Genève - «C'est la France qui reçoit, mais c'est la Suisse qui paie la facture.» Voilà ce qu'avaient en tête les passants qui déambulaient hier sur la rue du Rhône, au centre-ville de Genève.
Il faut dire que la célèbre avenue des bijoutiers est méconnaissable. Depuis deux semaines, les commerçants s'affairent à vider leurs magasins et leurs coffres. Presque toutes les boutiques ont démonté et placardé leurs vitrines en préparation de la grande manifestation de dimanche contre le G8.
Après Kananaskis, l'an dernier, le sommet d'Évian sera lui aussi un sommet «à la canadienne». Cela signifie qu'il se tient dans un lieu inaccessible, coincé entre l'eau et la montagne, et que les manifestants sont relégués de l'autre côté du lac Léman, à une cinquantaine de kilomètres de l'endroit où tout se passe. Même le centre de presse, qui accueillera 3000 journalistes, a été logé à 15 kilomètres de l'hôtel Royal Parc, où se rencontreront les chefs d'État et de gouvernement.
En organisant le sommet à Évian, la France ne fait donc pas que réunir les chefs d'État dans un sanctuaire isolé des Alpes. Elle repousse aussi en Suisse les dizaines de milliers de protestataires venus de toute l'Europe. Deux des trois lieux qui accueillent le contre-G8 (Annemasse, Genève et Lausanne) sont en effet de l'autre côté de la frontière.
Mis devant le fait accompli, les voisins helvétiques n'ont pas sauté de joie en apprenant qu'ils serviraient de lieu de protestation pour une réunion qui ne les concerne pas. Il faut dire à la décharge des Français qu'ils contribueront pour un maximum d'environ 18 millions de dollars à une facture qui pourrait cependant atteindre le double, voire le triple. La Chambre de commerce et d'industrie de Genève envisage des pertes entre 60 à 120 millions de dollars pour l'économie de la ville.
Les choses sont plus simples du côté français puisqu'Évian est entouré de montagnes. 15 000 policiers et militaires ont donc bouclé un territoire de 2000 km2 auquel on n'accède que par l'un des 26 points de contrôle en montrant son badge. Ce périmètre est lui-même divisé en quatre zones, dont la zone zéro, réservée aux chefs d'État et de gouvernement. Hier, des habitants d'Évian se sont fait refuser l'accès à leur ville parce qu'ils avaient oublié leur passe.
Le lac Léman, que les invités traverseront en hélicoptère ou en bateau, sera quant à lui interdit à toute navigation. À Lausanne, juste en face, seul le quartier d'Ouchy est mis en quarantaine. C'est là que logeront les représentants de 12 pays émergents que les huit rencontreront dimanche.
Pendant ce temps, à Genève, la panique est parfois palpable. Est-ce la peur des casseurs du Black Bloc ? Pour rassurer les Genevois, le Forum social alémanique, un des organisateurs du contre-G8, a pourtant adopté une déclaration prônant la «stricte non-violence».
Toujours est-il qu'une semaine avant le sommet, une école a soudainement choisi de faire un exercice d'évacuation des écoliers. Des rumeurs complètement farfelues ont laissé croire que 300 cocktails Molotov avaient été saisis dans un squat de Genève.
La ville a d'ailleurs des airs de cité assiégée. Les chambres de commerce et les assureurs ont incité leurs membres à fermer boutique en ce congé de l'Ascension. Le mot d'ordre est de ne rien laisser traîner qui puisse servir de cible aux casseurs, que l'on surnomme ici les «petits gris».
Il n'y a pas que les cinq McDo du centre-ville qui mettront la clef dans la porte dimanche. Tout ce qui évoque l'argent, les États-Unis ou la richesse doit être dissimulé. Les boutiques d'articles de luxe, bijouteries, parfumeries et marchands de fourrure n'ont pas hésité à se barricader.
Les banques, symboles de richesse, ont donné congé à leurs employés. L'Organisation mondiale du commerce (OMC), basée à Genève, a aussi fermé boutique. Même de nombreuses distributrices de billets ont été mises hors service de peur que les manifestants ne s'y attaquent.
La multinationale Nestlé a barricadé son siège international. Seuls les grands magasins n'ont pas pris de précautions particulières. Sur la route du Chêne -- qu'emprunteront les manifestants jusqu'à la frontière où ils rejoindront le cortège français --, on voit de petits marchands de journaux et des nettoyeurs barricadés. Ils n'ont pas pris de risque. Dans toute la région, les bureaux de poste seront fermés, de même que la plupart des écoles. Les chantiers de construction sont immobilisés. Ils ont même été nettoyés afin de ne pas offrir de projectiles aux manifestants.
Plusieurs grandes banques ont d'ailleurs invité leurs employés à laisser leur cravate à la maison pendant le sommet, histoire de passer inaperçus dans une ville envahie par des milliers de protestataires chevelus.
Ce sommet n'a pas seulement mis à mal les relations de la Suisse avec la France : il a aussi provoqué de nombreuses irritations entre les cantons de la confédération helvétique.
Devant le refus de certains cantons de prêter main-forte à ceux de Genève et de Lausanne, le gouvernement fédéral s'est résolu à demander l'aide de l'Allemagne. La police fédérale a offert un millier d'hommes de ses unités spéciales et 15 canons à eau.
Plusieurs observateurs con-cluent à l'incapacité du fédéralisme suisse d'organiser de grands événements internationaux. «Nos structures actuelles ne sont plus du tout adaptées à la prise en charge d'un tel événement», a déclaré le directeur du comité de coordination suisse chargé de la sécurité, Pierre Aepli.
Les autorités fédérales disent que ce déploiement policier est, en Suisse, le plus important depuis la Deuxième Guerre mondiale.
Mais ce G8 ne fait pas le malheur de tout le monde. Certains commerçants en ont profité pour faire des soldes G8. La boutique Richemond-Mode, par exemple, dit à ses clients : «Durant le G8, nos marchandises sont mieux chez vous que chez nous.»
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