PRISONS ET EXECUTIONS : LE MODELE AMERICAIN

 

Le nombre des détenus dans les prisons américaines (celles des Etats ou prisons fédérales) a été multiplié par cinq depuis 1970.Une répression accrue qui correspond à une crise sociale de grande ampleur, analyse la Monthly Review à travers quatre articles que nous présentons ci-dessous.

Aperçu historique

Les Etats-Unis emprisonnent de 5 à 8 fois plus de gens par habitant que les nations de l'Ouest de l'Europe bien que le taux des délits non-violents y soient comparables (et ils emprisonnent 17 fois plus de gens que le Japon).

C'est ainsi que, sous le A historical introduction , le premier des articles de la Monthly Review consacrés au système pénitentiaire américain (1) commente ce chiffre : le nombre des prisonniers dans les prisons fédérales et les prisons d'Etats aux Etats-Unis a augmenté de 500% depuis 1970.

Les gouvernements ont été submergés de pressions les contraignant à cesser d'être tolérants vis-à-vis des droits de beaucoup de citoyens. Pourtant, bien que cela reflète une crise sociale de grande ampleur, c'est à peine mentionné dans les médias (qui par contre insistent lourdement sur tout ce qui concerne les élites ou la classe moyenne) ou dans les cercles intellectuels où cette sorte de recherche est rarement encouragée. Les programmes d'emprisonnements massifs ne sont pas non plus considérés politiquement sous l'angle de leur coût financier, car les politiciens se font un honneur de paraître les plus répressifs de la criminalité en bâtissant toujours plus de prisons et en allongeant les peines même pour les délits non-violents.

Le texte souligne d'emblée qu'en vingt ans, le budget de la justice a été multiplié par 9, que le nombre des prisonniers ou sous contrôle judiciaire a été multiplié dans la même période par 6,5, qu'actuellement 60 % des détenus le sont pour des histoires de drogue et que plus d'un tiers du total sont des Noirs âgés de 20 à 39 ans. L'ensemble apparaît ainsi comme une partie d'un contrôle beaucoup plus large sur la population pauvre du pays.

D'une certaine façon, tout cela semble une conséquence des émeutes noires de la période 1964-1972 ; cette nouvelle politique répressive avait été définie ainsi par Haderman, un des hauts responsables de l'équipe présidentielle de Richard Nixon (président de 1968 à 1974) : Nixon souligne que le problème que l'on affronte concerne spécialement les Noirs. La clé est de trouver un système qui reconnaisse cela mais qui ne le laisse pas apparaître. Ainsi se définit à cette époque une tactique contre-insurrectionnelle . Chaque présidence ultérieure pousse à l'escalade, alors même que plus rien ne la justifie car toutes les organisations radicales ont été éliminées très brutalement et que l'attaque des conditions de vie s'amplifie. Tout le système en place actuellement, y compris la lutte contre la drogue , est un élément central de la lutte de classe car il assure un contrôle étroit sur les couches les plus exploitées du prolétariat.

Le nouveau système répressif. 1968-2001

Le deuxième article, The "New" Criminal Justice System. State Repression from 1968 to 2001 , retrace la construction progressive, dans les trente dernières années, d'un système économique où s'imbriquent étroitement les restructurations, les délocalisations, les réductions des coûts de production, la criminalisation de la pauvreté et une politique répressive globale visant à constituer un réseau de surveillance et de contrôle de la population, notamment des Noirs.

A travers une histoire du système répressif dans différents pays mais plus particulièrement aux Etats-Unis, le texte note :

-- que l'expansion du capitalisme marque une mutation dans la répression des offenses à l'ordre social, l'abandon des punitions corporelles (sauf la peine de mort) pour l'incarcération et l'isolement ;

-- que la prison fut parfois vue comme une source de main-d'uvre bon marché (mais souvent contestée et inefficace avec le développement de la grande industrie) ; en revanche, comme certains l'ont souligné, une méthode de surveillance et de contrôle pouvant s'appliquer à la fois à la prison et à l'usine, devant être organisée dans les deux cas pour isoler, séparer et diviser les individus engagés dans le travail en vue de l'extraction du produit de ce travail ;

-- que le taux d'emprisonnement est directement lié au niveau de développement économique et qu'il culmine pendant les crises. Ce qui implique, vu l'importance de ce taux aux Etats-Unis, que le pays vit dans une crise latente engendrant une misère sociale sans précédent ;

-- que le corollaire est que la prison a toujours, et encore plus aujourd'hui, frappé les plus pauvres, ce qui aux Etats-Unis signifie les Noirs ;

-- que, sur ce point, le modèle américain gagne tous les autres pays industrialisés.

La peine de mort et la globalisation

Le troisième article, The Death Penalty and Globalisation in Nigeria, the US and Europe , traite de la peine de mort et de son utilisation. Il souligne de nouveau que le phénomène social caractérisant la politique économique des Etats-Unis a été l'emprisonnement de masse des jeunes prolétaires -- hommes et femmes, Noirs et Latinos -- et la constante augmentation du nombre des exécutions capitales. L'article y voit d'une certaine façon le retour aux conditions sévissant dans la période d'accumulation primitive du capital. Là aussi la globalisation a pour corollaire une pression directe et indirecte des Etats-Unis pour étendre cette politique de criminalisation, y compris dans l'usage de la peine de mort.

Dans une époque de désinvestissement

Le dernier article, Prison Advocacy in a Time of Capital Disaccumulation, conteste le rôle attribué par certains aux prisons considérées comme réservoirs de main-dœuvre bon marché (1). Le développement des prisons est plus dû aux préoccupations de gestion de la misère sociale engendrée par la fuite des capitaux et le désinvestissement, ce que l'article appelle disaccumulation , aux Etats-Unis. Une partie de l'analyse concerne la ville de Youngstown (Ohio), autrefois cité de l'acier -- la troisième ville productrice d'acier des Etats-Unis. Tout a fermé dans les années 1980, entraînant un taux particulièrement élevé de chômage, spécialement parmi les Noirs. Les tentatives d'attirer d'autres industries ont échoué et un débouché a été trouvé dans la construction de maxi-prisons où l'énorme main-dœuvre de surveillance a été trouvée dans le réservoir local de chômeurs. Ce n'est donc pas tant la main-dœuvre des prisonniers qui compte, que la main-dœuvre de ceux qui trouvent dans le système répressif une issue au chômage industriel.

 

 (1) Voir Curtis Price, Fragile prospérité, fragile paix sociale. Notes sur les Etats-Unis, p. 39 : Démystifier le rôle du travail dans les prisons (Echanges et Mouvement, 2001, 2 euros).

 

 

 

 

 

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