PLUTOT RUDE, LA
RÉVOLUTION DE VELOURS CONSIDERATIONS
SUR LA REPUBLIQUE TCHEQUE PAR UN CAMARADE TCHEQUE |
Le gouvernement communiste de
Tchécoslovaquie fut ébranlé par les protestations étudiantes de novembre
1989. Cette révolte vint relativement tard, si on la compare avec ce qui
s'était passé en Pologne ou en Allemagne de l'Est, mais c'était dans le même
processus de l'écroulement de tout le bloc soviétique, dont la crise profonde
était due à son incapacité de promouvoir une accumulation suffisante de
capital. Aujourd'hui on avance, dans
différents milieux, diverses théories pour expliquer cette révolte, en
évoquant une conspiration, un putsch organisé par le KGB dans le but de
consolider les privilèges des bureaucrates en les convertissant en propriété
privée légale. Que ces théories soient vraies ou fausses, une chose est
claire : la révolte fut immédiatement rejointe par les travailleurs, et des
masses de gens exprimèrent sans ambiguïté leur volonté de balayer le régime
stalinien d'oppression soutenu par les troupes soviétiques qui subsistait
dans le pays depuis la répression violente du Printemps de Prague de 1968.
Avec le recul, il est possible aujourd'hui de voir que le processus de la
révolution était la conjonction de forces venant tant des sommets du pouvoir
que de la base de la population. Mais, alors que la fraction conservatrice
des dissidents et les bureaucrates avisés s'orientaient nettement vers un
système de capitalisme privé, avec de sérieux appuis, l'autre partie des dissidents
suivait tacitement cette orientation, et la classe ouvrière révoltée n'avait
pas réellement de vision positive. Bien qu'un capitalisme restructuré ne fût
pas le but de l'action des travailleurs, ils se trouvèrent plus tard orientés
vers cette perspective par une élite bien organisée. Le processus lui-même de la
révolution se déroulait à deux niveaux. Le niveau le plus visible, ce fut des
manifestations de masse organisées par les groupes dissidents, lesquels
allaient devenir les nouveaux dirigeants de l'Etat. Le second niveau
surgissait de l'activité autonome des travailleurs et des étudiants qui
organisèrent eux-mêmes des forums civiques (à ne pas confondre avec le Forum
civique -- le parti politique des dissidents tchèques) qui étaient des sortes
d'assemblées et conseils sur les lieux de travail et les universités. La nomenklatura communiste ,
incapable de résister à la pression, fut bientôt contrainte de négocier avec
le leadership des dissidents. Des organismes provisoires furent mis en place
pour assurer la direction du pays jusqu'à ce que des élections libres soient
tenues. Les anciens dirigeants de l'Etat abandonnèrent leur pouvoir sans
vraiment combattre. La population tchécoslovaque
devint très politisée dans l'espace d'une année. Pourtant, les
tchécoslovaques firent confiance aux nouveaux politiciens démocratiques . Le
Forum civique (un parti similaire en Slovaquie se dénomma Le Public contre la
violence ) gagna les élections d'une manière décisive et les forums civiques
ouvriers furent pacifiquement dissous pour permettre à la démocratie libérale
de se stabiliser. La forme révolutionnaire des organisations ouvrières de
base n'apparut pas comme une garantie pour un développement ultérieur de la
lutte de classe. Il y eut beaucoup d'espoirs au
commencement de la révolution. Bien des gens étaient très frustrés par une
situation écologique catastrophique, causée principalement par l'industrie
lourde, et ils pensaient aussi que les projets communistes démesurément
centralisés, comme la centrale nucléaire de Temelin, seraient stoppés. Chacun
souhaitait prendre part au processus politique et beaucoup espéraient que les
grandes puissances désarmeraient. Mais aussi, il n'y avait pas d'attitude
pro-capitaliste explicite parmi l'ensemble des gens, attitude qui ne changea
qu'après des mois de propagande, venant des nouveaux leaders, pour le modèle
occidental de société (quoique par exemple, Vaclav Havel, l'ancien dissident
devenu président, proclamait clairement, dans les années 1960, que le
capitalisme libéral n'était pas une alternative au système stalinien). Pourtant, il apparut que ce
qui devint connu sous le nom de Révolution de velours était simplement une
révolution politique, et pas du tout une révolution sociale. Dans une
certaine mesure, le personnel de la classe dominante fut changé et la forme
politique se déplaça du totalitarisme à la démocratie libérale, mais la
plupart des gens furent exclus des décisions économiques et politiques, ce
qui développa des sentiments de frustration et de désillusion. De nouveau ils
devinrent des masses passives, voyant les nouveaux capitalistes privés et les
firmes occidentales leur grimper sur le dos ; ils ne répondirent même pas à
une exploitation accrue, bercés par l'espoir d'avantages futurs promis par le
capitalisme libéral. De nouveaux problèmes sociaux
émergèrent, comme le développement du chômage, du niveau zéro à quelque 3 %
ou 4 %, taux qui resta inchangé pendant quelques années ; ironiquement, il
fut quelquefois excusé par les gains écologiques de la fermeture des mines et
des usines de l'industrie lourde. Ceci, compte tenu de la loyauté résignée
des politiciens, conduisit au succès d'une politique quelque peu nationaliste
des partis de droite au pouvoir, ce qui advint après l'éclatement du Forum civique.
Trois ans après la révolution,
les politiciens décidèrent de diviser la Tchécoslovaquie en deux Etats
indépendants, sans même demander un quelconque consentement à la population.
Le capitalisme en Slovaquie, quoique plus moderne, n'était pas aussi dynamique
que le capitalisme en République tchèque, lequel ne voulait pas se sacrifier
pour le capitalisme slovaque. Sur le plan idéologique cette différence
s'exprima dans le développement d'un nationalisme tchèque et un chauvinisme
slovaque particulièrement agressifs. Depuis 1993, il y a une République
tchèque et la Slovaquie. Le développement de la Slovaquie en un Etat libéral
classique s'est quelque peu ralenti avec plus de politiciens étatistes au
pouvoir. La République tchèque fut
gouvernée depuis son origine jusqu'aux élections de 1998 par l'aile droite de
la coalition. Au commencement, quelques-uns adhérèrent au slogan serrons-nous
la ceinture qui avait été proposé comme le seul chemin vers un meilleur
standard de vie. La folie des privatisations ne rencontra guère de
résistances quand quelques trusts occidentaux et bien des capitalistes
tchèques (leur proportion relative fut inversée quelques années plus tard)
mirent la main sur les grandes entreprises pour presque rien et que les prix commencèrent
à grimper sous prétexte de les aligner au niveau du marché libre. Tout cela
ne rencontra guère de résistances. L'éducation et la sécurité sociale furent
laissées de côté puisqu'elles ne présentaient aucun intérêt de ce point de
vue. Pourtant s'accroissait peu à peu le mécontentement résultant du
développement de ces pauvres conditions de vie alors que le fossé entre les
travailleurs et les nouvelles élites s'élargissait lentement. En 1997, la République tchèque
fut frappée par une crise économique sévère, entraînée par les spéculations
boursières et un flot d'investissements improductifs. C'était en partie dû à
l'impact de la crise asiatique (ce qui montra à quel point la République
tchèque était incluse dans le système du capitalisme global) et en partie la
conséquence des antagonismes internes de l'économie de transition . Le taux
de chômage s'accrut fortement, atteignant en deux ans un pic de près de 9 %.
Avant cela, la masse des travailleurs licenciés avait pu trouver de nouveaux
emplois dans le secteur des services (qui avait totalement été négligé par
l'ancien régime, contrairement, par exemple, à la Pologne) ; les salariés
d'ailleurs ne pouvaient payer pour les utiliser. De nouvelles restrictions
économiques rencontraient encore plus d'hostilité dans la classe ouvrière. Le
plus important des syndicats officiels organisa une énorme manifestation,
mais refusa d'aller plus loin. Pourtant la situation avait changé parce que
jusqu'alors toutes les tentatives d'obtenir de meilleurs salaires et de meilleures
conditions de vie, étaient restées isolées et dispersées et avaient été
dénoncées -- avec succès -- comme des soutiens du vieux régime communiste .
La coalition de droite menée par un admirateur de Thatcher, Vaclav Klaus, dut
quitter le pouvoir à cause de la pression populaire et aussi à cause de
scissions et conflits internes. Le Parti social-démocrate
gagna des élections impromptues. Beaucoup avaient voté pour lui dans l'espoir
de voir s'améliorer leur situation sociale et pour tenter d'avoir quelque
influence sur les décisions politiques. Les sociaux-démocrates refusèrent de
coopérer avec le Parti communiste, encore considéré comme étant beaucoup trop
lié avec l'ancien régime. On doit mentionner à ce sujet que depuis 1989 le PC
avait conservé une influence électorale stable de quelque 10 % des votants,
votes venant principalement du noyau dur des staliniens, mais en fait, sa
politique s'était déplacée du stalinisme vers une sorte d'apologie du marché
nuancée d'étatisme. Pourtant, la social-démocratie formait un gouvernement
minoritaire avec le soutien de l'aile droite du Parti démocratique civique.
Ces deux partis avaient signé ce qui fut appelé traité d'opposition . Quoi qu'il en soit, le nouveau
gouvernement poursuivit (quelquefois avec encore plus d'énergie) la politique
de privatisation, augmentant les prix et restructurant l'industrie sous la
houlette des instances internationales comme le FMI. Sans même un référendum,
la République tchèque rejoignit l'OTAN et, malgré toutes les promesses antérieures,
termina la construction de la centrale nucléaire de Temelin qui, comme
beaucoup le pensaient en 1989, aurait dû être abandonnée. Le gouvernement
socialiste approuva aussi les bombardements de la Yougoslavie, bien qu'une
grande majorité de la population tchèque exprimât son hostilité, avec même
des marches de protestation dans les rues. La crise économique
s'estompait, bien que lentement, et les sociaux-démocrates avaient pour tâche
de faire disparaître toute manifestation de mécontentement en coopérant
étroitement avec les syndicats proches du parti. Par exemple, en décembre
1999, une grève sauvage avec occupation éclata dans la mine Kohinoor, au nord
de la Bohème. Des mouvements radicaux éclatèrent aussi chez les métallos de
Prague et de la Moravie du Sud, une partie d'entre eux influencés par la
propagande anarchiste. Toutes ces protestations furent pacifiées par les
syndicats et des négociations avec les compagnies et le gouvernement. Dans
d'autres entreprises, les travailleurs fidèles aux syndicats n'allèrent pas
plus loin que des grèves d'avertissement ou des menaces de grève. Finalement, la crise sociale
fut surmontée et la lutte de classe, pour un temps, n'engendra plus de
conflits ouverts. Pourtant, il y eut quelques protestations politiques, mais
avec une composition de classe très douteuse et soutenant des revendications
de la droite, telle une grande manifestation contre la tentative du Parti
démocratique civique et des sociaux-démocrates d'influencer les émissions de
la télévision publique. Plus récemment, en octobre 2001, les étudiants
prirent part à des protestations organisées principalement par les
universitaires officiels pour obtenir plus de crédits pour l'enseignement.
Quelques étudiants pourtant, avec leur expérience de l'auto-organisation,
essayèrent d'impulser des actions plus radicales. Cela pourrait peut-être
signifier un nouveau départ des luttes. A la fin de novembre, plus de 300
travailleurs de la verrerie de Kevtna (Moravie) s'assemblèrent pour empêcher
la fermeture de l'usine. Quelques-uns d'entre eux tentèrent d'attaquer le
propriétaire de l'usine et durent alors s'affronter avec la police. Ce fut
peut-être la première fois depuis les émeutes de 1969 que les forces
répressives de l'Etat étaient employées contre des travailleurs et, par
suite, on peut considérer cela comme un pas important dans le développement
de la lutte de classe. On doit aussi, brièvement,
expliquer ce que furent les mouvements gauchistes dans le cours de ces
événements. Ils sortirent de la clandestinité en 1989 en s'unifiant dans un
parti politique appelé Gauche alternative (LA). Tant que la population était
politisée après la révolution, LA rencontra un certain écho parmi les
travailleurs, surtout à Prague. Mais bientôt tout cela tomba en quenouille,
ruiné par des divisions internes. Diverses tendances en sortirent, comme
plusieurs organisation anarchistes, des environnementalistes (la plupart
d'entre eux sont dans des ONG), des trotskystes (SWP et Militant) (1) et
beaucoup d'entre eux finirent dans l'aile gauche de partis parlementaires ou
comme penseurs indépendants. Pendant un temps, ce mouvement
vit son influence et ses membres décliner. Jusqu'en 1998, quand la rue connut
de nouveau des protestations contre la globalisation. Le combat contre les néo-nazis
devint aussi important lorsque les fascistes commencèrent à s'unifier et à
fonder un parti politique essayant de dépasser leur précédente image de gangs
de rue. Une chose importante fut la
protestation contre le FMI et la Banque mondiale, en septembre 2000.
L'organisation de cette protestation était une tâche trop lourde pour un
petit noyau de militants, même s'ils coopéraient dans une plate-forme commune
d' initiative contre la globalisation économique . Les tentatives pour amener
les travailleurs à se joindre à ces protestations furent sabotées avec succès
par les directions syndicales, par l'Etat et la propagande des médias, qui
dénoncèrent les protestataires comme des casseurs et pilleurs bien avant la
lettre (par exemple, la télévision projeta des spots choisis des émeutes de
Seattle). Dans la dernière phase, les activistes venus d'ailleurs prirent en
mains tous les préparatifs, c'était la seule option.. Les manifestations
elles-mêmes furent assez efficaces, mais la violence marginale donna des
armes aux politiciens et aux journalistes pour entamer une incroyable
campagne de dénonciation. La police fut félicitée pour son héroïsme, ce qui
est un phénomène plutôt rare chez les Tchèques, et, après leur défaite, put
exercer des représailles dans les prisons contre ceux qui avaient été
arrêtés. Tout le mouvement gauchiste tchèque doit maintenant faire face à une
répression et à un contrôle policier jamais vus depuis la Révolution de
velours. Le milieu gauchiste a connu
constamment des scissions et regroupements pendant ces douze années. Les
anarchistes forment ici la tendance la plus importante, car le discours
communiste a été totalement discrédité par le stalinisme. La partie ouvrière
de ce courant anarchiste (par exemple Organisation des anarchistes
révolutionnaires - Solidarity) a été très active dans les luttes de classe
évoquées ci-dessus et a pu retenir l'attention des travailleurs. Les
trotskystes ne sont guère influents et quelques-uns d'entre eux pratiquent
l'entrisme dans la PC par exemple. En 2000 et 2001, un intérêt
s'est manifesté, notamment dans quelques cercles anarchistes, pour des
tendances comme le communisme de conseils, la gauche communiste ou les
situationnistes. Ces courants sont pratiquement inconnus ici, bien qu'ait
subsisté quelque tradition remontant aux IWW (2) (combattue et brisée par la
censure stalinienne). Dans la classe ouvrière prise dans son ensemble, on
trouve une évolution remarquable. Après dix années de libéralisme , le mot
socialisme n'a plus le poids des crimes du passé, alors que la véritable
nature du capitalisme se révèle de plus en plus comme un système
d'exploitation. D'un camarade tchèque - octobre 2001 (1) The
Militant est un groupe trotskyste britannique principalement attaché à
pratiquer l'entrisme dans le Labour Party, le parti social-démocrate
britannique rénové et modernisé par Tony Blair. Le Socialist Worker Party
(SWP), également trotskyste britannique, le plus important des deux, pratique
un mélange des positions de Lutte ouvrière et de la Ligue communiste
révolutionnaire. (2) IWW (International Workers
of the Work) organisation ouvrière américaine pratiquant l'action directe,
regroupant les travailleurs non-professionnels exclus du syndicat dominant
AFL (American Federation of Labor), très important autour de la première
guerre mondiale, et qui fut l'objet d'une féroce répression. Par la suite,
elle perdit tout intérêt avec la formation d'une organisation réformiste
s'adressant à la même catégorie de travailleurs, le CIO (Congress of Industrial
Organisation), qui finalement fusionna avec l'AFL pour former la
confédération unique aux Etats-Unis l'AFL-CIO. Les IWW, aujourd'hui réduits
à leur plus simple expression, gardent parfois une influence dans des luttes
locales.
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