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La Chose en cause

David Pavón Cuéllar

 

Article publié dans la Lettre mensuelle de l’École de la Cause freudienne, N°242, Paris, novembre 2005, pp. 13-15

 

 

Lacan m’aidera ici à remettre en cause la Chose, qui n’est jamais hors de cause, mais qui reste hors-signifié, car elle est le signifiant même : vide comme le sujet, subliminal, s’abaissant au symptôme ; donc sans autre plénitude que celle, apparente, de l’objet sublime qui s’élève dans le sinthome.

 

Hors-signifié

Avant toute autre chose, la Chose, das Ding, est notre Cause. Ainsi, elle est tout d’abord ce que son étymologie nous indique : ce qui est en cause dans notre délibération, la causa de notre litige (en latin) ou le thing de notre assemblée (en saxon), par exemple ce dont on cause (de causari, faire un procès) dans une analyse, dans un séminaire, dans un cartel, etc. Dans tous ces cas, la Chose, qui n’est pas une chose, constitue, non pas une cause, mais la Cause de notre causette : le sujet de tous nos prédicats, le thème de nos variations, la seule affaire que nous plaidons, la grande question autour de laquelle nous tournons, ce qui se maintient au centre de nos discussions, le Même qui revient toujours à la même place et auquel tous les signifiants se rapportent.

          Il est clair que si la Chose pouvait être signifiée, alors elle devrait être ce que tout signifiant signifie. Or, précisément parce qu’elle devrait être cela, elle ne pourra pas être signifiée. Elle restera donc «hors-signifié»1.

          Il faut bien comprendre que si la Chose était ce que tout signifiant signifie, alors il suffirait de n’importe quel mot pour dire tout ce que nous avons à dire. Pourtant, comme notre causerie le démontre, aucun mot nous suffit. C’est pour cela que nous ne cessons pas de parler : parce que nous n’arrivons pas encore à dire ce dont nous parlons.

 

Signifiant

Ce à quoi tous les signifiants se rapportent doit rester hors-signifié pour qu’il y ait tous les signifiants qui se rapportent à lui. Voici la cause finale de la situation hors-signifié de la Chose. Pour ne pas tomber dans un cercle vicieux, il faut énoncer maintenant la cause première complémentaire : ce à quoi tous les signifiants se rapportent, ceci reste hors-signifié parce qu’il est lui-même le signifiant.

          La Chose est le signifiant : le signifiant et non pas un signifiant. Embrassant ainsi toute la signifiance, il n’y a aucun signifiant, en dehors d’elle, qu’elle ne soit pas et qui puisse donc la signifier. C’est pour cela qu’elle reste hors-signifié : parce qu’il n’y a aucun «signe de la Chose», mais seulement le signifiant tout court, c’est-à-dire «la Chose même»2.

          Certes, puisque nous croyons toujours pouvoir signifier la Chose au moyen du signifiant, nous pouvons toujours croire qu’elle n’est pas le signifiant hors-signifié. Pour concilier cette croyance avec l’évidence, nous sommes en mesure de conjecturer, dans notre cosmogonie, qu’il y eut la Chose à être signifiée, la Chose «maternelle» ou «préhistorique»3, mais qu’elle disparût au début de l’histoire. Selon cette conjecture, la Chose qui devrait être signifiée ne fut plus quand elle se métamorphosa en ce qui devrait la signifier. Elle s’anéantit ainsi elle-même quand elle fut anéantie par le signifiant, quand elle se transforma en signifiant qui veut la signifier ou en récipient qui veut la recueillir, quand le pot sortit des mains du potier : à ce commencement où était le Verbe.

 

Vide

Après «le meurtre»4 de la Chose par le signifiant qu’elle devient, il n’y a plus aucune Chose à être signifiée. À la place de ce Même, il n’y a que l’Autre ou le signifiant à signifier. Or, celui-ci ne pouvant pas être signifié, les signifiants se multiplient et se pressent pour le signifier. Aucun n’y arrive. Il n’y a aucun signifiant du signifiant, aucun Autre de l’Autre, aucun métalangage pour signifier le signifiant. Celui-ci reste donc hors-signifié.

          Puisqu’elle est par définition le Même qui est toujours en cause et qui devrait donc être signifié par tous les signifiants, la Chose, lorsqu’elle devient l’Autre, le signifiant et le hors-signifié, ce qu’elle devient c’est le contraire de ce qu’elle est. Elle devient son propre vide logique : ontologique, cosmologique, gnoséologique, biologique ou théologique, suivant ce dont on cause.

 

 

Sujet

Après l’avènement du signifiant, la Chose ne se vit pas seulement réduite, comme vacuole, à la négativité de son vide ou de ce qu’elle n’est pas, mais elle se vit aussi promue à la positivité de ce qu’est le signifiant : le signifiant qui n’est tel que pour autant que le sujet l’exprime ou l’incarne. Soudant ces deux entités négative et positive, insignifiée et signifiante ou vide et subjective, la Chose objective dont on parle devint le vide subjectif indicible qu’on parle.

           Tout sujet, dans sa positivité, éprouve en soi la négativité du réel évidé par le symbolique. Il en pâtit dans le symptôme. Ici, dans cette expérience de l’effet du symbolique dans le réel,  le sujet  «vivant», se rapportant à «la Chose qui marque la place où il pâtit de ce que le langage se manifeste»5, se trouve dans un «rapport pathétique» à son propre vide en tant que «hors-signifié»6 : rapport de déplacement (Verschiebung) obsessionnel, de refoulement (Verdrängung) hystérique, de forclusion (Verwerfung) paranoïaque, de déni (Verleugnung) pervers, d’incorporation (Einverleibung) mélancolique.

 

Plénitude

Afin de récupérer la plénitude légendaire de la Chose préhistorique, le sujet vivant peut recourir au suicide mélancolique : se détacher de son histoire, lâcher sa vie et s’incorporer dans son vide, se laissant entraîner par lui, et en lui, afin de le remplir de sa charogne ou de l’objet réel qu’il devient. Le sujet peut également rester en vie et dissimuler son vide avec la plénitude imaginaire d’un objet qu’il «élève à la dignité de la Chose»7. Ce faisant, au lieu de se rapporter pathétiquement, par le pathos du symptôme, au réel de son propre vide subjectif, il se rapporte activement, par son actum de sublimation, à la plénitude imaginaire d’un objet. Aussi, la sublimation désigne-t-elle, en plus de l’activation du sujet, une certaine déréalisation et «désubjectivisation»8 de ce à quoi il se rapporte : non pas le réel subjectif, mais un imaginaire objectif ; non pas la Chose à signifier, mais une apparence de la Chose à être signifiée.

          Depuis qu’elle est hors-signifié, la Chose à être signifiée n’a d’autre dignité que son apparence. Dans la référence première de Freud à son Ding, ce n’est donc pas étonnant qu’il évoque seulement son «apparence» et qu’il invoque résolument, non pas une théorie hamiltonienne où la Chose est «présente dans» les «perceptions» en plus d’être «représentée par» les «sensations»9, mais une théorie anti-hamiltonienne où la Chose est absente dans les «sensations actuelles» qu’on éprouve, n’étant présente qu’en apparence ou dans sa représentation par les «sensations contingentes» qu’on croit pouvoir éprouver10.

         

Apparence

Freud «tire» de la «philosophie» millienne que «l’apparence d’une “Chose” (Anschein eines “Dinges”) se réalise parce qu’en recensant les impressions sensorielles que nous recevons d’un objet, nous ajoutons la possibilité d’une série d’impressions nouvelles»11. Nous pourrions dire ici, avec Mill, que l’objet ne se réduit plus alors à sa réalité immanente de sensations actuelles, mais qu’il comporte une possibilité de sensations contingentes qui la «transcende» et qui nous donne l’apparence de la Chose. En forçant Mill, nous devrions encore noter que ladite possibilité, qui sublime l’objet, requiert tout de même de cet objet pour ne plus être une «abstraction mentale»12.

          En procurant de la concrétion à une possibilité abstraite, l’objet immanent reçoit en échange de la transcendance. Avec elle, sa réalité imaginaire objective peut remplir, désubjectiviser et déréaliser le réel du vide subjectif. C’est ainsi que l’apparence de la Chose, ou la transcendance de l’objet sublime, donne au sujet, avec la «possibilité permanente de sensation»13, une possibilité permanente de supporter cet impossible à supporter qu’est le réel symptomatique du vide subjectif où la Chose manque.           

 

Objet

La possibilité de supporter n’annule pas l’impossibilité à supporter : celle, par exemple, d’un «amour absolu, c’est-à-dire impossible»14. Impossible, car le sujet ne peut aimer qu’un objet, autre ou moi, qui lui est corrélatif. Or, la possibilité d’élever cet objet à la dignité de la seule Chose, préhistorique ou maternelle, qu’on peut aimer absolument, cette possibilité n’annule pas l’impossibilité de la présence d’une telle Chose.

          Le masque n’annulant pas le manque de visage derrière le masque, il faut supporter le vide aux yeux caves de la mascarade ambiante. C’est pour cela que dans le sublime carnaval de la civilisation, nous retrouvons, sous des formes sinthomatiques, les rapports symptomatiques avec ce vide logique : le déplacement du vide théologique dans la transsubstantiation religieuse, le refoulement du vide cosmologique dans la création artistique, la forclusion du vide gnoséologique dans l’objectivation scientifique, le déni du vide biologique dans la législation morale et l’incorporation du vide ontologique dans l’élucubration métaphysique. Simultanément, dans les bas-fonds symptomatiques de la même civilisation, nous sommes éblouis, auprès du sujet subliminal (de sublimen, sous le seuil), par les sublimités (de sublimis, sur les airs) de ses masques imaginaires : l’allure artistique, gracieuse et légère, du moi hystérique, laquelle se moque du pesant rigorisme religieux obsessionnel, qui n’a rien à voir avec la solide rigueur scientifique paranoïaque, à ne pas confondre non plus avec une ferme rigidité morale, comme celle perverse, qui contraste avec la molle transparence métaphysique où s’enfonce le mélancolique.

          Apparemment, dans ce qui transparaît à travers sa propre apparence, le mélancolique, muet d’épouvante, est le seul qui découvre, en connaissance de cause, la Chose que le sublime recouvre de ses contingences. Il perd ainsi la parole en connaissant la Cause actuelle de cette causette que j’arrête là, pour entendre le silence, en désespoir de cause.

 

 

1Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre VII, L’éthique de la psychanalyse (1959-1960), Paris : Seuil, 1986, p. 67

2Lacan, «Discours de Rome» (1953), in Autres écrits, Paris : Seuil, 2001, p. 150

3Lacan, Livre VII, op. cit., pp. 55-86

4Lacan, «Fonction et champ de la parole et du langage» (1953), in Écrits, Paris : Seuil, 1999, I, p. 317

5Lacan, Discours aux catholiques (1960), Paris : Seuil, 2005, p. 55

6Lacan, Livre VII, op. cit., pp. 66-70

7Ibid., p. 133

8Lacan, Le Séminaire, Livre IV, La relation d'objet (1956-1957), Paris : Seuil, 1994,  pp. 433-435

9William Hamilton, Lectures on Metaphysics and Logic (1859), Édimbourg : Mangel, 1860, 1, p. 396 ; 2, p. 129

10John-Stuart Mill, An Examination of Sir William Hamilton’s Philosophy (1865), Toronto : University, 1979, XI, pp. 178-181

11Sigmund Freud, Zur Auffassung der Aphasien (1891), Francfort :  Fischer Taschenbuch, 1992, p. 122

12Mill, op. cit., pp. 181-185

13Ibid., p. 183

14Lacan, Discours aux catholiques, op. cit., p. 63