ANTON PANNEKOEK. PENSEUR DE LA REVOLUTION

 

§         Cajo Brendel (2001) Anton Pannekoek. Denker der Revolution. Ca ira-Verlag, 2001, 234 p.

Dans ce livre, qui vient de paraître dans une traduction allemande (1) faite par son auteur d'après l'édition originale publiée en hollandais voilà trente ans sous le titre : Anton Pannekoek. Theoretikus van het Socialisme [Anton Pannekoek. Théoricien du socialisme] (Van Gennep, 1970), Cajo Brendel dresse le portrait politique du théoricien des conseils ouvriers Anton Pannekoek (1873-1960) (2).

Ecrit à peu près à la même époque que l'ouvrage de Serge Bricianer (3), le livre de Cajo n'en a pas le caractère hagiographique. Anton Pannekoek. Denker der Revolution retrace l'histoire d'un homme et tente de comprendre ses idées en soulignant ce qu'elles doivent aux luttes prolétariennes de l'époque et à sa personnalité, là où Pannekoek et les conseils ouvrier visait plutôt à démontrer leur validité.

Dès le premier chapitre : Pannekoeks Methode (p. 16-25), Cajo annonce clairement ce qui distingue Pannekoek du commun des marxistes : Beaucoup de ces critiques "marxistes" se cramponnaient obstinément au texte des écrits de Marx, mais en oubliaient le contenu. Quelques-uns défendaient avec passion certaines conclusions de Marx, mais très peu défendaient sa méthode. Pannekoek fut de ce petit nombre. (p. 16; tous les mots soulignés [en italiques] le sont par l'auteur).

Selon Cajo, l'apport de Pannekoek à la théorie du communisme de conseils doit beaucoup à sa systématisation de l'expérience prolétarienne. Les grèves de masses en 1902 et 1913 en Belgique, celles de 1905 en Russie, les grandes grèves de 1911 en Grande-Bretagne et en Hollande, de 1910 et 1913 en Allemagne, etc., lui donnèrent une leçon de choses sur la capacité d'organisation du prolétariat ; et après les événements de 1917 en Russie et de 1918-1921 en Allemagne il se fera le théoricien des conseils ouvriers.

Pannekoek est notamment allé le plus loin dans le développement de ce mouvement, qui sera bientôt connu sous le nom de communisme de conseils, et c'est pourquoi quasiment personne à gauche ne met aujourd'hui en doute son importance. (Avant-propos de Cajo daté du printemps 2001, op. cit., p. 7). C'est à mon avis cette volonté de Pannekoek de forger une théorie des conseils, son approche organisationnelle du mouvement prolétarien, qui le rend acceptable par tout un éventail de militants politiques.

Si je n'ai jamais vu nulle part quelqu'un relever qu'il n'existe pas dans le mouvement des conseils en Allemagne et en Hollande d'"isme" à la façon : marxisme, léninisme, bordiguisme, etc. (exception faite de l'aberrant luxembourgisme d'Alain Guillerm [4]), signe que l'action prolétarienne des années de l'après-première-guerre-mondiale, principalement en Allemagne, fut véritablement le fait d'une classe toute entière, certains n'ont pas manqué d'inventer un conseillisme qu'ils sont allés chercher avant tout dans les ouvrages de Pannekoek (5).

Car quoique l'on ne puisse bien évidemment pas lui reprocher d'être mal compris de ses lecteurs, on ne peut nier certaines ambiguïtés chez Pannekoek relativement au parti, au rôle rédempteur du travail et à la supériorité du socialisme sur le capitalisme en tant que mode de production. Se cramponnant lui aussi obstinément au marxisme (6), il est au fond resté marqué par ses années de formation dans la social-démocratie, plus qu'Otto Rühle (7) qui s'opposa sans concession aux représentations politique (parti) et économique (syndicat) extérieures à la classe prolétarienne, ou Karl Korsch (8) qui usa de la méthode de Marx contre le marxisme, science économique et philosophie positive.

J.-P. V.



(1) Ed. ça ira : ça ira-Verlag, Postfach 273, 79002 Freiburg, Allemagne. Adresse courriel : ca-ira@t-online.de ; et Internet : www.ca-ira.net

(2) On trouvera une brève biographie et une bibliographie, aussi complète qu'il nous a été possible de la faire, des ouvrages d'Anton Pannekoek en français dans la brochure : Pierre Chaulieu (Cornélius Castoriadis)/Anton Pannekoek. Correspondance 1953-1954 (Echanges, 2001). Un lecteur, G. R., nous a écrit après la publication de cette brochure que nous avions omis de mentionner le travail de traduction de textes de Pannekoek réalisé par François Bochet dans les revues Invariance et (Dis)continuité. Nous reproduisons ci-contre quelques passages de sa lettre.

(3) Serge Bricianer, Pannekoek et les conseils ouvriers, Etudes et documentation internationales, 1ère éd. 1969.

(4) Alain Guillerm, Le Luxembourgisme aujourd'hui, éd. Spartacus, n B32, 1970.

(5) Voir par exemple : Serge Bricianer, Quelques procédés de l'anticonseillisme, Spartacus n 11, octobre 1978, p. 7 (la revue Spartacus a eu 15 numéros de novembre-décembre 1975 à juillet-août 1979). Vigilant sur cette question, je n'en ai pas moins laissé passer, en tête d'un de mes articles, dans le n° 95 d'Echanges, ce titre malencontreux rajouté : Quelques groupes conseillistes en Allemagne .

(6) Voir, par exemple, Anton Pannekoek (1873-1960) de Paul Mattick, in Lénine philosophe, d'Anton Pannekoek, éd. Spartacus, n B34, 1970, p. 5-15; ou la lettre d'Anton Pannekoek à Erich Mühsam, datée de la fin 1920, in S. Bricianer : Pannekoek et les conseils ouvriers, op. cit., pp. 215-217.

(7) Lire par exemple en français d'Otto Rühle (1874-1943) : Fascisme brun, fascisme rouge, éd. Spartacus, n B63, La révolution n'est pas une affaire de parti, in La Gauche allemande, éd. Invariance, 1972, et La lutte contre le fascisme commence par la lutte contre le bolchevisme, in La Contre-révolution bureaucratique, éd. 10/18, 1973.

(8) Voir en français, entre autres, de Karl Korsch (1886-1961) : Karl Marx et L'Anti-Kautsky, éd. Champ libre, respectivement 1971 et 1973, ainsi que : Marxisme et philosophie, éd. de Minuit, plusieurs rééditions depuis 1964, et Marxisme et contre-révolution, éd. du Seuil, 1975.

Pannekoek et Gorter

Dans le n° 97 d'Echanges (été 2001, p. 57), vous reproduisez la partie de ma lettre consacrée aux publications de textes de Pannekoek et de Gorter dans le cadre d'Invariance et de (Dis)continuité. Dans une note, vous évoquiez la liste de ces publications et les moyens de se les procurer. C'est donc avec grand étonnement que je constate dans votre récente brochure l'absence de mention de l'existence assez récente dans Invariance et (Dis)continuité de textes en français de Pannekoek et de Gorter, aussi bien dans votre note 5, p. 10, consacrée aux textes de Gorter et dans la bibliographie (pp. 69-70) des textes de Pannekoek. Dans Invariance et (Dis)continuité ont été publiés :

De Gorter, "La révolution mondiale" (Invariance, février 1995) ; "L'impérialisme, la guerre et la social-démocratie" (Invariance, septembre 1996) ; "L'Internationale de Moscou", "La voix du docteur Levi, la voix du VKPD", "Le mouvement marxiste révolutionnaire", "La nécessité de la réunification du Parti ouvrier communiste d'Allemagne", ([Dis]continuité, mai 2001) ; u de Pannekoek, "Social-démocratie et communisme", "Le programme de Wilson", l'appendice au "Développement de la révolution mondiale et la tactique du communisme" (Invariance, octobre 1996) ; "Sirius", "L'évolution de l'Univers" ([Dis]continuité, septembre 1998) ; "Présentation de Vorbote", "L'impérialisme et les tâches du prolétariat", "Lorsque la guerre prendra fin", ([Dis]continuité, octobre 1998) ; "Le développement de la révolution mondiale et la tactique du communisme", "La socialisation", ([Dis]continuité, juillet 1999) ; "Une vie de lutteur, l'adieu de Hermann Gorter", ([Dis]continuité, juin 2001).

On le voit, un bel effort de publication de textes dont certains sont inédits en français. Il serait dommage de ne pas faire connaître ces textes, sous on ne sait quel prétexte.

G. R., 17/10/01

 

 

 

 

 

 

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