Mort d’un second détenu d’opinionen moins d’une semaine dans les prisons tunisiennes

Tunis le 3 Avril 2002

Le 31 mars 2002, la police livrait à la famille Sdiri la dépouille de Lakhdar qu’elle a enterré le 1er avril dans sa ville natale à Ghardimaou, bourgade située à la frontière algérienne, sous la surveillance d’un hélicoptère et quadrillés de tous les corps de police de la région.

Lakhdar Ben Houcine Sdriri avait été condamné en 1991 à 28 ans et 4 mois de prison pour appartenance au mouvement Ennahdha. Il a eu la malchance de figurer parmi le lot des inculpés du Nord Ouest dont la sanction disproportionnée devait servir d’exemple dans une région sensible. Il avait alors 25 ans et laissait à sa femme une fillette de quelques mois.

Durant ses douze ans d’incarcération, Lakhdhar Sdiri a été trimballé dans tous les pénitenciers de la Tunisie, pour finir depuis 4 ans dans le plus sinistre, la prison de Houareb (centre). Au début du mois de décembre 2001, il s’était plaint à sa mère, venue lui rendre visite, de divers maux et du fait que le médecin de la prison lui déniait tout soin.

Le 23 mars il a été admis à l’hôpital de Kairouan qui l’a transféré le 26 mars à l’hôpital universitaire de Farhat Hached de Sousse. Sa femme qui n’avait pas été informée de ce transfert, avait fini par le retrouver et lui rendre visite à l’hôpital le 28. Il était méconnaissable et enchaîné pieds et poings à son lit d’hôpital, portait des vêtements sales et déchirés, ne disposait pas de chaussures et sa couverture était tâchée de sang. L’entrevue n’a pas duré quelques minutes, le temps pour Lakhdhar de poser une main menottée sur sa fille qu’il touchait pour la première fois depuis douze ans ; mais les gardiens, postés devant son lit l’ont obligée à se retirer. Les infirmières expliquent à sa femme qu’il était arrivé dans un état de dénutrition et manquant de sang. Le 30, elle tente de le revoir pour lui apporter quelques vêtements propres, la visite lui est refusée. La famille n’a eu droit à aucune explication sur la cause de la mort de Lakhdhar.

L’enquête menée par une délégation du CNLT conclut à ce qui suit :

  • La direction et le médecin de la prison ont dénié à Lakhdhar Sdiri des soins pour une maladie qu’on ignore.
  • Lakhdhar a probablement entamé une grève de la faim pour protester contre cette privation depuis la fin du mois de décembre dernier.(symptômes de malnutrition).
  • En représailles, l’administration carcérale a dû le placer en isolement (absence de souliers, absence de vêtements de rechange) et il a dû subir des violences (vêtements déchirés, chaînes).

Le CNLT considère que la mort de Lakhdhar Sdiri est conséquente à des mauvais traitements et à un refus de soins ; que le directeur de la prison de Houareb ainsi que le médecin se sont rendus coupables pour le moins de « non assistance à personne en danger » sinon d’homicide suite à des tortures.

Le CNLT rappelle que depuis les événements du 11 septembre des consignes ont été données aux directeurs de prisons pour exercer des représailles et des brimades à l’encontre des détenus d’opinion. Cette mort est conséquente à ces consignes.

Ce sont des centaines de Tunisiens, victimes de procès inéquitables et coupables d’avoir exercé des droits constitutionnellement reconnus qui sont la cible de ces représailles gratuites. Après Abdelwahab Boussaa, le nom de Lakhdhar Sdiri, vient allonger une liste de dizaines de morts en détention qui ont jalonné l’histoire répressive de la dictature policière. Des dizaines d’autres victimes risquent leurs vies, détenus dans des conditions inhumaines et dégradantes. De graves atteintes à leur intégrité physique et psychique, conséquentes à la torture et à l’isolement sont constatées quotidiennement.

Le Conseil rappelle qu’il considère tous ces détenus d’opinion comme des otages politiques servant à légitimer une dérive policière.
Il tient les autorités publiques pour responsables de ce second crime et exige des comptes à l’Etat tunisien.
Le CNLT rappelle, l’urgence d’une loi d’amnistie générale.

Pour le Conseil,

La porte-parole

Sihem Bensedrine