Pour le respect du droit du CNLT à l’activité légale

Tunis le 10 Septembre 2002

Le 8 septembre courant, le CNLT devait tenir sa réunion plénière périodique dans son local de Tunis. Tout comme les réunions publiques, cette réunion interne a rencontré les mêmes formes d’interdiction barbare. En effet à peine une quinzaine de membres a-t-elle pu pénétrer au siège du CNLT à la rue Abdelwahab, que l’alerte était donnée par les policiers en faction permanente devant l’immeuble et un renfort de policiers en civil arrivait, déployant un cordon devant l’entrée et en interdisant l’accès aux autres membres qui continuaient d’affluer, sans aucune justification légale et sans autre forme de notification.

Particulièrement contrariés par la quinzaine de participants qui avait réussi à tromper leur vigilance, ils ont redoublé d’agressivité contre les nouveaux arrivants. Cette horde, dirigée par l’officier de la police politique Faker Fayala, a concentré ses exactions sur le professeur Talbi, membre du comité de liaison du CNLT sans aucun égard pour son âge ou sa notoriété. L’éminent historien, agé de 82 ans, a été malmené et bousculé sous un flot d’agressions verbales.
Penseur et écrivain célèbre à l’échelle internationale, le Docteur Mohamed Talbi est lauréat de plusieurs distinctions internationales importantes. Il a été durant de longues années doyen de la faculté de lettres de Tunis où il a formé plusieurs générations d’historiens ; longtemps président du comité culturel national, il continue d’animer plusieurs institutions académiques tunisiennes et internationales.

Cet incident est révélateur de la faillite du régime tunisien : à cours de solutions politiques face à des intellectuels déterminés à exercer leur citoyenneté, il croit pouvoir les impressionner en faisant agresser des penseurs par des voyous.
Cette agression s’ajoute aux multiples atteintes aux droits du CNLT et aux persécutions incalculables contre ses membres dont les autorités nous accablent depuis notre constitution le 10 décembre 1998 : Le Conseil des libertés est arbitrairement privé de son droit légitime à l’activité légale par un arrêté non motivé du Ministre de l’Intérieur en date du 2 mars 1999. Le recours pour abus de pouvoir, interjeté le 29 avril 1999 contre cet arrêté auprès du tribunal administratif, demeure sans réponse. S’appuyant sur l’absence de motivation, alors même qu’il s’agit d’un élément essentiel à la légalité de l’acte, le CNLT avait développé alors son argumentaire juridique sur l’idée qu’en la matière, le ministre est, malgré son pouvoir discrétionnaire, tenu de motiver sa décision ; qu’en l’absence de motivation, il commet une erreur de droit et que, dans tous les cas, le motif invoqué est insuffisant et qu’il constitue de ce fait une atteinte au principe de liberté garanti par la constitution et qu’il s’en suit que l’acte du ministre poursuit d’autres objectifs que ceux pour lesquels la loi lui a accordé la faculté de s’opposer à la constitution de l’association et que par suite il commet un détournement de pouvoir.

Le CNLT se prévaut de son droit légitime à la libre association pour continuer à fonctionner publiquement et rejeter toute forme d’activité clandestine. Privé de tout accès aux infrastructures publiques, ainsi qu’aux médias écrits et audiovisuels, le CNLT voit depuis plus de deux ans ses réunions dans les locauxprivés brutalement empêchées par la police politique. De même que les citoyens victimes de la répression ou témoins souhaitant nous contacter sont intimidés et harcelés par un dispositif policier imposant et permanent.

Le CNLT compte parmi ses membres des universitaires (dont deux anciens doyens et plusieurs académiciens), des avocats (dont un ancien bâtonnier et un membre du conseil de l’ordre), des médecins (feu notre président d’honneur était un ancien président du conseil de l’ordre), des journalistes et écrivains, des syndicalistes (dont un SG adjoint de l’UGTT et plusieurs responsables syndicaux nationaux et régionaux ) deux chefs de partis politiques, des dirigeantes du mouvement féministe, des responsables d’associations…Tous sont engagés avec la même ferveur dans le combat pour les libertés en Tunisie en dépit des persécutions systématiques dont ils sont la cible. Ainsi trois de nos principaux dirigeants ont été condamnés et deux emprisonnés. Six de ses membres ont fait l’objet de poursuites judiciaires. Quatre autres ont subi des arrestations et interpellations plus ou moins brèves.

Plusieurs membres du CNLT ont été physiquement agressés (certains en de multiples occasions) dans la rue par des membres des services de sécurité, avec des sequelles plus ou moins graves. Aucune suite n’a jamais été donnée aux recours en justice contre ces agressions ; aucun des agresseurs identifiés ( les photographies de plusieurs d’entre eux ont été jointes aux plaintes judiciaires ) n’a à ce jour été inquiété.

Les autorités ont aussi appliqué méthodiquement une politique de tarissement des ressources à l’égard de la majorité des membres du CNLT (licenciement, empêchements d’exercer une activité professionnelle, embargo sur les cabinets des avocats, vols de voitures…)
Le tiers des membres du CNLT ont subi la privation de passeport ou l’interdiction de voyager pour des périodes plus ou moins longues. La plupart de ses membres sont soumis à une filature permanente ; leurs déplacements à l’intérieur du pays sont souvent interdits. Leurs communications sont sous écoute permanente et souvent interrompues ou même coupées ; leur courrier est censuré de même que leurs connexions au réseau internet.
Ce dispositif déployé par les autorités n’a pas empeché le CNLT de se constituer en observatoire vigilant sur le champ des libertés publiques et de s’appliquer à dénoncer les atteintes graves aux droits du citoyen dans ses publications (communiqués ou rapports). Il est le partenaire et le correspondant des principales ONG de défense de droits humains dans le monde.

Le CNLT qui se réfère aux valeurs garanties par la déclaration universelle des droits de l’homme et aux pactes internationaux, s’attache également à susciter une réflexion sur les disfonctionnements institutionnels et à initier un débat sur leur réforme.
Ce traitement imposé au CNLT pose en réalité la question de la confiscation de l’espace public par le pouvoir. La liberté d’association, garantie par les lois tunisiennes et les traités internationaux, continue tout particulièrement d’etre foulée au pied par la police qui se comporte en maitre absolu. Le traitement par la violence infligé aux personnalités du CNLT qui tentent d’exercer pacifiquement leurs droits légitimes à la réunion ou même à des rencontres privées, est devenue la règle.

Le CNLT s’élève avec la plus grande vigueur contre ces pratiques indignes d’une société civilisée et contraire à toutes les normes d’un Etat de droit. Il demande que le tribunal administratif statue sur sa plainte en toute indépendance et appelle tous les démocrates à exiger le respect de son droit à l’activité légale.

Pour le Conseil,

La porte-parole

Sihem Bensedrine