Plan de développement de 1,2 milliard à Mont-Tremblant - Les projets d'Intrawest inquiètent citoyens et villégiateurs
    Louis-Gilles Francoeur
    Le Devoir
    Édition du lundi 13 janvier 2003

    Samedi, Le Devoir dévoilait le plan de développement d'Intrawest à Mont-Tremblant, qui prévoit 3000 nouvelles unités d'hébergement, plusieurs nouvelles infrastructures routières et des volets qui toucheraient le parc national voisin. Ces développements futurs, qui modifieraient passablement le milieu naturel, inquiètent beaucoup les citoyens et villégiateurs du coin. Le Devoir a recueilli leurs réactions.

    Les projets privés et publics en planification au Mont-Tremblant sont d'autant plus redoutés par les citoyens, villégiateurs et écologistes locaux que le plan de développement d'Intrawest demeure secret ou d'accès limité à certaines élites locales, ce qui fait craindre à plusieurs que la région ne fasse les frais d'un développement non durable et, à la limite, que les citoyens soient, à terme, dépossédés de leur milieu de vie et de leur patrimoine naturel.

    Jean H. Ouimet préside Environnement Mont-Tremblant, un organisme créé il y a deux ans pour chapeauter et faire parler d'une voix commune la douzaine de groupes de citoyens, villégiateurs et écologistes de la région de Saint-Jovite qui s'intéressent de près aux projets d'Intrawest. Cette multinationale a acheté la station de ski gouvernementale en 1991 et elle l'a modernisée pour pouvoir vendre les quelque 2000 unités d'hébergement des premières phases de son projet, construit autour d'un simili-village européen sur le Versant Sud de la montagne tremblante. En chantier, selon une enquête du Devoir, quelque 3000 autres unités de logement, des hôtels, ponts, routes, golfs, navettes ou trains dans le parc national.

    «Nous ne sommes pas contre les projets de développement d'Intrawest, explique M. Ouimet en entrevue au Devoir. Mais nous voulons les connaître, tous et dans le détail avec une évaluation indépendante de leurs impacts, puisqu'ils vont façonner notre région. Mais jusqu'à présent, la population n'a pas pu les connaître pour en discuter, ce que nous réclamons. Nous avons demandé au ministre de l'Environnement, André Boisclair, de lancer une consultation publique pour que tous puissent débattre de ces enjeux pour la région, pour la municipalité et l'environnement. Nous voulons avoir une idée des impacts cumulatifs des volets privés et publics de cette planification. Nous ne pouvons accepter d'en avoir une vue fragmentaire, volet par volet. Nous voulons savoir ce qui va arriver aux milieux naturels de grande valeur de notre région, de la qualité de vie des gens et du tissu social actuel.»

    Les efforts de la coalition pour obtenir une intervention du

    Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) se sont butés à l'actuelle réglementation sur l'évaluation des impacts environnementaux.

    «Il est invraisemblable qu'un projet immobilier susceptible d'affecter une région entière avec de nouvelles routes, une vague annuelle de touristes de sept millions de personne, des ponts à proximité ou dans les cours d'eau, des étangs artificiels, des barrages, des changements au débit des lacs et cours d'eau, etc., ne puisse pas être débattu globalement par la population qui va devoir assumer les séquelles. Pourtant, Québec juge nécessaire d'évaluer en audiences publiques des marinas et plein de petits projets de moindre envergure», explique de son côté Michelle d'Anjou, une consultante spécialisée en recrutement de personnel qui est aussi présidente d'une des douze associations locales, celle des villégiateurs du lac Bibitte.

    «À Whistler, ajoute de son côté le président d'Environnement Mont-Tremblant, où Intrawest a développé un autre domaine skiable majeur, les gens ont fait savoir à Intrawest qu'ils entendaient désormais déterminer leurs priorités de développement. Ils exigent que cette société débourse des sommes substantielles pour financer la construction d'écoles, de services et d'infrastructures, rendus nécessaires par ses projets. Pourquoi aurions-nous, comme citoyens, des droits différents ici ?»

    Effets redoutés

    Les organismes regroupés dans Environnement Mont-Tremblant redoutent plusieurs effets pervers du mégaprojet touristique sur le tissu social actuel.

    Si plusieurs propriétaires de l'ancien village de Mont-Tremblant ont vendu avec profit leurs maisons pour profiter de la flambée spéculative, d'autres, affirment les porte-parole du groupe, se sentent chassés de leur village parce que les taxes suivent les flambées spéculatives qu'ils n'ont pas souhaitées. Et la plupart des nouveaux travailleurs de la station touristique et des entreprises voisines «n'ont plus ou pas les moyens d'habiter à Saint-Jovite parce que ce sont des gens payés au salaire minimum, qui n'ont généralement que des emplois saisonniers», précise Michelle d'Anjou.

    Le milieu social traditionnel serait, disent-ils, en train d'être remplacé progressivement par celui des riches villégiateurs et touristes étrangers alors que les gens de la place se voient confinés non pas à des emplois de haute technologie, mais à des emplois subalternes, temporaires, mal payés, de femmes de chambre, de cuisiniers, de guides, de mécaniciens, etc.

    «Nous, on se demande si c'est ça l'avenir économique de la région. Si c'est ça que nous élus nous planifient. On a non seulement le droit de savoir, mais la population a aussi le droit de dire si c'est ça qu'elle veut avant d'être placée devant des faits accomplis. Et ces choix touchent aussi le milieu naturel, le principal capital de la région. Les gouvernements doivent le protéger contre tout ce qui pourrait en diminuer la valeur. Y compris sa valeur patrimoniale. On n'a même pas un comité d'architecture pour imposer le respect du visage architectural de la région. Des projets de développement de cette ampleur doivent s'intégrer. Pas imposer un nouveau visage à la Disneyland ou défigurer les principaux points d'attrait naturels de la région», poursuit Mme d'Anjou qui a fait sa thèse universitaires sur les projets immobiliers... mal planifiés.

    La coalition estime qu'il faut aussi prévoir d'atténuer le «choc» d'un développement trop brusque, trop rapide et, partant, mal ou peu planifié pour que les appétits des commerçants et des spéculateurs ne soient pas confondus avec les besoins de la population. Peu de gens savent, explique Jean H. Ouimet, que la population locale a augmenté de 30 % en cinq ans. Même les gestionnaires publics, professionnels et planificateurs, risquent d'être débordés. La région, dit-il, a déjà le pire score au Québec en matière de décrochage scolaire : est-ce que la multiplication des petits emplois faciles mais peu rémunérés risque d'accentuer le problème ?

    Visiteurs étrangers

    Les groupes s'inquiètent des multiples impacts environnementaux du mégaprojet. Est-ce que l'eau pompée par la station correspond ou dépasse les apports de la pluie ? La station aura-t-elle préséance, s'il y a pénurie d'eau, sur la population ou l'entreprise acceptera-t-elle d'assumer cet impondérable comme tout autre facteur économique conjoncturel ? La crainte de la coalition, c'est que les «gros intérêts privés» aient priorité...

    La coalition Environnement Mont-Tremblant n'est pas sans se questionner par ailleurs sur l'intérêt croissant des visiteurs étrangers pour les lacs de la région où ils commencent à acheter systématiquement. On murmure que Québec pourrait renégocier dans dix ans la protection accordée au pic Johansen si l'économie l'exige et qu'il ouvrira en temps et lieu de nouveaux lacs sauvages au profit de nouveaux projets de domaines de villégiature quand tous les condos seront construits. S'il y a flambée des prix pour les chalets de la région, qui en pâtira ?

    «En Nouvelle-Écosse et à l'Île du Prince-Édouard, les Américains ont ratissé et acheté tout ce qui est intéressant en bordure de la mer. C'est au point qu'à l'Île du Prince-Édouard, ils ont voté une loi pour limiter ces achats afin d'éviter que la population locale ne soit progressivement dépossédée de son milieu bâti sous la poussée de la spéculation. Est-ce qu'on veut la même chose pour notre Nord ? En tout cas, c'est certainement le temps de nous poser la question avant de partir, sans débat public éclairé, dans cette direction», conclut Michelle d'Anjou.


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