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LA CHOSE DE FREUD ET LACAN : COURS DE DAVID PAVON CUELLAR A L'UNIVERSITE DE PARIS VIII (2003-2004) http://www.ding.fr.tc


8. Le Saint-Vou

L'effacement, la passion et le meurtre de la Chose

Selon une légende médiévale1, Nicodème tailla trois figures du corps du Christ, tel qu'il l'avait vu sur la croix. Ses trois figures furent embarqués sur trois nacelles sans voile par un Syrien nommé Grégoire. La première traversa la Méditerranée, monta vers le nord par l'Atlantique et arriva en Normandie, à Dives-sur-Mer, où elle fut brûlée par les calvinistes. La deuxième arriva à Rue-en-Ponthieu, en Somme, où vous pouvez la contempler dans l'église de Saint-Wulphy. La troisième arriva à Lucques, en Toscane, où elle est appelée Santo Volto, c'est-à-dire Saint Visage, ce qui donna en français Saint-Vou, ainsi que Saint-Vaudelu et Saint-Godelu.

En Toscane, le Santo Volto est assimilé à la Sainte-Face de Véronique, dont le nom veut dire véritable image, Vera Icon. Soit comme Saint-Vou, Santo-Volto ou Sainte-Face, nous avons ici une représentation imaginaire, un icône de Peirce, qui devient une représentation réelle, une Vera Icon. Bien entendu, une telle transformation n'est pas sans rapport avec la sublimation, laquelle élève la représentation imaginaire à la dignité de la représentation réelle. En quelque sorte, le visage de la Dame est comparable à la Sainte-Face. La Dame elle-même, la Dame du poète courtois, est une véritable image, une Vera Icon. En fait, l'image de cette Dame apparaît très souvent -nous le savons déjà- comme une véritable image de Notre-Dame, de la Sainte-Vierge -une image miraculeuse, bien entendu, comme celle à laquelle Hegel doit se référer aujourd'hui.

Si le Saint-Graal est un représentant symbolique devenu réel, le Saint-Vou -comme la Dame sublime- est une représentation imaginaire devenue elle aussi réelle, alors que le Saint-Chose peut être considéré comme une représentation réelle dès l'origine. Voici (tableau 23) les saints patrons du délire, ou de la causette comme Chose, de l'hallucination -ainsi que de la sublimation-, ou de la chosette comme Chose, et du réel en tant que tel, ou de la Cause du désir -l'objet a- comme Chose de jouissance.

Tableau 23. Vera Icon

Saint-Chose Saint-Vou (Vera Icon) Saint-Graal
-a=a (a+b)=a b=a
Réel Hallucination Délire
Cause comme Chose Chosette comme Chose Causette comme Chose

Dans le Catholicisme, les représentations imaginaires et les représentants symboliques deviennent très souvent des représentations réelles. Il y a, dans l'Église Catholique, une prolifération de représentations réelles qui ne sont pas acceptées comme telles par l'Église Réformée. C'est pour cela que le Saint-Vou de Dives-sur-Mer fut brûlé par les calvinistes. C'est également pour cela que l'existence du Saint-Graal serait inacceptable pour les mêmes calvinistes.

Dans la perspective calviniste et luthérienne, comment le Saint-Vou et le Saint-Graal pourraient-ils représenter réellement le corps du Christ, si même pas le pain de l'Eucharistie n'est accepté comme une représentation réelle de ce corps ? En effet, la représentation réelle, même en s'agissant du pain de l'Eucharistie, est rejetée dans l'Église reformée. Puisque ce rejet aura une grande influence dans la théorie lacanienne de la Chose, moyennant Kant et Hegel, ça vaut la peine qu'on s'arrête un moment et qu'on examine ce que Luther et Calvin ont à nous dire à ce propos.

Dans le quatrième livre de l'Institution de la Religion Chrestienne, de 1536, Calvin reconnaît que le corps et le sang du Christ "nous sont representez soubz pain et vin pour nous apprendre et monstrer que non seulement ils sont nostres, mais aussi qu'ils nous sont pour vie et nourriture"2. Voici des représentants symboliques de la Chose, certainement arbitraires, mais non pas immotivés. Par ces représentants symboliques, "par ces choses corporelles qui nous sont proposées aux sacrements, nous devons être conduictz, selon quelque proportion et similitude, aux choses spirituelles"3, voire à la Chose en tant que telle, cette "chose éternelle et immortelle" qu'est le Christ né, mort et ressuscité4. Vous avez ici une claire distinction calviniste entre les trois entités symbolique, imaginaire et réelle : premièrement les symboles corporels signifiants, le pain et le vin, ensuite ce qui est signifié dans l'imaginaire, défini par sa proportion et similitude avec la Chose, et finalement la Chose en tant que telle, réelle, éternelle et immortelle. Ainsi, du point de vue calviniste, le pain n'est qu'un représentant symbolique du corps du Christ. En effet, "il faut que le pain visible soit un signe, par lequel nous soit figuré le pain spirituel"5. Calvin utilise même le terme de symbole, lorsqu'il explique que si "le pain est appelé corps du Christ", c'est "d'autant qu'il est un symbole"6. Sur ce point, il affirme à l'encontre des catholiques : "Quiconque donc sera l'opiniastre qui vouldra icy insister, qu'il crie tant qu'il vouldra, que le pain est corps, que le vin est sang ! Je maintiendray au contraire, que c'est le Testament du corps et du sang"7 (tableau 24).

Tableau 24. Calvin.

Le corps et le sang du Christ. La Chose spirituelle, immortelle, éternelle. Vie et nourriture. Proportion, similitude, figuration. Le pain et le vin de l'Eucharistie. Signe visible, symbole corporel, testament du corps et du sang du Christ.

Quant à Luther, il lui arrive d'accepter que "deux êtres différents, le pain et le corps, soient donnés pour une seule chose ou un seul être dans ces paroles : 'ceci est mon corps'"8. Pour accepter cette représentation réelle du corps par le pain, Luther -selon ses propres termes- "tient contre toute raison et toute haute logique que deux êtres distincts peuvent bien être et s'appeler un seul être"9. Voici la distinction formelle, cette "contradiction" scotiste à laquelle doit "suffire" une certaine "unité" et "univocité"10 entre les pôles contradictoires, entre la Chose et sa représentation réelle, entre a et -a, entre le vent et la girouette de Peirce. Curieusement, Luther défend ici la représentation réelle, en dépit de son caractère irrationnel, que nous avons relevé depuis notre premier cours. Cependant, tout en défendant le caractère réel de cette représentation, Luther insiste sur le fait que la représentation ne peut être réelle qu'en vertu de la foi. Ceci revient à dire, dans un autre contexte, que la Dame n'est la Chose courtoise qu'en vertu de sa sublimation par l'amour courtois de son chevalier -et si je m'autorise pareille extrapolation, c'est parce qu'il y aura ici, chez Luther, un scepticisme qui me rappelle, dans l'amour courtois, celui de Jean de Meun, lequel, pas par hasard, ne put résister, dans sa continuation du Roman de la Rose, de dénoncer l'hypocrisie des prêtres et des moines de son époque.

Avec le même scepticisme de Jean de Meun, Luther, dès le début, lorsqu'il est encore un augustin inconnu, proclamera clairement : "C'est la foi, en laquelle réside la puissance du sacrement"11 ; c'est "la foi" qui "doit unir les deux choses", le pain et la "signification" du pain12. Ce même scepticisme à l'égard de la représentation réelle est celui qui se manifeste chez Calvin, et malgré Calvin, lorsqu'il parle de "ceste confiance indubitable que, en prenant le signe du corps, nous recevons pareillement le corps"13. À défaut de la certitude catholique, il faut cette confiance indubitable, cette croyance qui est si importante pour l'église réformée.

C'est évident que pour Luther, de même que pour Calvin, le pain, en tant que tel, n'est qu'un signe, voire une représentation symbolique. Dès le début, Luther distingue "trois caractères" dans l'Eucharistie (tableau 25). Premièrement, "le sacrement ou le signe", qui "doit être extérieur et visible, sous une forme corporelle". Ensuite, "la signification du Saint Sacrement", qui "doit être intérieure et spirituelle". Finalement, "la foi dans l'un et dans l'autre", qui "doit unir les deux choses"14, le signe et la signification du signe, voire "le sacrement reçu sous les espèces du pain et du vin" et "l'incorporation avec le Christ"15. Autrement dit, il faut la foi pour que le représentant symbolique devient réel -comme il faut l'amour du poète courtois pour que la Dame devienne réelle. À ce titre, le symbole, sans cesser d'être un symbole, il est également la Chose -comme la Dame, sans cesser d'être un objet imaginaire, elle est également la Chose courtoise.

À défaut de folie, il faut la foi pour délirer, pour croire que a = b -de même qu'il faut la sublimation de l'amour courtois pour halluciner, pour croire que (a + b) = a. Nous voyons bien que la signification de Luther est plutôt ce qui est dénoté par le représentant symbolique, c'est-à-dire le pragma et non pas le sèmaïnomenon des Stoïciens. C'est ainsi que le sèmaïnon pourra devenir le pragma grâce à la foi -aussi bien que grâce à la perversion, par exemple dans le fétichisme, comme nous pourrons le constater au moment opportun. Et c'est indubitable que ce pragma, comme incorporation avec le Christ, correspond à la confusion chosique entre le sujet et l'objet, voire la Chose amoureuse. Il nous rappelle ainsi le pragma platonicien, tel qu'il est se manifeste, d'après Lacan, dans l'Académie, dans la République ou dans l'Atlantide, dans cette "cité communautaire, tout à fait révoltante aux yeux de Platon comme aux nôtres"16. Ce n'est pas sans connaissance de cause que Luther compare le pain à "une marque distinctive donnant au citoyen la certitude qu'il est un membre de la communauté formé par la cité"17 -par cette cité communautaire chosique dont Luther et surtout Calvin, de même que Platon, voudraient bien être les directeurs.

Tableau 25. Luther.

Le corps et le sang du Christ. La signification du Saint Sacrement. Incorporation avec le Christ. Intérieure et spirituelle.

La foi.

Le pain et le vin. Le sacrement ou le signe. Extérieur et visible, sous une forme corporelle.

Pour vous situer, d'une manière non dépourvue d'un certain simplisme humoristique, dans la position protestante à l'encontre de la représentation réelle catholique, je vous recommande de lire l'article de Voltaire sur la transsubstantiation, dans son dictionnaire philosophique. Cette transsubstantiation, qui n'est rien d'autre qu'une représentation réelle du corps du Christ par le pain de l'Eucharistie, est -d'après les protestants qui parlent par la bouche de Voltaire- "si absurde, si contraire à toutes les lois de la physique, si contradictoire que Dieu même ne pourrait pas faire cette opération, parce que c'est en effet d'anéantir Dieu que de supposer qu'il fait des contradictoires. Non seulement un dieu dans un pain, mais un dieu à la place du pain ; cent milles miettes de pain devenues en un instant autant de dieux, cette foule innombrable de dieux ne faisant qu'un seul dieu ; de la blancheur sans un corps blanc ; de la rondeur sans un corps rond ; du vin changé en sang, et qui a le goût du vin...; et des prêtres, des moines qui (...) mangent et boivent leur dieu, chient et pissent leur dieu"18.

Les représentations réelles catholiques sont ainsi mises en question par les protestants. Sans aucune doute, cette mise en question, qui dénonce l'irrationalité des représentations réelles, sera à la base de la rationalité kantienne et hégélienne sur la représentation de la Chose, rationalité qui aura une influence décisive dans la conception lacanienne de la Chose qui nous occupe aujourd'hui.

Dans ses Leçons sur la philosophie de l'histoire, Hegel nous offre une intéressante réflexion sur la représentation réelle dans les Églises Catholique et Luthérienne. Selon ses propres termes, pour Luther "l'hostie n'est quelque chose et le Christ n'est reçu, que dans la foi en lui, l'hostie n'étant d'ailleurs qu'une chose extérieure, n'ayant pas plus de valeur qu'une autre". Par contre, pour les catholiques, "le Christ est représenté dans l'hostie comme présent". Il est donc réellement représenté. Ainsi, "le petit morceau de pain consacré par le prêtre est le Dieu présent"19. En effet, pour les catholiques, insiste Hegel, "l'hostie, cette chose, doit être adorée comme Dieu"20. La représentation doit être adorée comme ce qu'elle représente. Le représentant symbolique, l'hostie, devient ainsi, par un avatar délirant, la représentation réelle du corps du Christ. C'est exactement ce qui arrive avec le Saint-Graal.

Hegel remarque, à juste titre, que dans la religion catholique ce n'est pas seulement le représentant symbolique qui devient réel, mais aussi la représentation imaginaire -cette fois-ci par un avatar plutôt hallucinatoire. Ainsi, comme le Saint-Vou, "les images miraculeuses de Marie -dit-il- sont en leur genre des hosties, en procurant une gracieuse et favorable présence de Dieu"21. Voici la représentation imaginaire de la Chose, de cette Chose qu'est le corps du Christ, mais aussi celui de la Sainte-Vierge : le fils, mais aussi la mère, voire la Chose maternelle confondue avec le fils dans la Chose amoureuse.

Si les représentations imaginaires et symboliques deviennent réelles pour les catholiques, à plus forte raison, les représentations réelles, réelles dès l'origine, restent des représentation réelles (tableau 26). C'est le cas, selon Hegel, du "culte des reliques" ou des "restes terrestres sacrées", notamment au Moyen Âge22. Comme "restes mnésiques optiques" ou "restes mnésiques de Chose"23 (Erinnerungsreste von den Dingen) -pour le dire à la manière du Freud de 1923-, ces restes ou reliques n'ont pas eu besoin de devenir des représentations réelles, puisqu'elles étaient déjà, par définition, des représentations réelles de la Chose -en tant que Dingvorstellungen. Je vous rappelle, à ce propos, l'un de nos derniers cours, où l'objet a, en tant que représentation réelle, fut défini précisément comme un reste ou un reliquat, ainsi que comme une relique, à partir du "reliquat échappant au jugement"24, du Freud de 1895.

Tableau 26. Les représentations réelles catholiques selon Hegel.

Relique ou reste terrestre sacré Image miraculeuse de Marie Hostie
-a = a ( a + b ) = a b = a

Lorsqu'il s'occupe des croisades, Hegel continue à réfléchir à propos des reliques. Il rapporte comment "le suaire du Christ, la croix du Christ, enfin le tombeau du Christ devinrent les plus sublimes reliques". Et il souligne : "cependant c'est dans le tombeau que se trouve le véritable moment à proprement parler de la conversion, c'est dans le tombeau que s'évanouit toute la vanité du sensible"25. C'est dans la tombe vide du Christ, en effet, que les représentations du corps du Christ se montrent à nous telles qu'elles sont, uniquement imaginaires et symboliques, et non pas réelles. Plus précisément, dans la tombe vide du Christ, les croisés découvrent l'absence de la Chose, de la lettre a, dans son représentant symbolique, dans la lettre b. Ils découvrent ainsi l'objet a, que nous indiquons ici par -a. Cet objet a, qui n'est qu'un vide, se dévoile devant eux, comme la seule Dingvorstellung, la seule représentation réelle possible de la Chose, comme un trou, comme une cloaque -celle illustrée par la trompette puante d'Arnaud. En même temps, le lieu de ce vide, le Saint-Sépulcre, se montre comme ce qu'il est, un lieu vide, celui de l'Autre où manque l'être comme objet a, celui d'un représentant symbolique de la Chose où ce qui est représenté doit être absent.

Inutile d'insister sur le rapport intime entre le Saint-Sépulcre et le Saint-Graal. Tous les deux, pris dans son vide chosique, représentent réellement la Chose, ils présentent donc la vacuole, c'est-à-dire la seule présence possible de la Chose devant nous : sa présence, a, comme absence, -a, comme vide pour le désir, comme phallus en creux, comme castration.

À propos de la castration, le désir et le lien entre le Saint-Graal et le Saint-Sépulcre, peut-être faudrait-il rappeler une aventure de Lancelot à Corbenic, lorsqu'il trouve, dans le "Saint Cimètière", un sépulcre -certainement un Saint-Sépulcre, puisqu'il se trouve dans le Saint-Cimétière. Lancelot arrive donc au Saint-Sépulcre, et puis, pour "accéder au lieu de son désir"26 (ataindre la ou vous baés), il lève la dalle et "voit à l'intérieur le serpent le plus hideux", qui "lui crache au visage feu et flammes". Alors, "empoignant son épée, il lui en donne un tel coup, qu'il lui fait voler la tête"27 (il en fait la teste voler). Grâce à cette castration, Lancelot pourra voir le Saint-Graal et coucher avec la belle demoiselle qui le tient, la fille du roi Pellès, qui se fait passer, comme objet imaginaire, pour la reine Guenièvre. Élevée à la dignité de la Chose par Lancelot, cette reine apparaît comme la Chose maternelle dans sa version courtoise. Elle est donc une Dame de laquelle ne peut se détacher Lancelot, en accédant au lieu de son désir, que grâce à cette drôle de castration, la décapitation du serpent, qui coupe la Chose amoureuse en deux et permet à Lancelot de coucher avec une charmante demoiselle, un petit objet imaginaire, mais seulement parce qu'il la prend pour la reine Guenièvre, pour l'objet dernier de son désir.

Avant de continuer à travailler sérieusement avec Hegel, reposons nous encore un moment à Corbenic, où Lancelot accède au Saint-Sépulcre, au lieu de son désir et de sa castration, dans lequel il couche avec une demoiselle à la place d'une Dame élevée à la dignité de la Chose maternelle. Dans ce lieu, nous devons d'abord distinguer les deux femmes : d'une part il y a Guenièvre ou l'épouse du propre Père ou du propre Roi -Arthur-, l'objet de l'inceste interdit par le Père -par Arthur-, comme femme réelle, Dame, Chose maternelle -ou objet élevé à la dignité de cette Chose- ; d'autre part il y a la fille d'un autre Père ou d'un autre Roi -Pellès-, comme femme imaginaire, demoiselle, objet -non élevé à la dignité de la Chose-, objet imposé par le Père, par le Roi Pellès, qui dit à sa femme -pas par hasard à sa femme-, dès le début, à propos de Lancelot : "tout ce que je sais c'est qu'il passera la nuit avec ma fille"28. Dans ce même lieu, nous devons ensuite distinguer deux vases : d'une part le Saint-Graal, tenu par la fille du roi Pellès, c'est-à-dire la représentation réelle de la Chose, et donc sa présence, la présence d'une "chose sainte et digne de respect" (sainte cose et digne) ; d'autre part une "coupe qui était très grande et presque pleine"29 (la coupe estoit bien grans, si fu ele pres de plainne), pleine de la substance imaginaire qui deviendra représentation imaginaire de la Chose -pleine de la potion que Brisane, obéissant la volonté du roi Pellès, fait boire à Lancelot, afin qu'il couche avec sa fille en la prenant pour la reine Guenièvre. Toujours dans le même lieu, nous devons distinguer quatre présences de la même vacuole, quatre cavités ou vides chosiques : celui du Saint-Graal, duquel sortent "les parfums les plus délicieux" et "les mets les plus exquis qu'on pût imaginer"30 ; celui du vase de Brisane, duquel sorte la substance imaginaire de la représentation comme "poison bonne et douce"31 et comme "force qui monte dans la tête"32 (force montee el cervel) ; celui intérieur de la fille de Pellès, "fleur de la virginité détruite et gatée" (fleur de pucelage estainte el malmise) de laquelle sort le phallus imaginaire qu'est Galaad comme "fleur de chevalerie qui compensa sa perte"33 (fu fleur de cevalerie, et de perte restoree) ; et celui du Saint-Sépulcre, du sépulcre dans le "Saint-Cimétiere", comme "lieu du désir"34 de Lancelot, duquel sort le serpent phallique dont il coupe la tête. Il faudrait finalement relever que sur la dalle qui couvre ce Saint-Sépulcre, sur cette dalle qui renferme le lieu de son désir et de sa castration, Lancelot rencontre et lit, dans une inscription, la signifiance qui lui annonce son destin : "cette dalle ne sera levée que lorsque le léopard y portera la main, alors le grand lion sera engendré en la belle fille de la terre foraine"35. Après la castration ou l'avènement du signifiant, une fois que la tombe reste vide et que la signifiance de la dalle commence à s'accomplir, toute la représentation réelle de la Chose reste alors concentrée dans le vide, alors que le Saint-Sépulcre devient représentation symbolique de la Chose.

Revenons à Hegel. Pour lui aussi, le Saint-Sépulcre, lieu du désir des croisés, apparaît comme le représentant symbolique par excellence de la Chose. Or, cette Chose, chez Hegel, est le corps du Christ, un corps mort dans son représentant symbolique. Nous comprenons là cette idée mystérieuse que Hegel avait exprimée antérieurement, en traitant la religion grecque : "dans la religion chrétienne -disait-il-, l'apparition n'est considérée que comme un moment du divin. Le dieu qui apparaît, y meurt ; il est posé comme abolissant ; le Christ est représenté, seulement une fois mort, assis à la droite de Dieu"36.

Dans le tombeau du Christ, en tant que représentant symbolique de la Chose qu'est le corps du Christ, les croisés découvrent que la Chose n'est symboliquement représentée qu'en étant morte. Pour être symboliquement représenté, Dieu est obligé de mourir. Hegel l'affirme clairement : "c'est mort seulement" que le Christ peut devenir "esprit", c'est-à-dire "idée spéculative", voire symbole37. En fait, tout se passe comme si le représentant symbolique, b, était le responsable du meurtre de la Chose. Puisque ce meurtre produit l'absence de la Chose dans la parole, ainsi que sa perte dans l'objet et sa réduction au rien dans le sujet, nous l'indiquerons par -a, comme objet a, c'est-à-dire comme relique, reliquat ou reste qui tombe de la chaîne signifiante. Le signifiant reste alors vide, sans aucune signification réelle. Il reste vide comme le Saint Sépulcre -vide en tant que vacuole, vide précisément du vide signifiant de la Chose insignifiée, comme nous le constaterons plus loin.

Meurtrie par son propre symbole, c'est naturel que cette Chose qu'est le corps du Christ soit symboliquement représentable par son propre tombeau. Ici nous ne pouvons pas oublier que le tombeau est pour Hegel le prototype du représentant symbolique. C'est le cas, dans ses Cours d'esthétique, du symbole qu'est la pyramide égyptienne, une "représentation de ce qui est mort", une "laque extérieure en laquelle repose un intérieur caché", cet "intérieur comme négatif de la vie, comme ce qui est mort"38.

Dans une perspective hégélienne, la pyramide, en tant que tombeau, constitue le représentant symbolique de la Chose par excellence. Or, ce représentant symbolique ne représente ce qu'il représente que dans la mesure où ceci est mort. De même que le Christ, le pharaon devait mourir pour que la pyramide puisse le représenter symboliquement. Autrement dit, pour être symboliquement représentée par b, la lettre a devait mourir, elle devait être effacée, elle devait devenir -a et tomber de la chaîne signifiante. C'est bien entendu la passion du Christ. Il doit mourir pour être symboliquement représenté par son tombeau, mais aussi par la croix, par le pain ou par le Saint-Graal. C'est aussi la passion de tout sujet. Il doit mourir comme Chose, comme confusion chosique avec la mère, pour devenir la Chose qu'il est en tant que rien, comme sujet du signifiant qui doit manquer d'être pour pouvoir exister dans la chaîne signifiante -en étant symboliquement représenté par le Nom-du-Père. C'est également ce qui se passe avec le Christ, qui ne devient Dieu et qui ne peut s'asseoir à la droite de son Père qu'après sa mort, lorsqu'il devient le Logos d'Origène, après la passion de son corps, après l'effacement de son humanité chosique, indissociable de celle de la Sainte-Vierge.

Nous voici arrivés à trois états de l'être réel chosique, dans son rapport à l'être symbolique langagier, que nous devrons situer au centre de la théorie lacanienne de la Chose : la passion, le meurtre et l'effacement. Ces trois états, nous pouvons les résumer dans un seul énoncée : effacée par le signifiant, la Chose pâtit l'action meurtrière du symbolique.

8.1. La passion, l'effacement et le meurtre, ces trois états de l'être réel chosique, dans son rapport à l'être symbolique langagier, seront voilés par l'imaginaire. Le rien qui reste, le manque-à-être du sujet, l'absence de la Chose dans le sujet du signifiant, le vide à l'intérieur du Saint Sépulcre du Christ, l'objet a, comme -a, sera lui aussi voilé par l'objet imaginaire ou spéculaire, le moi idéal, cet i(a) qui guide les croisades jusqu'à la Terre Sainte.

Bien évidemment, ce que les croisés désirent, en dernier terme, c'est la Chose. Or, après sa passion, son meurtre et son effacement, cette Chose qu'est le corps du Christ, cette Chose est absente, perdue, réduite au rien. Dans la Terre Sainte, les croisés ne trouvent qu'une tombe vide. Comme le constate Hegel, à ce moment, devant la tombe vide, s'évanouit toute la vanité du sensible. C'est la déchirure du voile imaginaire. C'est, derrière i(a), l'angoissante manifestation du manque de la Chose, le manque de la lettre a. C'est -a, c'est l'objet a qui jaillit.

Avant l'évanouissement de toute la vanité mystique du sensible religieux, à laquelle se réfère Hegel, il y avait en Europe l'apogée de cette vanité. Ceci veut dire que dans la religion chrétienne, les représentations imaginaires de la Chose étaient prises plus que jamais pour des représentations réelles. C'est ainsi que les objets imaginaires, comme le Saint-Vou et les images miraculeuses de la Vierge, étaient sublimés ; oui, sublimés, c'est-à-dire élevés, comme la Dame du poète courtois, à la dignité de la Chose.

Nous voici à nouveau dans la problématique de la sublimation. Récapitulons avec Lacan :

a) On ne peut se représenter la Chose qu'en faisant opérer la sublimation. Or, puisqu'on ne peut représenter la Chose que par autre chose, qui est élevée par la sublimation à la dignité de la Chose, la Chose ne sera présente dans ses représentations qu'en tant que vide. Ainsi, Lacan peut affirmer : "Cette Chose, dont toutes les formes créées par l'homme sont du registre de la sublimation, sera toujours représentée par un vide, précisément en ceci qu'elle ne peut pas être représentée par autre chose -ou plus exactement, qu'elle ne peut qu'être représentée par autre chose"39.

b) Lacan soutient que "dans toute forme de sublimation, le vide sera déterminatif"40. En effet, pour qu'un objet puisse être élevé à la place de la Chose, cette place doit être et rester vide, afin qu'elle puisse être occupée par l'objet. La place sera vide en raison de l'irreprésentabilité de la Chose. Or, pour que la place reste vide, il faut qu'elle soit refoulée, évitée ou forclose. Puisque la Chose, la lettre a, n'est présente dans sa représentation, dans la Dingvorstellung, que comme vacuole, comme vide, comme objet a ou -a, et puisqu'à défaut de forclusion, d'évitement et de refoulement, elle serait présente comme Chose et elle remplirait ce vide, nous pouvons alors soutenir que la Chose elle-même est évitée, forclose et refoulée.

C) Enfin, la Chose, comme vide ou comme vacuole, est refoulée dans la sublimation artistique qui l'entoure, alors qu'elle est évitée dans les déplacements de la sublimation religieuse et forclose dans l'incroyance de la sublimation scientifique. D'après les propres termes de Lacan : "Tout art se caractérise par un certain mode d'organisation autour du vide... La religion consiste dans tous les modes d'éviter ce vide... Le discours de la science, en tant qu'il est originé pour notre tradition dans le discours de la sagesse, dans le discours de la philosophie, y prend sa pleine valeur le terme employé par Freud à propos de la paranoïa et de son rapport à la réalité psychique -Unglauben... De même que dans l'art il y a une Verdrangung, un refoulement de la Chose -que dans la religion il y a peut être une Verschiebung -c'est à proprement parler de Verwerfung qu'il s'agit dans le discours de la science. Le discours de la science rejette la présence de la Chose, pour autant que, dans sa perspective, se profile l'idéal du savoir absolu, c'est-à-dire de quelque chose qui pose tout de même la Chose tout en n'en faisant pas état... Ce qui est rejeté du symbolique reparaissant, selon ma formule, dans le réel... C'est bien quelque chose d'aussi énigmatique que la Chose qui se profile, au terme de la physique" 41.

La Chose qui se profile au terme de la physique, au terme de la science, est évidemment le vide chosique, la vacuole qui revient dans le réel. Cette vacuole correspond à l'Autre réel du sujet. S'il n'y avait pas eu de forclusion, le même vide serait le lieu de l'Autre symbolique ou de l'être symbolique langagier. Or, en raison de la forclusion, le vide n'est pas un lieu pour l'Autre symbolique, mais le lieu de l'être réel chosique absent dans le vide, c'est-à-dire le lieu de l'Autre réel dont le retour est imminent : le lieu de la Chose maternelle, de l'Autre qui désire l'objet qui lui manque, l'objet a, ce phallus imaginaire incarné par un sujet qui n'est pas vraiment un sujet, mais l'objet de l'Autre.

Nous arrivons ici, moyennant la forclusion paranoïaque et scientifique, à la Chose en tant qu'Autre réel, telle qu'elle fut introduite par Lacan le 9 décembre 1959. Il s'agit de la Chose maternelle comme l'étranger, le "Ding comme Fremde, étranger et même hostile à l'occasion, en tout cas comme le premier extérieur, autour de quoi s'oriente tout le cheminement du sujet". C'est ainsi "l'Autre absolu du sujet"42, "l'Autre préhistorique, l'Autre inoubliable qui risque tout d'un coup de nous surprendre et de nous précipiter du haut de son apparition" 43.

Je vous prie de vous arrêter un moment sur le fait que la Chose, en tant qu'Autre réel, soit le premier extérieur, absolu, préhistorique et inoubliable, autour duquel s'oriente tout le cheminement du sujet. Vous avez là, bien évidemment, non seulement la Chose forclose du scientifique et du paranoïaque, mais aussi la Chose refoulée de l'artiste -que nous verrons plus tard comme étant aussi propre de l'hystérique. Il semblerait alors que la Chose comme Autre réel n'est pas une catégorie spécifique de la paranoïa et de la sublimation scientifique, mais une catégorie existentielle générale. Ce qui serait spécifique de la science et des paranoïaques serait plutôt le retour de l'Autre réel qui fut rejeté par la forclusion. Quoiqu'il en soit, l'être réel chosique, cette fois-ci en tant qu'Autre réel, doit être encore distingué de l'être symbolique langagier, comme Autre symbolique.

Même si le lieu de l'Autre symbolique est celui de l'Autre réel -ce lieu vide où manque la Chose-, les deux Autres doivent êtres distingués. Ainsi, par rapport à l'Autre symbolique, la Chose, comme Autre réel, constitue cette "place" introuvable que Lacan désigne comme "Autre de l'Autre"44. On est donc en mesure d'énoncer, à guise de conclusion, que l'Autre symbolique, ou l'être symbolique langagier, en tant que lieu du signifiant où manque la Chose et où chemine le sujet, se distingue comme tel de l'être réel chosique, en tant qu'Autre de l'Autre ou Autre réel, premier extérieur, absolu, préhistorique et inoubliable, autour duquel s'oriente tout le cheminement du même sujet. Même si plus tard, lorsque nous établirons le caractère signifiant de la Chose, nous devrons mettre en question cette distinction, maintenant elle doit être accepté, dans la conception lacanienne de la Chose, non seulement à titre provisoire, mais comme une distinction formelle fondamentale, au moins à un certain niveau. À ce niveau, elle devra donc être conservée, bien qu'à un autre niveau plus profond ou plus abstrait, celui de l'indistinction qui suffit à la distinction -comme dirait Duns Scot-, elle devra être abandonnée.

8.2. En vertu de la métaphore paternelle, le lieu de l'Autre réel, qui est celui d'un phallus imaginaire masquant l'absence qui soutient le désir de la mère, devient le lieu de l'Autre symbolique, qui est celui du Nom-du-Père comme métaphore du désir de la mère. L'enfant comme objet du désir de la mère, comme phallus imaginaire, devient alors sujet du signifiant, sujet qui existe, sujet privé d'être.

Dans le passage de l'Autre réel à l'Autre symbolique, ou de l'être réel chosique à l'être symbolique langagier, il y a la naissance du sujet du signifiant. Ce sujet surgit à la place de l'Autre symbolique, à la place du Nom-du-Père, dans ce lieu où il y avait avant un phallus imaginaire, comme objet du désir de la mère, de l'Autre réel. Ainsi, le sujet qui existe, privé d'être, surgit à la place où il y avait avant l'être d'un objet confondu chosiquement avec le sujet-mère. Nous comprenons maintenant que le surgissement du sujet du signifiant, du sujet qui existe et qui manque d'être, puisse correspondre à ce que Lacan désigne comme effacement de la Chose, dans le séminaire sur L'identification.

Le passage de l'Autre réel à l'Autre symbolique s'accomplit au moyen de l'effacement de l'Autre réel par l'Autre symbolique. Le passage de l'objet du désir de la mère au sujet du signifiant est un effacement de l'objet de désir par le signifiant du Nom-du-Père. Ce n'est donc pas étonnant que Lacan puisse soutenir que "c'est lui, le sujet qui, en effaçant tous les traits de la Chose, fait le signifiant"45. En effet, c'est lui, le sujet divisé par le signifiant, le sujet qui existe dans la chaîne des prédicats, b1 + b2 + bn, c'est lui qui efface prédicativement la Chose qu'il est en tant que lettre a ou sujet indivisible de tous les prédicats.

L'effacement de la Chose a lieu dans le premier prédicat, dans b1. Il s'agit là de la première identification du sujet au signifiant, au signifiant sous sa forme la plus élémentaire, comme trait unaire, comme premier trait prédicatif qui dit quelque chose du sujet, de la lettre a, sans arriver à l'épuiser. Comme son nom l'indique, ce qu'il dit, se trait, c'est Un. Il dit qu'on peut être Un, que le sujet peut être Un, un sujet, sans être pour autant confondu avec l'Un réel de la Chose amoureuse, avec l'Un de Parménide et Damascius, avec l'Un de la totalité unitaire de l'être réel chosique, de la lettre a.

Le passage de l'objet au sujet apparaît maintenant comme un passage de l'objet à un seul trait de l'objet perdu, un seul prédicat du sujet a, le prédicat b1, auquel s'identifie le sujet du signifiant au moment de sa naissance. Le trait unaire constitue de cette façon le premier signifiant, le premier instant de l'existence du sujet. Il est une marque à laquelle s'identifie le sujet du signifiant, et par laquelle il peut se distinguer désormais comme Un différent de la Mère et de tout autre personne. En somme, le trait unaire est la première différence, b1, au sein de l'identité propre à la totalité unitaire de la Chose amoureuse, l'identité propre à la sphère d'Empédocle et du Timée, partout identique à elle même : a=a=a.

Comme première différence au sein de l'identité chosique, au sein du Même de la Chose, le trait unaire, en effaçant la Chose, il la fait apparaître comme Autre réel du sujet qui se distingue d'elle. Bien entendu, le sujet qui se distingue d'elle n'est ce qu'il est, d'emblée, que parce qu'il s'identifie à un trait d'elle, un trait ineffaçable ou irremplaçable, ce trait unaire dont rend compte le prédicat b1. Pour que la Chose puisse être distinguée comme Autre réel, et pour que le sujet distingué d'elle puisse exister dans la chaîne signifiante, il faut que le sujet distingue un trait de la Chose auquel il puisse s'identifier. Autrement dit, pour se distinguer de la Chose, il faut que le sujet divisé efface tout dans la Chose, tout dans le sujet de tous les prédicats, sauf son Un de sujet, sauf le trait unaire, sauf le prédicat auquel il s'identifie, b1, comme son premier instant ou le déchaînement de la chaîne signifiante où il existe. Cet effacement inaugure ainsi la tension entre l'existence et l'être, entre le sujet et l'objet, entre la différence et l'identité, entre l'Autre et le Même, c'est-à-dire, d'après les termes de Lacan, "la tension créée par ce rapport à l'Autre, laquelle s'origine en ceci, de l'avènement du trait unaire, en tant que d'abord et pour commencer, de la Chose il efface toujours ce quelque chose, tout autre chose que cet Un qui a été à jamais irremplaçable" 46.

La Chose est effacée, ou hors signifiée, parce qu'un trait d'elle, le trait unaire, l'Un du sujet, le premier signifiant, doit l'effacer pour se distinguer d'elle. Le signifiant n'est alors qu'un effacement. C'est pour cela qu'il est frappé de cette insignifiance que nous avons appelé objet a. Cette insignifiance, comme effacement de la Chose qui devrait être signifiée par le signifiant, indique la Chose privilégiée qu'est le sujet du signifiant en tant que rien, en tant qu'il existe dans la chaîne signifiante, en tant qu'il manque d'être. Cette insignifiance, comme rien ou comme effacement de la Chose, est indissociable du vide chosique, celui du désir de l'Autre réel, devenu le lieu de l'Autre symbolique.

Une fois que la Chose est effacée par le signifiant, une fois qu'elle est réduite à cette Chose privilégiée qu'est le sujet en tant que rien, et une fois qu'il y a le vide et l'insignifiance où il y avait la Chose, le sujet du signifiant peut enfin mettre à la place de la Chose insignifiée l'objet signifié qu'il a élevé, par la sublimation, à la dignité de la Chose. De cette manière, le sujet peut arriver à compenser le manque de la Chose qu'il doit effacer pour exister. La sublimation apparaît ainsi comme une compensation du vide, mais une compensation conditionnée par le même vide qu'elle compense. Par là, c'est assez clair que le sujet du signifiant, le sujet qui existe dans la chaîne signifiante, peut élever son objet signifié à la dignité de la Chose insignifiée (7.1) parce qu'il fait le signifiant en effaçant la Chose -et en devenant, par cet effacement, la Chose privilégiée qu'il est en tant que rien (6.4), comme insignifiance de l'objet a (4.5).

8.3. Le signifiant efface la Chose. Le sujet fait le signifiant en effaçant la Chose. Or, une fois qu'il accomplit cet effacement, la Chose effacée, absente, perdue et réduite au rien, devient son objet ultime de désir. Une fois qu'il a effacé la Chose, le sujet veut récupérer ce qu'il a effacé. Il veut donc effacer cet effacement, b1. En quelque sorte, il arrive à l'effacer.

Le verbe effacer contient la particule "face" et le préfixe ef-, qui veut dire privation ou changement d'état. Si b1 prive de la Chose et change sa face, le signifiant suivant, b2, en effaçant b1, ne permet pas de récupérer la Chose effacée. Il ne permet que de se priver et de changer la face de b1. Le sujet n'a donc maintenant que b2. Il est alors encore plus loin de la Chose. Alors il efface son dernier effacement et il arrive a b3, et ainsi de suite, chaque fois plus loin de la Chose. Voici les traces que Perceval suit en sortant du château du Roi-Pêcheur. D'après notre chevalier, chaque trace le conduit vers la Chose, laquelle, en réalité, reste derrière lui, chaque fois plus loin.

Au moyen des déplacements métonymiques de b1 à b2 et de b2 à b3, le sujet cherche à effacer les effacements du premier prédicat, b1, lequel effaça la Chose par une métaphore, en isolant un trait de la Chose auquel s'identifie le sujet.

Chez Perceval, le Saint-Graal est peut-être le premier représentant de la Chose qu'est le corps du Christ. Le Saint-Graal isole un trait de cette Chose, le fait de contenir le sang du Christ, et il peut ainsi le représenter de manière métaphorique. En contenant le sang du Christ, le Saint-Graal est une métaphore du corps du Christ. Or, le Saint-Graal, en devenant un simple représentant symbolique, il ne présente plus ce corps, il ne contient plus le sang, il est vide du sang. Le graal, comme représentant symbolique du Christ, comme b1, est une trace vide, celle de la Chose, ou plutôt celle de l'absence de la Chose, de la vacuole, comme -a, comme objet a.

Nous avons donc le b1 auquel s'identifie Perceval, le graal comme contenant de sang, comme métaphore de la Chose qu'est le corps du Christ ou de la Sainte-Vierge, du Fils ou de la Mère, de Perceval ou de sa mère. Or, comme représentant symbolique, le graal est vide, il est une trace vide. Ainsi, comme un premier effacement de la Chose (8.2), le graal qui la représente symboliquement, ce graal en tant que trait unaire n'est qu'un trait signifiant de cette Chose, un trait isolé, une marque distinctive, celle de l'Un de la totalité unitaire chosique, en même temps qu'une trace, une trace vide, comme celle du Saint-Sépulcre.

Le premier prédicat est une trace vide qui représente bien l'Autre réel et son désir, par exemple ce désir de la mère de Perceval, cette mère qui désire son enfant jusqu'au point de mourir en le voyant partir. La mère désire parce qu'elle reste vide, aussi vide que la maison de Perceval. N'oublions pas que sa perte, d'après l'ermite, est indiscernable de celle du Saint-Graal et du Christ pour Perceval. D'ailleurs, de même qu'elle, le graal, comme b1, n'est qu'un vide, une trace.

Le graal est la trace vide de la Chose. Il est la première trace vide, b1, à laquelle s'identifie Perceval et à partir de laquelle toutes les autres traces s'ensuivent, par des déplacement métonymiques : b2, le château vide, et ensuite b3, b4, bn, les traces suivies par Perceval à travers la forêt. Et après ces traces nous avons les aventures du chevalier, chacune effaçant à sa manière l'effacement antérieur, des traces sur des traces, afin d'atteindre cette Chose, ce corps du Christ réellement représenté par le Graal, qui ne cesse pourtant d'être effacée constamment par ce qui subsiste toujours de la première métaphore, b1, dans les métonymies b2, b3, bn, c'est-à-dire dans les aventures de celui qui la cherche. Les aventures, au lieu d'approcher Perceval au Christ ou au Saint-Graal, ne servent qu'à l'éloigner et le distraire. Les traces restent toujours vides, aussi vides que la maison de Perceval, aussi vides que le Graal et la mère de Perceval, aussi vides que le Saint-Sépulcre et que les églises ou Perceval n'a pas le temps d'entrer. S'il entrait, alors le représentant symbolique ne serait plus vide. Nous comprenons que le manque du Graal est indissociable de celui du sang dans le Graal, ainsi qu'il est indissociable du manque du Christ dans le coeur du chevalier, ou du manque du chevalier dans l'église, ou dans sa maison ou dans sa mère, celle-ci comme Autre réel.

Comme le Graal en tant que contenant du sang du Christ, le trait unaire est le premier d'une série d'effacements qui se succèdent. À partir de ce trait unaire, à partir du premier effacement de la Chose par une métaphore, les effacements s'enchaînent métonymiquement dans la chaîne signifiante. Chaque effacement efface le précédent, de manière métonymique, ainsi que la Chose de l'origine, de manière métaphorique. Or, chaque effacement, d'après Lacan, cherche en vain à "retrouver ce qu'il y a de réel à l'origine". La Chose ne cesse pas d'être effacée par des effacements qui ne veulent qu'effacer les effacements antérieurs de la Chose a fin de retrouver cette Chose effacée. Voilà, pour Lacan, "le sens le plus profond du comportement sommaire, exemplaire de l'obsessionnel, ce sur quoi il revient toujours, sans jamais bien entendu pouvoir en abolir l'effet -car chacun de ses effets pour l'abolir ne fait que le renforcer"47.

Dans la névrose obsessionnelle, et dans la névrose en général, la Chose reste invariablement effacée. Dans cet effacement, aucun objet de désir est aussi ignoré que celui du névrosé. Aucun sujet ignore donc autant ce qu'il désire que le névrosé. Le vide signifiant de sa Chose reste effacé, évité, éloigné, ignoré, vacuole derrière ces portes qu'il ne se permettra jamais d'ouvrir. Entre ces portes, il peut y avoir, bien évidemment, la porte d'un analyste, évitée systématiquement par le névrosé. Dans cette évitation, la névrose, comme dirait Assoun dans son dernier bouquin sur Lacan, "est une lâcheté envers l'ordre du désir", alors que "l'analyse suppose la confrontation avec la Chose"48. Le névrosé qui n'entrera pas dans le cabinet de l'analyste ou dans tout autre lieu qui puisse fonctionner comme cabinet de psychanalyste, le névrosé qui évitera cette cavité, ce vide signifiant, ressemble au Perceval qui n'entre pas dans les églises, qui les évite, et qui ne cesse pas de chercher minutieusement en-dehors d'elles, ou en-dehors de sa maison et du château du Roi-Pêcheur, ce qu'il y a seulement à l'intérieur.

Malgré l'intention de l'atteindre, le vide de la Chose, qui est celui du Saint-Graal et du Saint-Sépulcre, est toujours évité par les déplacements métonymiques du névrosé, qui ne cessent jamais de l'effacer. En ceci, la névrose, et particulièrement la névrose obsessionnelle, procède comme la sublimation religieuse, où chaque objet obsessionnel, élevé à la dignité de la Chose, ne sert qu'à éviter la vacuole. Ainsi, le vin, élevé à la dignité du sang du Christ, ne sert qu'à éviter le vide à l'intérieur du graal ou le sang manque. En étant sublimé, le vin efface en quelque sorte ce vide que le croyant évite, cette vacuole qui est son propre vide comme sujet du signifiant. Et pourtant, dans le vin sublimé, ou consacré, on veut effacer toute autre détermination signifiante du vin, pour que celui-ci devienne dans notre corps le sang réel du Christ et finalement notre propre sang, assurant ainsi notre communion avec le Christ. Le signifiant sang efface le signifiant vin pour retrouver ce qu'il y a du réel à l'origine. Or, ce qu'il y a du réel à l'origine ce n'est pas le sang, mais le vide chosique effacé par le sang aussi bien que par le vin. Ce qu'il y a de réel à l'origine c'est la vacuole que les catholiques évitent systématiquement, ce vide qui est toujours le même vide, celui du Saint-Graal, celui du Saint-Sépulcre du Hegel, celui du signifiant et du sujet du signifiant.

8.4. Lisons un passage où Freud établit ses correspondances entre les formes de la névrose et celles de la sublimation : "On ne peut méconnaître que chacune des formes de la névrose laisse percevoir les plus fortes résonances avec les créations suprêmes de notre culture. L'hystérique est un indubitable poète...; le cérémonial et les interdits du névrosé de contrainte nous obligent à juger qu'il s'est créé une religion privée, et même les formations délirantes des paranoïaques montrent une ressemblance externe et une parenté interne avec les systèmes de nos philosophes. On ne peut se défendre de l'impression qu'ici les malades entreprennent d'une manière asociale, les mêmes tentatives pour résoudre leurs conflits et apaiser leurs pressants besoins que celles qui s'appellent poésie, religion et philosophie quand elles sont effectuées d'une manière acceptable pour une majorité"49.

Nous acceptons ici, avec Lacan, les correspondances tracées par Freud. Nous nous permettons, quand même, un changement de fond dans une des formulations de ces correspondances. Puisque nos philosophes ne sont pas les mêmes que les philosophes de Freud, nous ne pourrons pas admettre la correspondance, voire "la ressemblance externe et la parenté interne", entre "les formations délirantes des paranoïaques" et "les systèmes de nos philosophes". Nous accepterons plutôt la correspondance lacanienne entre la paranoïa et la science -tout en acceptant d'inclure, dans cette science, les constructions métaphysiques de quelques physiciens de notre époque, ainsi que les systèmes de plusieurs philosophes de la nature qui appartiennent peut-être à l'ensemble privilégié des philosophes de Freud. En même temps, nous réserverons les systèmes de nos philosophes pour les faire correspondre, à la fin de notre cours, avec la mélancolie.

Pour le moment, nous devons nous occuper seulement des couples lacaniens obsession-religion, hystérie-art et paranoïa-science. Commençons donc par ce que nous avons déjà commencé, par le premier couple.

La proximité entre la religion et la névrose, ou plus particulièrement entre la religion et la névrose obsessionnelle, fut souvent signalée par Freud. Relevons quatre exemples, un pour chaque décennie :

a) En 1907, entre "le cérémonial névrotique et le rite religieux", dont la base est le même "renoncement à certaines notions pulsionnelles", il y a "en commun, les remords anxieux en cas d'omission, l'isolement complet par rapport à toute autre occupation, la scrupulosité dans l'exécution du détail"50.

b) En 1919, nous le savons déjà, "le cérémonial et les interdits du névrosé de contrainte nous obligent à juger qu'il s'est créé une religion privée".

c) En 1927, la religion est une "névrose universelle" qui "dispense de la tâche de former une névrose personnelle"51.

d) En 1939, "les phénomènes religieux ne sont accessibles que d'après le modèle de symptômes névrotiques bien connus de l'individu"52.

Si nous voulons bien accepter la névrose comme une sorte de religion privée, ou bien la religion comme une sorte de névrose publique ou universelle, et si à cet effet nous envisageons les phénomènes religieux comme des symptômes névrotiques, alors nous pourrons comprendre, comme s'il s'agissait d'un cérémonial névrotique sur la base du renoncement pulsionnel, ce rite religieux qui consiste dans l'effacement de la Chose et l'effacement de son effacement, et ainsi de suite, dans une tension permanente qui assure le déplacement pulsionnel, le long de la chaîne signifiante des effacements, autour de cette Chose effacée, voire évitée, bien que toujours cernée -en raison de la sublimation- par les buts de la pulsion.

La tension obsessionnelle-religieuse entre l'effacement de la Chose et l'effacement de son effacement -voire entre les omissions et les remords anxieux-, cette tension, telle qu'elle se manifeste dans le sacrement de l'Eucharistie, est bien exprimée -avec une certaine scrupulosité du détail- dans un villancico de Sor Juana Inés de la Cruz : "Que ceux qui ont faim, viennent et ils trouveront l'épi, la farine et le pain. Pour ceux qui ont soif, amour a préparé les raisins, le vin et le moût. -Ils n'en trouveront pas ! -Si, ils en trouveront. -Non, il n'en trouveront pas, il n'en trouveront que de la Chair et du Sang, et non du pain et du vin"53 (Los que tienen hambre, vengan y hallarán, espiga, harina y pan. Los que tienen sed, Amor les previno, uvas, vino y mosto. -¡No hallarán! -¡Sí hallarán! -¡No hallarán, sino Carne y Sangre, y no Vino y Pan!). On voit bien comment l'effacement du vide, le vin et le pain, est effacé par l'effacement de l'effacement, la chair et le sang qu'on veut trouver, lequel ne cesse pas d'effacer le vide qu'effaçaient déjà le vin et le pain qu'on ne veut pas trouver. Le vide est ce qu'on ne trouve jamais, il est la Chose toujours évitée par les déplacements de l'obsession religieuse. Grâce au déplacement du vin au sang, même si le vin manque dans le graal, il y aura toujours en lui cette présence du sang spirituel, comme simple air, qui permettra au croyant d'oublier ce vide de la Chose, ce vide qui le constitue comme sujet du signifiant, comme cette Chose privilégiée qu'il est en tant que rien. Voilà comment, dans l'obsession religieuse, le sang du Christ est un moyen plus sûr que le vin pour nous empêcher de voir ce vide que nous évitons. C'est pourquoi, d'ailleurs, l'opiomanie catholique, où le graal ne se vide jamais, peut nous réussir mieux que l'alcoolisme.

Reprenons Sor Juana : "Pour ceux qui ont soif, amour a préparé les raisins, le vin et le moût. -Ils n'en trouveront pas ! -Si, ils en trouveront. -Non, il n'en trouveront pas, il n'en trouveront que du Sang". Il s'agit d'effacer les raisins, le vin et le moût, afin que le Saint-Graal, en étant rempli seulement du Sang du Christ, puisse être vraiment le Saint-Graal -afin qu'il puisse représenter réellement la Chose, en comportant la présence de ce qu'il représente. En exigeant la présence réelle du Sang du Christ, le Saint-Graal exclut donc la présence réelle des raisins, du vin et du moût. Sor Juana insiste : il ne faut trouver que du Sang, il ne faut pas trouver les raisins, le vin et le moût. C'est peut-être pour cela que les vignes, qui "abondaient dans la Grande-Bretagne, toutes crevèrent (defallirent) quand furent découvertes les merveilles du Graal"54.

En effaçant le vin avec du sang spirituel, le graal vide de vin, comme -a, pourra devenir, comme Saint-Graal, la représentation réelle de la Chose, du corps du Christ. De même, en effaçant le corps de Jésus dans son sépulcre, ce sépulcre vide d'un corps humain, comme -a, pourra devenir, comme Saint-Sépulcre, la représentation réelle du corps du Christ ressuscité. Le Saint-Graal vide est ainsi équivalent au Saint-Sépulcre vide. Ce n'est pas par hasard que chez Robert de Boron, Joseph d'Arimathie, qui est tenu pour responsable de la disparition ou l'effacement du corps du Christ, soit également celui qui efface le Saint-Graal, qui le "cache" d'abord "dans sa maison en le dérobant aux yeux de tous"55, qui le "couvre" ensuite de ce "linge"56 qui deviendra, dans la Quête du Saint-Graal, une "étoffe en soie blanche"57. Cette étoffe, ce linge, de même que le pain et le vin, ne sont que des objets non-réels qui ont pour fonction d'effacer la Chose réelle, de voiler son vide, celui du Saint-Graal, qui représente réellement la Chose. Or, en étant sublimés ou élevés à la dignité de la Chose, le pain et le vin, en s'effaçant eux-mêmes comme pain et comme vin, ils prétendent présenter ou représenter réellement ce qu'ils effacent.

En effaçant le vide chosique, le pain et le vin peuvent être un moyen religieux-obsessionnel pour éviter ce vide. Élevés par la sublimation à la dignité de la Chose, les espèces eucharistiques sont ainsi des représentations imaginaires qui permettent d'éviter la présence ou la représentation réelle de la Chose, en tant que vacuole ou cavité à l'intérieur de Graal -un Graal dont "la signification proprement phallique", en tant que "pénis en creux", attira l'attention de Lacan, lorsqu'il commentait un cas de Bouvet58. En voilant cette cavité phallique, le pain et le vin protègent le sujet contre l'angoisse, en le protégeant contre toute éventualité de rencontre de l'objet a, c'est-à-dire du phallus ou de la castration -dans la mesure où "la rencontre avec la Chose c'est aussi, inséparablement", comme l'indique Juranville, une "rencontre avec la castration"59. En quelque sorte, la hostie sainte, sublimée par l'obsession religieuse, arrive à se substituer à la représentation réelle, à l'objet a comme -a, comme phallus qui manque, en l'effaçant afin de l'éviter, afin d'éviter son vide. Pour illustrer cela, il suffit d'évoquer le fantasme d'un obsessionnel de Lacan, avec "son partenaire qui représentait pour lui, momentanément du moins, ce complémentaire si satisfaisant -faire jouer dans le coït un rôle à l'hostie sainte, en tant que, mise dans le vagin de la femme, elle se trouverait chapeauter le pénis du sujet au moment de la pénétration"60. Nous voyons ici le vagin qui se révèle comme Graal, et son angoissante cavité, celle de la castration de l'homme, celle du phallus comme indice de la Chose, évitée par la hostie, par ce godemiché, par ce produit postiche de la sublimation réligieuse-obsessionnelle.

Le pain et le vin de l'Eucharistie sont élevés à la dignité de la Chose. Il sont donc sublimés. Cette sublimation religieuse, qui cherche à transformer la représentation non-réelle en une représentation réelle, évite pourtant un aspect essentiel de la représentation réelle, à savoir le vide, l'absence, la négativité de -a, qui reste manifeste dans le Saint-Graal, mais non pas dans ce qui le remplit, dans ce qui est ainsi élevé à la dignité de la Chose, comme c'est le cas du vin et du pain de l'Eucharistie.

Quels qu'en soient les modes et les déguisements imaginaires, le vide représente réellement la Chose, alors que ce qui remplit ce vide ne la représente que de manière imaginaire ou symbolique, par autre chose qui se met à la place de la Chose, à la place du vide, pour être élevée ici à la dignité de la Chose réelle. Voilà notre distinction entre la sublimation, la Sublimierung, et la représentation réelle, la Dingvorstellung : la représentation réelle présente la Chose qu'elle représente, ce qui n'est possible qu'en présentant son absence comme vide ou -a, tandis que la sublimation ne présente pas la Chose, qu'elle ne représente que de manière non-réelle, mais elle met sa représentation non-réelle à sa place, en la sublimant, en l'élevant à la dignité de la Chose qu'elle représente.

Dans la représentation réelle nous avons donc un vide qui représente réellement la Chose, alors que dans la sublimation nous avons une autre chose qui représente la Chose de manière non-réelle. Comme François Regnault le remarque, dans le cas où le vide représente la Chose, "on est plutôt du côté de la logique, du réel", alors que dans le cas ou c'est autre chose qui la représente, "on est plutôt du côté de la représentation, de l'art"61, par exemple l'art de la poésie courtoise, qui met cette autre chose qu'est la Dame à la place de la Chose courtoise, de Notre-Dame. C'est le même cas de la chanson où Sor Juana mettra ces autres choses que sont l'épi, la farine et le pain, ainsi que les raisins, le vin et le moût, à la place du corps et du sang du Christ, dont la représentation réelle, comme le Saint-Graal, ne peut que faire le tour et présenter le vide. Et pourtant, cette présentation du vide où manque la Chose, le vide comme -a ou représentation réelle du corps du Christ, ne caractérise pas seulement le Saint-Graal ou le Saint-Sépulcre des croisés de Hegel, mais aussi des créations artistiques, issues de la sublimation, notamment en peinture et architecture. Sur ce point, n'oublions pas, chez Lacan, "le vide sacré" auquel il se réfère lorsqu'il parle à propos de la cathédrale Saint-Marc et du sens de "l'architecture primitive", qui est "le vrai sens de toute architecture", celui de "s'organiser autour du vide"62. Or, en plus de la représentation réelle comme vide sacré, il y a ici, dans cette organisation autour du vide, de l'art, mais aussi de la religion. Les deux termes semblent en fait indissociables, aussi bien au niveau de la représentation réelle de la Chose, comme vide sacré, qu'au niveau de sa représentation non-réelle sublimée qui puisse remplir ce vide.

Nous ne pouvons pas nous résister ici à évoquer une idée hégélienne soulignée par Regnault, qui la considère "assez proche" de Lacan, et d'après laquelle, "puisque l'art sort de la religion, ce qui est au centre, c'est (...) Dieu, ou le divin"63. Ainsi, lorsque Sor Juana chante pour "la belle construction" de l'église de San Bernardo, à Mexico, elle ne peut la définir que comme cette "enceinte spacieuse" où le Christ, présent dans l'hostie, "s'offre comme victime et se savoure comme dans le lit nuptial"64 (se ofrece como víctima y se goza como en el tálamo).

Dans une église, le pain sublimé, ainsi élevé à la dignité de ce corps du Christ dont Sor Juana jouit comme dans le lit nuptial, évite le vide que l'édifice entoure. Pour pouvoir sublimer le pain, en évitant la vacuole, il faut s'affronter à l'absurde que Voltaire dénonçait dans son article sur la transsubstantiation : "de la blancheur sans un corps blanc ; de la rondeur sans un corps rond..."65. Pour ironiser à propos de ces énormités, il suffit d'avoir l'esprit de Voltaire. Or, pour les défendre et les justifier, il faut plus, il faut l'art sublime d'une religieuse comme Sor Juana. Je voudrais bien vous lire le meilleur exemple, que j'ai trouvé chez cette poétesse, d'élévation de la hostie à la dignité de la Chose. Il s'agit d'une chanson -si j'ose dire- érotique-religieuse, une chanson pleine de calembours et de jeux de mots, où vous retrouverez plusieurs manifestations de notre Chose, telles que l'être de jouissance, l'objet dernier de notre désir ou ce qui est voilé par l'imaginaire : "Si Dieu est contenu dans le Sacrement, il est content d'y être contenu (allí está contento de estar contento). Dans un petit cercle, bien que Dieu soit immense, je le vois concentré si je m'approche de la forme (le miro abreviado si me acerco, a cerco). Il est la cible souveraine de nos désirs (Blanco es soberano de nuestros deseos), et si ma foi le vise, j'atteins mon but. Bien qu'un voile couvre son pouvoir suprême, je le dévoile car à travers ce voile je le veille (Aunque velo cubre su poder supremo, le descubro porque en su velo, velo). Il veut être dissimulé aux sens, bien que pour en jouir, je le souhaite d'un ardent désir (por gozarlo, con anhelo, anhelo). Comme je ne le vois pas, même si je ne cesse de le regarder, j'aspire avec force à le voir par la foi (de la fe, la vista, con aliento, aliento). Je me méfie des yeux, et je ne crois qu'en l'âme, et c'est avec fermeté que je veux les réfuter."66. Voici la Chose que Thibaut ne pouvait "voir" qu'avec "les yeux du coeur, car ceux de son visage étaient trop loin d'elle"67. Naturellement, pour élever une hostie à la dignité de la Chose qu'est le corps du Christ, il faut ne pas voir avec les yeux, mais seulement avec le coeur. Pour ne pas voir le vide de la Chose, il faut ne pas voir, ou voir avec le coeur.

Il suffit d'entrer dans une grande cathédrale gothique, se promener dedans et voir avec nos yeux du visage, voir un peu vers le haut, pour se rendre compte que les croyants sont aveugles à l'égard de la vacuole, qu'ils ne sont pas très conscients du vide qu'ils évitent... Je me rappelle d'avoir entendu, quand j'étais enfant, une petite blague qui expliquait la hauteur des cathédrales gothiques. Elles seraient si hautes afin que le Très-Haut puisse entrer. En vérité, pour un croyant, ceci n'est pas une blague. Le Très-Haut remplit effectivement le vide immense d'une église qui est sa demeure, en tant que Maison du Seigneur.

La Chose, comme Seigneur, est présente à l'intérieur de l'église. Elle est présente comme Amour, comme esprit, dans le vent psychotrophe d'Hésiode, dans l'air qui fait bouger la girouette de Peirce, l'air du ciel, du ciel qui est l'élément du Seigneur. Sor Juana pourra ainsi chanter : "Celui qui marche sur les nuages, Séraphins et Chérubins, est Amour et se reconnaît à travers l'air, dans l'air..., il n'est pas étonnant que l'on juge tout le ciel par l'air, car ces palais immatériels ne se construisent que par la volonté de Dieu"68 (Ése que pisa las nubes, Serafines y Querubes, es Amor, y se conoce conoce, por el aire, en el aire..., no es novedad que se juzgue todo el cielo por el aire, que esos palacios no materiales se hacen teniendo a Dios delante).

Nous retrouvons ici la Chose qu'on pourrait appeler aérienne : celle qui remplit l'intérieur d'une église, celle où s'envolent Perceval et le Saint-Graal aussi bien que le corps du Christ et celui de la Sainte-Vierge, celle de la démonomaniaque de Macario, celle qui remplit tout vase vide selon Hermès Trismegiste, celle qui remplit donc le Saint-Graal, celle réellement représentée par la girouette de Peirce. Pour vous aider à concevoir cette Chose aérienne, je n'ai trouvé rien de mieux qu'une entité abstraite divine de la philosophie aztèque. Il s'agit de Yohualli-Ehecatl, dont la signification littérale est nuit-vent, c'est-à-dire invisible comme la nuit et impalpable comme le vent. Dans ce caractère invisible et impalpable de la Chose aérienne réside l'impossibilité de la percevoir, de l'imaginer ou d'avoir d'elle une représentation imaginaire qui soit vraiment sa représentation imaginaire -celle du Ding et non pas celle de la Sache. Irreprésentable en tant que telle dans l'imaginaire, la Chose aérienne, comme Yohualli-Ehecatl, constitue une des variantes d'Ometeotl, en tant que celui-ci -d'après León-Portilla- "dépasse le monde de l'expérience qui est conçu de façon imagée comme 'ce qui se voit et se palpe'"69. Ce monde imaginaire de l'expérience, dont l'origine est spéculaire chez Lacan, aura également chez les aztèques un origine spéculaire. En effet, le réel d'Ometeotl, en tant que Yohualli-Ehecatl ou invisible est impalpable, se "cache" derrière l'imaginaire spéculaire qui recouvre le monde, celui de Tezcatlipoca, comme "miroir qui enfume", et de Texcatlanextia, comme "miroir qui fait apparaître les choses"70. Tout ce qui nous apparaît, par conséquent, n'est que des images spéculaires qui voilent la Chose réel qu'est Ometeotl, comme nuit et vent.

Je résumerai pour vous quelques attributs d'Ometeotl, afin que vous puissiez constater qu'en plus d'être invisible et impalpable, il se caractérise par d'autres attributs qui définissent notre Chose -notamment le fait qu'en elle se confondent le sujet et l'objet (tableau 28) :

Tableau 28. Ometeotl, la Chose aztèque.

Yohualli-Ehecatl : nuit-vent ou invisible-impalpable Texcanextia (miroir qui enfume) et Tezcatlipoca (miroir qui fait apparaître les choses) Celui qui voit, celui qui palpe
Moyucoyatzin : confusion entre l'agent et l'objet de l'action, entre le Seigneur et la Dame Objet de l'action, Dame Agent, Seigneur
Chose inaccessible, Chose amoureuse, confusion entre la mère et le fils Objet imaginaire, narcissique, spéculaire Sujet du signifiant

a) Comme Yohualli-Ehecatl, il est -vous le savez déjà- l'invisible et l'impalpable, caché derrière l'imaginaire spéculaire du visible et du palpable, de même que la Chose aérienne, de même que la Chose réelle derrière le voile imaginaire du narcissisme spéculaire.

b) Comme Ipalnemohuani, il est "celui par qui l'on vit"71, de même que la Chose maternelle, en tant qu'objet ultime de désir et fruit de l'arbre de la vie.

c) Comme tel, comme Ometeotl, il a "fonction de mère et de père", de même que notre Chose en tant que Notre-Dame et Notre-Père, en tant que la Sainte-Vierge et Dieu-le-Père du Christ, dans la double nature humaine et divine du corps du Christ.

d) Comme Moyucoyatzin ou "celui qui se pense lui-même", il est agent et objet de l'action, Seigneur et Dame, ou bien, d'après León-Portilla, "il est tout ensemble sujet et objet"72, de même que la Chose amoureuse en tant que confusion incestueuse entre le sujet et l'objet, entre la mère et son fils.

e) Comme tel, comme Ometeotl, il est "omniprésent"73, de même que la totalité de notre Chose amoureuse.

f) Comme In Tloque in Nahuaque, il est "le maître de ce que qui est près et de ce qui est autour"74, comme la Chose entourée par la sublimation artistique, mais surtout comme la Chose axiale, que nous examinerons plus tard.

Voilà tout ce que j'ai à vous dire sur Ometeotl, comme conception aztèque de la Chose aérienne, en tant que Yohualli-Ehecatl. Revenons maintenant à notre civilisation et à cette soeur Juana qui écrivit ses chansons, au Mexique, dans un couvent construit sur les ruines des pyramides aztèques.

De même que le vin et le pain furent élevés à la dignité de la Chose, à la dignité du sang et de la chair du Christ, nous voyons chez Sor Juana que l'air peut lui aussi être élevé à la dignité de la Chose amoureuse qu'est le ciel, comme élément du Seigneur, comme Chose aérienne, comme vent psychotrophe d'Hésiode ou Yohualli-Ehecatl des aztèques. En vertu de cette sublimation de l'air, nous avons une église complètement occupée par le Seigneur qui l'habite, lequel peut remplir tout son vide, jusqu'à la voûte. Nous voyons donc le genre de Chose aérienne à la dignité de laquelle l'architecture élève cette autre chose qu'elle entoure, cette autre chose qu'est l'air à l'intérieur de l'église. Il s'agit du Seigneur qui habite sa maison. Malheureusement, lorsqu'on n'est pas croyant, on ne connaît aucun seigneur qui puisse remplir ce vide sacré. Aucun seigneur, même pas notre grand chevalier Perceval, quand il songe enfin à entrer dans les églises.

Nous savons déjà que le vide sacré de la Chose, le Yohualli-Ehecatl effacé et évité dans les déplacements de l'obsession et de la sublimation religieuse, est plutôt refoulé et entouré par l'hystérie et la sublimation artistique. Voici le travail de l'architecte de l'église. Lui, à la différence du simple croyant, ne pourra pas éviter le vide sacré. Il devra le refouler et l'entourer. Seulement de cette manière il pourra le cerner comme il le fait, donnant l'impression de tenir le ciel dans une main de pierre. Ainsi, dans l'église mexicaine de San Bernardo pour laquelle chante Sor Juana, l'air pourra être encore une fois élevé à la dignité de la Chose, en se confondant avec la pierre de l'église, laquelle, par sa légèreté, donnera à l'air une consistance de Chose, ce qui n'est possible que "parce que l'enceinte spacieuse de sa belle construction, dépasse l'arithmétique et triomphe du calcul"75 (pues de su bella fábrica, el espacioso ámbito, excede a la aritmética, deja vencido el cálculo).

Le résultat le plus exemplaire, du point de vue lacanien, de cette deuxième sublimation, hystérique-artistique, vous le connaissez bien. Il s'agit de la Dame hystérique, élevée dans la sublimation à la dignité de la Chose courtoise, élevée à cette dignité par elle-même, aussi bien que par les poètes -et les psychanalystes- qui lui font la cour. Nous constatons ici, dans ce nouage de la poésie et l'hystérie, la vérité de cette affirmation de Freud, d'après laquelle "le mécanisme de la création poétique et le même que celui des fantasmes hystériques"76. En fait, la création des poètes courtois accomplit, en un certain sens, le fantasme de celle qui est élevée par cette création à la dignité de la Chose courtoise.

Comme "expression de la même force originelle archaïque qui se développe dans l'activité de l'artiste génial"77, l'hystérie apparaît comme une sorte de sublimation artistique de l'hystérique par elle-même. En effet, avec l'art des poètes qui la subliment, l'hystérique (du grec husterikos, de hustera, utérus) s'élève elle-même, elle élève sa trompette puante, elle élève son corps vide comme l'église de San Bernardo, elle élève cet utérus à la dignité d'un vide sacré, la dignité de la Sainte-Vierge, la dignité de la lettre a et du sujet de tous les prédicats, la dignité du pragma, de la grande affaire, de la Chose inaccessible au centre du monde imaginaire et symbolique.

Il faut comprendre que le corps de l'hystérique, tel qu'il est représenté pour elle dans l'imaginaire, est son propre objet imaginaire élevé à la dignité d'une Chose effacée par le refoulement propre à la métaphore paternelle -il ne faut pas oublier ici que depuis l'Entwurf de Freud, le propre de la Chose (Ding), dans l'hystérie, est d'être "refoulée" (verdrängt)78. À l'intérieur de cette Chose refoulée qu'est le corps de l'hystérique, à l'intérieur de la trompette d'Arnaud, il n'y aurait que le vide pour le désir de l'Autre, ou l'énigme de la féminité, dont la métaphore est toujours -comme pour l'homme- le Nom-du-Père. Voici une voie qui nous permettrait de partir de la Chose pour aboutir à l'identification hystérique à l'homme, celui-ci comme le Père, le poète courtois, l'architecte d'église ou le Monsieur K. de Dora.

Moyennant l'amour courtois, ce qui opère dans la sublimation artistique-hystérique imprègne toute chosette, c'est-à-dire tout ce que nous appelons normalement amour dans notre civilisation. Je pense à ce refoulement du réel propre au corps vide féminin, comme utérus ou trompette puante, au centre des sublimes créations amoureuses symboliques et imaginaires qui l'entourent. Bien entendu, l'amour peut aller au-delà, mais alors il ne sera plus ce nous nous appelons normalement amour, il ne sera plus -comme le note Rey-Flaud- "l'amour vécu au quotidien", tel qu'il se manifeste dans cette "étoffe imaginaire que le sujet construit fil à fil, signifiant par signifiant, pour couvrir l'indicible de l'être et l'impensable de l'Autre", voire le vide chosique ou "le trou dans l'Autre qui, faisant retour dans le sujet, signe le malheur et l'échec"79 de cette chosette que nous appelons normalement amour. Lorsque l'amour va au-delà de cette chosette, nous assistons à une situation comme celle que Rey-Flaud décrit à propos du Soulier de satin de Claudel, où la femme et l'amour, "déchirant les voiles du semblant", se dévoileraient, dans cette Chose qu'est le soulier de satin, comme la Chose qu'ils sont, comme un vide chosique, un "vide impitoyable", celui de la femme "posée comme vase d'une promesse intenable", comme "l'être de vase qui tout à la fois la contient et la retient prisonnière"80.

De même que le travail du potier qui organise un vase autour du vide, "la création artistique" du poète "développe certains modes d'organisation autour de la place vide". Or, "la promotion de l'être aimé, sa surestimation, l'exaltation de l'amour, contribuent à donner", à ces modes d'organisation autour du vide, "valeur de représentations de la Chose" -comme celui obtenu par le soulier de satin de Claudel. Malheureusement, "recouvrir" la Chose "par la création poétique est un leurre : le point de départ étant le manque, toute élaboration de ce type ne peut que le reproduire, répétition indéfinie, limite de la sublimation"81. Éveillant ainsi le désespoir ou l'ennui de l'artiste, qui n'arrive jamais à appréhender rien d'autre que du vide, le manque se retrouve toujours, comme vacuole, à l'intérieur de toute oeuvre artistique

Finalement, il nous reste la paranoïa et la sublimation scientifique, où l'objet, pour être élevé à la dignité de la Chose, doit être -si l'on peut dire- subjectivé comme Autre réel persécuteur, par une métaphore délirante qui efface la Chose forclose. Je veux dire par là que la sublimation de l'objet dans la science s'exprime dans l'objectivisme radical scientifique, par lequel l'objet, à l'état pur, ne doit dépendre aucunement du sujet du signifiant -il ne doit dépendre aucunement de la rhétorique ou du point de vue subjectif. C'est ainsi que l'objet imaginaire signifié de la science signifiante est élevé, par l'objectivisme scientifique, à la dignité de la Chose réel insignifiée que le discours scientifique efface. Paradoxalement, à force d'ennoblir son objet imaginaire, à force de le considérer comme indépendant du sujet, cet objectivisme scientifique finit par le subjectiver -en donnant au petit autre le statut de grand Autre.

La méfiance du scientifique à l'égard du sujet du signifiant, à l'égard des mots et du subjectivisme, n'est comparable qu'à celle du paranoïaque. Sur ce point, j'attire votre attention sur le fait que pour la science, aussi bien que pour la paranoïa, la méfiance et le doute sont deux conditions indispensables. Pour être un bon scientifique, il faut, à l'instar du paranoïaque, ne pas croire au vide chosique et se méfier du sujet du signifiant et de l'objet insignifiant qui en résultent. Ainsi, à la base du travail scientifique, nous devons situer le "doute", en tant que "récusation" d'une "pulsion de savoir"82 qui "travaille avec l'énergie du plaisir scopique"83 -celui-ci comme jouissance du sujet du signifiant dans son rapport à l'objet insignifiant. C'est aussi en raison de ce doute, que "toute personne qu'intéressent les hypothèses scientifiques", telle un paranoïaque, "ne les prendra au sérieux que si elles concordent de plusieurs façons" avec ce qu'elle sait déjà. De cette manière, le "caractère" toujours "arbitraire" des hypothèses, qui est celui de tout enchaînement signifiant -délirant ou scientifique-, "peut être atténué"84. Ceci n'empêche pas qu'avant -avant l'accomplissement de la sublimation scientifique ou de la métaphore délirante-, l'objet imaginaire de la science, l'objet signifié de l'objectivisme scientifique, était un objet qui devait être indépendant de toute croyance subjective, indépendant de tout enchaînement signifiant. Or, en expulsant absolument le sujet du signifiant de la sphère objective, ce sujet ne peut que faire retour de l'extérieur, comme Autre réel persécuteur, comme Chose insignifiée qui réapparaît dans un discours scientifique qui n'arrive plus à l'effacer. Le paranoïaque est alors devant ce "trou dans le signifié" par où surgit le hors signifié, amorçant "la cascade des remaniements du signifiant d'où procède le désastre croissant de l'imaginaire", en raison de l'émergence du réel85. Dans ces conditions, manque de l'Autre symbolique qu'était le Dieu mort de l'obsession religieuse, manque du Nom-du-Père qui a été forclos, on ne peut effacer la Chose que par une métaphore délirante où se stabilisent le signifiant et le signifié, voire le discours métaphysique de la physique contemporaine. C'est seulement à ce moment précis, le moment de la métaphore délirante, que la sublimation peut vraiment s'accomplir, en élevant la physique à la dignité de la métaphysique.

Voilà tout ce que j'ai à vous dire, suivant Freud et Lacan86, sur le rapport à la Chose de l'obsession religieuse, l'hystérie artistique et la paranoïa scientifique. Résumons pour finir ce rapport, tel que je viens de l'exposer. Dans la névrose obsessionnelle, de même que dans la sublimation religieuse (7.5), le sujet du signifiant, qui fait le signifiant en effaçant la Chose (8.2), veut effacer l'effacement par un déplacement métonymique, lequel, après éviter le vide qui résulte de l'effacement, élève l'objet de l'obsession, comme but déplacé, à la dignité de la Chose effacée (7.1). Dans la paranoïa, de même que dans la sublimation scientifique (7.5), le sujet ne peut élever l'objet à la dignité de la Chose (7.1), en le subjectivant comme Autre réel persécuteur, que par une métaphore délirante qui efface la Chose forclose (8.2). Dans l'hystérie, de même que dans la sublimation artistique (7.5), le sujet élève à la dignité de la Chose un objet (7.1) qui entoure le vide laissé par cette même Chose, en tant qu'effacée par le refoulement propre à la métaphore paternelle (8.2).

8.5. Des trois élévations de l'objet à la dignité de la Chose, il y a une qui me semble privilégiée par la réflexion lacanienne : celle artistique, peut-être en raison de son rapport à cette hystérie qui ne séduit pas moins les psychanalystes que les trouvères et les troubadours.

Je vous rappelle que la sublimation artistique n'est pas sans rapport à la Chose aztèque d'Ometeotl, en tant que In Tloque in Nahuaque, centre de gravité, maître de ce que qui est près et de ce qui est autour. Ici, chez Lacan, dans l'hystérie aussi bien que dans la sublimation religieuse, le vide sacré chosique reste au centre du monde symbolique et imaginaire qui tourne autour de lui, comme s'il s'agissait d'un vortex, ce tourbillon creux qui se produit dans un fluide en écoulement. Dans cette représentation lacanienne, qui déborde le champ de la sublimation artistique, nous pouvons reconnaître la conception spécifique d'une Chose que nous appellerons Chose axiale -une conception que vous la retrouvez aujourd'hui même dans le Vocabulaire de Lacan, lorsque J.-P. Cléro se réfère aux "actes psychiques qui s'organisent autour de la Chose", ou lorsqu'il décrit la Chose comme celle "autour" de laquelle "tout ne cesse de tourner"87.

Chez Lacan, l'élaboration de le Chose axiale eut lieu entre décembre 1959 et février 1960. Dans cet intervalle de temps, il convient de mettre en relief neuf moments que nous jugeons cruciaux :

a) Le 9 décembre 1959, la Chose axiale est introduite en tant que "premier extérieur", comme "ce autour de quoi s'oriente tout le cheminement du sujet", un cheminement "de contrôle, de référence, par rapport au monde de ses désirs."88.

b) Le même 9 décembre, la Chose axiale est "ce qui -au point initial, logiquement et du même coup chronologiquement, de l'organisation du monde dans le psychisme- se présente et s'isole comme le terme étranger autour de quoi tourne tout le mouvement de la Vorstellung, que Freud nous montre gouverné par un principe régulateur, le dit principe de plaisir". Par ce principe, "le transfert de la quantité de Vorstellung en Vorstellung maintient toujours la recherche à une certaine distance de ce autour de quoi elle tourne"89 .

c) Le 23 décembre, la Chose axiale se situe "au centre", alors qu'autour d'elle il y a "le monde subjectif de l'inconscient organisé en relations signifiantes". Or, si la Chose axiale se situe au centre, c'est "justement au sens" un "Autre préhistorique impossible à oublier", lequel reste "étranger à moi tout en étant au coeur de ce moi" 90.

d) Le 20 janvier 1960, la Chose axiale, comme "champ autour duquel gravite le champ du principe de plaisir", est "cet intérieur exclu à l'intérieur", à l'intérieur du "Real-Ich" comme "dernier réel de l'organisation psychique, réel conçu comme hypothétique, au sens où il est supposé nécessairement Lust-Ich." 91.

e) Le 27 janvier 1960, la Chose axiale est "foncièrement voilée", comme quoi "le psychisme est obligé à la cerner, voire à la contourner, pour la concevoir."92

f) Le même 27 janvier, le "champ" de la Chose axiale est une "place centrale", un "espace constitué dans le réel", sans "qu'il n'y ait rien" entre cet espace et "l'organisation dans le réseau signifiant, dans le réseau des Vorstellungrepräsentanzen"93.

g) Le 3 février, la Chose axiale est "le vide" qui reste au "centre" dans la sublimation, particulièrement dans l'art, comme "organisation autour de ce vide", mais aussi dans la religion et dans la science94.

h) Encore le 3 février 1960, la Chose axiale est au centre d'un "cercle enchanté posé par notre rapport au signifiant", un cercle qui "nous sépare d'elle" et en raison duquel "ni la science ni la religion ne sont de nature à sauver la Chose, où à nous la donner" 95.

i) Finalement, le 10 février 1960, la "place" de la Chose axiale est dans le "vide" à l'intérieur du "temple, en tant qu'organisation autour de ce vide". Elle est aussi dans "la figuration du vide sur les parois" du même temple, "pour autant que la peinture apprend progressivement à le maîtriser, ce vide, à le serrer de si près qu'elle se voue à le fixer sous la forme de l'illusion de l'espace". Dans les deux cas, "il s'agit toujours dans une oeuvre d'art de cerner la Chose"96 .

Nous pouvons distinguer trois périodes successifs dans cette élaboration de la Chose axiale. Dans la premier période, elle est au centre de ses représentations imaginaires, des Vorstellungen conscientes ou des objets désirés ; elle est donc à l'extérieur du sujet, au centre de son monde imaginaire. Dans la deuxième période, elle est au centre de ses représentants symboliques, des Vorstellungrepräsentazen ou de l'inconscient du sujet ; elle est donc à l'intérieur exclu du sujet, elle est un Autre du sujet tout en étant au coeur de lui -comme champ autour duquel gravite le principe du plaisir. Dans la troisième période, elle est dans le vide au centre de tout ce qui la représente par la sublimation, dans l'art qui l'entoure, la science qui la rejette ou la religion qui l'évite ou la respecte.

Dans la troisième période, la Chose axiale n'est qu'un vide au centre de la sublimation. Elle n'est plus alors la consistance de l'être réel chosique, comme cet objet dernier de désir présupposé dans la deuxième période, mais elle est le vide propre à l'être symbolique langagier, ce lieu de l'Autre au coeur du sujet, tel qu'il fut déjà annoncé comme place de la Chose axiale dans la deuxième période.

Nous voyons qu'il y a un mouvement logique entre les trois périodes : du centre réel consistant de l'imaginaire et de la conscience au centre vide de la sublimation, en passant par le centre du symbolique et l'inconscient, la Chose axiale perd sa consistance. Elle devient finalement un vide, ce qui n'est pas étonnant, après qu'elle eût traversé le symbolique. Nous ne devons pas oublier ici le pouvoir effaçant du signifiant par rapport à la Chose. Même si ce pouvoir ne fut théorisé que deux ans plus tard, il y avait déjà, dans le symbolique lacanien de l'époque de l'Éthique, tout ce qu'il fallait pour que la Chose axiale, au centre d'un vortex, devienne, sous l'action du symbolique, un vide sacré, celui de la "vacuole, partie vide, trou au milieu des signifiants"97 -comme dirait N. Charraud. Il y avait, notamment, le pouvoir meurtrier du symbolique sur la Chose, lequel fut déjà établi depuis l'une des premières apparitions de la Chose dans la réflexion lacanienne, en 1953 : "Le symbole se manifeste d'abord comme meurtre de la chose, et cette mort constitue dans le sujet l'éternisation de son désir" 98. Il faut distinguer ici deux idées indépendantes, bien qu'équivalentes : d'abord le meurtre de la Chose, ensuite l'éternisation du désir du sujet. Abordons séparément les deux idées :

Le symbole comme meurtre de la Chose peut s'appliquer, chez Hegel, au symbolique, au langage et aux signifiants en général, et non pas seulement aux symboles associés de manière explicite à la mort, comme c'est le cas du Saint-Sépulcre et de la pyramide égyptienne. Dans sa Phénoménologie de l'Esprit, Hegel décrit le moment où "l'observation revient enfin du langage changeant à l'être fixe", voire des lettres b1 g b2 g bn à la lettre a = a = a, et "énonce que l'extériorité", celle de l'être symbolique langagier par rapport à un Esprit qui se pose ici comme être réel chosique, "n'est pas l'effectivité extérieure et immédiate de l'Esprit en tant qu'organe, pas plus qu'en tant que langage et signe, mais en tant que "chose morte"99, ce que nous indiquons par -a. Si nous faisons abstraction du mouvement dialectique où s'inscrit cette affirmation, nous avons simplement la notion de l'Autre, ou le discours de l'inconscient comme extériorité de l'être symbolique langagier, celui-ci comme chose morte, comme être réel chosique mort -comme un cadavre, une momie, celle du pharaon en-dessous de la pyramide.

Le premier symbole comporte déjà le meurtre de la Chose. Déjà dans le jeu de la bobine, dans ce Fort! Da! où se joue le "désir du désir", la Chose maternelle est meurtrie par la bobine qui la représente symboliquement, représentant ses absences aussi bien que ses présences. Dans ce jeu, où "le mal d'attendre la mère" trouve "son transfert symbolique", le meurtre de la Chose est déjà accompli. En effet, "le meurtre de la chose est déjà là", nous dit clairement Lacan. Une fois que ce jeu commence à présenter sous une forme symbolique la Chose maternelle qui est réellement absente, il peut déjà la présenter aussi lorsqu'elle est présente, en sorte qu'elle se substitue à elle, il la tue, il suscite son absence. À partir de ce moment, le meurtre de la Chose réellement absente "apporte à tout ce qui est, ce fond d'absence sur quoi s'enlèveront toutes les présences du monde". En outre, ce meurtre de la Chose "conjoint" toutes ces présences "à ces présences de néant, les symboles, par quoi l'absent surgit dans le présent"100.

L'être réel chosique mort, la Chose morte, comme -a, n'est pas exactement le symbole, comme lettre b, mais la négativité du symbole ou le manque dans ce lieu vide qu'est l'Autre, c'est-à-dire l'objet a comme cause du désir -ou comme mort de l'objet ultime de désir. Puisque cet objet, la Chose, est mort, je ne peux que le désirer éternellement, dans la mesure où je ne pourrais jamais l'avoir. Puisqu'il est mort, puisqu'il est perdu pour toujours, il sera toujours désiré, jusqu'à l'éternité. Par rapport à notre Chose axiale, cette éternisation du désir nous pouvons la comprendre de plusieurs manières, par exemple :

a) Comme l'éternisation d'une force désirante qui anime le tourbillon imaginaire des objets désirés, des chosettes autour du vide de la Chose réelle axiale, autour du manque de l'objet ultime de désir, en tant que cause du désir ou objet absent -phallus comme image de notre être- qui reste insaisissable par le miroir du monde imaginaire qui nous entoure.

b) L'éternisation d'un désir qui est toujours, d'ailleurs, un désir d'éternisation -comme l'a bien remarqué Platon-, une force désirante centrifuge, un désir du fruit de la vie, ainsi qu'un être pour la mort, une force désirante centripète vers la mort, une croisade vers le vide hégélien du Saint-Sépulcre, vers le vide du Saint-Graal ou de la Chose morte, vers le vide symbolique au centre du vortex -l'absence propre à l'objet a, cet objet qui suscite, comme cause du désir, le tournoiement autour de lui, autour de l'axe de la girouette de Peirce.

c) L'éternisation de ce désir qui suscite la causette, l'enchaînement des prédicats -b1+b2+b3- autour de ce sujet de tous les prédicats -sujet qui tombe de la chaîne comme -a ou objet a-, le tournoiement pulsionnel des signifiants autour d'un effacement, autour de ce vide sacré laissé par la Chose meurtrie par le symbole, par le symbole qui est censé la représenter, mais qui ne représente à la fin qu'autre chose, autre chose élevée à la dignité de la Chose, voire l'objet sublimé au centre du tourbillon, la Dame de l'amour courtois comme trompette puante habillant le vide.

Dans ce dernier sens que j'attribue à l'éternisation du désir, je veux aussi vous montrer une implication très grave de l'affirmation lacanienne du meurtre de la Chose par le symbole. Affirmer ceci présuppose que la Chose est meurtrie par son propre représentant symbolique -lequel, toutefois, en tant que Vorstellungrepräsentanz, ne représente donc pas le Ding, mais la Vorstellung, la représentation imaginaire élevée à la dignité du Ding. Ainsi, la Chose, d'après les termes du Lacan de L'identification, est effacée par le propre signifiant qui cherche à la signifier, par le même signifiant qui efface un autre signifiant pour qu'elle cesse d'être effacée. Or, la Chose ne peut aucunement cesser d'être effacée. Elle reste alors insignifiée, hors signifiée dans son vide sacré, tandis que le signifiant ne peut signifier qu'une autre chose que la Chose.

Nous arrivons ici à notre cinquième proposition : en étant effacée par le signifiant (8.2), la Chose réelle est meurtrie par le symbole qui est censé la représenter, mais qui ne représente -comme Vorstellungrepräsentanz- qu'autre chose (2.7), à savoir une image mentale ou une représentation imaginaire de la Chose (3.4), voire l'objet imaginaire élevé à la dignité de la Chose (7.1) que cet objet représente -comme Vorstellung- dans la sublimation artistique, scientifique et religieuse (7.5).

8.6. Après l'affirmation du meurtre de la Chose par le symbole, Lacan souligne que "le premier symbole où nous reconnaissions l'humanité dans ses vestiges, est la sépulture, et le truchement de la mort se reconnaît en toute relation où l'homme vient à la vie de son histoire" 101.

Si nous croyons Hegel, ce premier symbole où nous reconnaissons l'humanité dans ses vestiges est la pyramide égyptienne. Si nous continuons à croire Hegel, pour arriver à la pyramide égyptienne, pour arriver à ce premier représentant symbolique de la Chose, il a fallu avant que cette humanité puisse représenter la Chose de manière réelle et imaginaire. Et ceci pourquoi ? Tout simplement pour disposer de ces deux représentations, réelle et imaginaire, qui nous apparaissent ici comme des conditions préalables nécessaires pour qu'il puisse y avoir ensuite un représentant symbolique.

Le représentant symbolique hégélien, comme réussite majeure de l'humanité, doit être historiquement précédé par des modes plus primitifs de représentation, à savoir les représentations réelle et imaginaire. D'une part, le représentant symbolique requiert ce qui devra manquer au coeur du symbole pour qu'il soit vraiment un symbole, c'est-à-dire l'objet a comme représentation réelle de la Chose. D'autre part, le représentant symbolique requiert de la Vorstellung, de la représentation imaginaire de la Chose, qui devra être représentée par le symbole, par le représentant symbolique en tant que Vorstellunrepräsentanz.

Dans les termes de Hegel, nous dirons que dans la "forme symbolique inconsciente", la "forme symbolique proprement dite", qui correspond à notre représentant symbolique, devra être précédée par les formes symboliques de "l'unité immédiate" et de "la fantaisie", lesquelles correspondent respectivement à la représentation réelle et à la représentation imaginaire (tableau 28). Résumons ce que Hegel nous raconte, dans ses Cours d'esthétique, sur ces trois formes de représentation :

Tableau 28. La forme symbolique inconsciente chez Hegel.

Unité immédiate entre la Chose et sa représentation Forme fantastique Forme symbolique proprement dite
Religion de Zoroastre : lumière indissociable de la sensibilité Conception indienne de Brahman : séparation entre le suprasensible et la sensualité débridée Egypte :

mort de la chose

Représentation réelle Représentation imaginaire Représentant symbolique

a) Dans la première forme, celle de la représentation réelle ou de l'indice de Peirce, il y a "une unité immédiate non pas produite par l'art, mais trouvé sans lui dans les objets naturels et les activités humaines effectives, entre l'absolu et son existence au sein du monde phénoménal"102. Ce monde phénoménal représente donc réellement l'absolu de la Chose. S'il y a des images et des symboles, ils ne sont pas à proprement parler des représentations imaginaires ou symboliques, mais des représentation réelles. Hegel, ce qui ne doit plus nous surprendre, nous présente comme "choses analogues" à cela, "quoique sur un mode plus profond", l'Eucharistie et les images miraculeuses de la Sainte-Vierge dans la doctrine catholique, où "le pain consacré est le corps effectif, le vin est le sang effectif de Dieu, et le Christ y est immédiatement présent" ; et "pareillement dans les images miraculeuses de Marie, la force du divin oeuvre comme immédiatement présente et non pas uniquement comme évoquée symboliquement par les images"103. Voici nos représentation imaginaires et symboliques qui deviennent des représentation réelles, ce que nous avons exemplifier aussi par le Saint-Vou imaginaire et le Saint-Graal symbolique qui deviennent des représentations réelles comme le Saint-Chose. Comme vous le voyez, nous suivons presque à la lettre, bien que d'une manière assez lacanienne, le raisonnement de Hegel. Or, ici, dans la représentation réelle qui précède historiquement les représentations imaginaire et symbolique, Hegel nous procure un exemple très intéressant. Il s'agit de la religion de Zoroastre, où "nous voyons la vision de cette unité entièrement immédiate", voir notre représentation réelle, "prendre la primauté et la plus grande ampleur". En effet, dans cette religion, le divin -la signification- n'est pas dissocié de son existence, des luminaires", des luminaires d'Ormazd, "indissocié de l'existence sensible en tant que lumière"104. Autrement dit, la signification, comme divin, et présente dans le signifiant, il n'y a donc pas de barrière de signification, mais une confusion entre le signifiant et le signifié, voire le Moyucoyatzin aztèque ou la confusion chosique entre le sujet et son objet. La Chose n'est plus hors signifié, puisqu'elle est présente dans un signifiant qui n'a plus rien d'insignifiant. Etant donnée l'importance de la représentation réelle pour notre sujet, j'ai consulté le Troisième livre de Denkart pour chercher des indices de cette unité immédiate hégélienne dans la religion de Zoroastre. J'en ai trouvé plusieurs indices. Pour démontrer l'existence la Chose, comme Dieu ou "non-principié", on affirme qu'elle est "sensible et visible au corps, à partir de l'observation de celui qui pour beaucoup peut être semblable à Dieu", c'est-à-dire "le bon roi"105. La Chose est donc présente dans l'image du roi qui lui ressemble. La similarité imaginaire, (a + b) { a, devient de l'identité réelle, (a + b) = a. En fait, dans le livre de Denkart on soutient même que l'être réel chosique "est visible à l'âme par lui-même, sans image..., sans voile..., on voit ainsi l'émanateur du monde comme s'il était on état corporel"106. Cette Chose si lacanienne, Chose réellement représentée par l'objet insaisissable dans l'imaginaire, est naturellement une Chose sans image, sans voile imaginaire. Elle est, dans sa représentation réelle, une Chose dévoilée, visible à l'âme, visible pour les yeux de l'âme. Elle est ainsi une Chose qui ne peut être que la même à la dignité de laquelle Thibaut de Champagne élève sa Dame, sa Dame qu'il peut seulement "voir avec les yeux du coeur, car ceux de son visage sont trop loin d'elle"107. Dans la Chose du livre de Denkart, on retrouve aussi la totalité unitaire de la Chose amoureuse, comme "ce qui est en tout, sur tout, au-dessus de quoi que ce soit"108. Dans ce même sens, on retrouve le vent psychotrophe d'Hésiode, comme le vent de Peirce qui fait bouger la girouette, comme le Yohualli-Ehecatl des aztèques, comme l'air de Sor Juana, cet air d'amour divin à l'intérieur de l'église mexicaine de San Bernardo ; ou comme l'air de Hermès en Egypte, cet air qui remplit tout, même un vase vide, même le Saint-Graal. Ainsi, la Chose dans la religion de Zoroastre est également "l'espace, sur lequel sont les êtres individuels concrets", et même "le temps, qui est son éternité"109, celle de a = a = a. Et pourtant, nous trouvons dans ce Livre de Denkart une tripartition très exacte entre le réel comme a, l'imaginaire comme a + b et le symbolique comme b, au moment où les êtres son divisés en trois espèces (tableau 29). Premièrement, les êtres "immortels et dont le revêtement est inséparable", soit "Dieu, le Soleil, la Lune et les étoiles", c'est-à-dire la Chose, la lettre a. Ensuite, les êtres "immortels et dont le revêtement est séparable", soit "les hommes" comme a + b, comme des moi ou des petits autres, comme des représentations imaginaires de la chose immortelle (a) telles qu'elle sont signifiées ou revêtus par le signifiant (b), comme la Sache (a) et le Wort (b) qui la porte, soit "le grain des choses et la paille des mots"110, comme dirait Lacan pour se référer à ses choses dont le revêtement est séparable. Finalement, il y a "les être mortels à revêtement inséparable"111, c'est à dire les êtres pour la mort, les sujets qui existent, les signifiants que nous indiquons par la lettre b.

Tableau 29. Les êtres dans le troisième livre de Denkart.

Immortel dont le revêtement est inséparable Immortels dont le revêtement est séparable Mortels dont le revêtement est inséparable
a a + b b
La Chose Le grain des choses et la paille des mots Les signifiants

b) Dans la deuxième forme de représentation distinguée par Hegel, la forme fantastique, qui correspond à l'icône de Peirce et à notre représentation imaginaire, "la conscience sort de l'identité immédiatement contemplée de l'absolu", l'identité de a = a, "et de son existence extérieurement perçue", celle de sa représentation réelle. Alors "nous trouvons devant nous la séparation des côtés jusqu'alors réunis, la lutte entre signification et figure", entre b et a dans a + b, "une lutte qui cherche immédiatement à pallier la rupture, sur un mode imaginaire, par une intrication", comme a + b, "de ce qui est séparé", a et b112. Hegel nous donne comme exemple celui de la conception indienne de Brahman, où la Chose est "soustraite au sens et à la perception", n'étant pas "un objet pour la pensée"113. Le résultat est un partage radical entre le réel chosique, "suprasensible", et l'imaginaire objectif, dans "la sensualité la plus débridée"114. Ici, dans la sensualité la plus débridé, "la différence au sein de l'identité", voir b au sein de a dans a + b, "est devenu le type fondamental" dans un art, l'art indien, ou la "représentation", en tant que représentation imaginaire, est "directement sensible"115.

c) Finalement, dans la troisième forme de représentation distinguée par Hegel, la représentation symbolique "proprement dite", nous lisons que "le sensible et le naturel sont appréhendés et envisagés en eux-mêmes comme négatifs, comme ce qu'il faut abolir et ce qui est aboli"116. Or, la première abolition, "la première déterminité et la première négation en soi-même de l'absolu", voire le premier effacement de la Chose, "ne peuvent pas être l'autodétermination de l'esprit", mais "la négation immédiate", c'est-à-dire "la mort"117, le meurtre de la Chose. Le premier symbole correspond au meurtre de la Chose. Voilà ce que Lacan énonce d'une autre manière en 1962, lorsqu'il soutient que le premier signifiant, le trait unaire, est celui qui efface la Chose. Puisqu'il ne pourront pas cesser de faire fonctionner le trait unaire, les signifiants suivants ne cesseront pas d'effacer la Chose, mais en plus, nous le savons déjà, ils s'effaceront eux-mêmes. Il y aura alors l'effacement de l'effacement si visible dans la névrose obsessionnelle, voire cette "autodétermination de l'esprit" dont Hegel vient de nous parler. Avant ça, il s'agit du meurtre de la Chose par le premier symbole, par le trait unaire. C'est pour Hegel "la mort du naturel", comme "un maillon nécessaire dans la vie de l'absolu", qui "se constitue à partir de là", à partir de cette "négativation" hégélienne que nous écrivons ici -a, comme "unité positive en soi-même sur un mode supérieur"118 que nous indiquons ici par la lettre b. Après la "lutte de la signification et de la figure", de b et a, dans la représentation imaginaire de l'Inde, "nous voyons de nouveau surgir une unité relativement pacifiée", notre lettre b, "telle que nous la trouvions au premier niveau", dans la religion de Zoroastre, comme lettre a, "à cette différence près, cependant, que l'identité de la signification et de son existence", dans la représentation réelle, "n'est plus une identité immédiate", comme a = a, "mais une entente", (a + b1) { (a + b2), "instaurée par la différence"119, b1 g b2. Et l'exemple du premier symbole qui donne Hegel vous le connaissez déjà. C'est la pyramide égyptienne, "représentation de ce qui est mort", avec son "intérieur comme négatif de la vie"120.

La pyramide est le premier symbole. Elle représente ainsi, comme le trait unaire, le meurtre de la Chose qu'elle représente.

Dans la pyramide égyptienne, le symbole, ou l'esprit hégélien, se rapporte pour la première fois, du haut de la pyramide, du sommet, à la Chose qu'il symbolise, ou la nature morte d'en bas. Cette intuition géniale nous la retrouvons dans un des passages les plus célèbres de Hermès Trismégiste, le vingt-huitième de ces Fragments à Cyrille, que je voudrais bien vous lire : "La pyramide est le fondement de la nature et du monde intellectuel. Car elle a, placé au-dessus d'elle comme cher, le verbe démiurgique du Maître de toutes choses, qui, puissance première après celui-ci, inengendrée, sans limite, ayant émergé hors du père, est préposé aux choses produites par le père et les gouverne"121.

Le gouvernement du Verbe démiurgique, ou de l'être réel chosique, sur les choses imaginaires, n'est pas à confondre avec l'effacement et le meurtre de la Chose par le symbole, voire la passion de l'être réel chosique dans son rapport à l'être symbolique langagier.

La Chose -le Ding- n'est pas gouvernée, comme les autre choses -les Sachen-, par le Verbe, ce qui n'empêche qu'elle puisse être effacée ou meurtrie par lui. Lacan reconnaît, en ce sens, que même si la Chose n'est pas gouvernée par le signifiant, elle pâtit du signifiant. En fait, la Chose n'est absente dans la parole (3), perdue dans l'objet (6.5) et réduite au rien dans le sujet (6.4), que parce qu'elle pâtit du signifiant qui l'efface (8.2) ou la meurtrit (8.5).

Cette idée de la passion de la Chose, laquelle suppose qu'elle puisse subir l'action du symbolique, fut exprimée pendant le séminaire sur l'Éthique, lorsque Lacan définie la Chose comme "ce qui du réel -un réel que nous n'avons pas encore à limiter, le réel dans sa totalité, aussi bien le réel qui est celui du sujet, que le réel auquel il a affaire comme lui étant extérieur -ce qui, du réel primordial pâtit du signifiant"122.

Au premier abord, il nous semblerait peut-être que Lacan veut dire ici que la Chose n'est pas le réel primordial dans sa totalité, mais ce qui du réel pâtit du signifiant. Il y aurait là un problème théorique que vous percevez certainement : si la Chose est seulement la partie du réel qui pâtit du signifiant, la partie meurtrie et effacée, alors on ne pourrait plus la distinguer de l'objet a, comme la totalité chosique se distingue de l'objet partiel.

Pour ne pas confondre ainsi la Chose et l'objet a, il faut considérer la Chose, en tant que Chose amoureuse, comme la totalité du réel primordial en chair et en os, corporel, consistant ou matériel, c'est-à-dire précisément le réel qui pâtit entièrement du signifiant -lequel, par cette passion, détermine l'inconsistance de l'objet a, en tant que -a ou absence de la Chose consistante. Cette absence de la Chose est indiscernable de la passion de la Chose. La Chose, la lettre a, est absente dans l'objet a, comme -a, parce qu'elle pâtit en lui du signifiant, en tant que l'achose, dans une négativation hégélienne indiquée par le signe de soustraction.

La passion inconsistante ou insignifiante du réel consistant ou insignifié, sous l'action du signifiant, c'est-à-dire la passion de la Chose, nous pouvons la désigner comme objet a, en tant que Dingvorstellung ou représentation réelle de la Chose. Cette représentation réelle est partielle parce qu'il n'y a aucun signifiant, même pas le trait unaire, par lequel toute la Chose soit affectée à un moment donné -c'est pour cela que la totalité chosique reste invariablement hors signifié, en raison de cette partialité, inconsistance ou insignifiance que nous appelons objet a.

Le réel de la Chose consistante, insignifiée, pâtit du signifiant. Puisqu'il s'agit d'une totalité, il doit pâtir comme totalité de la passion partielle du signifiant, de l'inconsistance et l'insignifiance d'une seule partie de la totalité. Ce qui pâtit est donc la Chose insignifiée (a), alors que la passion du signifiant (b) correspond à l'insignifiance de l'objet a (-a). Quant au résultat, c'est le signifié (a + b - a), ou l'insignifié qui devient signifié, justement à la place de la passion de la Chose, de l'insignifiance et l'inconsistance de l'objet a (-a) -comme cette partie de la Chose qui reste insaisissable dans le miroir de l'imaginaire signifié. Ici, dans l'insignifié qui devient signifié sous l'action du signifiant, nous voyons que la Chose, bien qu'insignifiée, elle est signifiable, alors que "le signifiant a fonction active dans la détermination des effets où le signifiable apparaît comme subissant sa marque, en devenant par cette passion le signifié"123.

Bien que signifiable, la Chose n'est jamais signifiée. Lorsqu'elle devient signifiée, elle cesse d'être la Chose, dont le propre est de rester insignifiée. Corrélativement, ce qui est signifié par le signifiant n'est plus la Chose, mais autre chose, au moyen de laquelle on se réfère toutefois à la Chose. Voilà ce leurre du langage que Lacan exprime clairement dès le début de son enseignement, dans Les écrits techniques de Freud : "Quand on parle du signifié, on pense à la chose, alors qu'il s'agit de la signification. Néanmoins, chaque fois que nous parlons, nous disons la chose, le signifiable, à travers le signifié. Il y a là un leurre, car il est bien entendu que le langage n'est pas fait pour désigner les choses"124.


1 Merceron, J.-E. 2002. Dictionnaire de saints imaginaires et facétieux, Op. cit., p. 800.

2 Calvin, Jean. 1536. Institution de la Religion Chrestienne, Paris, Les Belles Lettres, 1961, IV, XII, p. 9.

3 Ibid., pp. 9-10.

4 Ibid., p. 11.

5 Ibid., p. 14.

6 Ibid., p. 17.

7 Ibid., p. 18.

8 Luther, Martin. 1528. "De la cène du Christ", in Oeuvres, vol. VI, Genève, Labor et Fides, 1964, pp. 120-121.

9 Ibid., p. 121.

10 Duns Scot, 1300, "Sur la connaissance de Dieu et l'univocité de l'étant", in Ordinatio I, O. Boulnois (trad.), Paris, PUF, 1988, dist. 3, 26, pp. 30-34.

11 Luther, Martin. 1519. "Un sermon sur le très vénérable sacrement du saint et véritable corps du Christ et sur les confréries", in Oeuvres, Genève, Labor et Fides, 1961, p. 23.

12 Ibid., p. 15.

13 Calvin, Jean. 1536. Institution de la Religion Chrestienne, Op. cit., IV, XII, p. 26.

14 Luther, Martin. 1519. "Un sermon sur le très vénérable sacrement du saint et véritable corps du Christ et sur les confréries", op. cit., p. 15.

15 Ibid., p. 16.

16 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 21.12.60", in Le transfert, Paris, Seuil, 1991, pp. 101-106.

17 Luther, Martin. 1519. "Un sermon sur le très vénérable sacrement du saint et véritable corps du Christ et sur les confréries", op. cit., p. 16.

18 Voltaire, 1767, "Transsubstantiation", in Dictionnaire philosophique, Paris, Garnier-Flammarion, 1964, p. 371.

19 Hegel, G. W. F. 1837. Leçons sur la philosophie de l'histoire, J. Gibelin (trad.), Paris, Vrin, 1987, p. 292.

20 Ibid., p. 301.

21 Ibid., p. 302.

22 Ibid., p. 293.

23 Freud, S. 1922. "Le moi et le ça", op. cit., p. 265.

24 Freud, S. 1895. "Entwurf einer Psychologie", Op. cit., p. 492. Traduction française: "Esquisse d'une psychologie scientifique", Op. cit., p. 350.

25 Hegel, G. W. F. 1837. Leçons sur la philosophie de l'histoire, op. cit., p. 303.

26 Anonyme, 1230, Lancelot du Lac (traduction), M. L. Ollier (trad.), Paris, Le livre de poche, 1999, vol. V, 6, p. 147.

27 Anonyme, 1250, Le roman de Tristan en prose (version 2), op. cit., vol. VI, 30, pp. 117. Traduction en français moderne, op. cit., vol. VI, pp. 63-64.

28 Ibid., VI, 30, p. 65.

29 Ibid., VI, 34, p. 67.

30 Ibid., VI, 30, p. 65.

31 Anonyme, 1230, Lancelot du Lac, op. cit., vol. IV, 55, p. 209.

32 Anonyme, 1250, Le roman de Tristan en prose (version 2), op. cit., vol. VI, 30, pp. 117. Traduction en français moderne, op. cit., vol. VI, 33, p. 66.

33 Ibid., VI, 35, p. 68.

34 Anonyme, 1230, Lancelot du Lac, op. cit., vol. V, 6, p. 147.

35 Anonyme, 1250, Le roman de Tristan en prose (version 2), op. cit., vol. VI, 30, pp. 117. Traduction en français moderne, op. cit., vol. VI, 30, p. 63.

36 Hegel, G. W. F. 1837. Leçons sur la philosophie de l'histoire, op. cit., p. 191.

37 Ibid., p. 251.

38 Hegel, G. W. F. 1835. Cours d'esthétique (ed. Hotho), J.-P. Lefebvre et V. Von Schenk (trad.), Paris, Aubier, 1995, p. 475.

39 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 03.02.60", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., pp. 154-155.

40 Ibid., p. 155.

41 Ibid., pp. 155-157.

42 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 09.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., p. 65.

43 Ibid., p. 68.

44 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 16.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, Op. cit., p. 81.

45 Lacan, J. 1962. "Séminaire du 14.03.62", in L'identification.

46 Lacan, J. 1962. "Séminaire du 28.03.62", in L'identification.

47 Lacan, J. 1962. "Séminaire du 14.03.62", in L'identification.

48 Assoun, P.-L. 2003. Lacan. Paris, PUF, 2003, p. 98.

49 Freud, S. 1919. "Avant-propos à Theodor Reik", in Oeuvres complètes, A. Bourguignon et C. von Petersdorff, Paris, PUF, 1996, p. 213.

50 Freud, S. 1907. "Actes obsédants et exercices religieux", in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1974, p. 135.

51 Freud, S. 1927. L'avenir d'une illusion, Paris, PUF, 1994, p. 44.

52 Freud, S. 1939. L'homme Moïse et la religion monothéiste, C. Hein (trad.), Paris, Gallimard, 1989, p. 137.

53 Sor Juana Inés de la Cruz, 1689, "Los que tienen hambre", in Le Phénix du Mexique, J.-M. Wissmer (trad.), Metz, Diomède, p. 20.

54 Anonyme, 1230, Lancelot du Lac, M.-L. Ollier (trad.), Paris, Le livre de poche, 1999, vol. V, 6, p. 485.

55 Robert de Boron, 1200, Le roman de l'histoire du Graal, Op. Cit., vers 865, p. 28-29.

56 Ibid., vers 2482, p. 51.

57 Anonyme, 1220, La quête du Saint-Graal, Op. cit., p. 30.

58 Lacan, J. 1958. "Séance du 11.06.58", in Les formations de l'inconscient, op. cit., p. 443.

59 Juranville, A. 1984. Lacan et la philosophie, op. cit., p. 215.

60 Lacan, J. 1961. "Séance du 26.04.61", in Le transfert, op. cit., p. 304.

61 Regnault, F. 1993. "L'art selon Lacan", in Conférences d'esthétique lacanienne, Paris, Agalma, 1997, p. 14.

62 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 03.02.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 162.

63 Regnault, F. 1993. "L'art selon Lacan", op. cit., p. 22.

64 Sor Juana Inés de la Cruz, 1689, "A este edificio célebre", in Le Phénix du Mexique, op. cit., p. 8.

65 Voltaire, 1767, "Transsubstantiation", in Dictionnaire philosophique, op. cit., p. 371.

66 Sor Juana Inés de la Cruz, 1689, "Si Dios se contiene", in Le Phénix du Mexique, op. cit., pp. 19-20.

67 Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXXVI", in Recueil de chansons", op. cit., V, p. 90.

68 Sor Juana Inés de la Cruz, 1689, "A la cima, al monte, a la cumbre", in Le Phénix du Mexique, op. cit., p. 9

69 León-Portilla, M. 1979. La pensée aztèque, C. Bernand (trad.), Paris, Seuil, 1985, p. 143-144.

70 Ibid., p. 144.

71 Ibid., p. 145.

72 Ibid., p. 146.

73 Ibid., p. 143.

74 Ibid., p. 145.

75 Sor Juana Inés de la Cruz, 1689, "A este edificio célebre", in Le Phénix du Mexique, op. cit., p. 8.

76 Freud, 1897. "Lettre du 31.05.97", in La naissance de la psychanalyse, op. cit., p. 184.

77 Freud, 1920. "Lettre du 19.10.20", in Correspondance entre S. Zweig et S. Freud, G. Hauer et D. Plassard (trad.), Paris, Rivages, 1991, p. 25.

78 Freud, S. 1895. "Entwurf einer Psychologie", op. cit., p. 441. Traduction française : "Esquisse d'une psychologie scientifique", op. cit., p. 361.

79 Rey-Flaud, H. 1988. "La Dame et la Chose", in Actes de l'École de la Cause freudienne, Satisfaction et jouissance, Paris, ECF, 05.1988, p. 19.

80 Ibid., pp. 19-20.

81 Ligouzat, M. 1988. "Saudade et Chose", in La lettre mensuelle, N°73, Paris, ECF, 11.1988, p. 9.

82 Freud, S. 1913. "La disposition à la névrose obsessionnelle", in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1975, p. 196.

83 Freud, S. 1905. Trois essais sur la théorie de la sexualité, P. Koeppel (trad.), Paris, Gallimard, 1991, p. 123.

84 Freud, S. 1895. "Esquisse d'une psychologie scientifique", op. cit., p. 322.

85 Lacan, J. 1958, "D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose", in Écrits, op. cit., vol. II, p. 55.

86 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 03.02.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., pp. 154-158.

87 Cléro, J.-P. 2002. "La Chose", op. cit., pp. 17-18.

88 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 09.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 65.

89 Ibid., pp. 72-73.

90 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 23.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 88.

91 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 20.01.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., pp. 122-125.

92 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 27.01.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 142.

93 Ibid., p. 143.

94 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 03.02.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 155.

95 Ibid., p. 161.

96 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 10.02.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 168.

97 Charraud, N. 1988. "Topologie de das Ding", in L'enfant et le semblant, Analytica, N°56, Paris, Navarin, 1988, p. 25.

98 Lacan, J. 1953. "Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse", in Écrits, op. cit., vol. I, p. 317.

99 Hegel, G. W. F. 1807. Phénoménologie de l'Esprit, G. Jarczyk et P. J. Labarrière (trad.), Paris, Gallimard, 1993, V, 190, p. 335.

100 Lacan, J. 1953. "Discours de Rome", in Autres écrits, op. cit., p. 163.

101 Lacan, J. 1953. "Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse", in Écrits, op. cit., vol. I, p. 317.

102 Hegel, G.W.F. 1835. Cours d'esthétique (ed. Hotho), J.-P. Lefebvre et V. Von Schenk (trad.), Paris, Aubier, 1995, p. 433.

103 Ibid., p. 433.

104 Ibid., p. 435.

105 Le troisième livre du Denkart, J. De Menasce (trad.), Paris, Klincksieck, 1973, 126, p. 130.

106 Ibid., 126, p. 131.

107 Thibaut de Champagne, 1230, "Chanson XXXVI", in Recueil de chansons", op. cit., V, p. 90.

108 Le troisième livre du Denkart, op. cit., 130, p. 133.

109 Ibid., 132, p. 135.

110 Lacan, J. 1959. "Séminaire du 09.12.59", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 58.

111 Le troisième livre du Denkart, op. cit., 51, p. 61.

112 Hegel, G.W.F. 1835. Cours d'esthétique (ed. Hotho), op. cit., p. 445.

113 Ibid., pp. 448-449.

114 Ibid., pp. 449-450.

115 Ibid., p. 450.

116 Ibid., p. 465.

117 Ibid., p. 466.

118 Ibid., p. 467.

119 Ibid., p. 469.

120 Ibid., p. 475.

121 Hermès Trismegiste, "Fragments de Cyrille", in Corpus Hermeticum, A.-J. Festugière (trad.), Paris, Les Belles Lettres, 1954, vol. IV, 28, p. 133.

122 Lacan, J. 1960. "Séminaire du 27.01.60", in L'éthique de la psychanalyse, op. cit., p. 142.

123 Lacan, J. 1958. "La signification du phallus", in Écrits, vol. II, op. cit., p. 166.

124 Lacan, J. 1954. "Séance du 26.06.54", in Les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 376.