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Conseils, travail, classes, identité et Etat : synhèse critique d’un débat
[Suite à débat sur la liste de
discussion du Cercle social, Jacques
Wajnsztejn, de la revue Temps Critiques, a proposé cette synthèse critique,
qui attire l’attention sur certaines faiblesses théoriques du Cercle social. Cette synthèse couvre plusieurs
mois de discussion, avec des intervenants. Pour situer chacun, quelques
précisisons sont donnés dan le
texte entre crochets] Ce qui est frappant dans les
discussions autour de « l’appel à l’unité », y compris dans « Arlequin »,
c’est que les anars ne se placent pas du point de vue des luttes réelles ou
du point de vue de l’analyse du capital, mais seulement du point de vue de
l’anarchisme. Cela est vrai non seulement dans le cas de « l’appel à
l’unité des libertaires », mais aussi de la part de ceux qui se posent
des questions par rapport à cet appel, comme le montre bien le petit texte
d’introduction à la réunion de Nantes sur cette question. L’auteur part de
certaines situations et se pose la question : que faut-il faire dans
cette situation en tant que libertaires ? Cela revient à se placer du
point de vue d’une identité ou de principes invariants, or l’auteur indique
qu’il y a à chaque fois plusieurs positions possibles et même opposées. C’est
incontestable, mais sa remarque ne le conduit pas à dire que certaines
doivent faillir aux principes libertaires…mais à les poser comme équivalentes
ou en tout cas pouvant être l’objet de débats. A aucun moment il n’envisage
que les questions qu’il pose par rapport à un événement qui vient, sont des
questions qui se posent à des tas d’autres individus parce que cet événement,
s’il est important, bouleverse justement les assurances, les principes et les
« identités » (je dirais plutôt : les références). La
révolution espagnole est là pour en témoigner. On peut en tirer déjà une
conclusion en disant que d’une manière générale, surtout aujourd’hui, ce
n’est pas ce que font les révolutionnaires ou les libertaires qui est
important, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas à certains moments des
individus, libertaires ou autres qui se comportent comme des hommes de la
situation[1]. C’est
cette modestie de position qui empêche d’osciller entre désespoir et
militantisme vélléitaire et permet de se consacrer à des activités moins
visibles, mais pourtant nécessaires : activité critique, compréhension
et approfondissement des transformations en cours, luttes concrètes sur son
propre terrain et non pas recherche de « causes » toujours
nouvelles où il s’agit de faire entendre sa voix, ou de se montrer à tout
prix, le plus souvent dans la contre-dépendance de ce à quoi on
s’oppose. Dans ce dernier
cas il y a alors cumul de deux démarches d’apparence contradictoire : le
suivisme vis-à-vis de tout ce qui bouge d’un côté et de l’autre une attitude
avant-gardiste et autoréférentielle assez en contradiction avec tout ce qui
est dit sur la spontanéité, la révolte etc et cela n’échappe aux pires pratiques
groupusculaires que …par l’absence justement de ce que tout le monde à l’air
de trouver primordial : l’existence d’une vraie organisation anarchiste.
Cette obsession est d’autant plus forte qu’en l’absence d’une claire
définition de l’anarchisme, on en fait une véritable auberge espagnole dans
laquelle chacun tire à hue et à dia, ce qui ne peut manquer d’ébranler les
fondations d’une vieille maison. L’agitation et le bruit qui règnent dans la
maison forme comme un monde à lui seul, monde dont il faut pourtant
s’extirper pour poser la question de l’impact des anarchistes. Or il faut le
reconnaître et le dire cet impact, si on le comprend au sens politique[2],
est aujourd’hui nul et ce n’est pas une question d’organisation. Le problème,
c’est qu’à la différence des petits courants ultra-gauche qui théorisent leur propre isolement et leur absence
d’impact politique, les anarchistes, en cela très proches des groupes
gauchistes, se posent toujours cette question de leur impact et du pourquoi
de leur échec qu’ils vont finalement chercher dans l’absence de la bonne
organisation (cette recherche est constante depuis « La
plate-forme » d’Archinov et est très proche de la démarche des
trotskystes. Aujourd’hui, un groupe comme Alternative
Libertaire est emblématique de cette tendance). Il s’ensuit une constante
désillusion et la révolte étant très tributaire du temps qui passe, la
situation la plus courante, au niveau individuel, est le décrochage après quelques années de militantisme
acharné. Si on prend un peu de distance avec ce qui apparaît
finalement comme n’étant que l’histoire et la vie des organisations et que
l’on plonge dans l’Histoire récente des grands mouvements, on s’aperçoit
pourtant que dans les années 67-70, la force atteinte par les idées exprimées
dans Noir et Rouge ou dans des
revues comme Archinoir ou même à
l’intérieur de ICO et bien sûr dans
les pratiques de l’époque, a correspondu à la plus grande perte d’influence
de la FA qui a même joué à l’époque
du congrès de Carrare un rôle identique à celui du PCF, par rapport à un
mouvement qu’elle ne comprenait pas plus. Il faut aussi oser dire qu’il y a des raisons objectives à
la situation actuelle. Si le prolétariat n’est pas une essence dont le destin
est de remplir une mission historique, mais la classe de la conscience
capable de dépasser sa particularité (les intérêts de classe, l’affirmation
du travail, sa « dictature ») pour tendre vers l’universel (une
classe mais la dernière classe, « la classe de la fin des classes »,
celle qui n’a plus d’intérêt particulier tellement son exploitation est
générale) et bien il faut aussi oser dire alors que ce prolétariat a été
battu (au cours des années 70). C’est le capital qui s’est fait universel et
qui renvoie toute lutte à des identités particulières qui se contredisent ou
s’associent au gré des événements. Toutes les luttes semblent donc
équivalentes et de là sourd l’idée que lutter contre toutes les dominations,
c’est déjà abolir le capitalisme. Il n’ y a donc plus besoin d’universel,
d’où les questions que nous posent T et Ph. C : « où est ton
universel ?» [T = Thierry, anarchiste social, proche du
communalisme libertaire ; Ph. C. = Philippe Coutant, libertaire, mène
une réflexion qui porte notamment sur les relations de pouvoir en milieu
militant, et sur la définition d’une biopolitique libertaire]. Je n’ai pas de réponse toute prête. Si on pense que
toutes les luttes ne sont pas équivalentes (cf. Entre chiens et loups) [Critique
de la NEFAC, d’inspiration communisatrice, par Christian et Gavroche] et que c’est bien le
capitalisme qu’il faut abattre, mais qu’un fil historique a été rompu, le fil
qui reliait le mouvement prolétarien et le mouvement révolutionnaire en
général, il nous faut au moins le renouer pour ne pas perdre toute
perspective et établir des garde-fous sinon c’est la folie du capital qui
nous emportera ! Par rapport à cette stratégie sans
issue d’une unité a priori des libertaires (ou de qui que ce soit !),
les formes de discussions que permet un site comme celui du Cercle social,
ouvrent des perspectives de clarification théorique et pourquoi pas d’intervention
politique. Dans les lignes qui suivent je vais essayer de répondre un peu de
façon synthétique aux différentes interventions de Nicolas [du
Cercle social], Thierry et Olivier [proche
du Cercle social], J. Pierre [de
sensibilité ATTAC] sur les conseils,
le travail, les classes, l’identité et l’Etat. La critique des classes
moyennes par T. repose bien plus sur la vision marxiste d’une inéluctable
prolétarisation que sur une attention portée à la situation actuelle qui ne
montre absolument pas un déclin des catégories intermédiaires au profit de
« quelques privilégiés ». Le haut niveau de consommation, y compris
avec un crédit qui redevient moins cher, le développement des nouvelles
formes d’accès à la propriété (mobilière par exemple) qui viennent compléter
l’ancien mouvement d’accès à la propriété (immobilière) de la période de la
croissance fordiste, tout cela infirme cette vision. Je ne dis pas qu’il n’y
a absolument aucune chance que cela se produise, mais seulement que ce n’est
pas le plus probable si on s’en tient à une analyse objective et qu’on ne tombe
pas dans un catastrophisme dont on a strictement rien à espérer (la
liquidation des rentiers des années 30 a conduit au salariat généralisé, aux
fascismes et à la guerre, non à la révolution). Cela ne veut pas dire non
plus qu’il faut s’abandonner benoîtement à la thèse de la moyennisation de la structure sociale.
C’est bien plutôt l’analyse en termes de classes qui doit être remise en
cause, puisque si la structure des rapports sociaux prend encore la forme de
classes, c’est plus au sens de catégories de classement (les CSP par
exemple), qu’au sens de sujets historiques à caractère antagonique. D’ailleurs d’autres éléments que la
position sociale sont aujourd’hui importants pour déterminer la situation
réelle des individus. Vivre en couple avec deux salaires ou revenus et un
nombre d’enfants réduit sont devenus des déterminants essentiels de cette
situation. Le nombre croissant d’individus remplissant ces conditions a
constitué un facteur important d’uniformisation du salariat sans que cela se
traduise par une prolétarisation. Inversement, ce sont les individus qui ne
correspondent pas à ce « modèle » qui sont aujourd’hui le plus
durement touchés par la restructuration des rapports sociaux en cours[3]. Ce n’est pas non plus éclaircir le débat que de préjuger
de ce mouvement de prolétarisation, non à partir d’une déliquescence de ces
catégories intermédiaires, mais à partir d’une situation de montée des
phénomènes de précarité. Pour forcer sa démonstration T. insiste sur le fait
que cette précarisation se répand de partout (ce qu’infirment les
statistiques) et qu’elle s’accompagnerait de l’éclatement des solidarités
familiales et communautaires alors qu’on assiste plutôt au mouvement inverse
de recomposition des solidarités pré-capitalistes maintenant que les solidarités
proprement capitalistes[4]
( le collectif de travail organisé dans un procès de production de type
industriel et usiniste dans lequel la médiation essentielle est représentée
par les classes, dont l’unité positive est la communauté du travail et l’unité
négative la lutte des classes) entrent en crise car elles sont devenues des
entraves à la dynamique actuelle de capitalisation de tous les rapports
sociaux.. Ce mouvement de recomposition des anciennes solidarités mécaniques est un élément essentiel de
la dynamique actuelle du capital. Leur rôle de compensation par rapport aux
attaques qui sont portées contre les anciennes médiations s’avère vital pour
la reproduction des rapports sociaux capitalistes et pour que la crise du
travail ne débouche pas sur la négation du capital. On assiste donc à un
double mouvement contradictoire : d’un côté, une individualisation
accrue a produit une autonomisation des individus vis-à-vis de ces anciennes
médiations, l’individu n’est plus subsumé à sa classe et son rapport à la
société est celui de l’individu-démocratique décrit par J. Guigou dans La Cité des Ego ; de l’autre, la
tension de l’individu vers la communauté n’est pas morte mais ne s’exprime
plus sous la forme des universalismes bourgeois (modèle kantien) ou
prolétarien (les Internationales et
le communisme), mais sous celles des socialités primaires, des particularités
et du relativisme. La force du rapport social capitaliste est justement de ne
rien dépasser, mais de tout englober, ce qui met en échec la dialectique…et
la lutte de classes. On doit se méfier de toute affirmation arbitraire,
c’est-à-dire qui n’est pas relayé au niveau historique ou dans l’analyse des
rapports sociaux. Ainsi la séparation que T. pose entre avoir et être est
arbitraire s’il s’agit de discuter au niveau de référents non philosophiques.
Elle doit s’appréhender, dans notre perspective, qu’à l’aune du mouvement
historique qui, dans le même mouvement transforme le monde et les individus
qui le transforment. C’est cette action indissociable qui modifie à la fois
rapport à la nature extérieure (ce que l’on appelle communément « la
nature ») et rapport à la nature intérieure (l’intériorité des hommes et
des femmes en quelque sorte) qui permettait de reléguer la question de l’avoir et de l’être
au rayon des vieilles lunes philosophiques. Le moyen de cette transformation
a depuis longtemps pris la forme du travail, forme aliénée de l’activité
générique de l’espèce humaine. C’est justement la crise de cette activité
générique, sous la double forme de la crise du travail (« la valeur sans
le travail ») et de la perte de sens de l’activité (destruction de la
nature extérieure et artificialisation et virtualisation de la vie) qui
engendre des subjectivités sans emploi et amène les individus à faire
n’importe quoi. Il ne s’exprime là aucune « diversité des activités
humaines » (T) car elles dérivent toutes de ce qui est (était ?),
l’activité dominante : le travail. Et elles en dérivent même dans ce qui
apparaît superficiellement comme étant son contraire (loft story comme exemple de vie sociale sans travail dans la
société capitalisée) ou sa critique (le cache-misère de l’activisme
militant). La réalité des contradictions est souvent occultée au
profit d’une recherche de pratiques exemplaires. Toute l’analyse du travail
qui ne voit celui-ci que comme contrainte et non aussi comme rapport social
contradictoire fait de son simple inverse, le non-travail, un épanouissement.
Mais épanouissement dans quoi ? Il ne sert à rien de partir d’une critique justifiée d’un
conseillisme ouvrièriste et gestionnaire (T) si c’est pour prôner une sorte
de conseil de la civilité dans lequel s’exprimerait ce qui est vraiment le
propre de l’humain : la discussion, la politique etc, alors que le
travail ne serait que le produit de la domination, de l’inhumain en l’homme
(tripalium). Premièrement cela aboutit à maintenir les séparations et
deuxièmement cela revient à rehiérarchiser les activités en prenant le
contre-pied de ce qui était les anciennes hiérarchies de l’Etat-nation et de
la société bourgeoise du capital. Le municipalisme libertaire sous toutes ses
formes trouve là un terrain d’expression vers un nouvel
« imaginaire » (cf. Pessin-Pucciarelli) qui propose ces modes de
vie « alternatifs ». Version pauvre et politisée de tendances
« bobos » plus valorisées, ces pratiques n’en participent pas moins d’un mouvement actuel
de recomposition des socialités. Comme tout mouvement qui pose la question du
« lien social », il
est bien une réponse à la crise des rapports sociaux dans la société
capitalisée et donc une façon d’échapper à un développement barbare, mais il
ne représente en rien une alternative[5]. Le travail vivant a perdu sa centralité dans le
processus de transformation du monde et c’est le capital, en tant qu’il est
rapport social et non démiurge abstrait, qui a fait la
« révolution » économique et techno-scientifique. Il n’y a pas de
mouvement de refus du travail mené par le prolétariat. Celui-ci a été défait
à la fin des années 70. Je ne suis donc pas d’accord quand O. T dit que 68 n’a pas été contre le
travail. Il ne faut pas voir ça qu’à l’échelon français. Il y a eu des
oppositions « éthiques » au travail (dans la jeunesse américaine
par exemple), un mouvement de refus du travail très fort en Italie de la part
surtout des immigrés du sud et de la jeunesse et en même temps l’affirmation
d’une classe dans la grève générale de mai en France et le soutien à
l’expérience auto-gestionnaire chez Lip. C’est pour cela que j’ai analysé[6]
cette époque comme celle du dernier assaut prolétarien, déjà ouvert sur autre
chose. Les périodes révolutionnaires présentent souvent un caractère
double : la révolution russe est bourgeoise et prolétarienne comme la
révolution espagnole, et même quand la révolution est résolument
prolétarienne (la révolution allemande), la contre-révolution se fait par un
retournement de la révolution. Ainsi, dans l’optique de Rühle, le « Tout
le pouvoir aux conseils ouvriers » il y a l’idée que tout le monde doit
être transformé en ouvrier. Après la défaite, cela se réalisera sous la forme
contre-révolutionnaire de la dictature du salariat. Le danger c’est que lorsque la vague révolutionnaire vient
se briser, cet autre chose, ce nouveau dont elle était aussi porteuse va être
ce qui dynamise justement le système. Ce qui faisait la richesse du mouvement
révolutionnaire devient alors sa faiblesse dans la mesure ou l’ancien (la
perspective de classe ) disparaît dans la tourmente et que le nouveau semble
lui échapper complètement dans la douleur de ce qui apparaît comme trahison,
récupération etc. Concrètement,
à la fin des années 60-début des années 70, c’est la jeunesse étudiante et
déclassée qui a porté des exigences révolutionnaires nouvelles, mais en
référence avec la théorie du prolétariat et le mouvement ouvrier
traditionnel. Aujourd’hui ces exigences se sont autonomisées et sont devenues
des formes du capital ou bien des buts en soi (les « identités
particulières radicalisées») sans aucun lien avec une perspective
révolutionnaire. Comme nous le disons dans le dernier numéro de Temps Critiques : le fil
historique est rompu et cela se remarque facilement aussi bien dans les
exemples de ceux qui oublient le capital pour ne s’en prendre qu’aux méfaits
du libéralisme (les anti-mondialisation), de ceux qui oublient la spécificité
du capitalisme tardif pour le noyer dans un système patriarcal intemporel
(les libertaires à la mode anglo-saxonne), de ceux qui oublient la lutte vers
la communauté humaine au profit de l’anti-spécisme et enfin de ceux pour qui
c’est la civilisation industrielle elle-même (Zerzan, Kaczynski, l’Encyclopédie des Nuisances) qui est
coupable. Toutes ces tendances partent de l’idée juste que l’aliénation et la
domination pré-existent au capital, mais c’est pour supprimer toute histoire
et le processus de production de l’humanité. Les contradictions ne sont plus
alors saisis dans un mouvement dialectique qui permet à la fois affirmation
et négation, invariance et historicité. On laisse place à l’immédiatisme des
dominations et des discriminations, à l’affirmation des codes identitaires
dont la genrisation de l’orthographe représente le pic, en milieu libertaire.
Il ne s’agit plus de la tension vers la communauté humaine, de la recherche
de l’en commun, mais seulement du plus petit dénominateur commun d’un entre
nous. Aujourd’hui, la pratique anti-travail n’est que
l’expression d’une « subjectivité » particulière qui, en tant que
telle, n’a pas plus d’effet sur les rapports sociaux qu’une pratique qui, en
dehors des moments de lutte, consiste, malgré tout, à essayer de bien faire
son travail[7]. Cette
contradiction est présente dès le début du mouvement prolétarien comme on
peut le voir dans l’opposition entre anarchistes individualistes et
anarcho-syndicalistes. Mais la position anti-travail d’individus comme Darien
ou Libertad reste minoritaire car elle s’affirme à contre courant
historique du processus qui transforme le prolétaire en ouvrier. Cette
critique est donc proférée de l’extérieur du rapport social tel qu’il est en
train de s’affirmer et c’est ce qui en limitera la portée. C’est cette même
extériorité qui caractérise la critique anti-travail que mènera l’Internationale Situationniste dans les
années 60. Elle ne me semble donc pas directement liée à une position
marxiste, mais bien plutôt à la période charnière au cours de laquelle ils
interviennent. La critique externe redevient possible et audible parce que le
rapport social capitaliste a commencé sa propre critique du travail. On voit
donc parallèlement, même si c’est un peu plus tardivement, ressurgir Lafargue
et son Droit à la paresse, l’automation rendue possible par le haut degré
d’accumulation semblant apte à résoudre le problème du travail en tant
qu’activité aliénée et non pas simplement exploitation. Dans les groupes informels auxquels je participe à
l’époque (ils se rattachent de façon critique aux courants ultra-gauche
historiques, même si certains individus sont plutôt issus de l’anarchisme),
la critique anti-travail est rattachée aux pratiques prolétariennes
(absentéisme et sabotages, grèves dures sans revendications particulières qui
sont courantes dans la première moitié des années 70) et est reliée, au
niveau théorique, à l’idée d’auto-négation du prolétariat[8].
C’est à mon avis la tentative la plus avancée à l’époque pour essayer de
résoudre, au moins au niveau théorique, la fameuse contradiction que signale
T (ou N ?) [N, en l’occurrence] dans laquelle Debord et l’IS
sont tombés, à savoir porter la critique du travail à son plus haut niveau
(« Ne travaillez jamais ») et faire l’apologie des conseils
ouvriers. A ce propos, la
position de N. n’est pas très claire. Il reprend toute une problématique
« situ » sur la « vie réelle », la « vraie vie » qui
présuppose de séparer essence et apparence et ne permet pas de comprendre la reproduction
du capital comme contradiction, ce qui implique de refuser une démarche du
type ou/ou (travail ou paresse par exemple). N. s’en rend sûrement compte
quand il en revient à l’idée que la force de travail est une composante du
capital et donc qu’affirmation et négation coexistent dans le même individu. Le refus du travail ne peut donc être une ligne de
démarcation car ce n’est ni une position (c’est l’expression d’une
subjectivité), ni une revendication (au contraire de l’abolition du
travail) ; c’est un mouvement de révolte historiquement situé[9],
ce que reconnaît N. quand il cite la revue Echanges qui le considère comme une forme concrète de lutte de
classes et que c’est la radicalisation de ce mouvement qui seule aurait pu
créer les conditions de la négation du prolétariat. En son absence, le
mouvement ne pouvait que refluer rapidement parce que ce n’est justement pas
une position collective tenable. Le refus du travail n’est pas un
élément de la conscience de classe, car celle-ci comprend l’affirmation du
travail comme puissance potentielle de la classe productive, capacité à
transformer le monde. Le refus du travail en tant que négation est rupture
avec ce processus d’affirmation et ne se développe que dans la crise (je ne
définis pas cette notion au sens strictement économique). C’est pour cela que
la polémique de l’époque entre Zerzan (le refus du travail comme désir
radical) et Reeves (le refus du travail comme expression d’un rapport de
force favorable) reste vaine si on ne saisit l’opposition qu’au niveau
théorique, alors qu’elle exprimait un point de basculement de
l’Histoire : vers l’abolition du travail par les prolétaires ou
vers la fin de la centralité du travail pour le capital. Nous savons
aujourd’hui qui a gagné, au moins provisoirement, mais comme à toute chose
malheur est bon, il y a au moins un « avantage » à la situation
actuelle, c’est que le travail ne peut plus s’y affirmer, ni en tant que
classe ni en tant que valeur. L’ancienne contradiction, interne au prolétariat,
entre affirmation et négation devient caduque. L’affirmation du travail qui
constituait en partie la classe ouvrière n’est plus que « résignation au
travail » constitutive de l’individu-salarié indifférencié et non pas de
la classe comme le croît N. D’ailleurs « l’identité ouvrière » n’a
jamais été résignation au travail, mais adhésion contradictoire au projet
d’une communauté du travail dont le pôle ouvrier pensait transformer le monde
avant de se l’approprier. Si je mets des guillemets à « identité
ouvrière », c’est parce que pour moi, comme je l’ai dit ailleurs, il n’y
a pas d’identités, tout juste des identifications et représentations. Il me semble beaucoup plus juste de
parler en terme de particularités : le prolétariat et la bourgeoisie
comme particularisation historique des rapports sociaux en classes, la
nationalité comme particularisation historique et géopolitique de l’humanité
et le sexe comme particularisation naturelle de l’humanité. Les faire
apparaître ainsi montre mieux tout ce qui les constitue et les différencie,
alors que le terme d’identité réunit arbitrairement et artificiellement ce
qui semble procéder d’un choix ou parfois à l’inverse d’une fatalité (mais
c’est le même mécanisme d’évitement)[10]. N. dit bien qu’il n’y a pas identification au
travail, mais prise de distance et que c’est ce qui est subversif. Il
faudrait préciser. Cette mise à distance qui dépasse la question du travail
et qui fait que l’individu humain ne se confond jamais avec l’objet de son
activité est justement ce qui définit l’humain et fait la spécificité et
pourquoi se le cacher la « supériorité » de cette espèce. Cette
propriété de l’humain est aussi ce qui permet de comprendre le
« mystère » de la participation au travail. Le travail n’est pas que
domination ; s’il est bien défini par le fait d’être une activité aux
ordres, il est aussi expérimentation, savoir-faire et parfois même passion de
l’activité. Bien sûr, plus on s’éloigne du travail de type artisanal, plus
cet aspect devient secondaire ou disparaît, même s’il perdure dans la
conscience ouvrière d’une œuvre collective. C’est cette passion de l’activité[11]
qui rend si bêtes et dangereux la plupart des chercheurs scientifiques[12]. Du point de vue de la clarté du langage il vaudrait mieux
faire la distinction entre la valeur-travail (ou plutôt la théorie de la
valeur-travail) et l’idéologie du travail comme valeur , sinon on
occulte l’aspect économique et objectif de la chose et on ne peut comprendre
que l’une ne va pas sans l’autre, qu’il ne s’agit pas de « masque »
ou de représentation comme je l’ai déjà indiqué. Obnubilé par la
représentation (le fétichisme) et le résultat sur le marché (la marchandise),
N. oublie (comme l’IS) le point de
départ qui est l’activité de production et de reproduction des conditions présentes
(et donc il oublie l’origine des rapports sociaux et de la richesse). Et N.
de se demander pourquoi « le travailleur libre » du capitalisme
continue-t-il à travailler si le travail est tripalium. O. lui souffle une réponse insuffisante car le salaire
ne représente qu’une dimension de l’affaire et quand les travailleurs de LU
et d’ailleurs pleurent que pourtant ils sont encore productifs et utiles, ce
n’est pas essentiellement parce qu’ils espèrent convaincre leurs patrons ou
l’Etat qu’ils sont utiles, mais parce qu’ils croient encore en la théorie de
la valeur-travail, qu’ils n’ont pas saisi la racine du procès
d’inessentialisation de la force de travail. Ils ne peuvent plus affirmer le
travail et c’est pour cela qu’ils n’hésitent pas (ou qu’ils hésitent moins) à
employer des méthodes de lutte en rapport avec leur désespoir, le désespoir
de travailleurs qui se définissent encore principalement par leur travail
alors qu’ils sont amenés à ne plus travailler ou pour certains, à
« travailler » dans ce qui ne leur apparaît plus comme un travail.[13]
Les tentatives comme Lip sont de cet ordre, mais dans une
époque et un contexte de basculement où certains croyaient encore possible
une affirmation du travail. Il faut d’ailleurs distinguer les conseils, les conseils
ouvriers, le conseillisme. Les conseils sont une forme prise par le mouvement
révolutionnaire au XX° siècle et qui dans son acception la plus large tendent
vers la Commune (cf. La Commune de Berlin ou de Kronstadt, le Conseil du
Grand Budapest). Dans cette optique, les conseils ouvriers ne sont qu’une des
figures de prou du mouvement, mais l’ambiguïté n’est jamais loin puisque
comme le montre la révolution allemande, la revendication des conseils
ouvriers va venir des prolétaires les plus engagés dans la révolution…mais
qui son ceux aussi qui sont le moins intégrés dans les usines. Ce n’est pas
un hasard si les conseils d’usine seront à majorité sociale-démocrate. Le
syndicalisme est capable d’épouser la forme conseil, si le besoin s’en fait sentir. Quant au conseillisme, il est l’idéologie des conseils que
Pannekoek a théorisé comme forme adéquate de la dictature du prolétariat, par
opposition à la position léniniste dominante (le soviet comme forme à instrumentaliser
au service du parti : début de la « bolchévisation ») et à la
position bordiguiste qui critique le conseillisme comme démocratique et
gestionnaire (la révolution n’est pas une question de forme, mais une
question de communisation). Mais ce débat, malgré tout son intérêt se déroulait
dans une perspective qui est aujourd’hui caduque, celle de l’affirmation du
prolétariat (ne pas oublier que la première partie du programme de Rühle et
des communistes les plus radicaux, c’est la transformation de tout individu
en prolétaire salarié ! C’est un programme que le capital a réalisé.) La
distinction faîtes par N. entre conseillisme et communalisme me paraît donc
très artificielle du point de vue historique et en plus inadaptée aujourd’hui
car elle aboutit à réaffirmer la supériorité du programme prolétarien à
l’époque où la dynamique du capital ne repose plus sur les luttes de classes
et que l’individu démocratique est confronté directement à l’ensemble du
rapport social. D’où la nécessité de médiateurs quand les anciennes
médiations ne suffisent plus. Indépendamment des conséquences qu’il peut en
tirer par ailleurs M. Bookchin met bien en place une critique du programme
prolétarien comme strictement limité par le cadre de l’usine, mais il n’en
fait pas une critique de type
bordiguiste, mais une sorte de critique éthique qui assimile le
travail d’usine à l’embrigadement (patronal, puis communiste autoritaire). Il
y oppose une structure qui transcende le contexte capitaliste et prolétarien,
une structure sur la longue durée : la Commune qui pour lui, permet de
dépasser la séparation social/politique et particulièrement l’idée d’une
autonomie du social par rapport à la politique, idée qui a eu une si forte
influence dans l’anarchisme et qui est pour moi l’une des racines de la
défaite des anars pendant la révolution espagnole. Néanmoins, si Bookchin affirme la nécessité
d’ « une politique non étatique » (c’est aussi ce que L.
Debray affirme dans Temps Critiques),
il s’égare un peu dans la notion de « corps politique » et rejoint
insensiblement les tenants du bio-politique. La Commune n’est plus alors le
lieu de la lutte et des transformations, ce n’est qu’un lieu de confluence
pour les groupes et individus nomades, pour les nouveaux mouvements sociaux
et citoyens. De l’analyse juste comme quoi le travailleur salarié ne peut
plus rien affirmer contre le capital sans se détruire lui-même comme
travailleur (il ne revendique plus que le fait de continuer à être
travailleur), Bookchin ne conclut pas à la nécessité d’une crise qui instaure
les conditions préalables à la résolution de cette aporie, mais s’en remet à
l’immédiatisme du capital (dévalorisation, restructuration) et aux formes qui
l’accompagnent. Le citoyen c’est aujourd’hui l’individu-démocratique
passif et impuissant, passif parce qu’impuissant. Et le citoyennisme c’est
l’idéologie qui cherche à fonder un mouvement qui transformerait la passivité
en activité…sans critiquer les fondements de la passivité et de
l’impuissance. C’est un pur volontarisme autour de l’idée de l’individu
libre. Le contenu immédiat du citoyennisme, c’est la citoyenneté qui doit
rattacher des individus « sans qualité » dont les positions ne
peuvent apparaître que comme des convictions par rapport à une cause
complètement extérieure à eux. Paradoxalement d’ailleurs toute une frange des
citoyennistes anti-mondialisation (au nom de la Cause) sont des
« mondialistes » dans leurs rapports sociaux quotidiens
(« branchés » en tout genre, tenants de la libre circulation, du
relativisme et du multiculturel) , ce qui ne les empêche pas de cotoyer les
tendances souverainistes. Il faut d’ailleurs reconnaître que cet
individu « sans qualité » fait un peu retour à la conception
originelle de la citoyenneté dans la Révolution française. En effet, dans
cette conception, la Nation est constituée de citoyens dont la qualification
politique suppose qu’ils soient détachés de toute appartenance locale ou
professionnelle renvoyant à des intérêts particuliers, de façon à pouvoir se
consacrer à l’intérêt général. C’est sur cette base démocratiste quasi
athénienne que seront pourchassées les associations de travailleurs et même
des associations de petits patrons. D’une certaine façon la classe ouvrière
sera considérée comme extérieure à cette Nation et n’y sera rangée qu’à
partir de son ralliement à la guerre de 1914. Si le communalisme est citoyen, c’est parce qu’il
s’inscrit immédiatement dans l’institution, mais la Commune, à condition
qu’elle ne soit pas prise comme cadre administratif, est politique si elle
est le cadre de lutte pour des actions de communisation, un cadre où
s’accroît aussi la tension individu/communauté. L’universalité, pour répondre
à Ph. C, n’est alors pas l’universalité des droits de l’homme ou de la
bourgeoisie, mais l’universalité concrète qui fait que la communisation ne
peut qu’appeler la communisation élargie, la tension individu/communauté
produire le passage des particularités (les références communautaires) vers
la singularité (qui contient et accomplit la tension entre individualité et
communauté). Historiquement, le fait de cesser de travailler n’a aboli
ni le travail ni les travailleurs. Même pendant les révolutions, il y a eu
des individus qui continuaient à travailler, même si les révolutionnaires ont
eu tendance à abandonner les lieux de travail. En fait, il s’agit surtout de
savoir pourquoi on arrête. Le problème est d’inclure la communisation dans la
révolution et non l’inverse, mais cela dépend des conditions historiques. Il
y a eu des embryons de ça dans la révolution espagnole, mais c’est finalement
la guerre qui l’a emporté sur la révolution. Aujourd’hui les problèmes sont aussi différents :
l’Etat s’est profondément transformé et ce n’est plus un ennemi extérieur
comme pouvaient le voir les anars. A ce propos la position de N. est particulièrement
significative quand il critique le côté « spartiate » de la vision
du communisme par Bitot (mail du 22/03/2001). Bitot a peut-être le réflexe du
« vieux con » de communiste de gauche, mais au moins il sent bien
ce qui est nouveau, c’est-à-dire que le capitalisme moderne a introduit une
rhétorique du désir qu’il a projeté sur la marchandise-objet, ce qui
contredit toute la théorie des besoins de Marx, fondée sur la valeur d’usage,
alors que N. fait le grand écart en opposant d’un côté la richesse potentielle
et donc les bases du communisme de l’abondance et de la jouissance que pose
le capitalisme tardif (le désir) et de l’autre l’horreur quotidienne qu’il
offre à l’immense majorité de la population mondiale (les besoins, l’utilité
sociale etc). En outre, c’est encore une vision qui nous pose en dehors des
rapports sociaux, face à un Système. Cela est assez logique vu la position de
N. pour qui l’Etat ne serait qu’un capitaliste comme un autre, spécialisé
dans la production de services collectifs. Le point commun entre les
positions de N et de J. P sur l’Etat est de faire disparaître toute
spécificité de l’Etat. Pour J. P tout est néo-libéralisme et l’Etat n’a donc
plus guère de pouvoir. J. P voit cette question du pouvoir dans les termes de
H. Arendt et de D. Méda : il ne faut pas se résoudre à la dissolution du
politique dans l’économique. Il s’agit alors de recréer un champ politique,
de revitaliser la démocratie et donc de revenir à une forme d’Etat qui le
permet : l’Etat régulateur, c-à-d l’Etat keynésien qui est pourtant la
forme qui rend caduque la politique en tant que champ particulier. Pour N.
tout est économie et l’Etat n’est qu’un capitaliste parmi d’autres,
spécialisé dans la production de services collectifs. A partir de cette
position N. en arrive à développer une argumentation paradoxale qui fait des
politiques keynésiennes une source d’affaiblissement de l’Etat (dépendance
vis-à-vis des capitalistes privés par endettement) et du néo-libéralisme la
source de nouvelles marges de manœuvre pour l’Etat (en tant que capitaliste
particulier). A mon avis c’est prendre les choses complètement à
l’envers. Les « Trentes
glorieuses et la forme Etat-providence ont représenté justement une période
où les capitaux privés ont été étroitement liés à la puissance de l’Etat qui
a organisé un financement public de l’investissement, que ce soit par les
transformations du système bancaire français qui a vu les grandes banques
publiques de dépôt se transformer en banques d’affaires et devenir des
« noyaux durs » du nouveau capitalisme (les « zinzins »)
ou par les déductions d’impôts accordées aux ménages. Ces positions qui nient toute spécificité de l’ Etat
induisent au moins trois conséquences : premièrement on ne peut alors
saisir correctement la fonction de reproduction du rapport social dévolu à
l’Etat qui, justement relève de la politique et particulièrement en
France dans la forme de l’Etat-nation[14].
Dire que cet Etat-nation est en crise, dire que la gestion l’emporte sur la
dimension politique peut être juste mais ne liquide pas les contradictions.
Ce n’est qu’une tendance, sinon cela veut dire que tout est déjà joué ou
alors qu’il faut lutter pour revenir à la situation antérieure (J. P et la
réglementation) ; deuxièmement on ne peut saisir pleinement le caractère
particulier des luttes en son sein, leur caractère directement politique dans
la mesure où, au-delà de revendications défensives, c’est souvent la question
de cette reproduction des rapports sociaux qui est posée (cf. le caractère
récurrent des luttes dans l’école, les transports, les hôpitaux et à un autre
niveau le mouvement de 95) ; enfin cela nous place une fois de plus dans
un « extérieur » à tout ça, comme si l’Etat-réseau, l’Etat du tout
social, ce n’était pas aussi nous ! Ce monde est bien notre monde et il
n’y a nul point d’Archimède à partir duquel le soulever. Nous sommes
condamnés à penser le monde de l’intérieur. Bien sûr, d’une certaine façon
cela a toujours été le cas, au moins pour qui s’en tient au matérialisme qui
refuse tout point de vue extérieur à la réalité sociale, seulement avant la
réalisation de la « société capitalisée », cette réalité comportait
une contradiction porteuse d’un autre devenir possible, porteuse d’un
universel, la communauté humaine, reposant sur le côté prolétarien de la
contradiction. Il y avait ce mouvement dialectique de l’en-dedans et de
l’en-dehors, de cette classe du capital mais qui n’est pas le capital, de
cette classe qui est affirmation du travail, mais en même temps abolition du
travail, affirmation du caractère classiste de la révolution, mais en même
temps négation de toutes les classes. Aujourd’hui, la réalité semble « plate » ce qui
donne l’impression non seulement qu’il n’y a pas d’en dehors, mais qu’il n’y
a pas d’autre réalité possible. C’est ce qu’entérine l’individu-démocratique,
même quand il a un petit passé de révolutionnaire ou un passé de petit
révolutionnaire. Parmi ceux qui refusent cela, beaucoup ne voyant plus
d’universel se mettent alors à refuser tout universel au profit du pluriel,
du multiple et remplacent le prolétariat par la multitude (les
néo-opéraïstes, Deleuze et Guattari appropriés par les libertaires) ;
d’autres cherchent à se mettre complètement à l’extérieur, ce que Camatte et la revue Invariance ont initié dès la fin des années 70, que les
post-situs reprendront accomodé à leur sauce (le monde est un mensonge,
« le vrai un moment du faux » etc). Plus modestement, ce sera la
position adoptée par qui veut son bâton de « radical ». Jacques Wajnsztejn (Temps Critiques),
11/07/01
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[1] Cf.
l’article de Ph. C dans Temps Critiques
n°8.
[2] Si
j’insiste sur cette dimension politique, ce n’est pas simplement pour mettre en
avant la politique, mais aussi pour distinguer cet aspect d’une certaine mode
libertaire qui, par des traits culturels et comportementaux se rapproche d’ une
idéologie et de pratiques qui ont été réunies sous le terme de
« libertariennes ».
[3] Deux salariés précaires pacsés peuvent vivre moins
difficilement qu’une mère isolée fonctionnaire de cadre C, avec un ou deux
enfants !
[4] Ce que Durkheim nomme solidarités organiques par opposition aux anciennes solidarités mécaniques.
[5] Il
n’est pas plus « alternatif » que le mouvement qui voit le
travailleur qui ne peut plus travailler ou qui n’a pas encore pu travailler
être remplacé par un « travailleur social ».
[6] Dans Individu, révolte et terrorisme. Ed.
Nautilus.
[7] La
question n’est d’ailleurs pas métaphysique. Les transformations du processus de
travail ainsi que la dévalorisation du travail sous le double aspect de
« la valeur sans le travail » et « le travail sans
valeur », produisent une situation où de plus en plus, « bien faire
son travail » semble n’avoir plus aucun sens.
[8] Ces
groupes informels chercheront un moment à fusionner, sans succès et de leur
éclatement naîtront les revues Crise
Communiste et Théorie Communiste.
[9] A ce
sujet on se reportera à la polémique Zerzan/Reeves des années 70 sur le
caractère définir ou non de ce mouvement. La revue Echanges en possède encore des exemplaires, je crois.
[10] Je ne
développe pas plus ici car ça recouperait mon livre sur « les identités
particulières »
.
[11] Cf.
les n° 2 et 4 de la revue Temps Critiques
et notre distinction entre aliénation initiale et aliénation historique.
[12] Il n’
y a donc aucun intérêt particulier à les traiter en ennemis comme semblent le
prôner Riesel et l’EdN. Les alerter, les rencontrer, mener des actions communes
sur la base que leur activité est aussi un travail, salarié, exploité,
aliéné.
[13] Sur ce
point, cf. mon article Néo-luddisme et
résistances ouvrières dans le n°12 de
Temps Critiques (reproduit aussi dans Courant
alternatif d’avril 2001.
[14] Par rapport à une remarque de N. sur la nation et son
peu de réalité, je précise que ce n’est pas la Nation qui est une réalité, mais
l’Etat-nation. C’est pour cela qu’il n’y a pas de « nation » là où il
n’ y a pas d’Etat stable. De là provient la volonté des nationalistes de tout
bord à vouloir créer « leur » Etat, ce qui les amène à se
conduire toujours comme des étatistes avec toutes les saloperies qui accompagne
les fonctions étatiques (tribunaux, milices, tortures). Il n’est donc pas très étonnant non
plus que le mouvement anarchiste soit faible dans les pays pauvres, gangrénés
qu’ils sont par la première forme de résistance « naturelle » à
l’oppression : le nationalisme ou sa variante ethniciste dans les sociétés
où il n’existe qu’un Etat-baudruche.
J.
Wajnsztejn.