Les
noms du père et de la mère,
le cas
de Gérard de Nerval
David Pavón Cuéllar
Letterina, bulletin de l’Association de la Cause
Freudienne en Normandie,
n°41, 03.2006, pp. 79–95.
Nous partirons de ce que
Lacan nous apprend sur le Nom-du-Père : sa transmission et sa traduction
par le « non » de la mère, ainsi que l’affirmation qu’il soutient et la
forclusion qui, à l’occasion, le frappe. Ensuite, nous opposerons les
« Noms-du-Père » (en lettres majuscules), qui supposent que la
fonction paternelle dans sa dimension symbolique est opérante, aux
« noms-de-père » (avec des minuscules), qui sont une conséquence de
la forclusion du Nom-du-Père. A partir de là, nous montrerons, dans le cas de
l’écrivain Gérard de Nerval, l’existence d’une métaphore délirante où le
« Nom-de-la-Mère » compense la forclusion du Nom-du-Père.
1. Le
Nom-du-Père
Le Nom-du-Père « n’est que Le Nom »[1],
le Shem de Moïse, qui n’est que le Nom qui est, « celui qui
est » (Exode, 3, 14) : celui qui n’est rien d’Autre que celui
qui est, Même sans Autre, sujet sans prédicat, Nom sans attributs. Comme celui qui est, en effet, le Shem n’embrasse pas ses attributs ou ce qu’il est : El Shaddaï, Elohim, Adonaï,
etc. « Loin de lui » ce qu’on lui « attribue », dirait le
Coran (Sourate LIX, 24). Loin de Lui
tout ce qui n’est pas Lui, Huwa, qui
« te détache de tout sauf de Lui »[2].
N’étant que le Nom
qui est, le Père symbolique n’est pas aussi
le père réel, mais il est, comme celui
qui est, à la place du père réel qui
n’est pas. À défaut de ce père réel, qui manque d’un être symbolique pour être,
notre condition de « départ », dans la « tradition » juive,
chrétienne et musulmane, est « d’ores et déjà » orpheline,
« athée »[3]. Notre père
réel est d’ores et déjà mort : mort comme Chose meurtrie par le Nom
qu’elle devient. À la place de ce dieu réel « qui n’existe pas »[4],
il ne nous reste qu’un trou, « ça engloutit », puis « ça
recrache […] le Père comme nom »[5] :
« le Père » symbolique, « avec un grand P », qui
« n’est jamais là un père, mais bien plutôt le père mort, en tant que
porteur d’un signifiant »[6].
Si le Père n’est qu’un Nom, si le Père n’est que
symbolique, c’est pour la bonne raison qu’on ne sait jamais avec une entière
certitude qui est notre père, « l’attribution de la procréation au père ne
pouvant être l’effet que d’un pur signifiant »[7].
En fait, c’est précisément pour cette raison que le Nom-du-Père, n’étant pas
subordonné au réel, peut devenir « pivot »[8]
ou « support » du « symbolique »[9] :
un élément pionnier qui n’est que signifiant, et non pas signe, ne signifiant
rien de précis dans le réel, signifiant
seulement, ce qui lui permet « de
fonder tout le système des signifiants »[10].
Comme celui-qui-est
sans rien être en particulier,
comme signifiant-qui-signifie sans
rien signifier de précis, le Nom-du-Père se rapporterait-il au moins à un Dieu, à un père en général ? Pas forcément. Quoi qu’il en soit, « la
raison n’y peut rien déterminer »[11].
Il n’y a là qu’un jeu de « croix ou pile ». À part le signifiant, on
n’a aucune certitude. Quant au signe de la croix, il faut y croire, et
« gager », en « prenant croix que Dieu est »[12] :
que le Père symbolique signifie le père réel ; que celui qui est, est Dieu. La signification n’est alors qu’un
« pari »[13] :
le pari de Pascal. C’est une question de
croyance, pour ne pas dire de crédulité.
Puisque le père est une question de croyance et « rien
dans la réalité vécue n’en indique la fonction », il n’a d’autre réalité
que « spirituelle », voire « sacrée »[14].
C’est pour cela que « tout père est Dieu »[15]
et que la « place du Dieu-le-Père » coïncide avec celle du
« Nom-du-Père »[16].
C’est aussi pour cela que la « réalité psychique », laquelle est
« identique » au Nom-du-Père, apparaît comme une « réalité
religieuse »[17].
2. Le
non-de-la-mère
Pour transmettre le Nom-du-Père, ainsi que la réalité
psychique ou religieuse qu’il comporte, le Père symbolique ne suffit pas. Il ne
peut pas se transmettre lui-même, il ne se suffit pas, le Même ne se suffit pas. Il faut l’Autre : la mère.
Occupant « réellement » la place de l’Autre[18],
cette place de « la parole » qui « enfante le Père »[19]
dans les Veda, la mère n’accouche pas seulement du fils corporel, du Christ,
comme la Christotokos des nestoriens,
mais aussi du Père nominal, du Nom, comme la Theotokos du Concile d’Ephèse. Pour accoucher de ce Nom-du-Père, la
mère, en parlant, doit en faire sa propre métaphore : elle doit substituer
métaphoriquement le terme symbolique du Nom-du-Père à l’entité réelle de son
désir-de-mère. Pour ce faire, elle « en est réduite, ce Nom, à le traduire
par un non »[20] :
par ce non qui dérange l’amour entre
l’enfant et sa mère imaginaire, ce non
où réside tout le pouvoir frustrant de la mère symbolique, ce non qui nie le réel de la mère et de son
désir pour en affirmer le Nom, celui
du Père.
Traduit par le non-de-la-mère,
le Nom-du-Père se transmet, comme
Loi, au moyen des interdictions universelles dérivées de l’exception du père et
de l’interdit de l’inceste. En tant qu’appellation lacanienne de l’Œdipe
freudien[21], le Nom
intervient là, au niveau de la castration, comme « principe de
séparation »[22]
entre le Même et l’Autre : entre la mère et l’enfant, entre l’objet et le
sujet, entre la femme et l’homme, entre le fils et le père – ce qui n’est
possible que par « la descendance de mâle à mâle » à travers un Nom
qui « introduit la différence » des genres et des générations[23].
Comme « transmission » de « la
castration »[24]
et de « l’interdit de l’inceste »[25],
le complexe d’Œdipe lègue « la virilité sous la forme du
Nom-du-Père »[26].
Sous une telle forme, il introduit le fils dans cette « structure
humanisée » qu’est le symbolique[27].
Permettant ainsi « d’établir la relation du mâle à la femelle »,
l’intervention œdipienne du tiers qu’est le Nom-du-Père, en tant que métaphore
du désir de la mère, évite « une relation imaginaire et incestueuse vouée
à la ruine »[28] :
à cette ruine provoquée par les « dégâts » que le désir de la mère
« entraîne toujours »[29].
3. La
forclusion du Nom-du-Père
Faute d’intervention du tiers symbolique, il reste la
possibilité d’intrusion d’un « père réel » situé « en position
tierce » dans « le couple imaginaire »[30].
Si une telle intrusion précipite la ruine qu’elle cherche à éviter, c’est parce
que l’intrus est réel. Qu’il soit réel peut s’expliquer, soit par le manque du
non-de-la-mère qui transmet sa valeur symbolique, soit par le manque de cette
valeur symbolique : un « manque » dans la « fonction
formatrice » du père, où il peut y avoir de « l’unilatéral », du
« monstrueux »[31],
du « démérite » ou même de la « fraude », ce qui suffit
pour « exclure » la paternité de « sa position dans le
signifiant »[32].
À partir de l’aptitude ou l’inaptitude paternelle à faire Nom, il y a la capacité ou
l’incapacité maternelle de dire non pour
transmettre le Nom. Tandis que l’aptitude paternelle et la capacité maternelle transmettent le Nom-du-Père et permettent
la « symbolisation primitive » qu’il soutient, c’est-à-dire
l’affirmation (Bejahung) de tout ce
qui peut exister comme réalité, l’inaptitude paternelle ou l’incapacité maternelle suscitent la forclusion (Verwerfung) de ce Nom, lequel
« n’entre pas » alors « dans la symbolisation »[33],
étant rejeté dans les « ténèbres extérieures » et exclu du
« dedans primitif », du « premier corps du signifiant » où
se constitue, par affirmation, « le monde de la réalité »[34].
Ce n’est que plus tard que ce qui est ainsi forclos dans ce « monde
symbolique », faisant retour « dans le réel » de la psychose,
précipite la ruine qu’il cherche à éviter.
Récapitulons. Si le père fait retour dans le réel, c’est
parce qu’il est forclos dans le symbolique. S’il est forclos dans le symbolique,
c’est parce qu’il ne devient pas le Nom, le Nom-du-Père, ou bien parce que la
mère ne transmet pas le Nom qu’il devient. Dans un cas, si le père ne devient
pas le Nom, c’est parce qu’il ne meurt pas comme Chose paternelle. Dans l’autre
cas, si la mère ne transmet pas le Nom, c’est parce qu’elle n’en fait pas sa
métaphore, parce qu’elle ne métaphorise pas le réel de son désir, parce qu’elle
ne meurt pas comme Chose maternelle, parce qu’elle ne se métamorphose pas en
Nom paternel, parce qu’elle ne traduit pas ce Nom, parce qu’elle ne dit pas non.
Lorsque la mère ne meurt pas comme Chose, elle survit
dans le réel de son désir et de l’inceste. De même, lorsque le père ne meurt
pas comme Chose, il survit dans le réel de la castration et de la génération.
Comme castrateur et géniteur mythique auquel « nous avons à faire beaucoup
de reproches », le père qui survie est celui qui persécute le paranoïaque,
le même que le mélancolique « incorpore » pour être « si
méchant » avec lui-même. Il est le « rival », le « Grand
Fouteur », qui meurt pour devenir le Père symbolique, celui de la
normalité, et pour « s’effacer derrière » le père dont on fait le
deuil normal : ce « père imaginaire » du névrosé, « le père
qui l’a, lui le gosse, si mal foutu »[35].
Ainsi, par rapport au père, « l’accent est mis sur sa réalisation
symbolique » dans la « forme normale », sur sa
« réalisation imaginaire » dans « la forme névrotique » et
sur sa « fonction réelle » dans la forme psychotique[36].
Tout d’abord, il n’y a que le père réel qui doit mourir,
aussi bien dans la normalité que dans la névrose, pour qu’il y ait les pères
symbolique et imaginaire. Or, puisque en-dehors de la psychose le père réel
n’est qu’une question de croyance, on peut toujours ne pas y croire et
considérer « qu’avant qu’il y ait le Nom-du-Père, il n’y avait pas de
père »[37]. Mais on
peut aussi faire preuve de crédulité en croyant au père réel et à son meurtre.
D’ailleurs, bien qu’il ne s’agisse là que d’un mythe, ce mythe est
« impossible à éviter dans la cohérence de la pensée de Freud »[38]. Dans cette pensée, en effet, c’est « la
nécessité de la réflexion » qui mène à « lier » l’apparition du
Père symbolique à la disparition du père réel[39].
Ce n’est certainement qu’une croyance, mais « sans doute une science
s’est-elle élevée sur la fragile croyance »[40].
Pour cette science qui gage, en prenant
croix que Dieu est, la vérité de Dieu, celle de la croix, « trouve sa
voie par celui que l’Écriture appelle sans doute le Verbe, mais aussi le Fils
de l’Homme, avouant ainsi la nature humaine du Père »[41].
Si le Verbe est effectivement le Père, il est pourtant
enfanté par l’humanité de la mère qui parle. Il est donc aussi le Fils de
l’Homme : le Dieu qui meurt dans la croix pour devenir le Verbe. Or,
puisque déjà « au commencement était le Verbe » (Jean 1, 1), alors ce
Dieu est « déjà mort depuis toujours ». Depuis, il ne reste que
Verbe, le Nom-du-Père, et « tout tourne autour de cela »[42].
Tout ce qui est humain, tout ce qui est déjà symbolisé, tout cela tourne autour
du Nom. Mais tout cela n’est pas tout.
Il y a un reste : il reste un bout de réel qui échappe à la symbolisation.
Il reste ce qu’on peut concevoir, dans le mythe de notre genèse, comme
l’inhumanité de notre humanité ou l’animalité qui se détache de notre humanité.
Mythiquement ou
mythequiment, d’après le mythe qui ment, le père qui meurt pour devenir
symbolique personnifie l’inhumanité qui se détache de l’humanité pour que
l’humanité soit : pour que le Nom-du-Père soit, pour qu’il soit le Nom qui
est, celui qui est. Dans cette mort
du père, il y a donc un « dépassement intérieur » de ce qui devient,
de par ce dépassement, « l’être humain »[43] :
l’être qui est humain, l’être qui est
celui qui est. N’étant plus simplement, d’instinct, en étant, l’être se dépasse en
étant celui qui est, en ex-sistant comme celui qui est par rapport à celui
qui l’est. Dans ce retour pulsionnel de l’être
sur son être, par lequel « dieu
surmonte la partie animale de son être »[44],
le père se divise de son être anonyme pour cesser d’être animal, pour être
humain : pour être son Nom, le premier, qui marque « la
différence entre les champs de l’homme et de l’animalité »[45].
Dépassant le champ mythique du père réel animal, le champ de l’homme est celui religieux du Père symbolique humain : du
« Nom-du-Père » qui est aussi le « Père du Nom »[46],
du père « comme nom » qui est aussi le père « comme
nommant »[47] : le
père qui « donne un nom aux choses », aux « animaux »[48],
dans l’affirmation de tout ce qui est, dans cette symbolisation qui s’ensuit du
commencement où était le Nom. Si nous abjurons de cette religion de notre Dieu
anthropomorphe, de Notre Père qui est aux cieux, il ne nous reste alors que le
mythe de notre père anthropoïde zoomorphe qui est sous terre. Ainsi, en reniant
le créationnisme, en niant la création ex
nihilo par le Nom, il ne nous reste que l’évolutionnisme, où il nous faut,
à la place du Nom, un « totem » : un « ancêtre
animal », biologique, physique[49].
Dans une réconciliation du mythe et de la religion, de
l’évolutionnisme et du créationnisme, nous avons eu autrefois comme aïeul,
au-delà du singe, un bélier qui n’était pas seulement vénéré comme notre
ancêtre, mais aussi comme notre créateur. Ainsi, en Inde, à l’époque védique,
le bélier ne « revêtait forme après forme », dans son évolution, que « grâce à ses
pouvoirs créateurs »[50].
En Egypte, comme Ammon-Khnoum, le même bélier n’était « le père des
pères », l’ancêtre qui avait « enfanté » les dieux et les
hommes, que dans la mesure où il était aussi le créateur qui avait « fait
les modeleurs » et « façonné ce que produit le sol »[51].
Ne se montrant pas encore à son fils, tenant pour cette
raison la tête du bélier Khnoum « devant son visage »[52],
le père Ammon, « dieu à tête de bélier qui n’achevait pas son évolution à
partir des animaux totémiques », devait mourir comme ancêtre réel, ou se
montrer comme pure créateur symbolique, pour devenir le Père Aton que Freud identifie au juif Adonaï[53].
Même en Israël, d’ailleurs, pour que cet Adonaï puisse être ce qu’il devait
être, celui qui est, il fallait que
le « bélier primordial »[54],
au titre « d’ancêtre totémique », meure comme Chose aux mains
d’Abraham et devienne le Nom aux mains de Moïse[55].
4. Les
Noms-du-Père
Le sacrifice du bélier dramatise une solution de
continuité entre la Chose et le Nom, entre le père réel et le Père symbolique,
entre l’inhumain et l’humain, entre l’instinct et la pulsion, entre le mythe et
la religion. À ce moment où s’institue « la circoncision » comme
figure de la castration, de « l’interdit de l’inceste », de « la
Loi » et de « la culture », le sacrifice du bélier
« marque » aussi « le tranchant de couteau » entre la
jouissance intransmissible d’un père,
tortionnaire ou persécuteur, et le désir transmissible du Père : un désir qui ne s’éveille dans le fils qu’après
« la chute » de « l’origine biologique » que le prépuce
incarne[56].
Après la chute de l’origine biologique, il y a donc le désir du Père, mais il y a aussi la névrose du fils, laquelle est
« inséparable », au moins dans les traditions monothéistes juive, chrétienne
et musulmane, d’une « fuite » devant le désir du Père symbolique. Ce
désir, tel qu’il s’exprime dans l’imaginaire de la névrose, il ne faut pas le
confondre avec le désir d’un père qui fait retour dans le réel de la
psychose et qui torture des mélancoliques ou persécute des paranoïaques aussi
incapables de s’enfuir les uns que les autres. Quant à la jouissance du père, qu’il ne faut pas confondre non plus avec
son désir, on ne peut en faire l’expérience que dans certaines formes de
psychose ou dans le « mysticisme » polythéiste[57].
La rupture entre le père réel, du côté du mythe, du
mysticisme païen et de la psychose, et le Père symbolique, du côté de la
religion et de la névrose, n’est pas sans rapport avec la transition du
polythéisme au monothéisme. En Egypte, par exemple, tandis qu’Amon est
vraisemblablement un nom de père réel
ou l’un des noms de géniteur de la mythologie traditionnelle, Aton est plutôt le Nom du Père symbolique de la religion
d’Akhenaton. Ici comme ailleurs, les noms-de-père
du polythéisme, n’excluant pas l’existence de plus d’un père, se distinguent
des Noms-du-Père du monothéisme,
lesquels s’appliquent, non pas à un père ou à des pères, mais au Père
symbolique, le seul vraiment susceptible d’être désigné comme le Père. Appliqués à ce Père unique, à
ce Nom-du-Père, les Noms-du-Père, dans la tradition juive, sont les Noms du Nom-du-Père : les Kinouïm du Shem, les prédicats du sujet, les « attributs » de
« l’essence même de Dieu »[58].
Chez les musulmans, ces Noms correspondent aux Sifa, aux 99 attributs d’Allah : le sachant, le voulant, etc. Dans le christianisme, ils sont les
« noms divins » recueillis par l’Aréopagite, entre lesquels il
convient ici d’évoquer ceux qui « ramènent la variété à
l’unité » : le « Saint des saints », le « Roi des
rois » et même « le Dieu des dieux », mais aussi
« l’Unique » et « le Même »[59].
Dans ces religions publiques, comme dans les religions privées des névrosés, les Noms, ramenant ainsi leur variété à
l’unité, sont « tous noués », tous « reposant » comme Autre
sur le Même ou l’Unique, sur le Nom,
lequel, « en tant que trou », en tant qu’évidement symbolique de la
Chose paternelle, il « communique sa consistance à tous les autres »[60].
À la différence des Noms-du-Père, qui sont des adjectifs,
des participes ou des substantifs insubstantiels, sans autre substance ou
subsistance ou consistance que celle négative du Nom duquel ils dérivent, les
noms-de-père sont des substantifs qui possèdent chacun sa propre substance. Ne
se référant pas au Père, mais à des pères, ces noms-de-père empruntent leur
substance multiple à la multiplicité du réel auquel ils se réfèrent. Cette
multiplicité n’a rien d’étonnant. Quelqu’un de réel ne peut jamais être le
Père, n’étant qu’un père, l’un des géniteurs possibles du fils : un
exemplaire dans la foule d’hommes qui auraient pu féconder la mère. C’est pour
cela que les pères du polythéisme, pouvant être plusieurs, ils peuvent être des
pères réels, des ancêtres physiques ou biologiques, alors que le Père du
monothéisme, ne pouvant être qu’un, il ne peut être que symbolique.
Ne pouvant être qu’Un, le Père du monothéisme rachète le
manque de la multiplicité de noms-de-père du polythéisme par une multiplicité
de Noms du Nom-du-Père. Il arrive pourtant que ces Noms insubstantiels se
paganisent et se confondent avec les noms-de-père substantiels du polythéisme.
Ainsi, l’Élohim de la Bible présente souvent une substance indépendante de
celle du Nom. Avec cette substance, il n’est peut-être qu’un des sept pères que
les Ophites, dénoncés par Irénée de Lyon, retrouvent dans la Bible :
« Jaldabaoth, Jao, Sabaoth, Adonaï, Élohim, Hor et Astaphée »[61].
Que ces noms-de-père ne soient pas des pères, mais des Noms-du-Père ou des
« appellations d’un seul et même être »[62],
ceci n’est pas très évident. L’être qui ordonne de tuer Isaac ne semble pas
être le même que celui qui ordonne de ne pas le tuer. Il ne semble pas non plus
être le bélier qui est sacrifié à sa place.
Tandis que le Père unique du monothéisme peut nous
paraître multiple en raison des contradictions entre les fonctions de ses Noms,
les pères multiples du polythéisme peuvent nous apparaître comme les diverses
manifestations d’un seul Dieu unique en raison du manque de contradiction entre
les fonctions de leurs noms. Tel est le cas des « dieux non
contradictoires dont Freud nous désigne dans la terre d’Egypte le lieu élu de
la pullulation »[63].
Le processus vers l’unicité paternelle monothéiste, par lequel les
« noms » de ces dieux « se combinent entre eux de telle façon
que l’un se ravale presque à n’être que l’épithète de l’autre »[64],
pourrait s’expliquer par une circonstance ontogénétique décisive, à savoir que
c’est le seul père de chaque sujet, le père unique immolé sur l’autel de son
propre Nom, celui qui « ressuscite, du vide laissé par sa mort »[65],
dans les pères multiples qui devraient alors tendre logiquement vers l’unicité
de leur origine. Voilà pourquoi Ammon, Khnoum et Rê finiraient par se
confondre, sous la forme du bélier, dans une divinité qui serait prête à être
sacrifiée pour céder sa place à un Dieu Aton caractérisé par son unicité
irréductible et par la pureté de sa forme symbolique : un disque solaire
épuré de toute imaginarisation anthropomorphe ou zoomorphe. Voilà aussi
pourquoi les différents pères de la Bible finiraient eux aussi par se
confondre, sous la même forme du bélier, dans le seul père qui est sacrifié par
Abraham pour céder sa place au Nom qui fait « proliférer sa
descendance » (Genèse, 22, 17).
Dans l’histoire biblique, la substitution du Nom au corps
ne se consomme qu’au moment où « le Nom » est prononcé par « le
corps » du buisson ardent. S’annonçant là comme « le Dieu
d’Abraham » (Exode, 3, 6), le
père corporel se distingue du Père nominal, du Shem de Moïse, et il se désigne comme ce qu’il cesse d’être à l’instant
même, comme « El Shaddaï », comme « un Dieu », comme
ce qui « se rencontre dans le réel »[66].
Désormais, ce nom-de-père, El Shaddaï,
ne devra plus être appliqué au père réel, mais seulement au Père symbolique.
Avec cette émancipation du symbolique, le nom-de-père, ou nom-de-Chose, devient
l’un des Noms du Nom-du-Père. Quant à ce Nom, Shem, il n’est aussi El Shaddaï que dans le sens où le sujet, celui qui est, est ce qu’il
est, comme prédicat auquel il communique sa consistance.
Monsieur Shem n’est Seigneur, Créateur et Puissant, que
pour autant qu’il est celui qui est,
Nom qui donne de la consistance à ces attributs, à ce qu’il est : Seigneur, Créateur et Puissant. Comme on peut
l’apprécier dans n’importe quelle embrouille névrotique, ces attributs, ces
Noms-du-Père, sont assez inconsistants. Dans leur inconsistance, même
« non dupes, ils ne peuvent qu’errer ». En errant, « plus il y
en aura, plus ils s’embrouilleront »[67].
En fait, il y en aura toujours le nombre suffisant pour s’embrouiller : le
nombre exact qui leur permet de se nouer pour transmettre la complexité du
complexe de castration – tel qu’elle s’exprime dans les inconsistances
inhérentes à la consistance du Nom qui la véhicule.
Si les Noms-du-Père s’embrouillent dans leur errance
névrotique, c’est parce que tous, non
dupes, errent dans la même route : celle du Nom qui leur communique sa
consistance. Pour ne pas s’embrouiller, les Noms devraient errer ailleurs,
s’écarter de la « grand-route » et prendre les « petits chemins »[68].
Or, là ils ne seraient plus ce qui est
celui qui est, ils perdraient l’unité que le Nom leur donne, ils ne
seraient plus dans sa trace.
Dans les petits chemins, les noms ne sont plus des Noms-du-Père, des Noms de la grand-route,
mais des noms de petit chemin : les noms-de-père qui prolifèrent dans la psychose et dans le mysticisme
païen. Or, après le déclenchement de la psychose, qui n’a certainement rien à
voir avec l’initiation mystique, une telle prolifération nominale, une telle
« cascade de remaniements du signifiant », peut toujours aboutir à la
« métaphore délirante »[69],
laquelle, réunissant les petits chemins, ne compense pas seulement les défauts
de la métaphore paternelle et de l’unité que le Nom-du-Père donne à ses Noms,
mais aussi, ce qui revient au même, la perte de l’unicité de l’origine commune
des noms-de-père, ceci dans une certaine confluence des fonctions des noms qui
nous rappelle la tendance vers l’unicité du Père des dieux égyptiens non
contradictoires.
5. Le
Nom-de-la-Mère
Tout en compensant les défauts de la métaphore paternelle
et de l’unité symbolique des Noms-du-Père, ainsi que la perte de l’unicité
réelle du père, la métaphore délirante est en mesure de procéder comme une métaphore maternelle. Comme telle, au
lieu de substituer le Nom-du-Père au désir de la mère, elle peut faire du nom
de la mère la métaphore de ce même désir. Le désir étant ainsi métaphorisé, il
s’agit bien là d’un fait métaphorique et d’une entité symbolique : d’un Nom-de-la-Mère. Et pourtant, la métaphore
est délirante. En donnant au fils le nom de la mère, en nommant de cette façon
le fils-de-la-mère, la métaphore
énonce littéralement le désir-de-la-mère
qu’elle métaphorise. Quant au symbole résultant, le Nom-de-la-Mère proprement
dit, il présente réellement le nom qu’il représente symboliquement : il
coïncide ainsi avec la Chose maternelle dont il est le symbole. En définitive,
ce Nom-de-la-Mère, ce drôle de symbole, résonne comme un « oui » là
où le non-de-la-mère se tait. Là, dans son propre silence, il est une présence
qui remplit toute absence : une Chose meurtrière qui survit au meurtre de
la Chose, une mère qui s’offre à la place de sa parole, un Nom-de-la-Mère qui
se répète (S1-S1) là où la Parole-de-la-Mère devrait s’exprimer (S1-S2). Là, dans
la chaîne signifiante, il est le substantif qui empiète sur le prédicat :
l’Un, le Même (S1), qui mord sur un Autre (S2) qui aurait dû transmettre le
Nom-du-Père. Ainsi, dans le cas particulier de Gérard de Nerval (1808-1855),
que nous examinerons tout de suite, ce Nom-de-la-Mère est le Nom-de-Nerval qui
vient à la place du non-de-la-mère qui aurait dû transmettre le
Nom-de-Labrunie. Voilà justement le mécanisme simplifié, réduit à l’essentiel,
du fonctionnement délirant que nous croyons déceler dans la mélancolie
nervalienne.
En plus de son nom de baptême, Gérard porte
successivement deux noms de famille : d’abord son patronyme, le
Nom-de-Labrunie, jusqu’en 1836, puis son pseudonyme, le Nom-de-Nerval, jusqu’au
jour de sa mort. Suivant la propre explication de Gérard, ce pseudonyme émane
d’une double détermination maternelle. D’une part, il est l’anagramme du
matronyme : Laurent, Lauren, Nerual,
Nerval. D’autre part, il est le toponyme d’une propriété de la famille de
la mère : le clos Nerval[70].
Avec cette double détermination, le pseudonyme se montre déjà d’emblée comme ce
qu’il est : comme le Nom-de-la-Mère, compensation du Nom-du-Père et de ce
qui devait le traduire, le non-de-la-mère, d’une mère qui n’a jamais pu dire
son « non » à un enfant qui ne l’a jamais connue. Quelques semaines
après la naissance de l’enfant, en effet, la mère part avec le père, médecin de
la Grande Armée, et meurt « d’une fièvre qu’elle gagne en traversant un
pont chargé de cadavres » : une fièvre mortelle qui aurait ensuite
« saisi » Gérard, d’après lui, sous la forme de sa mélancolie
suicidaire[71].
Au lieu d’une transmission, à travers la
Parole-de-la-Mère, d’un Nom-du-Père qui n’est que le Nom qui est, ce qu’il y a
chez Gérard c’est une transmission de la mort-de-la-mère à travers un
Nom-de-la-Mère qui n’est pas seulement le Nom qui est, ou le symbole comme
meurtre de la Chose, mais aussi la Chose meurtrière qu’il désigne — le réel
transmissible de la mère, lequel peut être une certitude, et non pas
uniquement, comme celui intransmissible du père, une question de croyance. Au
lieu d’une transmission du symbolique à travers le symbolique, ce qu’il y a
donc chez Gérard c’est une transmission du réel à travers un symbolique sur
lequel empiète le réel. En même temps, au lieu du père qui meurt pour devenir
le Nom, ce qu’il y a là c’est le père, en posture de démérite, qui aurait dû
mourir avec son épouse, mais qui n’est pas mort. C’est alors son fils qui a dû
mourir. Faisant corps avec « le premier » des « Élohim » de
la Bible[72], avec le
premier de ces pères « que les Égyptiens appelaient les dieux
ammonéens »[73], avec le
bélier « Ammon Ra »[74],
c’est le fils qui a dû mourir comme le fils Isaac allait mourir, comme le père
bélier est mort.
Apparemment, dans une immolation qui réactualise le passage
du père réel au Père symbolique, Gérard a dû
se tuer pour accomplir son meurtre de la Chose paternelle et devenir le
Nom-de-Labrunie qu’il n’utilise que le jour même de son suicide[75]. Or, en se tuant, Gérard
ne devient ce Nom-du-Père que pour s’en détacher. Ce faisant, il échappe
définitivement du symbolique. Il se laisse entraîner dans la chute de son
origine biologique, mythique, totémique. Il tombe de la chaîne de son histoire.
Il réalise la mort transmise par le Nom-de-la-Mère : la mort qui lui
« rend » la Chose maternelle, préhistorique, dont il portait le Nom[76].
Afin de rejoindre sa mère, Gérard n’a pas eu seulement
recours au suicide. Avant ce dernier
recours, il s’identifie avec ‘le père’ que « suivait » sa mère
quand elle est morte : non pas le médecin veuf Labrunie, mais l’Empereur
mort Napoléon[77]. Pour
fonder cette identification à l’Empereur, il attribue le Nom de Nerval à l’Empereur Nerva, lequel devient le « poète » Néron[78], puis le « nouveau
César » qu’est Napoléon[79]. N’ignorant pas que
« sa folie est de se croire » un « Empereur », Gérard admet
que ce « rôle » de Nerval-Nerva-Néron-Napoléon « s’est identifié
à lui-même »[80].
Dans cette identification, le Nom-de-la-Mère, de Nerval, s’avère être aussi un nom-de-père qui permettrait à
Gérard d’être un père digne de sa mère. En tant que Nerval, Gérard serait
digne, en effet, d’une mère qui est même divinisée comme Isis : comme
cette « mère sainte, mère de la nature, mère éternelle »[81]
qui est « la même » que « sous toutes les formes » il
« a toujours aimé »[82].
Époux digne de cette « mère et épouse sacrée »[83],
il n’y avait que celui auquel s’identifie Gérard moyennant le nom de
Nerval : Napoléon, un « dieu » qui est « délivré » par
la mort de son « écorce mortelle »[84]
— à l’instar du pharaon, lequel, après sa mort, devient Osiris, époux
incestueux d’Isis.
Si « le rôle d’Osiris » inspire « de la
grandeur d’idées »[85]
à Gérard, « l’âme de Napoléon lui commande de grandes choses »[86].
Dans les identifications à ces deux pères, la même grandeur maniaque satisfait très
probablement le même désir de la mère. D’ailleurs, même lorsque Gérard devient
« semblable à Dieu », il a besoin, pour « appuyer son
pouvoir », de la « couronne » de la Theotokos[87],
de la « mère de Dieu »[88],
de la « Vierge Mère »[89]
qu’il assimile aussi à sa mère. « Couronnant » le poète qui
« cherche à rendre sa Dame fière de lui »[90],
cette couronne est celle d’une Vierge qui s’appelle Marie comme la mère de
Gérard (Marie Laurent), Marie aussi comme l’épouse couronnée de Napoléon
(Marie-Louise), Marie enfin comme... la Isis « couronnée » d’Osiris[91].
D’après Gérard, en effet, Isis et sa mère sont les « mêmes » que la
Vierge devant laquelle il « s’agenouille en pensant à sa mère »[92].
Elles sont donc aussi les mêmes que la seule femme qui peut convenir à Gérard,
« sous tous les rapports », quand il songe au mariage : une
Akkalé, une « actrice » qui ne prend part à des orgies sexuelles
qu’une fois qu’elle a « représenté » la Vierge Marie toute nue, comme
« image de la maternité »[93].
Vierge Marie, Marie
Laurent, Marie Lou-ise, Isis… Cette série métonymique des noms de la mère
se poursuit dans toute l’œuvre de Gérard. Nous devinons de nouvelles
figures à travers des personnages de cette œuvre, dans lesquels, en outre, nous
soupçonnons les traits de l’actrice Jenny dont Nerval était tombé amoureux.
Dans ces personnages, nous retrouvons aussi la double ambiguïté, relevée déjà
dans l’Akkalé, entre la femme et l’actrice et entre « la sainte » et
« la fée »[94] :
d’abord dans « la religieuse » Adrienne, comme « original »
aimé « sous la forme de l’actrice » Aurélie[95] ;
puis dans « la déesse » Corilla, aimée sous l’aspect de la
« bouquetière » qui s’avère être la Corilla dont elle est le
« fantôme »[96] ;
ensuite dans « l’usurpatrice » Marie Lindthal, qui prend la place
maternelle de Jemmy[97] ;
finalement dans la propre mère de Gérard, Marie Laurent, qui reprend elle aussi la place d’une autre
incarnation de Jenny, l’actrice Aurélia[98].
Avec le retour de la mère sur la dernière scène de
l’œuvre nervalienne, nous confirmons que la double ambiguïté femme-actrice et
sainte-fée n’est que la manifestation d’une antinomie fondamentale, classique
dans la psychanalyse, que nous avons déjà remarquée directement chez Isis
et chez l’Akkalé. Cette antinomie oppose la mère à l’épouse, l’original au
substitut, la Chose à son image. Par suite de la contradiction entre les
aspects délirant et métaphorique de la métaphore délirante, il y a là un écart
entre ce que le Nom-de-la-Mère invoque
et ce qu’il évoque : entre ce
qui est présent dans sa face réelle-délirante et ce que sa face
métaphorique-symbolique permet de se représenter dans l’imaginaire. Un tel
écart s’exprime clairement dans les indécisions de Gérard entre la Laurent et l’Aurélia[99] ; entre la Vierge de Lorette[100]
et la lorette Jenny[101] ;
entre l’or ou l’aurum qu’il hérite de sa famille Laurent et l’or pour
« tuer l’amour » de sa l’orette[102] ; entre l’or de sa dette réelle et l’or
qu’il « n’a point payé » en tant que « Napoléon »[103] ;
entre l’or d’une famille L’orent ensevelie dans le clos de
Nerval, « où les squelettes ont le visage tourné » vers
« l’Orient »[104],
et ce même « Orient » où la mère de Gérard est
« ensevelie »[105] :
cet Or’ient nervalien qui n’est qu’un
« vaste tombeau »[106].
Vierge Marie, Marie
Pleyel, Marie Lindthal, Marie-Louise, Marie-de-Lorette, Marie Laurent, L’orent,
L’Orient, L’orette, L’or, Or, Aurum, Aurélia, Aurélie... Paradoxalement,
dans cette série de substantifs distincts, de noms-de-mère, il n’y a pas un seul qui soit Autre que le Nom-de-la-Mère. Certes, puisqu’il y a une métaphore,
il doit y avoir cette entité symbolique : ce Nom-de-la-Mère. Or, puisque
la métaphore est délirante, il ne doit pas y avoir un prédicat de ce Nom :
un Autre de l’Un dans le symbolique. Et pourtant, puisque la métaphore
délirante réussit jusqu’au moment du suicide, le Nom-de-la-Mère fait tenir
ensemble, dans une œuvre littéraire, des noms-de-mère : il fait tenir
ensemble des substantifs comme s’ils étaient des prédicats d’un même sujet. Il
n’en reste pas moins que les substantifs ne sont que des réitérations de l’Un,
du Même (S1-S1). Quant à la place de l’Autre (S2), elle reste pleine,
c’est-à-dire vide de symbolique :
muette de la parole qui devrait arrêter les réitérations du « oui »
et dire le « non » qui traduirait et transmettrait le Nom du Père
digne de ce Nom. Ce qui n’est ainsi ni traduit ni transmis dans ce blanc, étant
forclos dans le symbolique, ne peut alors surgir que dans le réel, étant là
désigné par des noms-de-père : Christ,
Osiris, Napoléon, Néron, Nerva, Nerval...
Grâce à la réussite de la métaphore délirante, les pères
peuvent quand même encore être désamorcés comme ce qu’ils sont, comme des tiers
réels qui s’interposent entre la mère et son fils, quand ce fils les réabsorbe
en les identifiant à lui-même dans l’imaginaire. C’est ainsi, comme
noms-du-fils, que les noms-de-père peuvent s’accoupler aux noms-de-mère, tel Osiris à Isis, le Christ à Marie, Nerval à
Laurent, Napoléon à Marie-Louise... Neutralisée dans ces couples
imaginaires incestueux qu’elle devrait dissoudre, l’intervention tierce
paternelle n’est effective que lorsqu’elle précipite en quelques heures la
ruine qu’elle cherchait à éviter : lorsque la métaphore délirante cesse de
réussir, quand le Nom-de-la-Mère cesse d’opérer, quand Gérard cesse de signer
du Nom de « Nerval », au moment où il signe enfin du Nom-du-Père ou
de « Labrunie », lors de la chute de son origine biologique : de
l’objet qui l’entraîne dans le suicide. Mythiquement parlant, il s’agit là
d’une sorte de castration tardive qui permet à l’objet-charogne de rejoindre
son vrai sujet : celui dont il porte le Nom, sa mère et son épouse, qui
récupère enfin son être dans la personne « d’Osiris embaumé » — qui
n’a plus naturellement de phallus, étant déjà le phallus de la déesse Isis[107].
Mots clés : Nom-du-Père, forclusion, mère,
mélancolie, Nerval
[1] Lacan J.
Des noms-du-père (1963),
Paris, Seuil, 2005, p. 91.
[2] Râzî, F. A. Traité sur les noms divins (1199), M. Gloton (trad.), Paris, 1986,
I, pp. 209-276.
[3] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 20 juin 1956,
Paris, Seuil, 1981, p. 324.
[4] Lacan J. Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, séance du 23
mars 1960, Paris, Seuil, 1986, p. 213.
[5] Lacan J. « R.S.I », « 15
avril 1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ? N° 5, 1975-1976, Bulletin périodique du champ
freudien, p. 54.
[6] Lacan J. Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, séance du
18 juin 1958, Paris, Seuil, 1998, p. 463.
[7] Lacan J. Écrits, « D’une question préliminaire à tout traitement
possible de la psychose » (1958),
Paris, Seuil, 1999, II, p. 34.
[8] Lacan J. Le Séminaire, « D’un Autre à l’autre », séance du 29
janvier 1969, inédit.
[9] Lacan J. Écrits, « Fonction et champ de la parole et du langage »,
(1953), op. cit., p. 276.
[10] Lacan, J. Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, séance du
18 juin 1958, op. cit., p. 463.
[11] Pascal B. Pensées, Garnier-Flammarion, Paris, 1976, 233-418, p. 114.
[12] Ibid.
[13] Lacan J. Le Séminaire, « D’un Autre à l’autre », séance du 22 janvier
1969, inédit.
[14] Lacan J. Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, séance du 2 mai 1956, op.
cit., p. 244.
[15] Lacan J. Le Séminaire, « L’identification », séance du 17 janvier
1962, inédit.
[16] Lacan J. Autres écrits, « La méprise du sujet supposé savoir »
(1967), Paris, Seuil, 2001, p. 337.
[17] Lacan J. « R.S.I., 11 février
1975 », Ornicar ?, N° 4, 1975, op. cit., p. 99.
[18] Lacan J. Écrits, « Subversion du sujet et dialectique du désir »,
1960, op. cit., II, p. 293.
[19] Anonyme, Le Veda, « La parole », J. Varenne (tr.), Paris, Denoël,
1967, 10.125, p. 339.
[20] Lacan J. Le Séminaire, « Les non-dupes errent », séance du 19 mars
1974.
[21] Lacan J. « R.S.I., 15 avril
1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ?, N° 5, 1975-1976, op. cit., p. 54.
[22] Lacan J. Écrits, « Position de l’inconscient » (1960), op. cit., II, p. 329.
[23] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 4 juillet 1956, op.
cit., pp. 359-360.
[24] Lacan J. Le Séminaire, « D’un Autre à l’autre », séance du 29
janvier 1969, inédit.
[25] Lacan J. . « R.S.I., 15 avril
1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ?, N° 5, 1975, op.
cit., p. 54.
[26] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 11 avril 1956, op. cit., p. 218.
[27] Ibid.,
séance du 18 avril 1956, p. 224.
[28] Ibid.,
séance du 18 janvier 1956, p. 111.
[29] Lacan J. Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, séance du 11
mars 1970, Paris, Seuil, p. 129.
[30] Lacan J. Écrits, « D’une question préliminaire... » (1958), op. cit., pp. 55-56.
[31] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 18 avril 1956, op.
cit., p. 230.
[32] Lacan J. Écrits, « D’une
question préliminaire... » (1958), op.
cit., p. 57.
[33] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 11 janvier 1956, op.
cit., pp. 94-95.
[34] Ibid., séance du 15 février 1956, p. 171.
[35] Lacan, J. Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, séance du 29
juin 1960, op.
cit., pp. 354-355.
[36] Lacan, J. Le Séminaire, livre III, Les
psychoses, séance du 25 avril 1956, op. cit., p. 240-241.
[37] Ibid.,
séance du 27 juin 1956, p. 344.
[38] Ibid.,
séance du 02 mai 1956, p. 244.
[39] Lacan J., Écrits, « D’une question préliminaire… » (1958), op. cit., pp. 34-35.
[40] Lacan, J. Le Séminaire, L’éthique de la
psychanalyse, séance du 23 mars 1960, op. cit., p. 212.
[41] Ibid.,
p. 213.
[42] Lacan J. « D’un Autre à
l’autre », séance du 29 janvier 1969, op.
cit.
[43] Lacan J. Le Séminaire, Les psychoses, séance du 2 mai 1956, op. cit.,
p. 244.
[44] Freud, S. Totem et tabou (1912), S.
Jankélévitch (trad.), Paris, Payot, 1992, pp. 224-225.
[45] Lacan J. « D’un Autre à
l’autre », séance du 29 janvier 1969, op.
cit.
[46] Lacan J. Le Séminaire, Le sinthome, séance du 18.11.75, Paris, Seuil, 2005,
p. 22.
[47] Lacan, J. « R.S.I., 15 avril
1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ?, N° 5,
1975-1976, op. cit., p. 54.
[48] Lacan, J. « R.S.I., 11 mars
1975 : le pathème du phallus », Ornicar ?, N° 5, 1975-1976, op. cit., pp. 17, 21.
[49] Lacan, J. Des noms-du-père, op. cit., p. 99.
[50] Anonyme, Le Veda, « Baskalamantra », op. cit., 11, p. 427.
[51] Baruck A. et Daumas F., Hymnes et prières de l’Egypte ancienne,
Paris, Cerf, 1980, 68, 89, 118, pp. 189, 320, 392.
[52] Hérodote, Œuvres complètes, « L’enquête », A. Barguet (trad.), Paris, Pléiade, II, 42, p.
159.
[53] Freud S. Moïse et la religion monothéiste (1939), C. Heim (tr.), Paris,
Gallimard, 1986, pp. 82, 90.
[54] Lacan J. Des noms-du-père, op. cit., pp. 100-101.
[55] Lacan J. Le Séminaire, « D’un Autre à l’autre », Séance du 12
février 1969.
[56] Lacan J. Des noms-du-père, op. cit., pp. 86-101.
[57] Ibid.,
p. 90.
[58] Maïmonide M., Le guide des égarés, S. Munk (trad.), Paris, Verdier, 1979, I, 61,
pp. 146-147.
[59] Pseudo-Denys l’Aréopagite, Œuvres complètes, « Les noms divins », M. Gandillac
(trad.), Paris, Aubier, 1943, IX, XII, XIII, pp. 154-160, 170-176.
[60] Lacan J., « R.S.I., 15 avril
1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ?, N° 5,
1975-1976, op. cit., p. 54.
[61] Irénée de Lyon, Contre les hérésies, A. Rousseau (trad.), Paris, Cerf, 1979, II, 35,
3, p. 369.
[62] Ibid.
[63] Lacan J., Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse, séance du 23 mars 1960, op.
cit., p. 212.
[64] Freud
S., Moïse et la religion
monothéiste (1939), op. cit., p.
82.
[65] Lacan J., Le Séminaire, L’éthique de
la psychanalyse, séance du 23 mars 1960, op. cit., p. 212.
[66] Lacan J., Des noms-du-père, op. cit., pp. 91-92.
[67] Lacan J., « R.S.I., 15 avril
1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ?, N° 4,
1975-1976, op. cit., p. 55.
[68] Lacan J., Le Séminaire, Les psychoses, séance du 20 juin 1956, op. cit., p. 330.
[69] Lacan J., Ecrits, « D’une question préliminaire... » (1958), op. cit., p. 55.
[70] Nerval G., Œuvres complètes, III,
« Promenades... » (1855), Paris, Pléiade, 1993, pp. 679-680.
[71] Ibid.,
p. 680.
[72] Nerval G., Œuvres complètes, I, « Diorama, Odéon » (1844), op. cit., p. 840.
[73] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Voyage en Orient » (1851), op. cit., p. 723.
[74] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Lettre à George Sand » (1853), op. cit., p. 825.
[75] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Lettre à Alexandre Labrunie »
(1855), op. cit., p. 912.
[76] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Lettre
au Docteur Blanche » (1854), op.
cit. p. 882.
[77] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Lettre à J.-B. Dublanc »
(1853), op. cit., p. 828.
[78] Nerval G., Œuvres complètes, I,
« Le roman tragique » (1844), op. cit., p. 704.
[79] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Chant monténégrin » (1849), op. cit., p. 276.
[80] Nerval G., Œuvres complètes, I,
« Le roman tragique » (1844), op. cit., p. 705.
[81] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Isis » (1854), op. cit., p. 619-621.
[82] Nerval G., Œuvres complètes, II « Aurélia » (1855), op. cit., pp. 700, 736.
[83] Ibid.,
p. 741.
[84] Nerval G., Œuvres complètes, I, « Napoléon et la France guerrière »
(1824), op. cit. p. 94.
[85] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Octavie » (1854), op. cit. pp. 538-539.
[86] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Aurélia » (1855), op. cit., p. 736.
[87] Ibid.,
p. 737.
[88] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Les Cydalises » (1853), op. cit., p. 270.
[89] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Les illuminés » (1852), op. cit., p. 1137.
[90] Nerval G., Œuvres complètes, I,
« Lettres d’amour » (1838), op.
cit., p. 724.
[91] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Isis » (1854), op. cit., p. 620.
[92] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Aurélia » (1855), op. cit., p. 736.
[93] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Voyage en Orient » (1851), op. cit., pp. 581-582.
[94] Nerval G., Œuvres complètes, III, « El Desdichado » (1853), op. cit., p. 645.
[95] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Sylvie » (1854), op. cit., p. 543.
[96] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Corilla » (1854), op. cit., pp. 425-437.
[97] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Jemmy » (1854), op. cit., pp. 581, 598-599.
[98] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Aurélia » (1855), op. cit., pp. 700-736.
[99] Ibid.,
pp. 736.
[100] Ibid.,
pp. 733-734.
[101] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Manuscrits antérieurs ou
postérieurs… » (1855), p. 752.
[102] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Les filles du feu » (1854), p.
540.
[103] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Aurélia » (1855), op. cit., p. 737.
[104] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Angélique »
(1854), op. cit., p. 504.
[105] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Promenades... » (1854), op. cit., p. 681.
[106] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Voyage en Orient » (1851), op. cit., p. 259.
[107] Lacan J., Ecrits, « La direction
de la cure » (1958), op. cit.,
II, p. 107.