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Les noms du père et de la mère,

le cas de Gérard de Nerval

 

David Pavón Cuéllar

Letterina, bulletin de l’Association de la Cause Freudienne en Normandie, n°41, 03.2006, pp. 79–95.

 

 

 

Nous partirons de ce que Lacan nous apprend sur le Nom-du-Père : sa transmission et sa traduction par le « non » de la mère, ainsi que l’affirmation qu’il soutient et la forclusion qui, à l’occasion, le frappe. Ensuite, nous opposerons les « Noms-du-Père » (en lettres majuscules), qui supposent que la fonction paternelle dans sa dimension symbolique est opérante, aux « noms-de-père » (avec des minuscules), qui sont une conséquence de la forclusion du Nom-du-Père. A partir de là, nous montrerons, dans le cas de l’écrivain Gérard de Nerval, l’existence d’une métaphore délirante où le « Nom-de-la-Mère » compense la forclusion du Nom-du-Père.

 

1.         Le Nom-du-Père

            Le Nom-du-Père « n’est que Le Nom »[1], le Shem de Moïse, qui n’est que le Nom qui est, « celui qui est » (Exode, 3, 14) : celui qui n’est rien d’Autre que celui qui est, Même sans Autre, sujet sans prédicat, Nom sans attributs. Comme celui qui est, en effet, le Shem n’embrasse pas ses attributs ou ce qu’il est : El Shaddaï, Elohim, Adonaï, etc. « Loin de lui » ce qu’on lui « attribue », dirait le Coran (Sourate LIX, 24). Loin de Lui tout ce qui n’est pas Lui, Huwa, qui « te détache de tout sauf de Lui »[2].

            N’étant que le Nom qui est, le Père symbolique n’est pas aussi le père réel, mais il est, comme celui qui est, à la place du père réel qui n’est pas. À défaut de ce père réel, qui manque d’un être symbolique pour être, notre condition de « départ », dans la « tradition » juive, chrétienne et musulmane, est « d’ores et déjà » orpheline, « athée »[3]. Notre père réel est d’ores et déjà mort : mort comme Chose meurtrie par le Nom qu’elle devient. À la place de ce dieu réel « qui n’existe pas »[4], il ne nous reste qu’un trou, « ça engloutit », puis « ça recrache […] le Père comme nom »[5] : « le Père » symbolique, « avec un grand P », qui « n’est jamais là un père, mais bien plutôt le père mort, en tant que porteur d’un signifiant »[6].

            Si le Père n’est qu’un Nom, si le Père n’est que symbolique, c’est pour la bonne raison qu’on ne sait jamais avec une entière certitude qui est notre père, « l’attribution de la procréation au père ne pouvant être l’effet que d’un pur signifiant »[7]. En fait, c’est précisément pour cette raison que le Nom-du-Père, n’étant pas subordonné au réel, peut devenir « pivot »[8] ou « support » du « symbolique »[9] : un élément pionnier qui n’est que signifiant, et non pas signe, ne signifiant rien de précis dans le réel, signifiant seulement, ce qui lui permet « de fonder tout le système des signifiants »[10].

            Comme celui-qui-est sans rien être en particulier, comme signifiant-qui-signifie sans rien signifier de précis, le Nom-du-Père se rapporterait-il au moins à un Dieu, à un père en général ? Pas forcément. Quoi qu’il en soit, « la raison n’y peut rien déterminer »[11]. Il n’y a là qu’un jeu de « croix ou pile ». À part le signifiant, on n’a aucune certitude. Quant au signe de la croix, il faut y croire, et « gager », en « prenant croix que Dieu est »[12] : que le Père symbolique signifie le père réel ; que celui qui est, est Dieu. La signification n’est alors qu’un « pari »[13] : le pari de Pascal. C’est une question de croyance, pour ne pas dire de crédulité.

            Puisque le père est une question de croyance et « rien dans la réalité vécue n’en indique la fonction », il n’a d’autre réalité que « spirituelle », voire « sacrée »[14]. C’est pour cela que « tout père est Dieu »[15] et que la « place du Dieu-le-Père » coïncide avec celle du « Nom-du-Père »[16]. C’est aussi pour cela que la « réalité psychique », laquelle est « identique » au Nom-du-Père, apparaît comme une « réalité religieuse »[17].

 

2.         Le non-de-la-mère

            Pour transmettre le Nom-du-Père, ainsi que la réalité psychique ou religieuse qu’il comporte, le Père symbolique ne suffit pas. Il ne peut pas se transmettre lui-même, il ne se suffit pas, le Même ne se suffit pas. Il faut l’Autre : la mère.

            Occupant « réellement » la place de l’Autre[18], cette place de « la parole » qui « enfante le Père »[19] dans les Veda, la mère n’accouche pas seulement du fils corporel, du Christ, comme la Christotokos des nestoriens, mais aussi du Père nominal, du Nom, comme la Theotokos du Concile d’Ephèse. Pour accoucher de ce Nom-du-Père, la mère, en parlant, doit en faire sa propre métaphore : elle doit substituer métaphoriquement le terme symbolique du Nom-du-Père à l’entité réelle de son désir-de-mère. Pour ce faire, elle « en est réduite, ce Nom, à le traduire par un non »[20] : par ce non qui dérange l’amour entre l’enfant et sa mère imaginaire, ce non où réside tout le pouvoir frustrant de la mère symbolique, ce non qui nie le réel de la mère et de son désir pour en affirmer le Nom, celui du Père.

            Traduit par le non-de-la-mère, le Nom-du-Père se transmet, comme Loi, au moyen des interdictions universelles dérivées de l’exception du père et de l’interdit de l’inceste. En tant qu’appellation lacanienne de l’Œdipe freudien[21], le Nom intervient là, au niveau de la castration, comme « principe de séparation »[22] entre le Même et l’Autre : entre la mère et l’enfant, entre l’objet et le sujet, entre la femme et l’homme, entre le fils et le père – ce qui n’est possible que par « la descendance de mâle à mâle » à travers un Nom qui « introduit la différence » des genres et des générations[23].

            Comme « transmission » de « la castration »[24] et de « l’interdit de l’inceste »[25], le complexe d’Œdipe lègue « la virilité sous la forme du Nom-du-Père »[26]. Sous une telle forme, il introduit le fils dans cette « structure humanisée » qu’est le symbolique[27]. Permettant ainsi « d’établir la relation du mâle à la femelle », l’intervention œdipienne du tiers qu’est le Nom-du-Père, en tant que métaphore du désir de la mère, évite « une relation imaginaire et incestueuse vouée à la ruine »[28] : à cette ruine provoquée par les « dégâts » que le désir de la mère « entraîne toujours »[29].

 

3.         La forclusion du Nom-du-Père

            Faute d’intervention du tiers symbolique, il reste la possibilité d’intrusion d’un « père réel » situé « en position tierce » dans « le couple imaginaire »[30]. Si une telle intrusion précipite la ruine qu’elle cherche à éviter, c’est parce que l’intrus est réel. Qu’il soit réel peut s’expliquer, soit par le manque du non-de-la-mère qui transmet sa valeur symbolique, soit par le manque de cette valeur symbolique : un « manque » dans la « fonction formatrice » du père, où il peut y avoir de « l’unilatéral », du « monstrueux »[31], du « démérite » ou même de la « fraude », ce qui suffit pour « exclure » la paternité de « sa position dans le signifiant »[32].

            À partir de l’aptitude ou l’inaptitude paternelle à faire Nom, il y a la capacité ou l’incapacité maternelle de dire non pour transmettre le Nom. Tandis que l’aptitude paternelle et la capacité maternelle transmettent le Nom-du-Père et permettent la « symbolisation primitive » qu’il soutient, c’est-à-dire l’affirmation (Bejahung) de tout ce qui peut exister comme réalité, l’inaptitude paternelle ou l’incapacité maternelle suscitent la forclusion (Verwerfung) de ce Nom, lequel « n’entre pas » alors « dans la symbolisation »[33], étant rejeté dans les « ténèbres extérieures » et exclu du « dedans primitif », du « premier corps du signifiant » où se constitue, par affirmation, « le monde de la réalité »[34]. Ce n’est que plus tard que ce qui est ainsi forclos dans ce « monde symbolique », faisant retour « dans le réel » de la psychose, précipite la ruine qu’il cherche à éviter. 

            Récapitulons. Si le père fait retour dans le réel, c’est parce qu’il est forclos dans le symbolique. S’il est forclos dans le symbolique, c’est parce qu’il ne devient pas le Nom, le Nom-du-Père, ou bien parce que la mère ne transmet pas le Nom qu’il devient. Dans un cas, si le père ne devient pas le Nom, c’est parce qu’il ne meurt pas comme Chose paternelle. Dans l’autre cas, si la mère ne transmet pas le Nom, c’est parce qu’elle n’en fait pas sa métaphore, parce qu’elle ne métaphorise pas le réel de son désir, parce qu’elle ne meurt pas comme Chose maternelle, parce qu’elle ne se métamorphose pas en Nom paternel, parce qu’elle ne traduit pas ce Nom, parce qu’elle ne dit pas non.   

            Lorsque la mère ne meurt pas comme Chose, elle survit dans le réel de son désir et de l’inceste. De même, lorsque le père ne meurt pas comme Chose, il survit dans le réel de la castration et de la génération. Comme castrateur et géniteur mythique auquel « nous avons à faire beaucoup de reproches », le père qui survie est celui qui persécute le paranoïaque, le même que le mélancolique « incorpore » pour être « si méchant » avec lui-même. Il est le « rival », le « Grand Fouteur », qui meurt pour devenir le Père symbolique, celui de la normalité, et pour « s’effacer derrière » le père dont on fait le deuil normal : ce « père imaginaire » du névrosé, « le père qui l’a, lui le gosse, si mal foutu »[35]. Ainsi, par rapport au père, « l’accent est mis sur sa réalisation symbolique » dans la « forme normale », sur sa « réalisation imaginaire » dans « la forme névrotique » et sur sa « fonction réelle » dans la forme psychotique[36].

            Tout d’abord, il n’y a que le père réel qui doit mourir, aussi bien dans la normalité que dans la névrose, pour qu’il y ait les pères symbolique et imaginaire. Or, puisque en-dehors de la psychose le père réel n’est qu’une question de croyance, on peut toujours ne pas y croire et considérer « qu’avant qu’il y ait le Nom-du-Père, il n’y avait pas de père »[37]. Mais on peut aussi faire preuve de crédulité en croyant au père réel et à son meurtre. D’ailleurs, bien qu’il ne s’agisse là que d’un mythe, ce mythe est « impossible à éviter dans la cohérence de la pensée de Freud »[38].  Dans cette pensée, en effet, c’est « la nécessité de la réflexion » qui mène à « lier » l’apparition du Père symbolique à la disparition du père réel[39]. Ce n’est certainement qu’une croyance, mais « sans doute une science s’est-elle élevée sur la fragile croyance »[40]. Pour cette science qui gage, en prenant croix que Dieu est, la vérité de Dieu, celle de la croix, « trouve sa voie par celui que l’Écriture appelle sans doute le Verbe, mais aussi le Fils de l’Homme, avouant ainsi la nature humaine du Père »[41].

            Si le Verbe est effectivement le Père, il est pourtant enfanté par l’humanité de la mère qui parle. Il est donc aussi le Fils de l’Homme : le Dieu qui meurt dans la croix pour devenir le Verbe. Or, puisque déjà « au commencement était le Verbe » (Jean 1, 1), alors ce Dieu est « déjà mort depuis toujours ». Depuis, il ne reste que Verbe, le Nom-du-Père, et « tout tourne autour de cela »[42]. Tout ce qui est humain, tout ce qui est déjà symbolisé, tout cela tourne autour du Nom. Mais tout cela n’est pas tout. Il y a un reste : il reste un bout de réel qui échappe à la symbolisation. Il reste ce qu’on peut concevoir, dans le mythe de notre genèse, comme l’inhumanité de notre humanité ou l’animalité qui se détache de notre humanité.

            Mythiquement ou mythequiment, d’après le mythe qui ment, le père qui meurt pour devenir symbolique personnifie l’inhumanité qui se détache de l’humanité pour que l’humanité soit : pour que le Nom-du-Père soit, pour qu’il soit le Nom qui est, celui qui est. Dans cette mort du père, il y a donc un « dépassement intérieur » de ce qui devient, de par ce dépassement, « l’être humain »[43] : l’être qui est humain, l’être qui est celui qui est. N’étant plus simplement, d’instinct, en étant, l’être se dépasse en étant celui qui est, en ex-sistant comme celui qui est par rapport à celui qui l’est. Dans ce retour pulsionnel de l’être sur son être, par lequel « dieu surmonte la partie animale de son être »[44], le père se divise de son être anonyme pour cesser d’être animal, pour être humain : pour être son Nom, le premier, qui marque « la différence entre les champs de l’homme et de l’animalité »[45].

            Dépassant le champ mythique du père réel animal, le champ de l’homme est celui religieux du Père symbolique humain : du « Nom-du-Père » qui est aussi le « Père du Nom »[46], du père « comme nom » qui est aussi le père « comme nommant »[47] : le père qui « donne un nom aux choses », aux « animaux »[48], dans l’affirmation de tout ce qui est, dans cette symbolisation qui s’ensuit du commencement où était le Nom. Si nous abjurons de cette religion de notre Dieu anthropomorphe, de Notre Père qui est aux cieux, il ne nous reste alors que le mythe de notre père anthropoïde zoomorphe qui est sous terre. Ainsi, en reniant le créationnisme, en niant la création ex nihilo par le Nom, il ne nous reste que l’évolutionnisme, où il nous faut, à la place du Nom, un « totem » : un « ancêtre animal », biologique, physique[49].

            Dans une réconciliation du mythe et de la religion, de l’évolutionnisme et du créationnisme, nous avons eu autrefois comme aïeul, au-delà du singe, un bélier qui n’était pas seulement vénéré comme notre ancêtre, mais aussi comme notre créateur. Ainsi, en Inde, à l’époque védique, le bélier ne « revêtait forme après forme », dans son évolution, que « grâce à ses pouvoirs créateurs »[50]. En Egypte, comme Ammon-Khnoum, le même bélier n’était « le père des pères », l’ancêtre qui avait « enfanté » les dieux et les hommes, que dans la mesure où il était aussi le créateur qui avait « fait les modeleurs » et « façonné ce que produit le sol »[51].

            Ne se montrant pas encore à son fils, tenant pour cette raison la tête du bélier Khnoum « devant son visage »[52], le père Ammon, « dieu à tête de bélier qui n’achevait pas son évolution à partir des animaux totémiques », devait mourir comme ancêtre réel, ou se montrer comme pure créateur symbolique, pour devenir le Père Aton que Freud identifie au juif Adonaï[53]. Même en Israël, d’ailleurs, pour que cet Adonaï puisse être ce qu’il devait être, celui qui est, il fallait que le « bélier primordial »[54], au titre « d’ancêtre totémique », meure comme Chose aux mains d’Abraham et devienne le Nom aux mains de Moïse[55].

 

4.         Les Noms-du-Père

            Le sacrifice du bélier dramatise une solution de continuité entre la Chose et le Nom, entre le père réel et le Père symbolique, entre l’inhumain et l’humain, entre l’instinct et la pulsion, entre le mythe et la religion. À ce moment où s’institue « la circoncision » comme figure de la castration, de « l’interdit de l’inceste », de « la Loi » et de « la culture », le sacrifice du bélier « marque » aussi « le tranchant de couteau » entre la jouissance intransmissible d’un père, tortionnaire ou persécuteur, et le désir transmissible du Père : un désir qui ne s’éveille dans le fils qu’après « la chute » de « l’origine biologique » que le prépuce incarne[56].

            Après la chute de l’origine biologique, il y a donc le désir du Père, mais il y a aussi la névrose du fils, laquelle est « inséparable », au moins dans les traditions monothéistes juive, chrétienne et musulmane, d’une « fuite » devant le désir du Père symbolique. Ce désir, tel qu’il s’exprime dans l’imaginaire de la névrose, il ne faut pas le confondre avec le désir d’un père qui fait retour dans le réel de la psychose et qui torture des mélancoliques ou persécute des paranoïaques aussi incapables de s’enfuir les uns que les autres. Quant à la jouissance du père, qu’il ne faut pas confondre non plus avec son désir, on ne peut en faire l’expérience que dans certaines formes de psychose ou dans le « mysticisme » polythéiste[57].

            La rupture entre le père réel, du côté du mythe, du mysticisme païen et de la psychose, et le Père symbolique, du côté de la religion et de la névrose, n’est pas sans rapport avec la transition du polythéisme au monothéisme. En Egypte, par exemple, tandis qu’Amon est vraisemblablement un nom de père réel ou l’un des noms de géniteur de la mythologie traditionnelle, Aton est plutôt le Nom du Père symbolique de la religion d’Akhenaton. Ici comme ailleurs, les noms-de-père du polythéisme, n’excluant pas l’existence de plus d’un père, se distinguent des Noms-du-Père du monothéisme, lesquels s’appliquent, non pas à un père ou à des pères, mais au Père symbolique, le seul vraiment susceptible d’être désigné comme le Père. Appliqués à ce Père unique, à ce Nom-du-Père, les Noms-du-Père, dans la tradition juive, sont les Noms du Nom-du-Père : les Kinouïm du Shem, les prédicats du sujet, les « attributs » de « l’essence même de Dieu »[58]. Chez les musulmans, ces Noms correspondent aux Sifa, aux 99 attributs d’Allah : le sachant, le voulant, etc. Dans le christianisme, ils sont les « noms divins » recueillis par l’Aréopagite, entre lesquels il convient ici d’évoquer ceux qui « ramènent la variété à l’unité » : le « Saint des saints », le « Roi des rois » et même « le Dieu des dieux », mais aussi « l’Unique » et « le Même »[59]. Dans ces religions publiques, comme dans les religions privées des névrosés, les Noms, ramenant ainsi leur variété à l’unité, sont « tous noués », tous « reposant » comme Autre sur le Même ou l’Unique, sur le Nom, lequel, « en tant que trou », en tant qu’évidement symbolique de la Chose paternelle, il « communique sa consistance à tous les autres »[60].

            À la différence des Noms-du-Père, qui sont des adjectifs, des participes ou des substantifs insubstantiels, sans autre substance ou subsistance ou consistance que celle négative du Nom duquel ils dérivent, les noms-de-père sont des substantifs qui possèdent chacun sa propre substance. Ne se référant pas au Père, mais à des pères, ces noms-de-père empruntent leur substance multiple à la multiplicité du réel auquel ils se réfèrent. Cette multiplicité n’a rien d’étonnant. Quelqu’un de réel ne peut jamais être le Père, n’étant qu’un père, l’un des géniteurs possibles du fils : un exemplaire dans la foule d’hommes qui auraient pu féconder la mère. C’est pour cela que les pères du polythéisme, pouvant être plusieurs, ils peuvent être des pères réels, des ancêtres physiques ou biologiques, alors que le Père du monothéisme, ne pouvant être qu’un, il ne peut être que symbolique.

            Ne pouvant être qu’Un, le Père du monothéisme rachète le manque de la multiplicité de noms-de-père du polythéisme par une multiplicité de Noms du Nom-du-Père. Il arrive pourtant que ces Noms insubstantiels se paganisent et se confondent avec les noms-de-père substantiels du polythéisme. Ainsi, l’Élohim de la Bible présente souvent une substance indépendante de celle du Nom. Avec cette substance, il n’est peut-être qu’un des sept pères que les Ophites, dénoncés par Irénée de Lyon, retrouvent dans la Bible : « Jaldabaoth, Jao, Sabaoth, Adonaï, Élohim, Hor et Astaphée »[61]. Que ces noms-de-père ne soient pas des pères, mais des Noms-du-Père ou des « appellations d’un seul et même être »[62], ceci n’est pas très évident. L’être qui ordonne de tuer Isaac ne semble pas être le même que celui qui ordonne de ne pas le tuer. Il ne semble pas non plus être le bélier qui est sacrifié à sa place.

            Tandis que le Père unique du monothéisme peut nous paraître multiple en raison des contradictions entre les fonctions de ses Noms, les pères multiples du polythéisme peuvent nous apparaître comme les diverses manifestations d’un seul Dieu unique en raison du manque de contradiction entre les fonctions de leurs noms. Tel est le cas des « dieux non contradictoires dont Freud nous désigne dans la terre d’Egypte le lieu élu de la pullulation »[63]. Le processus vers l’unicité paternelle monothéiste, par lequel les « noms » de ces dieux « se combinent entre eux de telle façon que l’un se ravale presque à n’être que l’épithète de l’autre »[64], pourrait s’expliquer par une circonstance ontogénétique décisive, à savoir que c’est le seul père de chaque sujet, le père unique immolé sur l’autel de son propre Nom, celui qui « ressuscite, du vide laissé par sa mort »[65], dans les pères multiples qui devraient alors tendre logiquement vers l’unicité de leur origine. Voilà pourquoi Ammon, Khnoum et Rê finiraient par se confondre, sous la forme du bélier, dans une divinité qui serait prête à être sacrifiée pour céder sa place à un Dieu Aton caractérisé par son unicité irréductible et par la pureté de sa forme symbolique : un disque solaire épuré de toute imaginarisation anthropomorphe ou zoomorphe. Voilà aussi pourquoi les différents pères de la Bible finiraient eux aussi par se confondre, sous la même forme du bélier, dans le seul père qui est sacrifié par Abraham pour céder sa place au Nom qui fait « proliférer sa descendance » (Genèse, 22, 17).

            Dans l’histoire biblique, la substitution du Nom au corps ne se consomme qu’au moment où « le Nom » est prononcé par « le corps » du buisson ardent. S’annonçant là comme « le Dieu d’Abraham » (Exode, 3, 6), le père corporel se distingue du Père nominal, du Shem de Moïse, et il se désigne comme ce qu’il cesse d’être à l’instant même, comme « El Shaddaï », comme « un Dieu », comme ce qui « se rencontre dans le réel »[66]. Désormais, ce nom-de-père, El Shaddaï, ne devra plus être appliqué au père réel, mais seulement au Père symbolique. Avec cette émancipation du symbolique, le nom-de-père, ou nom-de-Chose, devient l’un des Noms du Nom-du-Père. Quant à ce Nom, Shem, il n’est aussi El Shaddaï que dans le sens où le sujet, celui qui est, est ce qu’il est, comme prédicat auquel il communique sa consistance.

            Monsieur Shem n’est Seigneur, Créateur et Puissant, que pour autant qu’il est celui qui est, Nom qui donne de la consistance à ces attributs, à ce qu’il est : Seigneur, Créateur et Puissant. Comme on peut l’apprécier dans n’importe quelle embrouille névrotique, ces attributs, ces Noms-du-Père, sont assez inconsistants. Dans leur inconsistance, même « non dupes, ils ne peuvent qu’errer ». En errant, « plus il y en aura, plus ils s’embrouilleront »[67]. En fait, il y en aura toujours le nombre suffisant pour s’embrouiller : le nombre exact qui leur permet de se nouer pour transmettre la complexité du complexe de castration – tel qu’elle s’exprime dans les inconsistances inhérentes à la consistance du Nom qui la véhicule.

            Si les Noms-du-Père s’embrouillent dans leur errance névrotique, c’est parce que tous, non dupes, errent dans la même route : celle du Nom qui leur communique sa consistance. Pour ne pas s’embrouiller, les Noms devraient errer ailleurs, s’écarter de la « grand-route » et prendre les « petits chemins »[68]. Or, là ils ne seraient plus ce qui est celui qui est, ils perdraient l’unité que le Nom leur donne, ils ne seraient plus dans sa trace.

            Dans les petits chemins, les noms ne sont plus des Noms-du-Père, des Noms de la grand-route, mais des noms de petit chemin : les noms-de-père qui prolifèrent dans la psychose et dans le mysticisme païen. Or, après le déclenchement de la psychose, qui n’a certainement rien à voir avec l’initiation mystique, une telle prolifération nominale, une telle « cascade de remaniements du signifiant », peut toujours aboutir à la « métaphore délirante »[69], laquelle, réunissant les petits chemins, ne compense pas seulement les défauts de la métaphore paternelle et de l’unité que le Nom-du-Père donne à ses Noms, mais aussi, ce qui revient au même, la perte de l’unicité de l’origine commune des noms-de-père, ceci dans une certaine confluence des fonctions des noms qui nous rappelle la tendance vers l’unicité du Père des dieux égyptiens non contradictoires.

 

5.         Le Nom-de-la-Mère

            Tout en compensant les défauts de la métaphore paternelle et de l’unité symbolique des Noms-du-Père, ainsi que la perte de l’unicité réelle du père, la métaphore délirante est en mesure de procéder comme une métaphore maternelle. Comme telle, au lieu de substituer le Nom-du-Père au désir de la mère, elle peut faire du nom de la mère la métaphore de ce même désir. Le désir étant ainsi métaphorisé, il s’agit bien là d’un fait métaphorique et d’une entité symbolique : d’un Nom-de-la-Mère. Et pourtant, la métaphore est délirante. En donnant au fils le nom de la mère, en nommant de cette façon le fils-de-la-mère, la métaphore énonce littéralement le désir-de-la-mère qu’elle métaphorise. Quant au symbole résultant, le Nom-de-la-Mère proprement dit, il présente réellement le nom qu’il représente symboliquement : il coïncide ainsi avec la Chose maternelle dont il est le symbole. En définitive, ce Nom-de-la-Mère, ce drôle de symbole, résonne comme un « oui » là où le non-de-la-mère se tait. Là, dans son propre silence, il est une présence qui remplit toute absence : une Chose meurtrière qui survit au meurtre de la Chose, une mère qui s’offre à la place de sa parole, un Nom-de-la-Mère qui se répète (S1-S1) là où la Parole-de-la-Mère devrait s’exprimer (S1-S2). Là, dans la chaîne signifiante, il est le substantif qui empiète sur le prédicat : l’Un, le Même (S1), qui mord sur un Autre (S2) qui aurait dû transmettre le Nom-du-Père. Ainsi, dans le cas particulier de Gérard de Nerval (1808-1855), que nous examinerons tout de suite, ce Nom-de-la-Mère est le Nom-de-Nerval qui vient à la place du non-de-la-mère qui aurait dû transmettre le Nom-de-Labrunie. Voilà justement le mécanisme simplifié, réduit à l’essentiel, du fonctionnement délirant que nous croyons déceler dans la mélancolie nervalienne.

            En plus de son nom de baptême, Gérard porte successivement deux noms de famille : d’abord son patronyme, le Nom-de-Labrunie, jusqu’en 1836, puis son pseudonyme, le Nom-de-Nerval, jusqu’au jour de sa mort. Suivant la propre explication de Gérard, ce pseudonyme émane d’une double détermination maternelle. D’une part, il est l’anagramme du matronyme : Laurent, Lauren, Nerual, Nerval. D’autre part, il est le toponyme d’une propriété de la famille de la mère : le clos Nerval[70]. Avec cette double détermination, le pseudonyme se montre déjà d’emblée comme ce qu’il est : comme le Nom-de-la-Mère, compensation du Nom-du-Père et de ce qui devait le traduire, le non-de-la-mère, d’une mère qui n’a jamais pu dire son « non » à un enfant qui ne l’a jamais connue. Quelques semaines après la naissance de l’enfant, en effet, la mère part avec le père, médecin de la Grande Armée, et meurt « d’une fièvre qu’elle gagne en traversant un pont chargé de cadavres » : une fièvre mortelle qui aurait ensuite « saisi » Gérard, d’après lui, sous la forme de sa mélancolie suicidaire[71].

            Au lieu d’une transmission, à travers la Parole-de-la-Mère, d’un Nom-du-Père qui n’est que le Nom qui est, ce qu’il y a chez Gérard c’est une transmission de la mort-de-la-mère à travers un Nom-de-la-Mère qui n’est pas seulement le Nom qui est, ou le symbole comme meurtre de la Chose, mais aussi la Chose meurtrière qu’il désigne — le réel transmissible de la mère, lequel peut être une certitude, et non pas uniquement, comme celui intransmissible du père, une question de croyance. Au lieu d’une transmission du symbolique à travers le symbolique, ce qu’il y a donc chez Gérard c’est une transmission du réel à travers un symbolique sur lequel empiète le réel. En même temps, au lieu du père qui meurt pour devenir le Nom, ce qu’il y a là c’est le père, en posture de démérite, qui aurait dû mourir avec son épouse, mais qui n’est pas mort. C’est alors son fils qui a dû mourir. Faisant corps avec « le premier » des « Élohim » de la Bible[72], avec le premier de ces pères « que les Égyptiens appelaient les dieux ammonéens »[73], avec le bélier « Ammon Ra »[74], c’est le fils qui a dû mourir comme le fils Isaac allait mourir, comme le père bélier est mort.

            Apparemment, dans une immolation qui réactualise le passage du père réel au Père symbolique, Gérard a se tuer pour accomplir son meurtre de la Chose paternelle et devenir le Nom-de-Labrunie qu’il n’utilise que le jour même de son suicide[75]. Or, en se tuant, Gérard ne devient ce Nom-du-Père que pour s’en détacher. Ce faisant, il échappe définitivement du symbolique. Il se laisse entraîner dans la chute de son origine biologique, mythique, totémique. Il tombe de la chaîne de son histoire. Il réalise la mort transmise par le Nom-de-la-Mère : la mort qui lui « rend » la Chose maternelle, préhistorique, dont il portait le Nom[76].

            Afin de rejoindre sa mère, Gérard n’a pas eu seulement recours au suicide. Avant ce dernier recours, il s’identifie avec ‘le père’ que « suivait » sa mère quand elle est morte : non pas le médecin veuf Labrunie, mais l’Empereur mort Napoléon[77]. Pour fonder cette identification à l’Empereur, il attribue le Nom de Nerval à l’Empereur Nerva, lequel devient le « poète » Néron[78], puis le « nouveau César » qu’est Napoléon[79]. N’ignorant pas que « sa folie est de se croire » un « Empereur », Gérard admet que ce « rôle » de Nerval-Nerva-Néron-Napoléon « s’est identifié à lui-même »[80]. Dans cette identification, le Nom-de-la-Mère, de Nerval, s’avère être aussi un nom-de-père qui permettrait à Gérard d’être un père digne de sa mère. En tant que Nerval, Gérard serait digne, en effet, d’une mère qui est même divinisée comme Isis : comme cette « mère sainte, mère de la nature, mère éternelle »[81] qui est « la même » que « sous toutes les formes » il « a toujours aimé »[82]. Époux digne de cette « mère et épouse sacrée »[83], il n’y avait que celui auquel s’identifie Gérard moyennant le nom de Nerval : Napoléon, un « dieu » qui est « délivré » par la mort de son « écorce mortelle »[84] — à l’instar du pharaon, lequel, après sa mort, devient Osiris, époux incestueux d’Isis.

            Si « le rôle d’Osiris » inspire « de la grandeur d’idées »[85] à Gérard, « l’âme de Napoléon lui commande de grandes choses »[86]. Dans les identifications à ces deux pères, la même grandeur maniaque satisfait très probablement le même désir de la mère. D’ailleurs, même lorsque Gérard devient « semblable à Dieu », il a besoin, pour « appuyer son pouvoir », de la « couronne » de la Theotokos[87], de la « mère de Dieu »[88], de la « Vierge Mère »[89] qu’il assimile aussi à sa mère. « Couronnant » le poète qui « cherche à rendre sa Dame fière de lui »[90], cette couronne est celle d’une Vierge qui s’appelle Marie comme la mère de Gérard (Marie Laurent), Marie aussi comme l’épouse couronnée de Napoléon (Marie-Louise), Marie enfin comme... la Isis « couronnée » d’Osiris[91]. D’après Gérard, en effet, Isis et sa mère sont les « mêmes » que la Vierge devant laquelle il « s’agenouille en pensant à sa mère »[92]. Elles sont donc aussi les mêmes que la seule femme qui peut convenir à Gérard, « sous tous les rapports », quand il songe au mariage : une Akkalé, une « actrice » qui ne prend part à des orgies sexuelles qu’une fois qu’elle a « représenté » la Vierge Marie toute nue, comme « image de la maternité »[93].

            Vierge Marie, Marie Laurent, Marie Lou-ise, Isis… Cette série métonymique des noms de la mère se poursuit dans toute l’œuvre de Gérard. Nous devinons de nouvelles figures à travers des personnages de cette œuvre, dans lesquels, en outre, nous soupçonnons les traits de l’actrice Jenny dont Nerval était tombé amoureux. Dans ces personnages, nous retrouvons aussi la double ambiguïté, relevée déjà dans l’Akkalé, entre la femme et l’actrice et entre « la sainte » et « la fée »[94] : d’abord dans « la religieuse » Adrienne, comme « original » aimé « sous la forme de l’actrice » Aurélie[95] ; puis dans « la déesse » Corilla, aimée sous l’aspect de la « bouquetière » qui s’avère être la Corilla dont elle est le « fantôme »[96] ; ensuite dans « l’usurpatrice » Marie Lindthal, qui prend la place maternelle de Jemmy[97] ; finalement dans la propre mère de Gérard, Marie Laurent, qui reprend elle aussi la place d’une autre incarnation de Jenny, l’actrice Aurélia[98].

            Avec le retour de la mère sur la dernière scène de l’œuvre nervalienne, nous confirmons que la double ambiguïté femme-actrice et sainte-fée n’est que la manifestation d’une antinomie fondamentale, classique dans la psychanalyse, que nous avons déjà remarquée directement chez Isis et chez l’Akkalé. Cette antinomie oppose la mère à l’épouse, l’original au substitut, la Chose à son image. Par suite de la contradiction entre les aspects délirant et métaphorique de la métaphore délirante, il y a là un écart entre ce que le Nom-de-la-Mère invoque et ce qu’il évoque : entre ce qui est présent dans sa face réelle-délirante et ce que sa face métaphorique-symbolique permet de se représenter dans l’imaginaire. Un tel écart s’exprime clairement dans les indécisions de Gérard entre la Laurent et l’Aurélia[99] ; entre la Vierge de Lorette[100] et la lorette Jenny[101] ; entre l’or ou l’aurum qu’il hérite de sa famille Laurent et l’or pour « tuer l’amour » de sa l’orette[102] ; entre l’or de sa dette réelle et l’or qu’il « n’a point payé » en tant que « Napoléon »[103] ; entre l’or d’une famille L’orent ensevelie dans le clos de Nerval, « où les squelettes ont le visage tourné » vers « l’Orient »[104], et ce même « Orient » où la mère de Gérard est « ensevelie »[105] : cet Or’ient nervalien qui n’est qu’un « vaste tombeau »[106].

            Vierge Marie, Marie Pleyel, Marie Lindthal, Marie-Louise, Marie-de-Lorette, Marie Laurent, L’orent, L’Orient, L’orette, L’or, Or, Aurum, Aurélia, Aurélie... Paradoxalement, dans cette série de substantifs distincts, de noms-de-mère, il n’y a pas un seul qui soit Autre que le Nom-de-la-Mère. Certes, puisqu’il y a une métaphore, il doit y avoir cette entité symbolique : ce Nom-de-la-Mère. Or, puisque la métaphore est délirante, il ne doit pas y avoir un prédicat de ce Nom : un Autre de l’Un dans le symbolique. Et pourtant, puisque la métaphore délirante réussit jusqu’au moment du suicide, le Nom-de-la-Mère fait tenir ensemble, dans une œuvre littéraire, des noms-de-mère : il fait tenir ensemble des substantifs comme s’ils étaient des prédicats d’un même sujet. Il n’en reste pas moins que les substantifs ne sont que des réitérations de l’Un, du Même (S1-S1). Quant à la place de l’Autre (S2), elle reste pleine, c’est-à-dire vide de symbolique : muette de la parole qui devrait arrêter les réitérations du « oui » et dire le « non » qui traduirait et transmettrait le Nom du Père digne de ce Nom. Ce qui n’est ainsi ni traduit ni transmis dans ce blanc, étant forclos dans le symbolique, ne peut alors surgir que dans le réel, étant là désigné par des noms-de-père : Christ, Osiris, Napoléon, Néron, Nerva, Nerval...

            Grâce à la réussite de la métaphore délirante, les pères peuvent quand même encore être désamorcés comme ce qu’ils sont, comme des tiers réels qui s’interposent entre la mère et son fils, quand ce fils les réabsorbe en les identifiant à lui-même dans l’imaginaire. C’est ainsi, comme noms-du-fils, que les noms-de-père peuvent s’accoupler aux noms-de-mère, tel Osiris à Isis, le Christ à Marie, Nerval à Laurent, Napoléon à Marie-Louise... Neutralisée dans ces couples imaginaires incestueux qu’elle devrait dissoudre, l’intervention tierce paternelle n’est effective que lorsqu’elle précipite en quelques heures la ruine qu’elle cherchait à éviter : lorsque la métaphore délirante cesse de réussir, quand le Nom-de-la-Mère cesse d’opérer, quand Gérard cesse de signer du Nom de « Nerval », au moment où il signe enfin du Nom-du-Père ou de « Labrunie », lors de la chute de son origine biologique : de l’objet qui l’entraîne dans le suicide. Mythiquement parlant, il s’agit là d’une sorte de castration tardive qui permet à l’objet-charogne de rejoindre son vrai sujet : celui dont il porte le Nom, sa mère et son épouse, qui récupère enfin son être dans la personne « d’Osiris embaumé » — qui n’a plus naturellement de phallus, étant déjà le phallus de la déesse Isis[107].

 

Mots clés : Nom-du-Père, forclusion, mère, mélancolie, Nerval



[1] Lacan J.  Des noms-du-père (1963), Paris, Seuil, 2005, p. 91.

[2] Râzî, F. A. Traité sur les noms divins (1199), M. Gloton (trad.), Paris, 1986, I, pp. 209-276.

[3] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 20 juin 1956, Paris, Seuil, 1981, p. 324.

[4] Lacan J. Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, séance du 23 mars 1960, Paris, Seuil, 1986, p. 213.

[5] Lacan J. « R.S.I », « 15 avril 1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ? N° 5, 1975-1976, Bulletin périodique du champ freudien, p. 54.

[6] Lacan J. Le Séminaire, Livre V, Les formations de l’inconscient, séance du 18 juin 1958, Paris, Seuil, 1998, p. 463.

[7] Lacan J. Écrits, « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose » (1958), Paris, Seuil, 1999, II, p. 34.

[8] Lacan J. Le Séminaire, « D’un Autre à l’autre », séance du 29 janvier 1969, inédit.

[9] Lacan J. Écrits, « Fonction et champ de la parole et du langage », (1953), op. cit., p. 276.

[10] Lacan, J. Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, séance du 18 juin 1958, op. cit., p. 463.

[11] Pascal B. Pensées, Garnier-Flammarion, Paris, 1976, 233-418, p. 114.

[12] Ibid.

[13] Lacan J. Le Séminaire, « D’un Autre à l’autre », séance du 22 janvier 1969, inédit.

[14] Lacan J. Le Séminaire, Livre III, Les psychoses, séance du 2 mai 1956, op. cit., p. 244.

[15] Lacan J. Le Séminaire, « L’identification », séance du 17 janvier 1962, inédit.

[16] Lacan J. Autres écrits, « La méprise du sujet supposé savoir » (1967), Paris, Seuil, 2001, p. 337.

[17] Lacan J. « R.S.I., 11 février 1975 », Ornicar ?, N° 4, 1975, op. cit., p. 99.

[18] Lacan J. Écrits, « Subversion du sujet et dialectique du désir », 1960, op. cit., II, p. 293.

[19] Anonyme, Le Veda, « La parole », J. Varenne (tr.), Paris, Denoël, 1967, 10.125, p. 339.

[20] Lacan J. Le Séminaire, « Les non-dupes errent », séance du 19 mars 1974.

[21] Lacan J. « R.S.I., 15 avril 1975 : trou du réel, trou du symbolique »,  Ornicar ?, N° 5, 1975-1976, op. cit., p. 54.

[22] Lacan J. Écrits, « Position de l’inconscient » (1960), op. cit., II, p. 329.

[23] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses,  séance du 4 juillet 1956, op. cit., pp. 359-360.

[24] Lacan J. Le Séminaire, « D’un Autre à l’autre », séance du 29 janvier 1969, inédit.

[25] Lacan J. . « R.S.I., 15 avril 1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ?, N° 5, 1975, op. cit.,  p. 54.

[26] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 11 avril 1956, op. cit., p. 218.

[27] Ibid., séance du 18 avril 1956, p. 224.

[28] Ibid., séance du 18 janvier 1956, p. 111.

[29] Lacan J. Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, séance du 11 mars 1970, Paris, Seuil, p. 129.

[30] Lacan J. Écrits, « D’une question préliminaire... » (1958), op. cit., pp. 55-56.

[31] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 18 avril 1956, op. cit., p. 230.

[32] Lacan J. Écrits,  « D’une question préliminaire... » (1958), op. cit., p. 57.

[33] Lacan J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 11 janvier 1956, op. cit., pp. 94-95.

[34] Ibid., séance du 15 février 1956, p. 171.

[35] Lacan, J. Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, séance du 29 juin 1960, op. cit., pp. 354-355.

[36] Lacan, J. Le Séminaire, livre III, Les psychoses, séance du 25 avril 1956, op. cit., p. 240-241.

[37] Ibid., séance du 27 juin 1956, p. 344.

[38] Ibid., séance du 02 mai 1956, p. 244.

[39] Lacan J., Écrits, « D’une question préliminaire… » (1958), op. cit., pp. 34-35.

[40] Lacan, J. Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse, séance du 23 mars 1960, op. cit., p. 212.

[41] Ibid., p. 213.

[42] Lacan J. « D’un Autre à l’autre », séance du 29 janvier 1969, op. cit.

[43] Lacan J. Le Séminaire, Les psychoses, séance du 2 mai 1956, op. cit., p. 244.

[44] Freud, S. Totem et tabou (1912), S. Jankélévitch (trad.), Paris, Payot, 1992, pp. 224-225.

[45] Lacan J. « D’un Autre à l’autre », séance du 29 janvier 1969, op. cit.

[46] Lacan J. Le Séminaire, Le sinthome, séance du 18.11.75, Paris, Seuil, 2005, p. 22.

[47] Lacan, J. « R.S.I., 15 avril 1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ?, N° 5, 1975-1976, op. cit., p. 54.

[48] Lacan, J. « R.S.I., 11 mars 1975 : le pathème du phallus », Ornicar ?, N° 5, 1975-1976, op. cit., pp. 17, 21.

[49] Lacan, J. Des noms-du-père, op. cit., p. 99.

[50] Anonyme, Le Veda, « Baskalamantra », op. cit., 11, p. 427.

[51] Baruck A. et Daumas F., Hymnes et prières de l’Egypte ancienne, Paris, Cerf, 1980, 68, 89, 118, pp. 189, 320, 392.

[52] Hérodote, Œuvres complètes,  « L’enquête »,  A. Barguet (trad.), Paris, Pléiade, II, 42, p. 159.

[53] Freud S. Moïse et la religion monothéiste (1939), C. Heim (tr.), Paris, Gallimard, 1986, pp. 82, 90.

[54] Lacan J. Des noms-du-père, op. cit., pp. 100-101.

[55] Lacan J. Le Séminaire, « D’un Autre à l’autre », Séance du 12 février 1969.

[56] Lacan J. Des noms-du-père, op. cit., pp. 86-101.

[57] Ibid., p. 90.

[58] Maïmonide M., Le guide des égarés, S. Munk (trad.), Paris, Verdier, 1979, I, 61, pp. 146-147.

[59] Pseudo-Denys l’Aréopagite, Œuvres complètes,  « Les noms divins », M. Gandillac (trad.), Paris, Aubier, 1943, IX, XII, XIII, pp. 154-160, 170-176.

[60] Lacan J., « R.S.I., 15 avril 1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ?, N° 5, 1975-1976, op. cit., p. 54.

[61] Irénée de Lyon, Contre les hérésies, A. Rousseau (trad.), Paris, Cerf, 1979, II, 35, 3, p. 369.

[62] Ibid.

[63] Lacan J., Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse, séance du 23 mars 1960, op. cit., p. 212.

[64] Freud  S., Moïse et la religion monothéiste (1939), op. cit., p. 82.

[65] Lacan J.,  Le Séminaire, L’éthique de la psychanalyse, séance du 23 mars 1960, op. cit., p. 212.

 

[66] Lacan J., Des noms-du-père, op. cit., pp. 91-92.

[67] Lacan J., « R.S.I., 15 avril 1975 : trou du réel, trou du symbolique », Ornicar ?, N° 4, 1975-1976, op. cit., p. 55.

[68] Lacan J., Le Séminaire,  Les psychoses, séance du 20 juin 1956, op. cit., p. 330.

[69] Lacan J., Ecrits, « D’une question préliminaire... » (1958), op. cit., p. 55.

[70] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Promenades... » (1855), Paris, Pléiade, 1993, pp. 679-680.

[71] Ibid., p. 680.

[72] Nerval G., Œuvres complètes, I, « Diorama, Odéon » (1844), op. cit., p. 840.

[73] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Voyage en Orient » (1851), op. cit., p. 723.

[74] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Lettre à George Sand » (1853), op. cit., p. 825.

[75] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Lettre à Alexandre Labrunie » (1855), op. cit., p. 912.

[76] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Lettre au Docteur Blanche » (1854), op. cit.  p. 882.

[77] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Lettre à J.-B. Dublanc » (1853), op. cit., p. 828.

[78] Nerval G., Œuvres complètes, I,  « Le roman tragique » (1844), op. cit., p. 704.

[79] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Chant monténégrin » (1849), op. cit., p. 276.

[80] Nerval G., Œuvres complètes, I,  « Le roman tragique » (1844), op. cit.,  p. 705.

[81] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Isis » (1854), op. cit., p. 619-621.

[82] Nerval G., Œuvres complètes, II « Aurélia » (1855), op. cit., pp. 700, 736.

[83] Ibid., p. 741.

[84] Nerval G., Œuvres complètes, I, « Napoléon et la France guerrière » (1824), op. cit. p. 94.

[85] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Octavie » (1854), op. cit. pp. 538-539.

[86] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Aurélia » (1855), op. cit., p. 736.

[87] Ibid., p. 737.

[88] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Les Cydalises » (1853), op. cit., p. 270.

[89] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Les illuminés » (1852), op. cit., p. 1137.

[90] Nerval G., Œuvres  complètes, I, « Lettres d’amour » (1838), op. cit., p. 724.

[91] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Isis » (1854), op. cit., p. 620.

[92] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Aurélia » (1855), op. cit., p. 736.

[93] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Voyage en Orient » (1851), op. cit., pp. 581-582.

[94] Nerval G., Œuvres complètes, III, « El Desdichado » (1853), op. cit., p. 645.

[95] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Sylvie » (1854), op. cit., p. 543.

[96] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Corilla » (1854), op. cit., pp. 425-437.

[97] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Jemmy » (1854), op. cit., pp. 581, 598-599.

[98] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Aurélia » (1855), op. cit., pp. 700-736.

[99] Ibid., pp. 736.

[100] Ibid., pp. 733-734.

[101] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Manuscrits antérieurs ou postérieurs… » (1855), p. 752.

[102] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Les filles du feu » (1854), p. 540.

[103] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Aurélia » (1855), op. cit., p. 737.

[104] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Angélique » (1854), op. cit., p. 504.

[105] Nerval G., Œuvres complètes, III, « Promenades... » (1854), op. cit., p. 681.

[106] Nerval G., Œuvres complètes, II, « Voyage en Orient » (1851), op. cit., p. 259.

[107] Lacan J., Ecrits,  « La direction de la cure » (1958), op. cit., II, p. 107.