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L’individualisme subversif des femmes
à Barcelone pendant les années 1930
Quand la révolution a éclaté à Barcelone
en juillet 1936, les révolutionnaires ont eu besoin de toute l'aide et de
l'appui qu'ils pourraient obtenir, aussi bien des travailleurs que des
travailleuses qu'ils prétendaient représenter. À la radio et dans d'autres
médias, les partis et syndicats ont fait des appels pour obtenir l'appui des
femmes dans la lutte contre les nationalistes de Droite. Nous savons que les
femmes les plus célèbres de la période – la communiste, La Pasionaria, et
l'anarcho-syndicaliste, Federica Montseny – ont travaillé de manière ardente
et apparemment inlassable pour la victoire de la Gauche. Nous connaissons
également bien les contributions des militantes des Mujeres Libres et
d'autres organisations. Cependant, l'histoire de beaucoup d'autres femmes
prolétaires est moins bien connue, et presque invisible. Une étude centrée
sur elles change l'accent traditionnellement mis sur la militance collective
dans la révolution espagnole. La plupart d’entre elles ont agi de manière
ambivalente envers la cause et les révolutionnaires ont été forcés
d’affronter l'individualisme des femmes, qui se sont identifiées seulement de
manière marginale avec le projet social collectif de la Gauche. Peut-être
même plus que leurs homologues masculins, ces femmes ont refusé de se
sacrifier pour le bien de la lutte et ont défendu leurs besoins personnels,
pas ceux de la république ou la révolution. La société révolutionnaire était
incapable d'intégrer ces nombreuses femmes non-militantes qui ont défié sa
discipline sociale. À cause de la recherche des identités collectives de
classe et de genre, l'individualisme des femmes prolétariennes a été ignoré.
Au lieu de négliger ou de condamner le personnel, les historiens
doivent essayer de comprendre comment l’exploration des variétés
d'individualisme subversif – la résistance à la discipline sur le lieu de
travail, l'opportunisme et la petite fraude – peut étendre les frontières de
l’histoire sociale et aider à contribuer à une théorie de l'Etat. L'individualisme féminin ne doit pas
être identifié exclusivement avec le conservatisme et la réaction, l'échec
des femmes à se sacrifier pour la révolution ne pas signifie qu'elles étaient
pro-Franco ou qu’elle formaient une « cinquième colonne » féminine.
En fait, les régimes autoritaires et fascistes ont également été forcés de
s’y confronter et de contrôler l'individualisme subversif, mais sa
persistance et sa croissance pendant la révolution à Barcelone suggèrent
qu'un projet social fondé sur la propriété collective et la participation de
l’ouvrier avait peu d'attrait pour beaucoup de femmes. L'individualisme
subversif s’apparente à ce que Alf Ludtke a appelé Eigensinn. Ces deux
concepts explorent les aspects de vie quotidienne, comme la résistance au
travail, l'indiscipline et le chapardage. En fin de compte individualisme et Eigensinn
sont profondément distincts. Ce dernier n'englobe pas le conflit entre
l'individu et la société. En effet, Ludtke implique que l’Eigensinn
pourrait avoir été la base d’un socialisme plus inclusif et libéré.
L'individualisme subversif résulte, d’autre part, de la contradiction entre
l'individu et la société et rappelle ainsi la tradition négligée de l’anarchisme
stirnerien dans lequel les besoins personnels et les désirs ont la priorité
sur le travail salarié, qu’il soit capitaliste ou socialiste. La persistance
de l’individualisme pendant la fin des années 1930 à Barcelone démontre
l'incapacité de la société socialiste à surmonter la scission entre
l'individu et la collectivité. La répugnance des femmes à se sacrifier est
une critique implicite de l'anarcho-syndicalisme et de la vision
révolutionnaire marxiste, que beaucoup de femmes ont ressenti trop souvent
comme un renoncement personnel au profit du social. De manière assez ironique, la militance
collective féminine pourrait avoir été plus commune avant qu'après la
révolution, dans la période de troubles précédant et suivant immédiatement
l'établissement de la Deuxième République en avril 1931. En ce temps-là, et
tout au long de la décennie, les femmes ont défendu leur niveau de vie et
leurs sources de revenu. Bien que les émeutes pour l’alimentation semblent
rares, les femmes ont activement participé à la grève des loyers de 1931,
patronnée par la CNT (Confederacion Nacional de Trabajo) contre la
rapide augmentation des dépenses de logement. Pendant les années 1920, la
population de Barcelone avait grandi de 62,43 % et cette immigration massive
avait élevé les loyers à une hauteur jamais atteinte auparavant. Après
l'établissement de la Deuxième République en avril, la CNT exigeait des
réductions de loyer de 40 %. En juin et juillet, les meetings du comité de
grève des loyers attiraient de nombreuses femmes. Des propriétaires, la
plupart d’entre-eux ne possédant que de petites propriétés, réagirent en
organisant leurs propres réunions. Cependant, la grève se montra efficace et
réveilla la participation de peut-être 100 000 personnes dans une ville de
plus d'un million. La solidarité de voisinage rendait les expulsions difficiles, sinon impossible. Dans
certains cas, les voisins menacèrent de lyncher ceux qui appliquaient les
ordres du tribunal. Des masses de femmes et d’enfants ont entravé les
expulsions de locataires. Le gouvernement réagit par la répression. Il
emprisonna les leaders des grévistes, envoya la police pour assurer les
expulsions et agit généralement dans l'intérêt des propriétaires. Les femmes participaient aussi aux
luttes sur le temps de travail. Quand une loi interdisant le travail de nuit
pour les femmes a été changée, ce changement de programme « n'a pas
été bien accueillie par les ouvriers » qui ont alors fait la grève.
Les Femmes voulaient que la prohibition du travail de nuit s'applique aux
heures entre 23h00 et 5h00 « au lieu de 22h00 à 4h00 »,
refusant de venir une heure plus tôt. Les Femmes travaillant dans une usine
textile de Badalona refusèrent la proposition patronale que la moitié
d'entre-elles travaille trois jours par semaine, et l'autre moitié, trois
autres jours. Les femmes préféraient une semaine de travail durant les mêmes
trois jours pour chacun. L'Union Textile de la CNT
anarcho-syndicaliste exigeait que les femmes enceintes reçoivent un congé de
maternité de quatre mois et que les établissements de plus de 50 ouvrières
fournissent des centres de garderie. Les femmes se battaient collectivement
pour la hausse des salaires. Des entrepreneurs textiles affirmaient que leurs
ouvrières avaient refusé de contribuer au fonds de maternité, et quand les
industriels essayèrent de déduire la part des femmes de leurs paies,
entrainant « des conflits sérieux en raison de la résistance des
ouvrières ». Le gouverneur civil indiqua que salariées et employeurs
devaient obéir la loi, qui exigeait de leur part des contributions
approximativement égales, mais les femmes continuèrent la grève pour empêcher
la retenue sur leur paie. Selon le Gouverneur, elles refusaient de comprendre
que l'assurance maternité leur permettrait de recevoir des indemnités qui
excéderaient énormément leur contribution. Il envoya la Garde civile dans les
villes castillanes de Berga et de Pobila de Lillet où « le syndicat »
faisait de l'agitation en faisant circuler des « prospectus séditieux ».
Les autorités craignaient que les ouvrières puissent réagir en volant des
produits finis ou même des pièces de machines, et elles ordonnèrent à la
Garde civile d'évacuer les usines pour empêcher une grève avec occupation.
Finalement, les femmes acceptèrent les déductions sur la paye, complétant la
loi de 1907, qui avait accordé six semaines de congé maternité avant et après
la naissance. Les femmes ont défendaient aussi leurs
emplois et leurs sources de revenu. Pour protester contre une fusillade,
elles participèrent à une des grèves les plus sanglantes de la période. Le 2
octobre, 760 ouvriers sortent d'une usine métallurgique sous contrôle
étranger, qui emploie 1100 ouvriers dans Badalona. Deux jours plus tard, la
police arrête et emprisonne deux ouvriers pour avoir violé le droit du
travail. Les autorités arrêtent également quatre femmes, dont la militance et
la solidarité avec les grévistes provoquent un traitement brutal de la part
des Gardes civils. Les ouvriers métallurgistes protestent contre ces
arrestations et chargent la police, qui s'occupait du chargement et du
déchargement, agissant comme des briseurs de grève. Le 24 octobre, le
syndicat patronal de Badalona consent à rétablir les ouvriers licenciés, mais
affirme le droit de l'employeur de licencier le personnel pour « des
motifs justifiés ». En outre, les patrons interdisent aux délégués
syndicaux d'agir à l'intérieur de l'usine, mais promettent de ne pas
licencier les ouvriers qui avaient une année d'ancienneté. Les ouvriers
doivent retourner travailler le lundi suivant, mais, sans le notifier aux
autorités, ils continuent leur grève « illégale ». La tension monte le 29 octobre, quand
les grévistes désobéissent à une sommation de se disperser, ordonnée par la
police montée armée de sabres. La Garde arrête quatre femmes qui portent des
pierres, et cinq hommes. Le jour suivant, 250 « jaunes », selon les
mots du Gouverneur, entrent dans l'usine. Quand un camion, accompagné par des
policiers, quitte l’entreprise, des grévistes, « vraisemblablement du
Sindicato Unico [CNT] », attaquent le véhicule avec des armes
légères. Ceux qui sont dans le camion, peut-être des gardes, tirent en
réponse et tuent deux grévistes. Le jour suivant, le Gouverneur répond aux
morts des ouvriers en emprisonnant les présidents des syndicats du transport
et de la construction de Badalona. Pendant les obsèques des grévistes, la
garde civile « a été forcé de charger [la foule] ». Mais les jugements concernant la
participation des femmes dans les organisations militantes doivent être
mitigés. La plupart des femmes avaient moins de raisons que les hommes de
rejoindre et de mener les syndicats, à cause de leur place marginale sur le
lieu de travail. En 1930, les quelque 1 109 800 de travailleuses espagnoles
constituaient 12,6 % de la main-d’œuvre totale et 9,16 % de la population
féminine. Seules 43 000 à 45 000 ont rejoint les syndicats, et 34 880 à
36 380 d'entre elles appartenaient au mouvement syndical catholique. On peut
expliquer cette relative réserve face aux syndicats par l’importance de
l’emploi provisoire féminin. Certaines commençaient le travail entre 12 et 14
ans, mais le quittaient immédiatement après avoir été épousées, d'habitude
entre 25 et 30 ans. Si elles devenaient veuves, elles pouvaient retourner sur
le marché du travail. En 1922, les industriels de Barcelone affirmaient que
la plupart des ouvrières avaient quitté leur emploi pour se marier et que
presque aucune n’avait travaillé jusqu'à l'âge de la retraite. Dans les
années 1930 – peut-être à cause de la dépression économique – des mères et
des filles se sont engagées dans le travail salarié. En 1930, 65,6 % des
ouvrières étaient célibataires, 19,29 % étaient mariées et 14,26 % étaient
veuves. À Barcelone, 65 % de la population active féminine, qui composaient
approximativement 30 % des salariés, travaillait dans l'industrie. Les obligations familiales, dont les
femmes contrôlaient le budget, auraient pu refroidir la militance collective.
Dans certaines familles, qui voulaient acquérir un petit commerce ou un lopin
de terre, les femmes contrôlaient le budget familial. Ces femmes devaient
être peu disposées à voir leurs maris se joindre à des grèves sauvages.
Certaines travailleuses, qui bossaient pour un salaire complétant les gains
des autres membres de la famille, étaient aussi récalcitrantes quant à la
grève. Les femmes des classes moyennes appauvries, travaillant pour garder
les apparences, pouvaient aussi résister à la participation aux mouvements
militants. En juillet 1931, 560 ouvriers – principalement le personnel de
bureau et les réparateurs – se sont battus contre la société téléphonique, et
les jeunes femmes semblent avoir été parmi les premières à retourner
travailler. Pendant le conflit, trois grévistes masculins – probablement des
membres d'une filiale de la CNT – sont arrêtés par la police pour avoir
traîné trois senoritas non-grévistes. La grève a abouti « à
l'échec », peut-être à cause du manque d'appui féminin. Les chiffres
disponibles montrent que les hommes étaient beaucoup plus partants pour faire
grève que leurs homologues féminines, qui recevaient souvent la moitié des
salaires masculins. Pendant la Deuxième République,
particulièrement pendant le bienio negro (1934-1935), l'adhésion
syndicale a baissé, au moment ou l'Etat et les employeurs ont pris des
mesures répressives contre les organisations ouvrières. Au début de la
révolution, de nombreux salariés – particulièrement des femmes, la plupart
d’entre-elles n’ayant jamais appartenu à aucun syndicat avant juillet 1936 –
se sont assemblé dans la CNT et, dans une moindre mesure, à l’UGT marxiste (Union
General de Trabajadores). Il faut souligner que de nombreux ouvriers
n’ont pas rejoint les syndicats pour des raisons idéologiques, mais pour des
raisons personnelles : la vie dans le Barcelone révolutionnaire était très
difficile sans une carte syndicale. Pour manger un repas dans une cuisine
collective, bénéficier d’une aide sociale, obtenir ou conserver un travail,
intégrer un centre de formation technique, obtenir un logement, être admis
dans une clinique ou à l'hôpital, pour voyager à l'extérieur de Barcelone,
pour être exempté du service militaire, etc., une carte syndicale était
souvent désirable, sinon nécessaire. Selon les propres chiffres de la CNT, elle représentait
seulement 30 % des ouvriers industriels catalans en mai 1936, un mois avant
la révolution, beaucoup moins que les 60 % en 1931. Ainsi, « des
dizaines de milliers », dont beaucoup de femmes, avec une faible « conscience
de classe » ou une faible adhésion aux buts de la Gauche, sont
entrées dans l'un ou l'autre syndicat à la recherche d’une protection sociale
et d’un emploi stable. Un cadre de la CNT au pouvoir pensait que : « Une des principales erreurs des syndicats
était de forcer les ouvriers à rejoindre l’un d'entre eux. Nous ne sommes pas
vraiment sûrs d’un nombre énorme des nouveaux membres, bien qu'il ne soit pas
souhaitable de discuter de ceci à l’ extérieur du syndicat ». En juin 1937, H. Rudiger, un
représentant à Barcelone de la Première Internationale ressuscitée (AIT), a
écrit qu'avant la révolution, la CNT avait seulement 150 000 à 175 000
membres en Catalogne. Dans les mois après le début de la guerre, l'adhésion à
la CNT catalane avait bondi à presque un million, desquels, « Quatre-cinquièmes sont, ainsi, de
nouvelles personnes. Nous ne pouvons pas considérer une grande partie de ces
gens comme des révolutionnaires. Vous pourriez prendre n'importe quel
syndicat comme un exemple de cela. Beaucoup de ces nouveaux membres
pourraient être dans l'UGT ». Ce fonctionnaire de l'AIT ressuscitée en
concluait que la CNT ne pouvait pas être « une démocratie organique ».
Dans le syndicat rival, la situation était peu différente. Un militant
officiel de l’UGT affirmait que la Fédération catalane de l'UGT avait 30 000
membres avant le 19 juillet et 350 000 à 400 000 après. Il recommandait une
nouvelle organisation du syndicat puisque beaucoup de filiales manquaient
d'expérience. Bien que les responsables syndicaux n'aient pas fait des
remarques sur le sexe de leurs nouveaux membres, il semble probable que,
particulièrement dans le secteur textile, il y avait un nombre
disproportionné de femmes. Quelques syndicats CNT ont découragé l'élection de
membres arrivés après le 19 juillet 1936 aux postes de responsabilité dans
l'organisation ou dans les collectifs, à moins que ces nouveaux membres
n'aient été unanimement approuvés. Cette règle doit avoir eu pour effet
l'exclusion de la plupart des femmes des positions de direction. Donc, le
grand afflux de nouveaux membres dans les syndicats et partis politiques
catalans n'était pas une indication de conversion idéologique à
l'anarcho-syndicalisme, au socialisme, ou au communisme, mais une tentative
de la base ouvrière, particulièrement des femmes, de défendre leurs propres
intérêts du mieux qu’elles pouvaient dans une situation révolutionnaire.
Pendant la révolution, les syndicats se sont intégrés dans l'Etat. Ils ont
donc perdu leur statut d’organisations indépendantes dont la première
priorité était de défendre les intérêts immédiats des ouvriers et de protéger
les salariés insatisfaits. Au lieu de cela, ils sont devenus responsables de
l’efficacité de la production. Au début de la révolution, les syndicats
ont collectivisé les grandes usines et ont encouragé le contrôle ouvrier dans
les ateliers plus petits. Cependant, même après que la collectivisation ou le
contrôle ouvrier aient été institués, beaucoup de salariés étaient peu
disposés à participer aux activités collectives sur le lieu de travail. Ils
ont individuellement évité d’aller au conseil d'usine, aux réunions
syndicales ou de payer des cotisations syndicales. En fait, les activistes
prétendaient souvent que la seule façon d'obtenir des ouvriers qu’ils suivent
les assemblées était de les tenir pendant les heures travaillées et donc aux
dépens de la production. Dans une grande entreprise métallurgique, seuls 25 %
du personnel ont participé activement aux assemblées. Les ouvriers les plus
actifs avaient plus de 30 ans, avaient au moins cinq ans d’ancienneté et une
compétence technique. Nous pouvons supposer qu'ils étaient généralement des
hommes. La plupart du temps, les assemblées ont simplement ratifié des
décisions prises en petits groupes de militants ou de techniciens. Certains
ouvriers – à nouveau, probablement beaucoup de femmes – se sont senties mal à
l’aise et peu disposés à parler, et plus encore à protester, pendant les
réunions. Par exemple, seuls 29 des 74 ouvrières dans une société de
vêtements dominée par l’UGT, une branche où les femmes étaient une écrasante
majorité, ont suivi l'assemblée en octobre 1937. A d'autres réunions, même
quand la base était présente, elle arrivait souvent tard et partait tôt. Le
personnel téléphonique UGT– apparemment pas intéressé par le double fardeau
féminin du travail domestique et du travail salarié – critiquait les
collègues féminins – la majorité d’entre elle ayant rejoint le syndicat après
le 19 juillet – parce qu’elles n’avaient jamais suivi une seule assemblée.
Quelques activistes ont, sans succès, proposé des amendes pour les membres
qui n'étaient pas avenus aux réunions. Même quand les syndicats ont amélioré
les conditions de travail, ils ont dû affronter l'individualisme des
ouvrières. Au début de la révolution, un certain nombre de collectifs ont
aboli le travail à la pièce dans le secteur. En conséquence, quand la
productivité des salariés féminins a baissé, les militants masculins se sont
trouvés à « sermonner les ouvrières ». Le journal CNT, Solidaridad
Obrera, prétendait que les femmes qui faisaient les uniformes dans les
nouveaux ateliers de couture de la CNT étaient contentes et montrait le
contraste entre l'espace, l'éclairage et les machines des ateliers de la
Confédération avec les conditions peu hygiéniques qui prévalaient avant la
révolution. La CNT exposait chaque jour fièrement : « nous organisons
certains ateliers avec le même système qu'aux Etats-Unis ». Même en
juin 1937, la Junte centrale des tailleurs critiquait « la
majorité immense » des ouvriers qui comprenaient mal la révolution.
La base ne s'était pas encore rendu compte qu'elle devait se sacrifier et, en
conséquence, les plans pour la collectivisation de l'industrie de la couture
durent être remis à plus tard. Différents ont montré que les femmes
non-militantes étaient peu disposées à se sacrifier pour la révolution, et on
parfois exigé d’être payées pour le travail « volontaire ». Le Sindicato
de Vestir UGT avait invité quatre hommes et femmes à rassembler des
vêtements pour les troupes. Les volontaires n'avaient pas « compris »
qu'ils ne seraient pas rémunérés pour leurs services, et exigèrent leurs
salaires. Comme dans d'autres révolutions sociales, la disparition des
classes fortunées a privé un nombre considérable des domestiques féminins de
leurs sources de revenu. Ces domestiques étaient souvent concernés par leurs
problèmes personnels plutôt que par les besoins collectifs. Avec
l'approbation du gouvernement régional catalan, la Generalitat, les
comptes bancaires qui appartenaient aux employeurs avaient été gelés et
employés pour payer le personnel de ménage. Les anciens domestiques,
cependant, gonflaient parfois la somme de leurs salaires en retard. Il se
peut que leurs fausses revendications aient reflété l'individualisme des
domestiques et des autres ouvriers qui étaient en contact personnels avec les
employeurs. L'individualisme, cependant, ne s’est pas limité aux anciennes
bonnes. Au lieu de faire grève pour la sécurité de l'emploi, comme c’était
arrivé avant la révolution, les ouvriers étaient connus pour passer d’un
syndicat à une autre pour trouver l'organisation qui serait la plus
compatissante envers leurs demandes. Par exemple, quand l'Union Métallurgique
de la Confédération refusa un travail à deux femmes membres de la CNT, elles
essayèrent d'acquérir des cartes UGT. Abandonnant la pratique
pré-révolutionnaire de participation aux grèves de loyer, de nombreuses
familles refusèrent de payer leur loyer, ainsi que les factures de gaz et
d'électricité. Plusieurs semaines après que la révolution ait éclaté, le
Comité de contrôle du gaz et de l'électricité choisit d’employer les Milices
antifascistes pour recouvrer les dettes « des éléments qui profitent
des circonstances présentes pour éviter de payer leurs factures ». Deux
mois plus tard, le comité s'est plaint à un représentant de l'Union de la
construction CNT que beaucoup de consommateurs étaient malhonnêtes, « En essayant toujours de trouver une façon
de récupérer des kilowatts libres. Malheureusement, des camarades prolétaires
sont parmi les fraudeurs. Si nous attrapons un fraudeur de classe supérieure,
nous lui donnons ce qu'il mérite, mais nous ne pouvons rien faire aux
ouvriers puisque beaucoup plaident le fait qu’ils n'ont pas de travail. »
Les militants se sont demandés pourquoi,
malgré l'achat de tous les fourneaux électriques disponibles, aucune
augmentation de la consommation n’avait été enregistrée, impliquant que les
ménages – vraisemblablement avec le consentement féminin – falsifiaient leur
consommation. À la fin de l'année, le Comité étudia une proposition pour
établir une section spéciale consacrée à la lutte contre la fraude. Les
membres suggérèrent que les consommations de gaz et électriques ne soient
plus séparées, mais rassemblées. Une lecture commune économiserait non
seulement le travail, mais menacerait aussi les fraudeurs potentiels de
l'interruption des deux sources d’énergie. Le Comité voulait prendre des
mesures fortes pour forcer les consommateurs qui avaient déménagé pour éviter
de payer les factures à leur ancienne adresse. Un militant demanda à la
Commission de logement de ne pas louer à quelqu’un qui n’avait pas présenté
le reçu d'une facture d'électricité récente. Quand la Gauche a commencé à
perde en 1937, le désir de se sacrifier avait encore reflué plus et beaucoup
d'ouvrières du textile semblent avoir diminué leurs efforts. Les syndicats ont
répondu en essayant de réprimer les résistances individuelles au travail. Le
comité de contrôle CNT-UGT de la société Rabat, où les femmes étaient
majoritaires, avertit que n'importe quelle camarade qui manquerait le travail
sans être malade perdrait sa paie ; on expliqua aux ouvrières de cette
société que la désobéissance pourrait mener à des amendes et peut-être à la
perte de travail, dans une industrie où – il faut le rappeler – malgré la
mobilisation des hommes en temps de guerre, le chômage était élevé. On a
exigé que toutes les ouvrières de Rabat suivent les assemblées sous la menace
d'amendes. Seules les conversations concernant le travail étaient autorisées
pendant des heures de travail. D'autres collectifs dans l'industrie de
l'habillement, qui avait sans succès demandé aux ouvriers d'augmenter la
production, mirent aussi en application des règles interdisant les
conversations, le retard et même la réception d'appels téléphoniques. Plutôt que de s’organiser pour des
salaires plus élevés, comme cela s’était passé au début des années 1930, des
femmes ont pris individuellement des vacances non autorisées pendant la
révolution. Celles qui travaillaient dans des bureaux CNT ont ignoré le
slogan, « pendant la guerre, il n'y a aucune vacance ». Les
militants se sont sentis contraints de prendre des mesures disciplinaires
contre une dactylo qui avait refusé de travailler le dimanche. Ils ont craint
que si la contrevenante n'était pas été sanctionnée, « beaucoup de
camarades [femmes] manqueraient le travail le dimanche ». Une
entreprise occupée avertit une employée que si elle continuait à manquer le
travail pour « faire la fête », elle serait
remplacée ». En termes semblables, le comité des ouvriers de la Casa
Alemany, a menacé deux autres femmes qui avaient pris un « congé
illimité ». Même les Mujeres Libres – le groupe des femmes de
la CNT qui voulait intégrer les femmes dans le processus productif – s'est
senti contraint de réprimer l'individualisme. Elles accusèrent une de leurs
militantes d'absences injustifiées, d'indiscipline et d'immoralité et prirent
des mesures disciplinaires contre elle. Les actions répressives des syndicats et
de leurs organisations satellites sur le lieu de travail trouvaient un
parallèle à un niveau plus élevé, par la reconstruction d'un Etat puissant.
Dès mars 1937, quand la CNT participait au gouvernement, tous les citoyens
entre dix-huit et quarante-cinq ans (à l’exception des soldats, des
fonctionnaires et des invalides) durent posséder un « certificat de
travail ». Les autorités pouvaient demander cette carte « à
n’importe quel moment » et assigner ceux qui ne la portaient pas au
travail de construction des fortifications. « Si les fraudeurs ont
été trouvés dans des cafés, des théâtres et d'autres lieux de distraction,
ils pourraient être emprisonnés durant trente jours ». Dans les
colonnes du quotidien CNT, Solidaridad Obrera, le socialiste Luis
d'Araquistain louait la Confédération pour avoir reconnu « la
nécessité de l'Etat comme un outil de consolidation des conquêtes révolutionnaires.
Quelle joie pour un Socialiste de lire [...] le programme de la CNT. ».
En mars 1938, la CNT se mettait d'accord avec l'UGT sur le fait que l'Etat
devait jouer le rôle principal dans la direction des affaires militaires,
économiques et sociales. En même temps, l'UGT et le CNT affirmaient
que : « Un salaire lié au coût de la vie et qui
tienne compte des catégories professionnelles et de la productivité doit être
établi. Dans ce sens, les industries contrôlées par [les syndicats]
défendront le principe de ‘ meilleure et plus importante est la
production, plus grande sera la paie’ sans distinction au sexe ». L'échec des syndicats à se montrer à la
hauteur de ce principe, et par conséquent, la persistance du salaire et de la
discrimination au travail est peut-être partiellement responsable de
l'indiscipline féminine et de l'indifférence. Les femmes se sont moins
identifiées que les hommes au lieu de travail, à cause des paies basses et du
travail sans intérêt. La révolution, quoique nivelant partiellement les
différences de salaire, n’a détruit ni les salaires féminins inférieurs à
ceux des hommes, ni la division sexuelle traditionnelle de travail. Quand la
Fédération locale de l'UGT a eu besoin de secrétaires ou de personnel
d’entretien, elle a naturellement cherché des femmes. A la Comedor Popular
Durruti, tous les serveurs, les cuisiniers et les plongeurs étaient des
hommes. Les deux premières catégories gagnaient 92 pesetas et la
troisième 69 pesetas; tandis que les sept femmes de ménage gagnaient
57,5 pesetas. A la grande usine Espania Industrial, où plus de
la moitié du personnel était féminine, les femmes gagnaient 45 à 55 pesetas
par semaine ; tandis que les hommes en recevaient 52 à 68. Dans un grand
collectif métallurgique, les femmes dans la même catégorie professionnelle
que leurs homologues masculins gagnaient une paie inférieure. Le salaire
minimal proposé pour des employés du téléphone était de 90 pesetas ;
pour les femmes, 70. Quand les employés du téléphone UGT se sont assemblés
pour discuter de la formation militaire, ils ont été d'accord – avec le
consentement des participantes féminines – pour que les femmes reçoivent
l'instruction comme infirmières, pas comme soldats. Les syndicats étaient parfois
insensibles aux besoins des femmes. Quand les fabricants de caisses ont
rencontré des problèmes économiques, les militants CNT ont approuvé un
mouvement pour ne pas payer des travailleuses, « qui avaient d'autres
moyens d'appui ». Dans d'autres cas, certaines sociétés ont continué
à fournir des cantines séparées par sexes, institutionnalisant efficacement
la coutume d'avant-guerre qui – par exemple – a eu tendance à interdire aux
femmes certains espaces sociaux. Dans un autre cas, les syndicats se sont
sentis contraints de rationaliser l'industrie textile catalane arriérée pour
augmenter son efficacité. La rationalisation a signifié que la main-d’œuvre,
surtout féminine, a dû travailler à l'usine et abandonner la maison, où elle
exécutait le travail à domicile ou, comme on l’appelait, trabajo un
domicilio. Les femmes ont donc eu un moindre contrôle de leur programme
de travail, et les mères ont été forcées de prendre de nouvelles dispositions
pour la garde des enfants. La situation économique de plus en plus
dure à Barcelone a rendu des femmes de moins enclines à avoir le temps ou
l'envie de se sacrifier ou même à
travailler pour la révolution. Les femmes ont continué à porter le
double fardeau du travail salarié et du travail domestique sans, bien sûr,
l'aide d'appareils électroménagers modernes. Ces fardeaux ont augmenté avec
détérioration rapide de la situation économique de la ville. L'inflation en
temps de guerre a certainement aggravé le mécontentement, puisque des prix de
gros ont été multipliés par 2,5 pendant la révolution. A la fin de 1936 et au
début de 1937, les femmes ont manifesté contre le manque de pain. Les divers
partis politiques, particulièrement les communistes, ont tenté d’employer le
mécontentement causé par l’inflation pour augmenter leur popularité. En
effet, les célèbres journées de mai 1937, quand les hommes communistes se
sont battus contre les anarcho-syndicalistes et la gauche anti-stalinienne,
pourraient avoir été causées, en partie, par le mécontentement féminin sur la
hausse des prix et le manque d’approvisionnement. En tout cas, le 6 mai 1937,
des manifestantes ont montré leur esprit de rébellion par l'action directe.
Reprenant la tradition barcelonaise de saisie populaire des vivres, « un
large groupe de femmes est descendu sur le port de Barcelone où elles ont
pillé un certain nombre de camions remplis d'oranges ». Des produits
alimentaires de base ont été rationnés et les ménagères ont été forcées
d'attendre en longues files. En 1938, le lait, le café, le sucre et le tabac
étaient très mal approvisionnés. Aucune mort de la faim n'a été annoncée en
1936 et seulement 9 en 1937, mais en 1938 le chiffre est monté à 296. La Faim
a continué à inciter d'autres manifestations de femme à propos des produits
alimentaires. Il n’est pas étonnant qu’en ayant à faire survivre, elles et
leurs familles, les femmes aient eu peu de temps pour les réunions des
collectifs ou les autres affaires publiques. Même dans des circonstances aussi
difficiles, les révolutionnaires ont fait une tentative sincère pour réaliser
certaines demandes féminines. Ils ont essayé de socialiser le travail
domestique féminin en organisant des centres de garderie, qui, de manière
assez prévisible, ont employé seulement des ouvrières. Cependant, les parents
des travailleuses (généralement les mères ou les belles-mères) ont
probablement continué à porter la principale responsabilité de la garde
d'enfants. Les militants se souciaient parfois des enfants de campaneras
pour qu'elles puissent suivre les réunions syndicales. Les activistes ont
légalisé l'avortement et ont rendu la contraception plus librement
disponible. Ils ont simplifié les procédures de mariage et ont permis aux
responsables partis et des syndicats de certifier de facto les
mariages, ou ce que les libertaires ont préféré appeler des « unions
libres ». La révolution a favorisé l'amélioration de la retraite, de la
santé et des assurances maternité. Quand on compare à la situation
d'avant-guerre, les révolutionnaires ont réduit les inégalités de salaire et
ont offert plus d'emplois. En novembre 1937, de nouveau avec l'aide du
gouvernement, les organisations catalanes ont participé à l'établissement
d'un lnstituto para la Adaption Profesional de la Mujer qui a permis
des femmes de maîtriser des compétences non seulement en secrétariat et en
cuisine, mais aussi en ingénierie, en électricité et en chimie. Les Mujeres
Libres, soutenues par la CNT, ont fait campagne pour réduire le taux
d'analphabétisme élevé parmi les femmes et ont essayé de créer une école
technique, qui fournirait aux femmes une formation pour leur permettre de
remplacer les hommes mobilisés. Les militantes de cette organisation ont
offert « de parcourir les usines et des ateliers stimulant les
ouvriers à produire le maximum » et les encourager à se porter
volontaire pour le travail de fortification et le front. Le désir d'intégrer les femmes dans le processus productif
était aussi l’objectif de la campagne contre la prostitution. En condamnant
les hommes qui fréquentaient les prostituées, les activistes anarcho-syndicaliste
et les membres des Mujeres Libres ont argumenté en faveur d’une réforme des membres de ‘la plus
ancienne profession’ par la thérapie par le travail. Elles ont voulu copier
le modèle soviétique qui, pensaient-elles, avaient éliminé le trottoir. Federica Montseny, la
ministre CNT, a affirmé que la révolution avait offert aux prostituées la
chance « de changer leurs vies et faire partie de la société ouvrière ».
C'était plutôt ironique, car il
y a maintenant des preuves qu'avant la révolution, certaines femmes se prostituaient
précisément pour éviter le travail productif et les conditions de travail
miséreuses. La campagne anti-prostitution a reflété un certain puritanisme
parmi les militants. Bien que, comme mentionné, l'avortement ait été légalisé
et l'information sur la régulation des naissances rendue disponible, certains
activistes ont recommandé que la sexualité et les naissances soient retardés
à la fin la révolution, « quand les outils entonneront la symphonie
du travail ». La sexualité et la prostitution ont sans aucun doute
persisté, d'autant plus que les domestiques féminins, qui avaient perdu leurs
emplois à cause du départ des classes fortunées, avaient rejoint les
professionnelles. La campagne de l'UGT pour adapter les
femmes au lieu de travail était couronnée de plus de succès que les efforts
contre la prostitution. Le syndicat marxiste voulait coopérer avec la CNT
pour enseigner aux apprenties féminines comment produire les matériaux
nécessaires pour la guerre. Selon le secrétaire général de la Fédération UGT
de Barcelone, « les femmes catalanes démontraient toujours un amour
du travail et une grande capacité sur le lieu de travail ». Il
exigea que certains collectifs en finissent avec leur pratique de payer les
femmes moins que des hommes même quand elles exécutaient le même travail. Il
pressa également les syndicats de promouvoir des femmes aux positions de
direction dans leurs organisations. Dans quelques ateliers, les femmes
commencèrent à mener une campagne en faveur de l’égalité des salaires. Dans
d'autres, les mères reçurent un congé payé de maternité de douze semaines, et
trente minutes quotidiennes pour les soins. En août 1938, une dirigeante UGT
demanda aux membres des syndicats d’étudier les possibilités d'embaucher plus
de femmes. Les réponses des dirigeants syndicaux révèlent à la fois l'état de
l'industrie catalane et une gamme d'attitudes masculines envers les
travailleuses. Le Secrétaire général de l'Union des travailleurs du bois
répondit que le manque de matières premières et d'énergie électrique
empêchait l'intégration des femmes dans sa branche. Il affirmait aussi que
les femmes ne possédaient pas les compétences pour se substituer aux
travailleurs du bois, dans ce secteur toujours non-standardisé. De plus, ce
leader UGT sexiste pensait que « avec des exceptions honorables »,
les femmes étaient qualifiées uniquement pour des tâches « simples »,
comme le vernissage, pas pour les travaux lourds ou dangereux. Le syndicat
UGT des travailleurs de la santé publique prétendait que le monopole du
travail CNT l'a empêché d'embaucher plus de femmes, qui étaient pourtant « biologiquement »
mieux adaptées pour les services médicaux. Dans d'autres secteurs, les besoins de
la guerre ont amené des changements dans la division traditionnelle du
travail. Dans les bureaux de poste ruraux, les femmes ont occupé les places
de parents masculins mobilisés ou décédés, et dans les villes, elles ont
commencé à travailler comme transporteurs de courrier. Malgré le souvenir de
briseuses de grève au début des années 1930, le responsable UGT des syndicats
postaux recommanda que les
femmes servent aussi dans les bureaux. Le Secrétaire général du syndicat UGT
du Papier pensait qu'avec une formation appropriée, les femmes seraient
capables d'exécuter la plupart des emplois dans la production de papier, mais
pas dans la fabrication de carton qui exigeait plus de force brute. Le
syndicat du Papier était fier de son record d'emploi féminin, dans les usines
et dans le syndicat lui-même. Le syndicat de l’Imprimerie citait un exemple
où deux imprimeuses produisait aussi bien que leurs homologues masculins.
Dans l'industrie textile, 80 % des 250 000 ouvriers étaient des femmes, mais
seul le manque de matières premières et la perte des marchés a empêché
l'emploi de plus de femmes encore. Ainsi, malgré des efforts sincères pour
intégrer les femmes dans un projet social collectif, l'individualisme féminin
a persisté et a peut-être augmenté, comparé à la situation
prerévolutionnaire. Autrement dit, la conscience féminine menait sans doute
tout autant à des actions individuelles pour défendre ce que l'historienne
Temma Kaplan a nommé l’objectif de « préservation de la vie »,
qu’elle favorisait une défense collective du rôle ‘nourricier’.
L'individualisme féminin a reflété l'aliénation des organisations qui ont
prétendu représenter le prolétariat. Cette indifférence envers les partis et
les syndicats démontre la priorité immédiate que beaucoup de femmes ont
accordée aux questions personnelles. Le travail pour une société socialiste
ou libertaire éloignée était un but secondaire. En outre, les femmes avaient
moins de raison de se sacrifier. Les mâles ont continué à dominer les
organisations révolutionnaires, et même si les opportunités pour les femmes
se sont étendues pendant la révolution, il était clair, que les hommes
continueraient à régner même si la Gauche était victorieuse. Les militants
masculins et les soldats ont été sûrs de souffrir si la République était
perdue, mais les femmes, pour leur part, pouvaient trouver plus simple d'éviter
de s’identifier comme « rouges », et s’épargner ainsi
l'emprisonnement ou la mort. Il ne s’agit pas de soutenir que les
femmes prolétaires étaient crypto-franquistes, mais plutôt qu'elles
opposeraient une résistance à n'importe quel régime – de gauche ou de droite,
qui empiéterait sur leurs propres intérêts personnels sur le lieu de travail,
dans les rues, ou à la maison. Des historiens sociaux ont négligé
l'individualisme pour plusieurs raisons. Par sa nature même, l'histoire
sociale implique l'étude des groupes, pas des individus, Bien que son centre
se soit éloigné des partis et des syndicats vers les mouvements populaires et
le genre, elle continue d’examiner des ensembles. De plus,
l'individualisme est toujours presque associé au capitalisme libéral, voire à
la réaction. L'individualisme, cependant peut avoir un aspect critique et
même subversif. Le refus de travailler et de se sacrifier s’oppose à la
vision révolutionnaire sociale des marxistes et des anarcho-syndicalistes.
Beaucoup de femmes n'ont pas trouvé de satisfaction sur le lieu de travail
collectivisé et elles ont refusé de se consacrer à une révolution dont le but
était de les transformer en bonnes travailleuses salariées. Pour combattre
leur résistance à la discipline sur le lieu de travail, l'opportunisme et la
petite fraude, les anarcho-syndicalistes ont institué un ordre répressif dans
les collectifs et ont collaboré avec les socialistes et les communistes pour
construire un état puissant capable de contrôler les individualismes subversifs.
Les héritiers des traditions anarchistes et marxistes ont échoué surmonter la
division entre les individues féminines et la société. Michael Seidman
[Texte original paru dans International Review of
Modern History, n° XXXVII (1992), avec des notes et une bibliographie
abondante, non traduites. Traduction : Nico, pour le Cercle social.]
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