Cauchemar du 2 février :délabrement de l’institution judiciaire

Tunis le 4 Février 2002

Les événements qui se sont produits le 2 février 2002 au palais de justice à l’occasion du procès où comparaissaient Hamma Hammami, porte-parole du PCOT et ses camarades, Samir Taamalah et Abdeljabar Madouri pour délit d’opinion revêtent une gravité extrême. Ce fut une éclatante démonstration de la tutelle de la police sur la justice. Ce fut également un moment où le viol de l’immunité de l’espace judiciaire par la police a pris des proportions inaccoutumées et la gestion policière de l’espace public, la forme la plus voyante.

Violence policière débridée:

  1. Les prévenus ont été agressés sauvagement et gratuitement puis enlevés par un corps d’élite de la police politique, sous le regard des avocats, alors qu’ils attendaient la cour sur le banc des accusés et qu’ils étaient sous la protection de la justice.
  2. Cette barbarie n’a pas épargné les enfants. C’est ainsi que Oussayma (13 ans), la fille de Hamma a été brutalisée au moment où les policiers enlevaient son père de la salle d’audience.
  3. Les avocats ont eux aussi eu leur part de violences verbales et physiques. Nous citons parmi eux maîtres Mokhtar Trifi, Hédi Ben Mehrez, Alya Chamari, Khaled Krichi, Mohamed Abou…
  4. De même des journalistes ont été brutalisés et leur matériel confisqué. C’est ainsi que le cameramen de la chaîne franco-allemande ARTE a été agressé par des policiers qui lui ont arraché sa caméra. De même l’équipe de la chaîne française FR3 s’est vue violemment confisquer sa cassette vidéo. La journaliste Om Zied a fait l’objet de menaces à peine voilées. Au moment de récupérer sa carte d’identité exigée à l’entrée de la salle d’audience par les policiers, on lui restitua une carte déchirée en deux avec des traces de cigarettes éteintes à l’emplacement des yeux ! A la sortie du tribunal, le journaliste tunisien du magasine « Réalités » a été sauvagement frappé puis enlevé par des policiers en civil. Il n’a été relâché qu’une heure plus tard.
  5. Parmi les observateurs étrangers, plusieurs ont été agressés verbalement, mais c’est surtout sur madame Simone Susskind, vice-présidente de l’Internationale socialiste, que les policiers se sont acharnés, la violentant à deux reprises.
  6. Lassaad Jouhri, ancien prisonnier politique, a été sauvagement agressé par plusieurs policiers qui, après l’avoir déstabilisé, l’ont roué de coups usant de la béquille sur laquelle il s’appuie pour se déplacer (séquelles de la torture qu’il a subie). Lassaad a été hospitalisé et souffre entre autre de fracture du bras (sous plâtre).
  7. A la fin de cette mascarade de procès, au moment où les observateurs quittaient le palais de justice, plusieurs dizaines de policiers se sont rués sur les présents, ils ont arraché avec une rare violence Ammar Amroussia, le quatrième militant du PCOT qui est sorti de clandestinité et l’ont embarqué presque dévetu. Cette violence gratuite s’est déchaînée sur la foule et plusieurs militants ont été agressés, nous citons parmi eux : Kamel Amroussia, Najaoua Rezgui, Néji Marzouk, Lotfi Hammami, Chokri Latif…

Violations des droits de la défense :
Cette parodie de justice a été une occasion supplémentaire de vérifier la tutelle de la police politique sur les magistrats. Ce fut une lamentable démonstration de leur échec à diriger l’audience, de leur démission face à leurs responsabilités et de la délégation de leur compétence à la police. La sixième chambre du tribunal de première instance a attendu des heures entières dans son bureau, les instructions. Elle ne siégea que longtemps après que la brigade de la police politique eut accompli son forfait en kidnappant les accusés. Et cela malgré l’insistance d’une délégation du conseil de l’ordre qui a relancé la cour à plusieurs reprises.
La cour a également refusé la constitution de deux avocats marocains, maîtres Abderrahman Berrada et Abderrahim Jamii, et cela en violation de la convention judiciaire qui lie le Maroc et la Tunisie.
La cour a enfin prononcé un jugement expéditif, reconduisant la condamnation à 9 ans de prison ferme sans avoir examiné l’opposition au premier jugement, dans un procès qui n’a duré que quelques minutes (bien que l’audience ouverte depuis le matin ne s’est achevée que vers six heures de l’après-midi) en l’absence des avocats et du ministère public, sans avoir interrogé les accusés ou vérifié leur identité ; l’un d’entre eux, Abdeljabbar Madouri n’a même pas été présenté à l’audience et a eu un supplément de deux ans pour outrage à magistrat.
Le CNLT constate que :

  1. Cette parodie de procès, assortie d’une chaîne de violations allant jusqu’au crime caractérisé, est une brillante illustration du degré de délabrement de l’institution judiciaire.
  2. L’absence de toute garantie de nature à protéger les droits du citoyen de l’arbitraire policier favorise un climat de terreur sciemment entretenu et qui a touché l’ensemble des secteurs de la société.

Le CNLT:
  1. appelle toutes les forces de la société à se mobiliser en vue de restaurer l’autorité de la justice et de réhabiliter l’indépendance de cette institution.
  2. Et salue la décision de grève générale des avocats décidée pour le 7 février en vue de protester contre ce viol de l’immunité de l’espace judiciaire.

Pour le Conseil,

La porte-parole

Sihem Bensedrine