1998-2000 : DEUX
ANS DE GREVE ET DE LOCK-OUT CHEZ KAISER (ALUMINIUM) LES LEADERS
SYNDICAUX CRAIGNENT PLUS UN MOUVEMENT CONTROLE PAR LA BASE QU'UNE DEFAITE |
Le texte qui suit a été écrit par deux camarades américains
de Seattle engagés depuis longtemps dans les mouvements marginaux de
protestation aux Etats-Unis. Il décrit avec minutie une longue grève -- deux
années -- des ouvriers d'un trust de l'aluminium au début de laquelle le
renouvellement du contrat collectif donne aux dirigeants l'opportunité
d'imposer des restrictions importantes sur les conditions de travail, les
salaires et les avantages (dont la santé et les retraites). L'intransigeance
de la direction provoque la grève et un lock-out, situation recherchée qui
permet, avec l'utilisation de la législation du travail américaine, de placer
les travailleurs visés dans une position défensive sans issue si leur lutte
reste isolée. C'est cet isolement que certains d'entre eux
tentent de rompre avec l'appui d'autres travailleurs, en l'occurrence les
dockers, dont le travail approvisionne les usines en grève en matériau brut,
et divers militants venus de groupes politiques ou écologistes divers, dont
les IWW. C'est dans le caractère de cette intervention , dans ses
possibilités et dans ses limites que réside le principal intérêt du texte. Il
montre bien comment cet activisme fut basé au départ sur l'idée d'un
élargissement de la lutte auquel le syndicat unique AFL-CIO s'associerait
(idée découlant de la participation de ce syndicat aux manifestations de
Seattle). Mais il montre tout autant que les dirigeants virent rapidement des
concurrents dans cette intervention et qu'ils firent tout, alors qu'une
certaine radicalisation de la grève pouvait être envisagée, pour la faire
cesser, ce qu'ils réussirent effectivement, entérinant la défaite. D'une
certaine façon, on peut rapprocher un tel exemple de celui qu'avait donné la
grève (en fait un lock-out) des dockers de Liverpool, dans laquelle une
importante intervention extérieure accompagnée d'une médiatisation mondiale
via Internet n'avait en aucune façon changé un iota à l'inexorable
machination patronale (1). La conclusion du texte peut paraître contenir
quelque désillusion de la part de militants (individuels ou membres de
groupes divers) qui se sont engagés, comme beaucoup, dans un activisme en
pensant que leur engagement et leur dévouement à la cause peut soulever des
montagnes et qui constatent qu'en fin de compte, ils n'ont pas servi à grand
chose, ayant mésestimé le pouvoir des appareils de toutes sortes. Mais la fin
du texte semble soulever d'ailleurs une autre illusion : celle qu'une
démocratie ouvrière directe pourrait assurer la victoire dans une lutte.
D'une part, cette démocratie directe peut être bien manipulée (on en a maints
exemples en France), d'autre part l'issue d'une lutte dépend avant tout du
rapport de forces capital-travail. Si, par leur position dans le procès de
production, les travailleurs disposent d'un puissant levier de commande dans leur
lutte, ils ont beaucoup plus de chances de voir leurs revendications
satisfaites (ce qui n'exclut pas non plus les manipulations des diverses
bureaucraties syndicales et politiques). Pour des raisons qui tiennent au
contexte dans lequel se déroule leur lutte (contexte qui peut d'ailleurs se
modifier au cours de la lutte), le rapport de forces déterminant tient, non
seulement à leur propre solidarité c'est-à-dire à l'unité de la lutte, mais
aussi à la solidarité d'autres travailleurs -- d'abord de ceux impliqués dans
le procès de production où ils oeuvrent tous, puis, éventuellement, de tous
les travailleurs. Mais, ainsi que nous l'avions souligné à propos
des dockers de Liverpool, il ne s'agit pas, si importante soit-elle, de ce
que nous avions appelé une solidarité virtuelle , mais d'une solidarité
réelle de tout ou partie des travailleurs : l'intervention de militants
divers peut quelque peu aider la lutte, mais elle ne peut rien sans la
détermination des travailleurs, n'étant alors tout au plus que la mouche du
coche. Les camarades de Seattle qui ont envoyé ce texte
l'avaient accompagné de la lettre suivante (9 avril 2001) : ... Nous avons le projet de déménager dans une
communauté à la fin de cette année ou au commencement de 2002 dès que les bâtiments seront terminés. Il y aura
vingt-sept logements basés sur la cohabitation communautaire du modèle
danois. Cela implique beaucoup de travail car chacun est impliqué dans
l'établissement des plans et le développement des bâtiments et aussi parce
nous devons étudier les principes et les règles suivant lesquelles nous
partagerons le travail et la socialisation dans notre communauté. La
communauté sera située dans le centre de Seattle, dans un environnement
diversifié racialement et socialement. Tout doit être édifié sur un terrain vide, sur
une colline escarpée appartenant à la ville. Il y avait autrefois quelques
maisons privées mais elles furent démolies lorsque la ville acquit le terrain
pour y construite une autoroute. Mais l'itinéraire fut changé et le terrain
est resté vide pendant des années. Aucun business ne souhaitait spéculer sur
ce terrain. Ce fut un peu difficile pour nous de monter ce projet mais nous y
voyons la possibilité de vivre mieux que maintenant. (…) Nous avons lu l'article
que vous avez écrit sur les protestations en Europe sur le prix des
carburants pendant l'été 2000 publié en février 2001 dan le journal The Bad
days will end. Il était sur Internet et nous sommes tombés dessus par hasard
(...) [Nous avons écrit l'article] sur les luttes dans le Nord-Ouest et dans
l'Ohio et la Louisiane () en novembre 2000 sur la base de ce qui fut publié à
ce sujet et des contacts personnels que nous avons eus avec les métallos de
Tacoma (Etat de Washington). Au début du XXe siècle, Eugène Debs (1) affirma
que le rôle de la direction du syndicat reconnu AFL (2) était de chloroformer
la classe ouvrière pendant que la classe dominante se remplissait les poches
. Pour ce faire, toute participation ouvrière à une démocratie directe dans les
syndicats était bloquée, les stratégies activistes étaient court-circuitées
même si elles étaient adoptées par la majorité, et les critiques ignorées ou
persécutées. Malheureusement, cette tradition n'est toujours pas morte. Quand la grève des métallurgistes (et leur
lock-out) commença en 1998 aux aciéries Kaiser, le syndicat USWA (Syndicat
uni des travailleurs des aciéries des Etats-Unis) publia un article comparant
les bons vieux jours dans l'entreprise sous l'autorité de Henry J. Kaiser aux
mauvais nouveaux jours de pratiques antisyndicales et antiouvrières depuis
que Kaiser, rachetée par Maxxam, était passée sous la direction de Charles
Hurwitz. Henry Kaiser était cité pour avoir reconnu et récompensé les
ouvriers pour leur intelligence, leur capacité professionnelle, leurs
performances et leur ardeur au travail. M. Kaiser était aussi louangé pour
avoir répondu aux préoccupations ouvrières. L'article continuait : Ce n'est pas un
secret que H.J. Kaiser est mort, parce que, s'il était encore vivant, il n'y
aurait pas eu de grève à Kaiser Aluminium. C'est parce que les relations de
travail dans notre entreprise étaient gouvernées par la philosophie de M.
Kaiser. Il en résultait qu'un emploi à Kaiser Aluminium était quelque chose
de bien spécial. A l'opposé de la plupart des dirigeants d'entreprise
aujourd'hui, M. Kaiser voulait nous traiter comme des "êtres
humains", pas comme des outils jetables dans le procès de production. La
stratégie de l'entreprise pour améliorer la productivité était basée sur la
reconnaissance de notre "capacité, professionnalisme et bonne
volonté". Et quand vous entriez chez Kaiser, c'était pour la vie.
(Kaiser alors et maintenant, du forum local Trentwood USWA, 329 Spokane
Washington, 338 Spokane Washington, 341 Newark. Ohio, 5702 Gramercy.
Louisiane, 7945 Tacoma, Washington publié à la mi-1998) (3). Cette perspective syndicale n'aidait à définir la
lutte des ouvriers qu'en des termes artificiellement limités. En
romanticisant H. Kaiser et sa politique ouvrière, elle minimisait la
signification réelle des luttes ouvrières qui avait convaincu ce businessman
de l'ère du New Deal (4) de donner à ses salariés des salaires supérieurs à
la moyenne et divers avantages dans le but d'éviter les perturbations et les
pertes financières découlant des révoltes ouvrières. Elle glissait sur bien
des problèmes actuels, y compris la récente tendance aux restructurations
capitalistes et dégraissages qui sont devenus les pratiques standards des
entreprises dans le monde des vingt à trente dernières années. Les bureaucrates syndicaux encourageaient aussi
les gens à penser que les problèmes récents de la politique chez Kaiser
étaient dus à des dirigeants particulièrement mauvais et avides, coupables de
pratiques néfastes. Ils éludaient le problème de replacer ce qui se passait
chez Kaiser dans le contexte des tendances récentes à l'intensification de
l'exploitation de la force de travail -- alors que les entreprises
s'efforcent d'obtenir des taux plus élevés de profit en éliminant les travaux
qualifiés dans les bureaux, commerces, usines, etc., et exigent que chacun
travaille plus pour des salaires plus bas. Et, à un niveau plus élémentaire,
les leaders syndicaux continuaient d'encourager la base à croire que ses
problèmes se résumaient à combattre de mauvais patrons plutôt que de lutter
contre les intérêts de tout employeur et les relations socio-économiques dans
le monde. Ils déformaient aussi les réalités des pratiques de l'exploitation
chez Kaiser Aluminium avant 1988, année où Maxxam acheta la firme. Même avant
1988, Kaiser demandait périodiquement aux ouvriers d'accepter des sacrifices,
y compris des licenciements et des réductions de salaires. Mais, alors, les
leaders syndicaux encourageaient les ouvriers à être loyaux et à accepter ces
propositions. Ils ne commencèrent à envisager une résistance que lorsqu'il
devint clair que la firme attaquait les positions du syndicat en fermant les
usines syndicalisées et en déplaçant la production vers des Etats où les lois
rendaient extrêmement difficile toute tentative d'organisation et
d'intervention. Dans les années 1990, après l'acquisition
deKaiser par Maxxam, Hurwitz ne changea pas radicalement la politique de la
firme. Il intensifia seulement la politique bien établie de Kaiser, exigeant
toujours plus de sacrifices pour conserver les profits, et les bureaucrates
syndicaux continuèrent à concocter des compromis avec la firme, aussi
longtemps qu'ils le purent. Puis en 1998, alors que des négociations pour un
nouveau contrat étaient programmées, la firme annonça qu'elle coupait dans
les fonds de pension et les soins médicaux des retraités, qu'elle licenciait
plus de 700 ouvriers syndiqués et transférait ces emplois à des firmes qui
n'avaient pas de syndicats (5). Les négociateurs de la firme annoncèrent
d'emblée qu'ils ne consentiraient aucune concession. Ils refusèrent de
fournir aux négociateurs syndicaux les informations dont ils avaient besoin
pour marchander. De plus, Kaiser différa d'un mois la négociation sur les
questions locales. Il était évident que Kaiser serait intransigeant
et se préparait à une bataille de longue haleine. La firme commença par
passer des annonces pour recruter des jeunes des semaines avant que les
négociations débutent. Et Kaiser commença le recrutement de travailleurs de remplacement
(6) en septembre 1998, immédiatement après que les discussions sur le contrat
eurent été rompues. Quand toute possibilité d'une alternative
s'évanouit, le 30 septembre 1998, presque 3 100 métallos des cinq usines
Kaiser des Etats de Washington, d'Ohio et de Louisiane se mirent en grève.
Mais en janvier 1999, les leaders syndicaux offrirent un retour
inconditionnel au travail contre la reprise des négociations. Kaiser refusa
cette proposition, sauf si le syndicat acceptait sans réserves les impératifs
de la firme. Celle-ci monta d'un cran sa bataille contre l'USWA en décidant
le lock-out de tous les adhérents du syndicat, en janvier 1999. Il les
remplaça par des travailleurs temporaires qui avaient été licenciés par une
autre firme du groupe Maxxam, Pacific Lumber. Les ouvriers d'USWA mirent des piquets de grève
(7) devant les usines Kaiser et également un piquet d'information dans le
port de Tacoma, où les cargos débarquaient l'aluminium brut pour les usines
du groupe. Quelques-uns des dirigeants de l'USWA se
considèrent comme des progressistes sociaux et sont proches de la direction
de l'AFL-CIO avec Sweeney (8). Ils décidèrent à contre-coeur d'essayer de
travailler avec des groupes hors des principaux courants syndicaux. La base d'une telle collaboration avait été posée
en 1993 lorsque les syndicats avaient rejoint des groupes écologistes dans la
lutte contre l'Alena (9). Après la mise en oeuvre de l'Alena, Global Trade
Watch de Ralplh Nader (10) rallie, dans la Citizen Trade Campaign, une coalition
de dirigeants syndicaux, d'écologistes, de groupes de consommateurs et les
églises. Ensemble, ils commencèrent à critiquer les
pratiques professionnelles de globalisation qui menaçaient la souveraineté
américaine et les emplois, et posèrent des revendications pour des standards
globalemant plus restrictifs dans le travail et l'écologie. L'USWA également
s'associa à des activités communes avec des groupes étudiants contre les
sweatshop (11) et sur les conditions de travail des salariés des campus.
Alors des membres des IWW (12), Earth First (13),
quelques anarchistes indépendants et autres volontaires entreprirent
d'organiser des actions de soutien pour tenter de couper les
approvisionnements en aluminium des usines Kaiser de l'Etat de Washington (14).
Le 7 décembre 1998, des membres des IWW organisèrent un piquet au quai 7 du
port de Tacoma. Des membres de Earth First occupèrent une grue et un tapis
roulant et leurs actions furent suivies par les dockers membres de l'ILWU
(15). Le Sea Diamond, un cargo chargé d'aluminium pour les usines Kaiser de
Tacoma et Spokane, fut immobilisé pendant vingt-quatre heures. La plupart des
membres des IWW et Earth First avaient déjà eu l'occasion de protester contre
deux filiales de Maxxam, Kaiser Aluminium et Pacific Lumber, en raison de
leurs activités polluantes et de leurs déplorables relations de travail. Lors d'une rencontre au printemps de 1999,
l'Alliance pour le maintien de l'emploi et l'environnement avait été formée
pour faciliter la coopération entre le mouvement syndical et les groupes
s'occupant de l'environnement. Des activistes écologistes nationaux et locaux
y avaient décidé, avec des leaders syndicaux, d'envisager des actions
communes. Les membres des IWW avaient joué un rôle important en répercutant
cette collaboration aux niveaux de base. Pourtant, malgré des contacts
significatifs entre travailleurs du rang dans les syndicats reconnus et des
membres de groupes radicaux, quelques-uns des activistes de base avaient fait
connaître que certains bureaucrates, notamment David Foster, directeur du
district 11 de l'USWA, avaient cherché à s'en attribuer tout le crédit et à
prendre le contrôle de l'Alliance pour le maintien de l'emploi et
l'environnement. Alors qu'ils contresignaient des proclamations contre les
attaques des multinationales aux droits ouvriers, aux droits de l'homme et à
l'environnement, les bureaucrates syndicaux continuaient dans le même temps à
uvrer avec les mêmes firmes dans des compromis qui préservaient leurs propres
positions. Certains membres des IWW et les anarchistes sont
aussi membres de l'ILWU et ils jouèrent un rôle crucial en poussant les
travailleurs de Kaiser à tenir le coup. Et ils firent tout ce qu'ils
pouvaient pour organiser chez les dockers un soutien actif à la grève. Ces
derniers rejoignirent des membres des IWW d'autres branches industrielles des
Etats de Washington, Oregon et Californie et quelques anarchistes
indépendants, ainsi que des membres de Earth First : tous jouèrent le
plus grand rôle dans le soutien aux travailleurs de Kaiser. Mais parmi ces
supporters, on trouvait aussi une grande variété de gens d'autres
origines : des conseils locaux de l'église, des membres d'autres
syndicats, comme l'IBEW (16). Quelques ouvriers de Kaiser jouèrent leur rôle
dans les manifestations antimondialistes contre l'OMC à Seattle fin
novembre-début décembre 1999. Ils étaient parmi les quelques milliers de
travailleurs de Seattle qui délaissèrent le carnaval syndical pour rejoindre
les rangs de protestataires radicaux dans une solidarité active. Après ces manifestations, la coalition dressa des
plans dans l' Etat de Washington pour une série d'actions en avril 2000
contre le trust Maxxam et ses filiales Kaiser Aluminium et Pacific Lumber.
Mais juste une semaine avant la date prévue pour leur déroulement, les
leaders de l'USWA décidèrent de les annuler ou de les reporter car ils ne
voulaient pas de la participation des anarchistes d'Eugène (17) et d'autres
activistes antimondialistes. Les travailleurs de Kaiser ne furent en aucune façon
consultés. Les bureaucrates syndicaux étaient avant tout soucieux, de
nouveau, de la possibilité de perdre le contrôle de leur base dans la
situation mouvante que créaient des manifestations publiques. Bien des supporters étaient frustrés et en colère
après cette annulation de dernière minute. En même temps, Earth First en
rajouta en se distançant des IWW et des anarchistes et en prenant position
pour David Foster et les autres de la bureaucratie syndicale. Ils voulaient
que ceux qui s'associaient dans le travail adoptent un profil bas, mais ils
ne voulaient pas que leurs idées endommagent l'apparence de respectabilité
qu'ils essayaient de préserver. A ce moment, un petit nombre de métallos de
Kaiser participaient aux piquets au port de Tacoma. Mais, fait plus
important, la plupart des grévistes n'étaient pas directement impliqués dans
les actions de la grève sur une base continue. Dans l'Etat de Washington, la
majorité des grévistes passaient leur temps à essayer de faire vivre leur
famille avec d'autres boulots ou autres activités personnelles. Les
bureaucrates syndicaux adoptèrent une politique qui consistait à décourager
les supporters de participer à la lutte sur une base régulière, arguant que
cela ferait capoter les tentatives de négociations en cours. Dans ce
contexte, une bonne partie des supporters locaux s'abstinrent de toute
participation active. Pourtant, en juin 2000, les supporters non
affiliés à l'USWA participèrent, de concert avec des membres de l'ILWU, à des
actions qui réussirent à bloquer la livraison d'aluminium brut aux usines
Kaiser. Les dockers de l'ILWU du port de Tacoma jouèrent un rôle important,
de concert avec les métallos, dans le blocage pendant onze jours d'un autre
cargo, le Cupid Feather, chargé d'aluminium. Ils y réussirent avec une grève
du zèle et en refusant tout travail chaque fois que les flics et les gardes
de la sécurité du port essayaient de rompre les piquets. Dans l'environnement
hostile qui en résultait, les dockers durent finalement décharger les cargos
mais ils le firent avec une sorte de grève perlée, très lentement. Alors qu'il devenait évident que les
négociations avec Kaiser ne menaient nulle part, les piquets se
préparèrent à durcir la lutte, c'est-à-dire à bloquer totalement tout
mouvement de cargos chargés de matériau brut pour Kaiser. C'est alors qu'à la
surprise de la base, David Foster, président du comité syndical de
négociations, suggéra de soumettre le conflit à un arbitrage et de suspendre
le projet de bloquer totalement le déchargement des marchandises destinées à
Kaiser. Les cinq présidents de sections syndicales
locales impliquées dans les négociations furent requis de voter pour savoir
si ces propositions devaient être soumises aux membres de l'USWA : trois
tombèrent d'accord pour un vote, deux étaient contre. Alors, pour préparer le
vote de la base, les sections syndicales organisèrent des assemblées dans
lesquelles Foster vint expliquer aux grévistes pourquoi il pensait qu'ils
devaient opter pour un arbitrage. La plupart des syndiqués étaient très remontés
sur le tour pris par les événements. Ils comprenaient qu'après vingt-deux
mois de peine et de lutte, ils pouvaient tout perdre dans un arbitrage. Mais
une bonne partie voulait aussi retrouver son travail et était prête à
accepter un règlement qui lui permettrait de cesser la grève. C'est à ce moment crucial que nous fûmes
contactés par Jeffrey Hilgert qui avait travaillé pour le district 11 de
l'USWA. Il nous parla de la grève du local 1028 de l'USWA contre MEI/GST
Corporation à Duluth (Minnesota), au cours de laquelle David Foster avait
aussi été à la tête du groupe syndical négociateur. Il nous dit que Foster
avait fait bien des concessions et passé des accords dans la coulisse,
acceptant un contrat de cinq ans alors même que les syndiqués avaient explicitement donné
mandat pour un contrat de trois ans. C'est seulement en refusant de suivre
les compromis de Foster que les travailleurs MEI/GST avaient pu gagner
quelque chose. Nous avons aidé Jeffrey à contacter des grévistes de Kaiser et
il leur parla des compromis des négociateurs dans la grève MEI/GST et de la
résistance de la base. Il appela les grévistes à refuser la dernière
tentative de Foster pour faire adopter un compromis. Quelques grévistes parmi
les plus actifs qui allaient participer aux assemblées firent circuler toutes
les informations parmi tous les grévistes. Le 11 juillet, la veille du vote, une lettre
écrite par quelques syndiqués d'ILWU du port de Tacoma circula parmi les
grévistes. Cette lettre leur rappelait qu'ils avaient le soutien des dockers
de Tacoma comme ils l'avaient montré dans le passé en bloquant le
déchargement de l'aluminium. Elle pressait les grévistes de rejeter le projet
d'arbitrage et au lieu de cela, de faire confiance à leurs propres forces
pour obtenir des concessions de Kaiser. Cette lettre était une expression publique très
positive, une ouverture pour la discussion et une réflexion pour des
alternatives véritables. Mais elle n'était pas l'expression de la section de
l'ILWU. Ils n'étaient que quelques-uns à avoir participé à sa rédaction et à
l'avoir réellement endossée. Avant qu'elle ait été mise en circulation,
quelques-uns des plus actifs des grévistes l'avaient lue et appréciée. Tout
comme certains des dockers. Un des auteurs de la lettre la mit sur un site de
discussion sur Internet, où beaucoup de dockers purent la lire. Mais la lettre ne changea réellement pas
grand-chose. Les grévistes devaient décider s'ils pensaient pouvoir faire
pression sur Kaiser pour obtenir ce qu'ils espéraient : meilleurs salaires,
sécurité d'emploi, meilleure sécurité dans le travail, couverture maladie
valable et retraite garantie. Comme cela apparaissait, la plupart d'entre eux
n'étaient pas très impliqués dans les discussions sur la stratégie ou même
dans tout ce qui pouvait toucher les supporters non membres de l'USWA, de
sorte qu'ils ne pouvaient même se soucier de ce qui pouvait les motiver. Il était compréhensible que ni les syndiqués de
l'ILWU, ni les supporters non syndiqués ne voulussent pas entreprendre un
blocage ou toute autre action de protestation sans l'accord des métallos de
Kaiser. Et les plus militants des métallos de Kaiser ne pouvaient, quel que
soit leur nombre, défier seuls les bureaucrates syndicaux. Le vote des travailleurs de Kaiser se déroula les
12 et 13 juillet 2000. Quand il fut clos, l'USWA proclama que la majorité des
syndiqués des cinq usines avaient accepté l'arbitrage à 74 %. Un total de 1
681 avait voté pour et seulement 601 contre. Quelques grévistes parmi les
plus actifs furent surpris de voir qu'une aussi large majorité avait voté
pour l'arbitrage. Apparemment, des discussions qu'ils avaient pu avoir les
uns avec les autres avant le vote les avaient amenés à penser qu'il y aurait
un rejet, mais beaucoup de métallos de Kaiser n'étaient pas impliqués
directement dans la grève. La majorité des métallos de Newark, Ohio, avaient
voté contre et beaucoup ont pensé qu'il l'avaient fait parce qu'ils étaient
restés constamment en contact les uns avec les autres, discutant de toutes
les alternatives possibles sur une base régulière. Dans l'Etat de Washington,
beaucoup n'étaient pas du tout impliqués dans les activités de la grève et la
plupart absorbés par des travaux alimentaires, alors que la grève et le lock-out
perduraient. Tout le monde paraissait d'accord sur le fait que
la majorité avait voté pour un arbitrage, pas tant parce qu'ils en aimaient
l'idée que parce qu'ils sentaient que leurs chances d'obtenir quelque chose
d'une autre façon étaient bien minces. Et parce qu'ils n'étaient pas
réellement impliqués activement dans la résistance, ils se sentaient isolés
et vulnérables. Il n'était nullement surprenant que les médias aient été en
général favorables à Kaiser et que les dirigeants centraux de l'USWA aient
mené une campagne intensive en faveur de l'arbitrage. L'arbitre releva six points de désaccords entre
la firme et le syndicat au cours des vingt-huit jours impartis pour les
débats sous son autorité. Il donna son arbitrage sur quatre points en faveur
de Kaiser, sur deux points en faveur du syndicat. Les travailleurs se voyaient accorder une
augmentation de 2,6 % par an sur les cinq années du nouveau contrat. Kaiser était autorisé à licencier plus de 500
syndiqués, 19 % de la force de travail dans ses usines de l'Ohio, de
Louisiane et du Washington. Le 7 octobre, le Seattle Post Intelligencer
rapportait que sur environ 950 ouvriers travaillant à l'usine Mead, près de
Spokane, au début de la grève, seulement environ 600 avaient été rappelés .
Le 10 octobre, le Tacoma News Tribune indiqua qu'à l'usine de Tacoma,
seulement 40 syndiqués sur plus de 370 avaient été réembauchés ; en juin
déjà, prétextant la hausse du prix de l'énergie, Kaiser avait supprimé 281
emplois. La plupart des métallos refusaient de croire que
cette dernière suppression d'emplois étaient causée par la hausse de
l'électricité, mais pensaient que c'était une décision politique de la
direction. Mais il y a pas mal de preuves montrant que, outre son désir d'en
finir avec le syndicat, Kaiser était engagé dans une réduction de sa force de
travail dans le Nord-Ouest des Etats-Unis en réponse à l'augmentation du prix
de l'électricité (18). Le 16 octobre, l'agence Reuters signala que la hausse
vertigineuse du prix de l'énergie électrique aux mains des compagnies privées
aurait un impact sur le coût de l'énergie utilisée dans les usines
d'aluminium du Nord-Ouest de la zone Pacifique. La privatisation a déjà conduit à des
augmentations de prix et à un rationnement de courant en Californie et les prix
augmentent dans le Nord-Ouest, car l'électricité est détournée pour alimenter
les industries californiennes. Le 1er novembre 2000, Kaiser annonça qu'il avait
signé un nouveau contrat pour la fourniture de courant avec la Bonneville
Power Administration (BPA) pour ses opérations dans le Pacifique Nord-Ouest,
d'octobre 2001 au 30 septembre 2006. Le taux de base dans le nouveau contrat
était approximativement de 20 % plus élevé que le taux antérieur. Le Seattle Post Intelligencer rappela, le 3
novembre 2000, que Kaiser Aluminium ne rouvrirait pas sa fonderie de Tacoma
tant qu'il ne pourrait obtenir de l'électricité bon marché. La hausse du prix
du courant fait aussi chuter les profits chez les quatre autres producteurs
d'aluminium établis dans le Nord-Ouest des Etats-Unis. Cette tendance amène
les firmes à engager une politique de délocalisation de la production dans
des usines en Irlande, au Mozambique, en Australie ou en Inde. Malgré ce résultat bien médiocre, sous
l'influence des leaders de l'USWA, dont Foster, des organisations qui avaient
été impliquées dans la grève, comme Earth First !, se dépêchèrent d'affirmer
qu'elle avait été un succès et que leur soutien avait contribué à cette
grande victoire ouvrière. Si les métallos de Kaiser avaient été plus actifs
et plus directement impliqués dans la conduite de leur propre grève, ils
auraient pu avoir une position plus radicale dès le début et ainsi gagner
plus tôt un soutien plus fort des activistes hors du syndicat USWA, et avoir
ainsi accès à une vision plus large de leur lutte et développer des formes de
résistance bien plus effectives. Mais en l'absence d'une participation à une
démocratie directe et ayant en face d'eux le manque d'intérêt des
bureaucrates syndicaux pour une vision plus large du conflit lié à la volonté
de parvenir à tout prix à un compromis, ils devaient logiquement perdre. Et
ceux qui furent licenciés perdaient encore plus qu'ils n'auraient perdu s'ils
avaient accepté les conditions de Kaiser deux ans auparavant. Le 25 septembre, le Tacoma News Tribune signalait
que la plupart des licenciés des usines de l'Etat de Washington ne pourraient
obtenir aucune des indemnisations de chômage, ou des compensations de Kaiser
ou du syndicat USWA. Ceci parce que Kaiser avait influencé les autorités
législatives de l'Etat pour qu'elles votent contre l'extension de
l'indemnisation du chômage à ces travailleurs. Et l'arbitrage supprimait une
disposition du contrat échu qui obligeait Kaiser à prévoir une assistance
financière pour les travailleurs ayant moins de dix ans d'ancienneté, qui se
trouvaient dans l'obligation de chercher un autre emploi. Tout ce que les
licenciés pouvaient obtenir était le règlement d'arriérés de salaires, ainsi
qu'en avait décidé le National Labor Relation Board (19) en statuant que le
lock-out était illégal, mais personne ne savait combien il toucherait. Les juristes du syndicat pensent que Kaiser peut
éventuellement être contraint à payer quelque 337 millions de dollars (plus
de deux milliards de francs). Un jugement prochain devrait en décider. Néanmoins, les deux années de lutte des métallos
de Kaiser ont eu une grande importance parce qu'elles se sont développées
dans un contexte de soutien d'individus et de groupes hors de l'usine et hors
du syndicat USWA. Nous pensons que cela fait partie d'une tendance qui se
développe. Mais, même bénéficiant d'un large soutien, des résistances dans
différentes directions ne sont pas suffisantes. Pour être vraiment effective,
la base dans tous les syndicats a besoin de développer l'habitude de passer
outre aux décisions des leaders à la recherche de compromis, pas même de
dépendre de l'activité de militants fiables et sincères. Ils ont besoin
d'instituer une démarche directe pour eux-mêmes. Novembre 2000 - R.B. et S.K., de Seattle San
Antonio , Texas. Une ville frontière avec le Mexique, là où se
situe l'essentiel des délocalisations américaines de chaque côté de la
frontière dans ce qui est appelé les maquiladoras . Les dirigeants de l'usine appellent jonkeados (les
rebuts) les travailleurs si malades qu'on doit leur donner des emplois
particuliers. Mais, contrairement à ce qu'on pourrait penser, les jonkeados
ne sont pas mis sur des travaux légers jusqu'à ce que, guéris, ils puissent
reprendre leur place sur la chaîne. Au lieu de cela, on leur assigne des
tâches si dégradantes et désagréables que, selon J. Gonzalez, un ouvrier de
l'usine : Nous savons que les dirigeants n'attendent qu'une chose, que nous
quittions l'usine. A la mi-décembre 2000, J. Gonzalez vint à San
Antonio avec un camarade jonkeado pour témoigner que le gouvernement mexicain
avait autorisé l'employeur, Florida's Breed Technology, à violer
systématiquement les lois de l'hygiène et de la sécurité dans ses deux usines
frontières --Auto Trim à Matamoros et Custom Trim à Valle Hermoso. Selon les accords de l'Alena entérinés par
l'administration Clinton, les travailleurs mexicains devaient se voir
garantir des conditions de travail décentes . L'audition des deux
travailleurs devant le tribunal devait montrer ce qu'il en était de ces
garanties. Depuis que l'Alena est entré en application en janvier 1994, plus
de vingt plaintes ont été déposées visant tant le Mexique pour ne pas
respecter ses engagements que les Etats-Unis pour ne pas intervenir dans l'application
des garanties prévues. Toutes ces plaintes ont subi le même sort. Des
audiences sont tenues. Les travailleurs témoignent. Le Département américain
de l'Office administratif national du travail (NAO) qui auditionne ces
plaintes contre le Mexique en conclut qu'on se trouve en présence de
sérieuses violations du droit. Après, rien. Aucune firme n'a jamais été
contrainte de réembaucher des travailleurs licenciés illégalement ou permis à
un syndicat de négocier un contrat collectif d'entreprise. Dans le cas
rapporté ici, l'audition conduisit à la même inaction ; travailleurs et
syndicats, des deux côtés de la frontière, en conclurent qu'ils ne pouvaient
qu'abandonner les poursuites. Plus d'une douzaine de témoins signalèrent les
problèmes de santé dans les maquiladoras de la firme Breed. Une bonne partie
des ouvriers pensent que les complications de santé de leurs enfants sont dus
à la manipulation de produits dangereux par les parents. Bruno Noe Mantaez Lopez, qui colle des
revêtements de cuir sur les volants de voiture depuis cinq ans à l'usine de
Matamoros, a eu un fils né avec une tumeur à la colonne vertébrale, un cur
trop gros et pas de rotule aux genoux. Le docteur n'a pas voulu qu'il donne
son sang pour sauver son fils, car son sang est contaminé. Le bébé est mort à
six mois. Une autre ouvrière décrit la naissance d'une
fille née sans uretère. Exposée aux vapeurs de colle alors qu'elle était
enceinte, elle ne put obtenir d'autre protection qu'un tablier. Un expert mexicain pour l'hygiène et la sécurité,
F. M. Calderon, a condamné Breed pour avoir causé des lésions irréversibles à
ses ouvriers et a indiqué que les négligences des autorités gouvernementales
avaient permis un tel comportement de la firme. Selon un expert américain, Garrett Brown, le
besoin désespéré du Mexique en devises étrangères pour repayer les emprunts
du FMI fait qu'il ne cherche nullement à appliquer un règlement quelconque
dans ce domaine, par crainte de s'aliéner les investisseurs. Lors de l'audience sus-mentionnée, Breed
Technologies était représentée par un vice-président chargé des affaires
juridiques : il ne présente aucune justification et n'apporte aucune réponse
aux témoignages ouvriers. La confédération américaine AFL-CIO conseille les
ouvriers de Breed. Son représentant lors des audiences convint que le NAO
était totalement impuissant pour agir dans cette situation. Mais, mis à part
quelques déclarations lénifiantes, il n'envisagea pas non plus d'autre
solution qu'un vague appel à la solidarité ouvrière par-delà les frontières. Martha Ojeda, directrice d'une Coalition pour la
justice dans les Maquiladoras, soulignait que l'affaire Breed était un test
pour l'application des clauses de l'Alena concernant les conditions de
travail et ajoutait : S'il n'y a pas de remède par cette voie juridique, nous
devons chercher d'autres alternatives pour protéger les droits des
travailleurs de la frontière. Pourtant, le terrain politique est totalement
hostile. Le nouveau président du Mexique, Vicente Fox, a la solide et ancienne
réputation d'utiliser les bas salaires et les syndicats gouvernementaux pour
attirer les investissements des Etats voisins. Il est peu vraisemblable qu'il
fasse des efforts quelconques pour garantir les droits et la santé des
travailleurs des maquiladoras si cela devait décourager les firmes comme
Breed de construire de nouvelles usines. Et, avec un nouveau président comme Bush, il est
tout autant peu vraisemblable de penser que le département du travail
américain envisage d'imposer des sanctions au Mexique pour les problèmes
posés dans ces mêmes usines. D. B. (1) Voir Echanges n 81, p. 32 : La grève des dockers de Liverpool
dure depuis septembre 1995 , n 84 p. 3 : Solidarité virtuelle : la
solidarité, pour exister médiatiquement sur le papier ou sur les ondes, n'en
est pas moins inexistante en termes réels , n 86 p. 13 : Une lutte de
vingt-huit mois, pourquoi ? , n 88 p.13 : Toujours unis. Entretien avec Bob
Richie, shop-steward des dockers , et n 92 p. 47 : Les dessous de la
collaboration syndicats-patronat gouvernement pour la domination du capital .
(1) Eugène Debs (1855-1926) fut un des fondateurs et le président du
premier syndicat américain des chemins de fer. Il fit six mois de prison
suite à une grève en 1894 (pour entrave à la liberté du commerce). Devenu
adepte du marxisme, il fonda le Parti socialiste d'Amérique et participa, à
son origine, au syndicat Industrial Workers of the World (IWW), mais quitta
bientôt cette organisation qu'il jugeait trop radicale. Candidat malheureux à
de nombreuses élections présidentielles, son pacifisme militant au cours de
la première guerre mondiale lui valut dix années de prison dont il ne fut
libéré qu'en 1921. (2) AFL : American Federation of Labor (Fédération américaine du
travail). Fédération syndicale de métiers fondée en 1886 sous la direction de
Samuel Gompers qui l'organisa sous une forme strictement corporatiste avec
comme revendications de base : salaires, temps de travail et liberté
syndicale, refusant toute forme de radicalisme. Bien que prétendument
apolitique, Gompers engagea personnellement l'AFL dans le soutien au capital
américain impliqué dans la première guerre mondiale en participant au comité
de défense nationale, uvrant à empêcher toute grève qui aurait nui à la
production de guerre. L'inadaptation à l'évolution industrielle et le
réformisme viscéral de l'AFL amenèrent la formation d'abord des IWW (voir
note12 ) et, après l'écrasement de ce syndicat révolutionnaire par une violente répression, du CIO, ces deux organisations prenant la
structure de syndicats d'industries. Les deux confédérations AFL et CIO
fusionnèrent en 1952 sous le titre AFL -CIO. dont les positions dans les
conflits sont voisines de celles de l'ex-AFL. (3) On trouve le texte de cet ouvrage et des informations sur la
grève sur Internet : http ://www.choicenet1.com/steelworkers/forum/default.asp (4) New Deal : ce fut le nom donné à la nouvelle politique
économique et sociale des Etats-Unis impulsée par F.D. Roosevelt pour aider
le capital américain à surmonter la crise de 1929. Celle-ci ne fut d'ailleurs
réellement surmontée qu'avec la seconde guerre mondiale, qui vit, à travers
la quasi-domination du prolétariat américain et les destructions de capital fixe
en dehors des Etats-Unis, l'hégémonie économique et politique
américaine se renforcer sur le monde entier. La politique en question --
l'intervention de l'Etat dans l'économie -- était basée sur les théories de
l'économiste britannique Keynes ; elle fut balayée par une nouvelle offensive
du libéralisme économique dans les dernières décennies, dont les maux divers
suscitent un renouveau des thèses keynésiennes (voir par exemple les
réformistes d'Attac ). Pour une bonne critique de ce réformisme, voir les
ouvrages de Paul Mattick : Marx et Keynes (Gallimard, 1971) et Crises et
Théorie des crises (Champ libre, 1974). (5) Répétons que le syndicat n'est reconnu dans une entreprise, aux
Etats-Unis, que si un vote majoritaire des travailleurs pour un syndicat
déterminé l'y autorise (ce système, qui vient d'être introduit en
Grande-Bretagne avec quelques modalités différentes, certains syndicats CFDT
et CGT voudraient le voir introduire en France, ne serait-ce que pour couper
l'herbe sous les pieds des syndicats dissidents ). Le syndicat ayant gagné
cette reconnaissance doit conclure un contrat collectif d'entreprise qui fixe
tout un ensemble de règles, y compris la santé et la retraite traités au cas
par cas. Le renouvellement de tels contrats, conclus pour plusieurs années
(jusqu'à cinq ans) sert de prétexte -- justifications économiques à l'appui
-- à beaucoup d'entreprises pour imposer des modifications importantes, bien
sûr défavorables aux travailleurs, ce qui est à l'origine de nombreux
conflits. (6) On ne dira jamais assez que les différents modes de
réglementation du travail -- et des luttes -- jouent un rôle déterminant dans
les formes que prend la lutte de classe dans différents Etats, alors même que
ces formes expriment le conflit fondamental capital-travail et l'affrontement
parfois souterrain, parfois ouvert entre la tendance autonome de l'action de
classe et l'ensemble des organismes chargés de canaliser cette tendance dans
les limites -- les formes -- fixées par le système capitaliste. Aux Etats-Unis,
dans toute grève, les firmes sont autorisées légalement à embaucher des
jaunes, baptisés travailleurs de remplacement , pour continuer à faire
tourner l'usine et ainsi émasculer le pouvoir direct de pression que
constitue la grève. (7) Les piquets de grève, aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne
sont étroitement réglementés, quant à leur nombre et à leur activité. Souvent
aux Etats-Unis ils sont contraints de tourner car il est interdit de rester
immobile (la réglementation peut varier suivant les Etats). Bien sûr toute
cette législation peut être enfreinte mais avec risque de répression : tout
dépend alors du rapport de forces. (8) Sweeney, nouveau leader de l'AFL-CIO, passe pour un progressiste
, mais il reste le président de l'imposante machinerie bureaucratique qu'est
la fédération syndicale unifiée. (9) Alena (Nafta en anglais) est l'accord de libre échange pour
l'Amérique du Nord (Etats-Unis, Canada et Mexique) qui prévoit la libre
circulation dans ces pays des marchandises et des capitaux, mais en aucune
façon des hommes, ce qui autorise la surexploitation des travailleurs
mexicains. Des pourparlers sont en cours pour étendre ce genre d'accord aux
deux continents américains. Vu sous l'angle de la mondialisation, ces accords
sont destinés à balancer l'influence de l'Union européenne sur l'économie
mondiale. (10) Le Global Trade Watch est une branche du Public Citizen (fondé
en 1972) de Ralph Nader, connu pour ses campagnes de cette union de
consommateurs et sa candidature à la présidence des Etats-Unis. Global Trade
Watch, créé en 1993, s'emploie à surveiller les implications des accords
internationaux et de la globalisation dans les domaines de la santé, de
l'environnement, de la justice sociale et de la démocratie. L'ensemble
développe les tendances réformistes à l'intérieur du système capitaliste dans
le même sens que les fallacieuses propositions de régulation du système que
l'on peut voir ici dans les organisation écologistes, alternatives, etc. --
comme par exemple Attac en France. Against The Current (nos 88 et 89) a
publié en deux partie des articles sur ce mouvement : Ralph Nader and the
Legacy of Revolt -- The Impeding Revolution et revient sur ce thème dans son n 9 (mars-avril 2001),
sous le titre Une évolution stratégique et les prochaines étapes, Nader, les
Verts et les socialistes . (11) Sweatshop , mot intraduisible (littéralement atelier de la
sueur) désigne ces ateliers ou usines, clandestins ou pas (tout dépend de
l'Etat) où les travailleurs sont surexploités dans des conditions dignes de
celles décrites au tout début du capitalisme occidental européen dans la
période d'accumulation primitive. (12) IWW : dans l'histoire des luttes et du syndicalisme américain,
les IWW (Industrial Workers of the World) tiennent une place bien à part. Ce
syndicat fut fondé en 1905 en opposition à l'AFL (voir note 2) très
conservateur et qui n'admettait que les professionnels qualifiés. Rapidement,
les IWW rassemblèrent les grandes masses des laissés-pour-compte , en
majorité des immigrants européens surexploités particulièrement dans les
industries primaires et l'agriculture, attirés par les méthodes d'action
directe et l'engagement militant des responsables. Une féroce répression
contre le grand syndicat unique mit rapidement fin à son essor. Les IWW
existent encore aujourd'hui mais en 1949, ils ne comptaient pas plus de 1 500
membres dans tous les Etats-Unis (voir l'ouvrage de Larry Portis : IWW et
syndcialisme révolutionnaire aus Etats-Unis, éd.Spartacus). (13) Earth First ! : fondé en 1970, se présente non comme une
organisation mais comme un mouvement uvrant dans l'écologie. Il se
caractérise par son activisme et ses méthodes de lutte radicales. (14) L'Etat de Washington n'a rien à voir avec la capitale des
Etats-Unis, Washington DC. Il se situe à l'extrême nord-ouest des Etats-Unis,
limité par la frontière canadienne et le Pacifique. Seattle, que beaucoup
connaissent maintenant à cause des manifestations antimondialistes de l'an
2000, est la ville la plus importante de cet Etat ; le port de Tacoma dont il
est question dans cet article est tout proche de Seattle. (15) International Longshore Workers'Union (ILWU) est le syndicat
américain des dockers affilié à l'AFL-CIO. Longshoreman est le nom pour
docker au Canada et aux Etats-Unis. (16) IBEW, International Brotherhood of Electrical Workers, syndicat
des électriciens, syndicat de métier venant de l'AFL. (17) Eugene Anarchists . Eugene est une ville dans le sud de l'Etat
d'Oregon, contigu de l'Etat de Washington. Autour de cette ville se sont fixés des communautés
libertaires. John Zerzan, auteur entre autre de Futur Primitif (voir Echanges
nos 93, p. 71, et 95, p. 51) y réside aussi. Lors des manifestations
antimondialistes de Seattle, ces anarchistes d'Eugene sont apparus parmi les
plus radicaux, ce qui leur a valu une certaine médiatisation (J. Zerzan fut
en particulier accusé d'être le meneur ) et une réputation qui explique
l'attitude des bureaucrates syndicaux. (18) Dans certains Etats des Etats-Unis, la production et la
distribution d'électricité aux mains de sociétés privées ne peut satisfaire
la demande, ce qui entraîne des coupures de courant -- comme récemment en Californie -- et un surenchérissement du prix comme pour toute
marchandise rare. Ce passage de l'article souligne les conséquences qui
découlent de cette situation pour maintenir la profitabilité des secteurs
industriels dépendant fortement de l'utilisation de l'électricité, et en
dernier lieu le transfert des usines dans des régions où cette matière
première est meilleur marché. D'une certaine façon, un pays capitaliste riche
se trouve devant le même problème (par des voies différentes) que les pays
capitalistes en développement dans lesquels la fourniture d'électricité est
souvent problématique, ce qui nuit à l'implantation hautement souhaitée
d'investisseurs étrangers. (19) NLRB :National Labor Relations Board -- Bureau National des
Relations du Travail - Organisme fédéral doté de pouvoirs spéciaux
l'autorisant à intervenir dans certaines circonstances dans des conflits du
travail comme une sorte de tribunal ou comme arbitre, notamment suite à une
intervention présidentielle interdisant le déclenchement d'une grève. |