sa perfection d'être de raison, vide dans le réel, vide du sang du Christ comme le Saint-Graal, vide de la Chose insignifiée comme le signifiant, comme le Saint-Sépulcre -dont Hegel aura prochainement beaucoup à nous dire-, comme le cloaque ou la trompette d'Arnaud, ou bien comme cette "matrice" sadienne, de laquelle nous allons nous occuper à la fin de notre cours, laquelle est définie, par Mme. de Saint-Ange, comme "une espèce de vase, ressemblant à une bouteille, dont le col embrasse le membre de l'homme"51.
c) L'être de jouissance. On ne peut que jouir d'une beauté céleste comme celle de la Chose courtoise. La jouissance d'une telle beauté, cette jouissance qui rend muet Reinmar de Haguenau52, cette jouissance est si intense, qu'elle ne peut être que digne du paradis. Thibaud de Champagne ose ainsi considérer que "s'il peut gagner le paradis, il aura sa Dame sans contrainte, ou bien Dieu manquera à sa parole"53. La jouissance de la Chose courtoise est ainsi digne du paradis, ce qui n'empêche qu'elle soit douloureuse. Nous ne devons pas oublier le caractère affreux, "blessant" -comme dirait Thibaud-, de la beauté qui la produit. Nous ne devons pas non plus oublier son intensité, qui la fait tourner en douleur. Cette jouissance est ainsi décrite par Thibaud comme un "joyeux tourment"54. Elle est un mal, elle est le mal d'amour. Or, elle ne cesse pas pour autant d'être une jouissance. Thibaud peut alors dire : "de tous les maux, nul n'est plaisant sauf le mal d'aimer"55. Il chante aussi : "les douces souffrances et les maux délicieux qui viennent de l'amour sont doux et âpres"56. Même cas celui de Walther de la Vogelweide, qui donne à sa Dame les deux noms de "Grâce et Disgrâce"57, la décrit aussi, dans un "univers radieux, comme "l'ombre d'une joie menue"58, en même temps qu'il reconnaît que "la beauté souvent peut déplaire"59. Quant à Gaucelm Faidit, il préfère se lamenter : "Par fol pensers je laissai mon coeur s'en jouir de ce dont j'ai angoisse, tristesse et dommage"60. Voici une excellente caractérisation de la jouissance lacanienne : triste, douloureuse, angoissante, faisant dommage au sujet. Apparemment, si on croit Thibaut, il y aurait une certaine succession, dans la jouissance de la Chose courtoise, entre le plaisir et la douleur : "Quelles délices quand je la regardai ! Et comme, ensuite, j'en ai souffert"61. À l'opposé, Reinmar de Haguenau, "si bien" il "s'efforce et sert" sa Dame, que "sans le vouloir, elle change en joie le tourment qu'il souffre"62. Mais ensuite, malgré tout, la douloureuse jouissance recommence toujours. Quoi qu'il en soit, cette jouissance, si douloureuse qu'elle soit, elle ne cesse pas d'être préférable, pour les poètes courtois, au plaisirs charnels qui puissent être obtenus d'un objet imaginaire non élevé à la dignité de la Chose courtoise. Comme s'exclame Adam de la Halle : "Il me plaît plus de sentir les maux d'amour, qu'à bien des amants les derniers dons"63.
d) L'objet ultime de désir. Puisque de la Chose courtoise on reçoit une jouissance préférable à tout autre plaisir, nous comprenons pourquoi cette Chose finit par devenir l'objet ultime de désir. Ainsi, Raimon de Miraval demande le corps de sa Dame : "Faites-moi jouir de votre bien puisque jamais je n'ai désiré autre chose!" (Faitz me del be jauzire, qu'als mon dezirei hanc)64. Quant à Guirant Riquier, il "tient à jouir de ce qu'il a tant désiré"65. À propos de cette jouissance de l'objet ultime de désir, Adam de la Halle assure que "son espérance vaut d'autrui la jouissance, tant lui plaît tout ce qu'amour lui adresse"66. Dans ce qui lui plaît tant à ce trouvère, nous découvrons la jouissance qu'il y a dans le désir comme espérance, ou la présence qu'il y a dans l'absence, la présence de ce qu'amour adresse. Nous pouvons même énoncer, comme un fait incontestable, qu'il y a toujours une jouissance de cet objet dernier de désir qu'est la Chose courtoise. Néanmoins, le désir et si intense, et la douleur contenue dans la jouissance est si grande, que le même Adam de la Halle semble oublier sa jouissance, et se plaint : "J'ai passé mon temps à espérer sans jouir, j'ai le droit de vous comparer pour la dureté au diamant"67. Cette dureté de la Chose courtoise, naturellement dure en tant que Chose, ne lui empêche pourtant pas de satisfaire le désir. En fait, aucun objet n'a le pouvoir qu'a la Chose de satisfaire le désir du sujet, comme le reconnaît le Châtelain de Coucy : "personne autant qu'elle ne comble mon désir (nule rienz n'est tant à mon désir)"68. Toutefois, dans la mesure où il y a du désir, la Chose qui le satisfait absolument doit manquer. Si elle était présente, le désir n'y serait plus, puisqu'il serait tout à fait satisfait. Raimon Rigaut a donc raison de "préférer la bouche qu'il baise souvent, au conin qui tue le désir"69. Adam de la Halle observe que "de ceux qui triomphent d'amour, on en voit plus renoncer et déposer les armes, que de ceux qu'amour fait pâlir, et beaucoup souffrir"70. Quant à Thibaut "son désir demeurera à jamais", pour autant qu'il "voit bien qu'il ne puit le combler"71. Comme fondement de son existence, ce "désir inassouvi" de Thibaut, désir pour l'être chosique qui lui manque, "à lui-seul, ranime son coeur"72. Le sujet existe, et son désir persiste, précisément parce que l'objet ultime de désir manque, parce que la Chose manque, parce que la lettre a n'est dans le sujet qu'en étant -a, parce qu'elle est cet objet a qui échappe toujours. Voici la cause du désir, telle qu'elle est fut pressentie par Cercamon, lorsqu'il exprime que "rien ne lui fait plus envie qu'un objet qui toujours lui échappe"73. Cet objet cause toujours le désir parce qu'il échappe toujours. Et s'il échappe toujours, c'est parce que la Chose qu'il devient lorsqu'il cesse de manquer, cette Chose à laquelle aspire tout le désir de sujet, est interdite pour un sujet soumis à la loi, un sujet du signifiant, un sujet castré qui ne veut pas que l'Autre le plaigne de s'être adonné à sa convoitise. Pour qu'il y ait un sujet, pour qu'il y ait aussi du désir, il faut réprimer la convoitise, comme l'a bien vu Jauffre Rudel : "Mon désir sans fin n'aspire qu'à elle seule entre toutes. Mon vouloir, je crois, m'abuse, si me la prend convoitise : car plus poignante est qu'épine, douleur que joie guérira, mais ne veux pas qu'on me plaigne"74. Mieux vaut la douleur d'exister que l'inexistence dans l'être incestueux. Mieux vaut conserver la volonté que l'affaiblir jusqu'au point de la perdre, la perdre en possédant ce qu'elle veut, ce dont l'absence la renforce et consolide, cette Chose courtoise dans laquelle, selon les termes de Guilhem de Cabestany, "tous les vouloirs s'affermissent"75. Mieux vaut que notre coeur, comme celui de Thibaut, reste "enfermé dans la douce prison" de l'existence, cette prison "dont les piliers sont de désir, les portes de contemplation, et les chaînes de bon espoir. Amour a la clef de la prison, il la fait garder par trois portiers : beau visage a nom le premier, beauté exerce ensuite son pouvoir ; obstacle (dangiers) est mis devant l'entrée"76. Nous voyons bien que la beauté de l'objet sublimé, le beau visage, apparaît ici comme cette beauté imaginaire qui a pour fonction, selon Lacan, d'être "le dernier barrage avant l'accès à la Chose dernière, à la Chose mortelle"77, qui n'est autre que l'amour, la Chose amoureuse, ici la Chose courtoise, avec son affreuse beauté idéale.
e) La perte dans l'objet et la réduction au rien dans le sujet. Avec son affreuse beauté idéale, ma Chose courtoise est perdue irrémédiablement dans les beaux objets imaginaires qui m'entourent, que je vois et que j'entends. C'est pour cela que je suis en état de me lamenter, comme Thibaut, d'avoir "perdu ce que je désirais le plus (...), puisque je ne peux voir ni entendre, la belle créature, objet de mes désirs"78. Puisque la Chose réelle, comme objet dernier de mon désir, est l'origine de toute ma jouissance, et puisque je ne peux la voir ni l'entendre, je risque de ne plus jouir du monde imaginaire qui m'entoure, comme Gaucelm Faidit, qui s'exclame : "Rien de ce que je vois (res qu'eu veia), ne m'apporte quelque joie : je reconnais ma folie"79. Cette folie platonicienne de ceux qui ne peuvent jouir que de la forme pure comme Chose dévoilé, comme lettre a, sans l'intermédiaire du voile imaginaire mondain, a + b. Cette folie de vouloir s'affronter à la Chose dévoilée, cette Chose qui ne peut se montrer à nous qu'en se confondant avec nous, dans la Chose amoureuse. Cette folie partagée par Bernardo de Bonaval, qui ose implorer : "Dieu, montrez la moi, si cela vous convient (...), faites que je la vois, sinon, donnez-moi la mort"80. Le Dieu que Bernardo implore ne peut que satisfaire sa demande : ou bien en lui donnant la bourse de l'immortalité de la Chose amoureuse, a=a=a, ou bien en lui donnant soit la mort sous la forme de -a, soit la vie -ça revient au même- sous la forme de la lettre b, voire l'existence dans la chaîne signifiante, comme être symbolique langagier, comme être pour la mort. Lorsqu'il se rend compte que la Chose amoureuse "peut préserver un homme de la mort"81 -comme l'énonce explicitement Thibaud-, Bernardo se met dans l'alternative : ou l'être-en-trop, ou le manque-à-être ; ou la bourse, ou la vie ; ou l'immortalité, ou la mort ; ou voir la Chose réelle avec ses propres yeux, ou ne plus voir absolument rien, absolument rien d'imaginaire. Bernardo n'a pas compris, apparemment, que la Chose courtoise est quelque chose d'aveuglant qui ne se voit pas. Du moins, en tant que Chose amoureuse, elle ne se voit pas avec les yeux du visage, puisque Thibaut assure qu'il peut "la voir avec les yeux du coeur, car ceux de son visage sont trop loin d'elle"82. Nous pouvons conjecturer que la Chose courtoise ne pourra être représentée dans l'imaginaire, en vertu de la sublimation, que si la représentation imaginaire, voire l'objet imaginaire qu'est la Dame, est perçue avec les yeux du coeur, et non pas avec ceux du visage. Autrement dit, seulement l'objet vu par les yeux du coeur pourra être élevé à la dignité de la Chose amoureuse. En revanche, l'objet non sublimé, l'objet imaginaire proprement dit, l'objet vu par les yeux du visage, l'objet perçu par les autres sens, l'objet que nous entendons et que nous touchons, cet objet accessible est un objet où la Chose est perdue. Comme Lacan nous l'indique, pour que l'objet puisse être sublimé, pour qu'il puisse nous rappeler cette forme pure qu'est l'affreuse beauté idéale de la Chose d'avant notre naissance, il doit être inaccessible comme la Chose ; nous devons nous priver de lui comme nous sommes privés de la Chose maternelle. Adam de la Halle sait parfaitement ceci lorsqu'il "préfère passer toute la vie à garder un heureux souvenir", certainement celui d'avant sa naissance comme sujet du signifiant, "qu'à cause d'un désir trop tranchant, perdre tout d'un seul coup"83. Dans ce désir trop tranchant, je vous prie de voir également ce qui le conditionne, la castration ou la coupure de la sphère par l'épée de Zeus ou de Gornemant de Goort -qui tranche la langue de Perceval-, ayant pour résultat cette sphère coupée comme totalité unitaire qui se perd d'un seul coup. Voici la perte de la Chose courtoise dans l'objet, la perte de la confusion chosique dans la distinction entre le sujet et l'objet, laquelle est ressenti par le sujet comme une perte en lui, un enlèvement en lui, qui correspond au passage de la logique de l'être à celle de l'avoir. Dans ce passage aura lieu la naissance du sujet du signifiant, ainsi que la réduction corrélative de la Chose au rien, c'est-à-dire à cette Chose privilégiée qu'est le sujet du signifiant en tant que rien, voire le rien qu'il est -comme objet a- pour l'Autre du langage et du désir. Cette naissance du sujet comme rien, cette naissance de Perceval par ses "pêchés", tels qu'il se résument -d'après l'ermite- dans la mort de sa mère -ou la réduction au rien de la Chose maternelle-, cette naissance est évoquée par Gil Sanches, lorsqu'il chante : "Je suis né ce jour-là, où, pour mes péchés, c'est en vain que je l'aime et je ne suis rien pour elle"84. Dans la passage de la logique de l'être à celle de l'avoir, l'enfant n'est plus rien, il n'est plus le sein réelle de la mère, il n'est plus son phallus imaginaire, ou il n'est ce phallus que dans la mesure où ce phallus n'est pas, où il n'est réellement rien. Dans le passage de l'être à l'avoir, l'enfant devient sujet, sujet qui cherche, aime et désire, parce qu'il s'enlève son être de jouissance, qui est celui de sa mère et de sa confusion chosique avec la mère. C'est peut-être ce passage auquel Arnaud Daniel fait allusion, lorsqu'il chante : "Tant la désire et la cherche, qu'à trop l'aimer je la perde (je crois que je me l'enlève)"85. Tant il la désire, il la cherche, il l'aime, qu'il ne peut s'empêcher de l'objectiver, de la séparer de soi, de la perdre dans son être ou de se l'enlever, comme objet a ou -a. Du moins, la Dame enlevée, inaccessible, perdue dans l'objet, comme être toujours au-delà et en-deçà de tout avoir, ne cesse pas d'être élevée à la dignité de la Chose. Très différent dénouement est celui de la Dame dont Arnaud jouit, ou de la trompette qu'il lui arrive de jouer. Rien ne reste alors de la Dame. La Chose courtoise se révèle telle qu'elle est, en dépit de toute sublimation : une absence, un simple vide, celui du Cloaque, de l'organe sexuel féminin ou du Saint-Graal. C'est la trace de la castration, l'objet a, -a, la cause du désir, voire -pour Raimon Rigaud- ce "conin" qui "tue le désir" lorsqu'il cesse de manquer ou d'être vide86. C'est en effet -pour Mir Bernart- "le côté du con", cet "endroit" où "naît tout amour d'amant"87. C'est ainsi l'agalma, "le joy honorable que -d'après Guirant Riquier- tous les vrais amants recherchent tant"88.
f) La confusion amoureuse. Pour concevoir la Chose courtoise comme confusion amoureuse, nous devons savoir avant que l'Amour fut souvent, pour les trouvères et troubadours, une Chose consistante, aussi consistante qu'une Dame. Thibaut fut peut-être le poète qui mena plus loin cette idée. Pour lui, en effet, l'amour est une Chose consistante, bien que "hors du sens"89, voire hors signifié. Néanmoins, on doit aimer l'amour, comme s'il s'agissait d'une Dame. On doit même l'aimer plus : "par dessus tout -proclame Thibaud- on doit aimer amour"90. Toute la transcendance chosique de l'objet sublimé se déplace à l'amour. Ainsi, les Dames peuvent mourir, mais l'amour ne meurt jamais. Et ceci est souligné, chez Thibaud, précisément par une Dame qui ne nous semble plus si élevée à la dignité de la Chose, lorsqu'elle se met à discuter avec son amoureux, en lui apprenant "qu'aucune mort ne portera atteinte à Amour"91. Cet Amour est maintenant l'immortel. Or, il ne doit pas être assimilé à l'âme. Il s'agit d'un être consistant, corporel, qui survie pourtant à la mort. C'est pour cela que Thibaud peut affirmer : "qui bien aime ne peut se séparer de l'Amour, jusqu'à ce que son âme se sépare du corps"92. L'amour qu'on aime, bien qu'immortel, il est aussi consistant et corporel que la belle Dame qui l'inspire. Il peut ainsi être lui-même beau comme la Dame. Il peut même être tellement beau, aux yeux d'Henri de Morungen, que sa Dame n'est belle que dans la mesure où "elle est belle comme l'amour"93, comme un amour qui incarne la beauté en soi. D'une certaine manière, cet amour apparaît comme la version courtoise de la Chose amoureuse, en tant que confusion incestueuse entre le fils et sa mère, dont nous avons déjà noté qu'elle est aussi consistante et corporelle que la Chose maternelle. Dans cette confusion, le sujet n'est plus séparé de l'objet. Thibaud s'exclame alors : "Dame, je ne puis être séparé de vous"94. Par rapport à cette confusion chosique, telle qu'elle est représentée par la Dame, rien ne reste à sujet dont rien ne reste non plus, dans la mesure où le monde entier s'est réabsorbé dans la Chose courtoise. Dans pareille état, Bernard de Ventadour peut s'écrier : "elle prit mon coeur et m'a pris avec elle-même et le monde, et dans ce rapt, ne m'a laissé que désir et coeur assoiffé"95. Dans cette expérience, pour autant que le sujet croit ne plus manquer d'être, il déduit logiquement qu'il peut cesser d'exister, qu'il peut mourir, mourir de jouissance après avoir vécu du désir. Thibaud se réfère explicitement à cette mort de jouissance : "Dame, on dit que l'on meurt de joie, je pensais qu'entre vos bras, j'aurais fait une fin joyeuse"96. Voici la mort de jouissance par confusion avec ce qui nous serre entre ses bras. Souvent, il ne faut pas d'être embrasser pour se confondre avec l'objet. Il suffit un regard. Il peut suffire de regarder la Chose courtoise pour cesser d'exister, pour qu'elle cesse d'être absente pour nous comme objet a, pour que l'objet-regard cesse d'être insaisissable au miroir. Ainsi, Gace Brulé "a bu sa mort pour avoir regardé (ma mort prise en esgarder) le corps et le visage"97 de sa Dame. Le sujet du signifiant meurt, il cesse d'exister, parce qu'il se confond avec son objet imaginaire, parce que son regard cesse de manquer dans l'image, parce que son regard n'est plus détaché de la Dame. Naturellement, la Châtelain de Coucy "n'ose pas même contempler le visage si pur" de sa Dame, "tant il a peur de ne pouvoir en détacher (departir) ses regards"98. Par la peur de se confondre ainsi avec ce qu'il aime, le poète courtois vit entre le désir et l'angoisse, entre le désir causé par l'absence de la Chose comme objet a et l'angoisse de voir jaillir cet objet, qui ne serait donc plus, comme objet-regard, ce qui reste détaché de l'image, comme -a, mais la lettre a, voire la propre présence de la Chose aveuglante. Voici le dilemme du poète courtois, tel qu'il est exprimé par Joao Garcia de Guilhado : "Quant à mes yeux prisonniers, ils mourront toujours pour la voir : ils pleurent et s'aveuglent quand elle ne vient pas, et s'aveuglent aussitôt quand elle vient"99. Cet aveuglement est celui qui définie la confusion amoureuse entre le sujet et l'objet. Dans cette totalité unitaire de la Chose amoureuse, il n'y a plus besoin de yeux, puisqu'il n'y a rien à voir en dehors de la totalité, rien ne reste en dehors de la totalité. C'est l'exultante sphère d'Empédocle, l'amour consistant et corporel, mais aveugle, sans orifices, sans bouche, sans oreilles et sans cloaque, tout rempli de lui même, comme l'univers d'Hermès, Descartes et Pessoa. En tant que beauté idéale, c'est pour Reinmar de Haguenau cet ensemble de "perfections", mises par Dieu dans sa Dame, lesquelles suffissent pour le "combler" (Got hât gezieret wol ir leben, alsô, daz michs genüegen will)100. C'est enfin l'amour à un de Diotime, la Chose amoureuse qui cesse d'être lorsqu'elle est coupée en trois par les épées symboliques de l'Alcibiade de Platon, du Zeus d'Aristophane, de la funeste discorde d'Empédocle ou du cynique troubadour Daudes de Prades, qui solutionne ainsi toute la problématique de l'amour courtois, en chantant joyeusement : "j'ai placé tout mon espoir, ma pensée, mes intentions, en une Dame fine et belle, et suis aimé d'une pucelle, et si je trouve quelque fille, de joie, je m'amuse à ma guise ; et pour couper l'amour en trois, envers lui suis-je moins courtois ? Amour veut bien que par raison, j'aime Dame pour valoir plus, et pucelle pour la posséder (per tener)"101. Pour la posséder, pour l'avoir, dans cette logique de l'avoir qui n'est plus celle de l'être, de l'être réel chosique ou de la Chose courtoise, mais également celle du vide laissé par cet être lorsqu'il manque, voire celle de l'être symbolique langagier, celle de l'être de raison -tel que Lacan le désigne-, de cette raison pour laquelle Daudes aime sa Dame.
g) La totalité réellement représentée par l'objet partiel. De même que la Chose amoureuse, la Chose courtoise est la totalité unitaire qui n'est réellement représentable que par une partie de la totalité, par l'objet partiel. Comme absence de la totalité de la Dame, qui permet d'élever cette totalité à la dignité de la Chose courtoise absente, l'objet partiel est préféré à la totalité par Thibaud, qui se manifeste clairement à ce propos : "J'aime mieux la main dont elle daigna me toucher, que le reste de son corps, auquel le geste me fait penser"102. En ce privant du reste du corps, Thibaud pourra penser à la totalité du corps de sa dame comme s'il était la totalité de la Chose amoureuse dont il est privé. C'est le choix de la partie où manque la totalité, voire la privation volontaire de la totalité, ce qui permettra ici d'élever la Dame à la dignité de la Chose courtoise. On ne pourra procéder autrement dans l'amour courtois. Daudes de Prades posera ceci de manière explicite : "d'amour courtois, il ne sait rien, celui qui veut toute sa Dame (...) Le surplus ? Que Merci le garde comme trésor et rien n'en donne"103. Que Merci garde comme trésor le surplus, le plus-de-jouir, l'agalma, la cause du désir. Que Merci le garde comme trésor et rien n'en donne. Qu'on retienne ce plus-de-jouir, ce surplus qui manque dans la totalité de ce que le troubadour reçoit comme salaire, comme grâce, comme Merci (du latin Merces, qui veut dire salaire). Que la Dame, la Domina, la maîtresse du troubadour, ne lui donne pas son plus-de-jouir, qu'elle préserve cette cause de son désir, afin que son esclave puisse continuer à la servir, à exister, à désirer, à chanter.
Voici les attributs exceptionnels de l'objet sublime qu'est la Dame, par lesquels s'opère son élévation à la dignité de la Chose courtoise. En récapitulant ces attributs, nous pouvons affirmer, à guise de conclusion, que la Dame, pour être élevée à la dignité de la Chose (7.2), devra recevoir au moins un ou quelques-uns des attributs qui correspondent aux caractères hypothétiques de cette Chose, à savoir son absence dans la parole (4.4), sa valeur comme beauté en soi, sa qualité d'être de jouissance, son statut d'objet ultime de désir, sa perte dans l'objet (6.5), sa réduction au rien en tant que sujet (6.4), sa nature comme confusion amoureuse (5.2) et son assimilation à la totalité réellement représentée par l'objet partiel (6.2).
7.4. Les caractères hypothétiques de la Chose courtoise que nous venons de mentionner, ces caractères, tout en correspondant aux attributs de la Dame élevée au moyen d'eux à la dignité de la Chose, manifestent en même temps certains états de la Chose en général et non seulement de la Chose courtoise. Il faut maintenant nous occuper de ce qui appartient, de manière particulière, à cette Chose courtoise en tant que courtoise. Il s'agit de l'attribut essentiel de la Chose en tant que courtoise, lequel s'ensuit logiquement de son rapport à la sublimation. Nous pouvons énoncer cet attribut comme "le fait d'être le réel auquel est élevé l'imaginaire". À ce titre, nous pouvons affirmer déjà qu'à la différence de la Chose en général, la Chose propre de l'amour courtois (7.2) constitue le réel auquel est élevé, par la sublimation (7.1), l'imaginaire de l'objet qu'est la Dame (7.3).
Le fait d'être le réel à la dignité duquel est élevé l'imaginaire, par la sublimation, doit se distinguer, dans la même Chose courtoise, du fait d'être le réel auquel est élevé le symbolique, par une pseudo-sublimation qui s'approche plus de la perversion, de laquelle nous traiterons vers la fin de notre cours. Pour le moment, afin de contraster, dans la poésie courtoise, ces deux procédés, la pseudo-sublimation et la sublimation proprement dite, nous donnerons un exemple de la première avant de passer à la seconde.
Dans la pseudo-sublimation perverse, et notamment fétichiste, rien n'empêche qu'on puisse élever une forme cylindrique, comme celle d'une chaussette ou d'une trompette puante, à la dignité de la Chose courtoise. À cette même dignité, on peut aussi élever la forme cylindrique la plus courte, comme celle d'un anneau. Cet anneau, qui n'est que la matérialisation d'un trou, sera en mesure de représenter symboliquement la Chose courtoise pour un sujet.
Remarquez-bien qu'au centre d'un anneau, au centre de ce représentant symbolique de la Chose, il y aura un manque, celui du doigt. Mais, qu'est-ce que le doigt qui manque dans l'anneau ? Qu'est-ce qu'il est, ce doigt, par exemple pour un amant qui reçoit l'anneau de celle qu'il aime ? Il est, bien entendu, un membre de sa Dame, une partie de la Chose courtoise, une partie qui représente réellement la totalité de cette Chose. Le doigt qui manque dans l'anneau est ainsi l'objet partiel, ce que nous écrivons -a, l'objet a qui manque dans le symbolique de l'anneau -voire le Saint-Chose, le fétiche, le phallus maternel qui représente réellement la Chose qui manque. En fait, si l'anneau, comme lettre b, est un représentant symbolique de la Chose courtoise, comme lettre a, c'est en raison de cette absence qu'il présente, ce trou qu'il entoure, ce manque du doigt, de cette partie de la totalité du corps, cette partie qui ne pourra être présente qu'en absence, comme le -a que nous désignons comme objet a. Or, en présentant ce vide, l'anneau, comme le Saint-Graal, pourra être aimé comme s'il représentait réellement la Chose qui manque dans le vide et qu'il ne fait que représenter symboliquement. Par une pseudo-sublimation qui part du symbolique et non pas de l'imaginaire, l'anneau aimé pourra être ainsi élevé, par le troubadour Raimbaut d'Orange, à la dignité de sa Chose courtoise : "Je n'aime rien (...) que mon anneau qui fait ma joie parce qu'il fut au doigt... Mais chut ! Tais-toi, ma langue ; trop parler (trop parlars) nuit plus qu'un péché mortel : je tiendrais donc mon coeur bien clos"104. La langue est alors tranché, comme celle de Perceval, et par la même raison : parce que trop parler (trop parlar dans l'occitan de Raimbaut d'Orange ou trop parliers dans le vieux français de Chrétien de Troyes) nuit plus qu'un pêché mortel, pour autant -nous le savons déjà- que quiconque trop parliers, telle chose ne dit, qu'on lui reprochera comme vilenie. Il faut donc se taire. Il ne faut pas dire cette Chose, laquelle doit rester absente dans la parole, dans une parole qui pourra donc entourer le lieu de la langue tranchée, ou du sein maternel qui manque, de la même façon qu'un anneau entoure le lieu du doigt qui manque. Dans cet enroulement, la forme cylindrique du Saint-Graal, de la bouche, de l'anneau ou de la trompette puante est toujours la même. Nous pourrions arriver par cette voie, bien entendu, jusqu'à la topologie du tore, où le cylindre de la demande fait le tour d'un désir qui s'enroule sur le vide de -a.
Soit dit en passant que Freud, la seule fois qu'il aborde explicitement la Chose courtoise, il se réfère à un cas typique de pseudo-sublimation, où nous rencontrons encore une fois la même forme cylindrique et le même scénario de l'anneau aimé par Raimbaut d'Orange. Afin d'illustrer le rapport entre l'hystérique et la Chose (Ding) refoulée (verdrängt) à laquelle se "substitue complètement" le symbole, Freud donne un exemple où la Dame est à la place de la Chose, alors que son gant est à la place du symbole : "Le chevalier qui se bat pour le gant de sa Dame sait bien que ce gant doit toute sa valeur à celle-ci et le prix qu'il y attache ne l'empêche nullement de penser à la Dame et de la servir d'autres façons"105. Comme quoi, le chevalier n'est pas fétichiste. Il ne procède pas non plus, dans son rapport à ce gant, d'une manière hystérique. Il n'y a ici qu'une hystérique, la Dame, laquelle ignore certainement, par rapport au chevalier courageux qui se bat pour son gant, que son courage doit toute sa valeur à la personne même du chevalier. Le prix qu'elle y attache à ce courage empêche certainement la Dame hystérique de penser au chevalier et de le servir d'autres façons.
Après la pseudo-sublimation, occupons nous maintenant de la sublimation proprement dite. Dans cette sublimation, en tant qu'élévation d'un objet à la dignité de la Chose courtoise, le poète courtois commence par isoler cet objet imaginaire, par le séparer des autres objets imaginaires, comme s'il n'était plus un. Inévitablement, cet isolement et séparation d'un objet, lequel devient -comme la Chose- l'objet ultime de désir, le met à l'écart de tout le monde imaginaire qui entoure le sujet. Quant au propre sujet, il finit par se mettre lui-aussi à l'écart de ce monde imaginaire, dans la mesure où il se confond, au niveau de la Chose amoureuse, avec le sujet de tous ses prédicats, en tant que Chose courtoise. Le fonctionnement de cette mécanique de l'amour courtois est bien illustré par une chanson du troubadour Guilhem de Cabestany : "Le premier jour, Dame, que je vous vie, quand il vous plut de vous montrer à moi, j'éloignai mon coeur de tout autre image (...); votre sourire, un regard tendre et doux, ont mis en moi tel désir, ô ma Dame, que j'oubliai moi-même et l'univers (...) Amour veut bien que je courtisse ailleurs (...), mais aussitôt je laisse ces fleurettes, alors j'oublie et je fuis toute amourette, et je reste à vous que j'ai plus chère au coeur"106.
Guilhem fait la cour ailleurs, dans l'imaginaire, mais aussitôt il se fatigue de ces fleurettes, de ces amourettes, de ces chosettes, et il revient au réel de sa Chose courtoise. N'oublions pas, toutefois, que le réel de cette Chose courtoise n'est que la dignité à laquelle fut élevée, par la sublimation, l'imaginaire d'une chosette comme n'importe quelle autre chosette. Cette sublimation comporte que l'image sublimée cesse d'être prise pour un simple image. À la limite, l'image devrait disparaître. Elle devrait devenir imperceptible, puisque pour être la Chose, elle doit être absente pour le sujet. C'est pour cela qu'aucune Dame se prête si bien à la sublimation comme celle absente ou perdue, celle qui part, celle dont l'image disparaît pour toujours, comme c'est la cas pour Gace Brulé, qui se demande : "Comment pourrais-je garder une espérance, avoir confiance (...), en ses beaux yeux, en son image, que je ne verrai plus un seul jour de ma vie"107. Mieux pour la Dame, puisqu'il n'y aura jamais aucune image d'elle, aucune apparition d'elle, qui vienne à mettre en question son élévation à la dignité de la Chose courtoise.
On doit bien comprendre que ce qui risque d'être mis en question, par une apparition décevante de la Dame, n'est jamais la Chose courtoise, mais la Dame, voire l'objet imaginaire qui est élevé à la dignité de la Chose courtoise. De manière analogue, dans les images miraculeuses de la Sainte-Vierge, une image peut toujours nous décevoir, mais ceci n'implique pas que Notre-Dame doive elle-même nous décevoir. Or, ici, Notre-Dame, en transcendant toutes ses images, elle ne pourra jamais décevoir, à la différence des autres Dames, qui s'épuisent dans ses images. Notre-Dame ne pourra jamais décevoir, parce qu'elle ne pourra jamais s'épuiser dans une seule image décevante, car elle incarne l'image qui sous-tend à toutes les images, la Chose courtoise qui sous-tend à toutes les choses qui prétendent la représenter. Adam de la Halle raisonne justement, quand il dit : "Qui a aimé une jeune fille ou une Dame -amour qui n'est que mensonge et vent-, sait bien comment la Vierge doit être honorée (...), car une image qu'on voit et sent, rappelle à l'esprit toute chose (car par painture est ravisée toute chose, c'on voit et sent)"108.
L'image idéale de Notre-Dame, comme Chose courtoise, devra saisir logiquement toutes les images, toutes les choses, toutes nos Dames -ma-Dame, ta-Dame, sa-Dame. Quant à chacune de ses images, elle ne vaut, pour chaque individu, que parce qu'elle mérite, à un moment donné, d'être élevée à la dignité de ce qu'elle représente. Ce mérite d'une image singulière ne peut s'expliquer, peut-être, que par un potentiel de susciter le souvenir de cette forme platonicienne qu'est l'affreuse beauté en soi de la Chose maternelle et amoureuse d'avant notre naissance. L'image digne d'être élevée à la dignité de la Chose ne serait que celle où le sujet puisse mieux appréhender son propre être réel chosique, insaisissable pourtant dans l'image.
Mieux appréhender son propre être dans l'image impliquerait mieux se confondre avec cet image, avec cet objet imaginaire et narcissique, dans une confusion spéculaire du sujet avec l'objet sublimé qui reproduirait, dans l'imaginaire, celle réelle de la Chose amoureuse. Thibaud exprime cette confusion au niveau de l'image visuelle, lorsqu'il chante "qu'à ses yeux il est reconnaissant, de distinguer une si belle apparence, dont jamais il se séparera"109. Quant à Bernard de Ventadour, il décrit lui-aussi cette confusion avec l'image de la Dame, dont le caractère narcissique et spéculaire ne lui passe pas inaperçu : "Je n'eus plus sur moi nul pouvoir et ne m'appartiens plus dès l'heure qu'elle me laissa en ses yeux voir un miroir qui fort me plaît ! Miroir, depuis qu'en toi me vis, les soupirs profonds m'ont tué"110. On est tué par le miroir lorsqu'il nous ressemble autant qu'il finit par devenir réel, par soupirer comme nous, par se casser. L'objet a cesse alors d'être insaisissable. On le saisit dans notre regard. Il n'y a plus alors cette belle image spéculaire qui nous arrête, mais la confusion de la Chose amoureuse où on se noie. C'est pour Thibaut, dans son rapport au "mépris" de sa Dame, le drame de Narcisse, "qui se noya volontairement"111. C'est le trou dans le miroir ou la plongée sous la surface de l'eau. C'est la déchirure du voile imaginaire. C'est pour le sujet la fin de son existence ou de son manque-à-être -voire la confusion chosique du sujet qui existe avec l'objet qu'il est.
7.5. Nous savons bien que la Chose échappe à toute caractérisation. Comme quoi, les caractères que je viens d'exemplifier, quoiqu'ils appartiennent à la Chose en général ou à la Chose courtoise en particulier, ne peuvent être qu'hypothétiques. Ils ne sont pas, en réalité, les caractères de la Chose courtoise, mais les caractères qui doivent être attribués à l'objet afin de pouvoir l'élever à la dignité de cette Chose. À ce titre, les caractères ont sûrement un rapport substantiel avec la Chose. Néanmoins, ce rapport substantiel ne suffit pas, me semble-t-il, pour justifier la prétention d'être arrivé à une caractérisation positive et certaine de la Chose courtoise.
Les caractères hypothétiques énoncés ne caractérisent la Chose courtoise, comme lettre a, que dans la mesure où ils indiquent la configuration de quelques prédicats, b1 + b2 + bn, en fonction desquels peut s'articuler ce réseau pulsionnel qui cerne la Chose dans la sublimation. Tout se passe comme si la Chose courtoise, toujours inaccessible, était située au centre des repères fournis par le travail de sublimation exécuté par les troubadours et des trouvères. En effet, si ces repères de la sublimation peuvent nous servir à situer la Chose courtoise, c'est parce que celle-ci occupe une position centrale par rapport à eux. Or, malgré cette position, la Chose est invariablement absente, perdue, réduite au rien ; bref, refoulée. Elle est, pour ainsi dire, le centre hors signifié, refoulé, du tourbillon pulsionnel animé par la sublimation.
La position centrale d'une Chose refoulée, dans son rapport à la sublimation, est précisément ce qui distingue la sublimation artistique, chez Lacan, de la sublimation religieuse et scientifique. En effet, si la sublimation artistique entoure une Chose refoulée, la sublimation scientifique ne croit pas à une Chose forclose et la sublimation religieuse déplace une Chose évitée.
La Chose pourra être évité dans la religion, forclose dans la science ou refoulée dans l'art. Dans les trois cas, elle manquera dans le sujet, en lui et en tant que lui. Elle sera absente dans la parole, perdue dans l'objet et réduite au rien dans le sujet. La Chose manquera, elle ne sera qu'un vide, et c'est précisément pour cela qu'un objet imaginaire sublimé, tel que la dame de l'amour courtois, pourra occuper la place de la Chose. Puisque cette place sera vide, un objet sublimé pourra l'occuper. La sublimation ne sera donc possible que parce qu'elle sera précédée par l'évidement de la place de la Chose, voire le refoulement, l'évitement ou la forclusion de cette Chose à la dignité de laquelle sera élevé l'objet imaginaire. Au lieu de poser, comme Pierre Bruno, que la sublimation est "la condition de l'évidement premier de la Chose"112, nous affirmons donc que l'évidement premier de la Chose est la condition de la sublimation. La différence et fondamentale.
Nous pouvons même considérer le refoulement, l'évitement et la forclusion comme des conditions indispensables pour la sublimation. N'empêche que l'irreprésentabilité de la Chose en tant que telle, ou le fait qu'elle ne puisse être représenté que par autre chose, précède le refoulement, l'évitement et la forclusion. En quelque sorte, ce qui est refoulé, évité ou forclos n'est pas la Chose, mais plutôt le lieu de l'Autre, c'est-à-dire le vide laissé par la Chose en tant qu'irreprésentable pour le sujet. Autrement dit, ce qui est forclos, évité ou refoulé n'est pas l'être réel chosique, mais le vide que cet être laisse au coeur de l'être symbolique langagier. Et pourtant, si le vide n'était pas forclos, évité ou refoulé, il ne serait plus ce vide à la place duquel on mettra l'objet sublimé. Ceci dit, nous sommes en état d'énoncer que dans la science, la religion et l'art, si la sublimation peut élever l'objet à la dignité de la Chose (7.1), c'est parce que la place de celle-ci est vide -en étant, cette place, forclose dans l'incroyance de la sublimation scientifique, évitée par le déplacement de la sublimation religieuse ou refoulée tout en étant entourée par la sublimation artistique.
7.6. Nous voyons bien que la sublimation, dans notre civilisation, opère dans toutes les tentatives, scientifiques, religieuses ou artistiques, de représentation imaginaire de la Chose. Impossible de croire au caractère réel d'une création artistique, d'une révélation religieuse ou d'une découverte scientifique, sans prendre ces représentations objectives pour des présences chosiques. En effet, pour accepter qu'une représentation imaginaire, soit religieuse, artistique ou scientifique (7.5), puisse représenter la Chose, il faut nécessairement la sublimer, l'élever à la dignité de cette Chose qu'elle prétend pouvoir représenter (7.1). Quant à cette Chose, il ne restera qu'un vide, celui forclos par la science, évité par la religion et refoulé par l'art. Un vide, celui du lieu de l'Autre, celui de la place où la Chose manque -en tant qu'objet a ou -a-, cet "endroit" où "naît tout amour d'amant"113 -et où la sublimation installe ce qui prétend représenter la Chose qui manque, à savoir, une image spéculaire, une image sur la surface d'un miroir, où le vide, comme objet a, reste invariablement insaisissable.
De même que la perversion qui occupe le vide chosique par un représentant symbolique dignement élevé à la dignité de la Chose qu'il représente -ce que nous allons démontrer vers la fin de notre cours-, la sublimation occupe le même vide par une représentation imaginaire indignement élevée à la dignité de la même Chose qu'elle représente. Si dans le cas de la sublimation, l'élévation nous semble indigne, c'est tout simplement parce qu'il n'y a rien de plus contraire à la Chose réelle insignifié que l'objet imaginaire signifié. En quelque sorte, cet objet, en étant sublimé, usurpe la dignité d'une Chose qui ne peut être aucunement objectivée.
En tant que prétendue représentation de la Chose irreprésentable, en tant que Dingvorstellung supposée, toute représentation imaginaire est une image indigne de représenter ce qu'elle est censée représenter. Celui qui la sublime prétend qu'elle représente la Chose, das Ding, lorsqu'elle ne représente qu'autre chose, die Sache, en tant que Sachvorstellung. Tout de même, en vertu de la sublimation, qui promeut toute représentation imaginaire au rang plus éminent d'une représentation réelle, on peut concevoir la Dingvorstellung comme promotion de toute Sachvorstellung. Ceci nous permettrait de comprendre, chez Freud, que les "représentations de la Chose" (Dingvorstellungen)114 puissent être impliquées, avec la représentation de mot, dans la "signification" ou dénotation (Bedeutung) d'un mot. En effet, bien que la Chose elle-même reste isolée, comme lettre a, dans sa position réelle insignifiée, il n'en reste pas moins que sa dignité, à laquelle est élevée l'autre chose en raison de la sublimation, pourra être indiquée, dans le calcul imaginaire signifié que nous écrivons a + b, par la lettre a qui précède la lettre b.
L'indication de a, dans a + b, est donc celle de la dignité de la Chose irreprésentable, das Ding, à laquelle est élevée la Chose représentée, die Sache, dans une Sachvorstellung que peut alors, indignement, se faire passer par une Dingvorstellung. Grâce à cette mystification, la représentation imaginaire signifiée par un signifiant, comme Sachvorstellung en relation à une Wortvorstellung, apparaîtra comme une manifestation consciente des représentations inconscientes de la Chose, des Dingvorstellungen que nous ne rencontrons, chez Freud, que dans leur "compositions", pendant le "travail de rêve"115, ou bien dans leurs "traces" ou 'impressions de détail", qui doivent être "délaissées" pendant le "travail mélancolique"116. Ainsi, en élevant l'objet imaginaire à la dignité de la Chose, en élevant la représentation imaginaire -la Sachvorstellung- à la dignité de la représentation réelle -la Dingvorstellung- qui présente ce qu'elle représente -le Ding-, la sublimation élève aussi la réalité imaginaire, celle de Frege et des psychologues du moi, à la dignité du rêve et de la folie. 2
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Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXV", in Recueil de chansons", op. cit., III, p. 67. 54
Ibid., VI, p. 22. 55
Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson II", in Recueil de chansons", op. cit., I, p. 21. 56
Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXXI", in Recueil de chansons", op. cit., I, p. 79. 57
Walther de la Vogelweide, 1200, "Chanson", in Le lyrisme médiéval allemand, op. cit., p. 72 58
Ibid., p. 80. 59
Ibid., p. 82. 60
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Gil Sanches, "chanson", in Troubadours galégo-portugais, H. Deluy (trad.), P.O.L., 1987, p. 258. 85
Arnaud, Daniel, 1200, "Chanson", in Les troubadours, op. cit., p. 111. 86
Raimon Rigaut, 1200, "Toute Dame qui m'accorde son amour", in Écrivains anticonformistes du Moyen-Âge occitan, op. cit., p. 229. 87
Mir Bernart et Sifre, 1200. "Jeu Parti", in Écrivains anticonformistes du Moyen-Âge occitan, op. cit., p. 273. 88
Guirant Riquier, 1200. "La veuve", in Écrivains anticonformistes du Moyen-Âge occitan, op. cit., p. 291. 89
Thibaut de Champagne, 1230, "Débat XLIX", in Recueil de chansons", op. cit., IV, p. 119. 90
Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXVII", in Recueil de chansons", op. cit., I, p. 71. 91
Thibaut de Champagne, 1230, "Débat XLVII", in Recueil de chansons", op. cit., I, p. 115. 92
Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXVIII", in Recueil de chansons", op. cit., I, p. 73. 93
Henri de Morungen, 1200, "Chanson", in Le lyrisme médiéval allemand, op. cit., p. 40. 94
Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson V", in Recueil de chansons", op. cit., VII, p. 28. 95
Bernard de Ventadour, 1150, "Chanson", in Les troubadours, op. cit., p. 75. 96
Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXV", in Recueil de chansons", op. cit., I, p. 67. 97
Gace Brulé, 1200, "De bon amour et de Leuaul amie", in Poèmes d'amour des XII et XIII siècles, op. cit., p. 55. 98
Châtelain de Coucy, 1200, "La douce voiz du louseignol sauvage", in Poèmes d'amour des XII et XIII siècles, op. cit., p. 75. 99
Joao Garcia de Guilhado, "chanson", in Troubadours galégo-portugais, H. Deluy (trad.), P.O.L., 1987, p. 269. 100
Reinmar de Haguenau, 1200, Chants d'amour (Minnesang), op. cit., p. 27. 101
Daudes de Prades, 1200, "Chanson", in Les troubadours, op. cit., p. 151. 102
Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXX", in Recueil de chansons", op. cit., IV, p. 77. 103
Daudes de Prades, 1200, "Chanson", in Les troubadours, op. cit., p. 151. 104
Raimbaut d'Orange, 1150, "Vers", in Les troubadours, op. cit., p. 59. 105
Freud, S. 1895. "Entwurf einer Psychologie", op. cit., p. 441. Traduction française : "Esquisse d'une psychologie scientifique", op. cit., p. 361. 106
Guilhem de Cabestany, 1200, "Chanson", in Les troubadours, op. cit., p. 117. 107
Gace Brulé, 1200, "De bone amour et de leaul amie", in Poèmes d'amour des XII et XIII siècles, E. Baumgartner et F. Ferrand (trad.), UGE 10/18, Paris, 1983, p. 55. 108
Adam de la Halle, 1270, "Chanson XXXII", in Oeuvres complètes, P.-Y. Badel (trad.), Paris, Le livre de Poche, 1995, p. 119. 109
Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXIII", in Recueil de chansons", op. cit., III, p. 63. 110
Bernard de Ventadour, 1150, "Chanson", in Les troubadours, op. cit., p. 75. 111
Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXII", in Recueil de chansons", op. cit., III, p. 62. 112
Bruno, P. 1987. "De la Chose à l'objet a", in La lettre mensuelle, N°55, Paris, ECF, 01.1987, p. 8. 113
Mir Bernart et Sifre, 1200. "Jeu Parti", in Écrivains anticonformistes du Moyen-Âge occitan, op. cit., p. 273. 114
Freud, S. 1905. Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient, D. Messier (trad.), Paris, Gallimard, 1988, p. 227. 115
Freud, S. 1900. "Traumdeutung", in G.W., op. cit., pp. 301-302. Traduction française : L'interprétation des rêves, I. Meyerson (trad.), Paris, PUF, 1967, p. 257. 116
Freud, S. 1915. "Trauer und Melancholie", in G. W., op. cit., p. 443. Traduction française : "Deuil et mélancolie", in Oeuvres Complètes, J. Altounian et coll. (trads.), Paris, PUF, 1988, p. 275.
1
Anonyme, 1250, Le roman de Tristan en prose (version 2), Genève, Droz, 1995, vol. VI, 28, p. 113.