Perspectives - Au chevet de la mondialisation
    Éric Desrosiers
    Le Devoir
    Édition du samedi 31 mai et du dimanche 1er juin 2003

    C'est sur un processus de mondialisation bien mal en point que se pencheront, au cours des prochains jours, les participants du G8 à Évian. L'unilatéralisme américain, l'économie mondiale poussive et l'extrême difficulté du Nord à prendre en compte les intérêts du Sud n'augurent rien de bon pour ses partisans... ni même pour ses opposants.

    La liste officielle des thèmes à l'ordre du jour de l'édition 2003 de la réunion privée la plus bruyante de l'année se révèle déjà longue. Elle l'est toutefois moins que celle des enjeux de l'heure qui y seront aussi, et même surtout, discutés.

    Invités par le président français Jacques Chirac dans la bucolique station thermale d'Évian, sur les bords du lac Léman, transformée pour l'occasion en place forte gardée par 15 000 policiers, les chefs d'État des sept plus grands pays industrialisés (États-Unis, Japon, Grande-Bretagne, France, Italie et Canada) et de la Russie doivent, en effet, à partir de demain et jusqu'à mardi, chercher le moyen de revitaminer l'économie mondiale, sortir de l'impasse les négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), approuver et lancer le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) et poursuivre la lutte contre le terrorisme. Ils essaieront sans aucun doute, également, de recoller les pots cassés entre eux durant la crise irakienne, de limiter les dégâts commerciaux causés par la chute du dollar américain, de convaincre l'administration Bush de reconsidérer son rejet du protocole de Kyoto et d'«aider» les Européens à réviser leurs règles sur les organismes génétiquement modifiés (OGM).

    Il y a déjà un certain temps que les réunions du G8 ne se limitent plus seulement aux questions économiques. Créé il y a presque 20 ans dans un désir des principales puissances économiques mondiales de discuter entre elles de la façon de réagir aux crises ponctuelles et d'améliorer le système dans son ensemble, le forum acquerra rapidement l'image de premier et seul véritable gouvernement mondial. Il aura beau, au cours des dernières années, alléger à quelques reprises la dette des pays les plus pauvres, annoncer la création d'un fonds de lutte contre les maladies infectieuses et multiplier les «occasions de dialogue» avec la société civile, il restera pour plusieurs un chef de file de la mondialisation néolibérale triomphante.

    Force est toutefois de constater que cette marche triomphante marque sérieusement le pas par les temps qui courent. Censée être une source de profits inépuisables, elle n'a pas empêché les économies allemande, française, et même celle des tout puissants États-Unis, d'avoir aujourd'hui le souffle si court que certains craignent qu'elles finissent pas attraper la grippe de la déflation qui accable depuis plus de dix ans le Japon. On sait que les périodes de difficultés économiques ne sont généralement pas favorables aux compromis et concessions nécessaires de part et d'autre pour établir de nouvelles règles communes.

    Ce comportement ne peut être que plus dommageable encore lorsqu'il vient, entre autres, de la seule superpuissance encore existante. Tout le monde aura remarqué en effet que, pour des raisons économiques, idéologiques ou simplement électoralistes, Washington se montre, depuis quelques années, moins disposé que jamais à suivre un autre chemin que celui qu'il s'est lui-même fixé. Cette attitude ne manque pas d'évoquer le spectre d'un glissement de la mondialisation vers un bon vieil impérialisme.

    Cette tentation au retranchement des pays riches arrive au plus mauvais moment possible en ce qui concerne les pays pauvres. Principaux responsables de l'échec de Seattle en 1999, ces derniers se sont montrés disposés, deux ans plus tard, à Doha, à permettre à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) de reprendre sa progression à la condition expresse que l'on réponde enfin à leurs demandes d'un meilleur accès pour leurs produits agricoles et textiles aux marchés des pays développés, à leur urgent besoin de médicaments abordables pour lutter contre des épidémies comme le sida ou la malaria, ainsi qu'à la nécessité de préserver la capacité d'action de leurs gouvernements. À un an et demi de son échéance, on constate malheureusement que le soi-disant «Programme pour le développement de Doha» a raté tous ses rendez-vous importants, les pays riches s'avérant chaque fois incapables de faire les concessions qui comptent.

    Ces nombreux avatars ne vont pas sans conforter les mouvements antimondialisation occidentaux dans leur opposition totale aux processus en cours. Déstabilisée brièvement par la mort d'un manifestant au Sommet du G8 de 2001, à Gênes, et par les attaques du 11 septembre 2001, cette nébuleuse d'organisations de toutes tailles et de toutes natures a, depuis, retrouvé tout son élan, portée par le succès des manifestations contre la guerre en Irak et autre Forum social mondial de Porto Alegre. Se présentant désormais comme «altermondialiste», elle n'en éprouve pas moins toujours beaucoup de difficultés à quitter le nid douillet de la critique radicale, voire anarchiste, pour s'aventurer sur le chemin bien plus exigeant de l'élaboration d'une solution de remplacement réaliste.

    Là comme ailleurs, il s'en trouvera sûrement pour se réjouir de l'impasse dans laquelle semblent être arrivés le G8, l'OMC, ou toute autre institution multilatérale du genre, dans leurs efforts de fixer de nouvelles règles internationales. Ils auraient tort.

    Car s'il est certain que leurs États membres ont souvent été bien plus que de simples spectateurs des dérapages et manquements reprochés au nouvel ordre mondial, en multipliant notamment les accords de libre-échange, il est également vrai que le rapprochement des économies et des peuples est inévitable, et que les efforts de ces gouvernements représentent, pour l'heure, le meilleur moyen, parce que le seul disponible, de civiliser le processus de mondialisation en cours. Cette tâche apparaît d'autant plus essentielle que l'on traverse une période où la tentation à l'unilatéralisme et à la loi du plus fort est si forte.


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