LA LUTTE DE CLASSE EN FRANCE

 

 

L’article qui suit sur la lutte dans une filature près de Lille, rédigé par un camarade du Cercle Social résident à Lille, paraîtra également dans Courant Alternatif. En quelque sorte, il constitue la suite de ce qui s’est passé au cours de l’été 2000 dans différentes usines en France, la lutte la plus souvent citée et commentée étant celle de Cellatex (voir Echanges n° 94 p 3, 95 p 3, 96 p 44  )

Dans le dernier numéro (97, p 60) nous présentions la critique d’un petit livre édifiant écrit par un bureaucrate syndical national de la CGT qui , à notre avis constituait le parfait manuel  du pompier de service dont la fonction précise était d’éteindre ( à défaut de les prévenir) les incendies sociaux . Dès la première page de son texte, ce bureaucrate soulignait , en donnant même des exemples qui n’avaient pas défrayé les médias, de ce qu’il dénommait le “ syndrome Cellatex ”, ce qui justifiait en même temps sa propre fonction et celle de son organisation , de toute organisation syndicale. La grève de la filature Mossley n’a pas échappé à cette mise en condition  , d’autant plus qu’il s’agissait aussi d’une usine textile, dans le domaine réservé de la fédération textile-habillement de la CGT, cette même fédération qui s’était fait la main sur Cellatex.

La question que nous nous posons n’est  ni dans le champ de la critique spécifique de l’action des bureaucraties syndicales face aux tendances autonomes des luttes et à leur radicalisme, ni dans celui trop bien connu de la fonction du syndicat sous le capitalisme. Elle est à l’opposé de l’affirmation  syndicale, relayant en cela les médias, d’un “ syndrome Cellatex ” autrement dit d’une imitation par d’autres travailleurs d’un “ modèle ” qu’ils auraient tendance à “ copier ”  sans aucun doute parce que l’idée ne leur en serait pas venue toute seule ( d’où d’ailleurs le quasi silence des médias nationales sur la grève Mossley alors que Cellatex avait tenu la vedette au cours de l’été 2000). Sans nier qu’une telle influence puisse s’exercer, la manière de présenter ces luttes relègue dans la coulisse la fait qu’une même situation puisse entraîner des réactions identiques et beaucoup plus généralement le fait que la violence est toujours latente dans les rapports d’exploitation et que dans toute situation de crise, elle peut surgir ouvertement tant de la part du capital que du travail.

La question est précisément de tenter de savoir ce qui dans la situation présente du rapport de forces capital - travail conduit non pas à l’apparition d’une violence sociale dont on a pu voir les manifestations diverses au cours des années , souvent déviée et orientés par les syndicats vers les objectifs les moins porteurs d’une extension toujours possible, mais au surgissement de cette violence à un niveau qu’elle n’avait pas atteint auparavant. Sans doute le patronat, sans le clamer, peut apparaître conscient de ce fait. En témoigne une autre grève passée relativement inaperçue au cours de l’été dernier à l’usine Péchiney de Marignac ( Haute Garonne au sud de Toulouse).  L’occupation de l’usine menacée de fermeture par les 250 ouvriers fabriquant du magnésium ( produit particulièrement dangereux) pour cause de délocalisation a duré près de deux mois au cours desquels les dirigeants plusieurs fois séquestrés ont refusé de remettre les pieds dans l’usine. Là aussi, tout comme nous le verrons à Mossley, l’épuisement de la combativité ouvrière par une reprise en mains syndicale bien programmée, a conduit à une remise en route provisoire sans que soit réglée la question de la fermeture.

Les décennies écoulées ont apporté un lot conséquent de  délocalisations, de restructurations accompagnées de licenciements avec des plans sociaux plus ou moins mirifiques. Mais dans les années écoulées, différentes mesures touchant l’ensemble des relations de travail depuis la “ réduction du temps de travail ” jusqu’aux réformes des retraites et de l’assurance chômage et à la multiplication de l’insécurité du travail précaire ont persuadé l’ensemble des travailleurs que cette période “ faste ” était révolue . Jusqu'à une date récente, tous les pouvoirs et leurs auxiliaires tentaient de nous persuader que l’économie capitaliste était “ prospère ” et qu’une “ reprise ” s’amorçait pour  longtemps ce qui rendait d’autant plus inexplicable l’ensemble de ces restrictions systématiques. En y réfléchissant bien , on pouvait penser que toutes ces mesures étaient préventives dans la prévision d’une crise dont on ne parlait pas mais dont les travailleurs purent mesurer déjà les effets depuis plus d’une année dans leur expérience quotidienne qui contredisait les discours optimistes sur le présent et l’avenir.

 On pouvait ainsi constater un rejet de la politique (au sens traditionnel) et une incrédulité grandissante quant à la capacité des politiciens de réguler l’économie (avec la perception dans les faits, à commencer par les victimes des délocalisations, que leur impuissance  s’amplifiait devant des problèmes mondiaux échappant à un contrôle hexagonal déjà inefficace). Les médiations ou répressions habituelles même si elles sont peu crédibles et peu crues finissent pourtant par endiguer  ponctuellement les conséquences trop potentiellement dangereuses pour le système des tensions, mais avec pour effet non pas de rétablir la “ confiance institutionnelle ” ou d’affaiblir les tensions, mais d’en déplacer les manifestations vers d’autres formes. Ceci d’autant plus que la réalité sociale n’a nullement été modifiée mais s’est au contraire aggravée .

On peut rattacher à ces phénomènes sociaux conséquences des tensions sociales persistantes aussi bien le “ problème des banlieue ” le niveau élémentaire de la misère sociale que les grèves style Cellatex ou les innombrables manifestations de protestation tant ponctuelles dans leur localisation que générales dans l’anti mondialisation dont la caractéristique commune est de s’organiser  hors des représentations reconnues par le système, même si celles - ci peuvent prendre le train en marche.

Discutant du “ problème des banlieues ”, un sociologue expliquait que les mesures répressives ou intégrantes prises pour tenter d’endiguer la “ violence des jeunes ” dans les cités avait eu pour effet d’entraîner une sorte d’individualisation de la violence qui devenait dès lors incontrôlable ce qui ne pouvait, à défaut d’éradiquer la misère sociale, chose impossible, qu’imposer un changement de politique, qui si elle était relativement efficace n’aboutirait encore qu’à déplacer le problème. On pourrait transposer cette situation dans le domaine du rapport de forces dans la lutte de classe. Ce n’est pas un problème nouveau pour les représentations reconnues qui depuis plus de 15 années s’évertuent à écarter les formes “  autonomes ” d’organisation des luttes surgies précisément d’une prise de conscience de leur fonction de régulation et de répression dans le système capitaliste (coordinations dans les années 80, démocratie de base en 1995)  . Ces formes n’étaient pas d’ailleurs apparues  brusquement mais plutôt comme l’aboutissement d’un lent cheminement dont il serait possible de retracer les étapes même avant  l’année repère de 1968.

Dans la mesure où l’encadrement syndical a visé à prévenir le renouvellement de situations similaires à celles des années 80 ou 95 (le développement de syndicats marginaux comme SUD pouvant être considéré également, malgré l’hostilité des syndicats patentés et reconnus, comme participant objectivement à cet encadrement),  la violence brimée des victimes des restructurations capitalistes échappe aux contrôles en s’exprimant à un niveau différent de celui où elle stagnait auparavant.. Il est intéressant de noter que les menaces de telles explosions apparaissent également dans une sorte d’individualisation dans de petites entreprises, là où le contrôle syndical est le plus lâche ou quasi inexistant. Même si les centrales reconnues doivent alors jouer les pompiers, ils ne peuvent le faire qu’a posteriori, après que les travailleurs concernés aient menacé de recourir à des solutions extrêmes et proclamé qu’ils le feraient si on n’écoutait pas leurs revendications. Il faut alors du temps pour éteindre le feu et détacher le “ cas social ”  d’une situation globale. C’est ce qui est arrivé dans les différentes luttes dont nous avons parlé antérieurement, c’est ce qui est arrivé à Mossley.

On peut prévoir que toutes les organisations répressives/médiatrices sont aux aguets  et que des mesures sont prises pour éviter que des conflits semblables (et avec la crise qui se développe il risque d’y en avoir d’autres qui peut être ne pourraient rester localisés et individualisés) ne “ dégénèrent ” comme toutes ces “ grèves Cellatex ”. Mais comme nous venons de le souligner, la lutte de classe ne s’endigue pas, elle se transforme, intégrant pour les dépasser les formes répressives que le système leur applique pour que la paix sociale soit maintenue. Nous ne pensons pas que la tentative, dont nous parlons par ailleurs, d’un conditionnement idéologique sur la lancée du soutien au jusqu’auboutisme  guerrier américain puisse constituer un frein à ce courant d’autonomie des luttes. Déjà la tentative de faire retomber la crise sur les attentats ne semble guère persuader les travailleurs qui savent pertinemment que cette crise est là depuis des mois voire des années. Dans la mesure où cette politique  conduirait à des mesures globales d’austérité pour les travailleurs , les réponses pourraient abandonner le terrain local pour devenir globales ans qu’on puisse prévoir les formes qu’elles prendraient alors.               

 

H.S. , 10/2001